Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Grenoble de prononcer la décharge et, à défaut, la réduction des compléments d'impôts sur le revenu auxquels elle a été assujettie au titre des années 2013 à 2015, la décharge et, à défaut, la réduction des compléments d'impôts sur le revenu établies au nom du foyer fiscal au titre des années 2007 à 2012, la décharge des droits de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été réclamés au titre de la période du 1er janvier 2009 au 31 décembre 2015 ainsi que des majorations appliquées à ces impositions.
Par un jugement n° 1903157, 2000374, 2000447 du 17 novembre 2021, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté ses demandes.
Procédure devant la cour
Par une requête et des mémoires, enregistrés le 10 janvier 2022, le 20 janvier 2023 et le 27 mars 2023, ce dernier n'a pas été communiqué, Mme B..., représentée par Me Tournoud, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de prononcer la décharge, à défaut la réduction, de ces impositions et pénalités ;
3°) d'ordonner la suppression des écrits injurieux, outrageants et diffamatoires ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 400 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement, qui est insuffisamment motivé, repose sur des erreurs dans l'application des règles de preuve, des dénaturations et des erreurs de fait compte tenu de la récusation de ses déclarations, des erreurs de qualification juridique et des erreurs de droit quant à l'application de la taxe sur la valeur ajoutée et à la fixation des bases d'imposition ;
- c'est à tort que l'administration a soumis les sommes perçues à l'impôt sur le revenu dès lors que la preuve de l'exercice d'une activité professionnelle d'escort n'est pas rapportée et qu'elle doit être regardée comme une femme entretenue, percevant des subsides non imposables ;
- la méthode de reconstitution est arbitraire et aboutit à des bases exagérées ;
- la méthode de reconstitution méconnaît le principe d'annualité de l'impôt sur le revenu ;
- c'est à tort que l'administration a soumis l'activité à la taxe sur la valeur ajoutée dès lors qu'il n'existe pas de lien direct entre une prestation caractérisée et une contre-valeur de cette prestation et que la prostitution est une activité illicite ne pouvant être regardée comme concurrentielle ;
- le délai de reprise spécial n'est pas applicable ;
- la majoration de 80 % n'est pas justifiée en l'absence d'activité occulte ;
- les écritures de l'administration comportent des propos injurieux, outrageants et diffamatoires quant à l'activité qui lui est imputée.
Par des mémoires en défense, enregistrés le 3 octobre 2022 et le 21 mars 2023, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens invoqués ne sont pas fondés.
Par une ordonnance du 13 mars 2023, la clôture d'instruction a été fixée au 28 mars 2023
Vu :
- les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Laval, premier conseiller,
- les conclusions de Mme Lesieux, rapporteure publique,
- et les observations de Me Tournoud, représentant Mme B... ;
Une note en délibéré présentée pour Mme B... a été enregistrée le 28 septembre 2023.
Considérant ce qui suit :
1. Mme A... B... a fait l'objet, à partir du 12 novembre 2016, d'un examen contradictoire de situation fiscale personnelle portant sur les années 2013 à 2015 après que l'administration fiscale a été informée, le 29 avril 2016, par le tribunal de grande instance de Chambéry, sur le fondement de l'article L. 101 du livre des procédures fiscales, de l'ouverture à son encontre d'une procédure pour abus de faiblesse sur personne vulnérable. Le vérificateur a considéré, au vu des pièces de la procédure pénale, le 22 juin 2016 et le 18 mai 2017, que Mme B... avait exercé de manière habituelle une activité d'escort au cours de la période vérifiée. Faisant application du délai spécial de reprise prévu à l'article L. 188 C du livre des procédures fiscales, le service a également procédé à un contrôle sur pièces des déclarations de revenus souscrites par M. et Mme B... au titre des années 2007 à 2012. A l'issue de ces contrôles, l'administration a soumis à l'impôt sur le revenu, dans la catégorie des bénéfices non commerciaux, les revenus tirés de cette activité qu'elle a évalués d'office sur le fondement du 2° de l'article L. 73 du livre des procédures fiscales et a taxé d'office l'intéressée à la taxe sur la valeur ajoutée en application de l'article L. 66 3 du même livre. M. et Mme B... ont, en conséquence, été assujettis, au titre des années 2007 à 2012, à des compléments d'impôt sur le revenu, mis en recouvrement le 31 juillet 2019, et, au titre des années 2013 à 2015, à des compléments d'impôt sur le revenu, mis en recouvrement le 30 avril 2019. Les droits de taxe sur la valeur ajoutée réclamés à Mme B... au titre de la période du 1er janvier 2009 au 31 décembre 2015 ont donné lieu à un avis de mise en recouvrement du 20 février 2019. L'administration a assorti ces impositions de la majoration de 80 % prévue au c. de l'article 1728-1 du code général des impôts en cas de découverte d'une activité occulte. Mme B... relève appel du jugement du 17 novembre 2021 par lequel le tribunal administratif de Grenoble, après les avoir jointes, a rejeté ses demandes de décharge de ces impositions et des pénalités correspondantes.
Sur la régularité du jugement :
2. En premier lieu, le jugement du tribunal administratif de Grenoble, qui répond de façon complète et circonstanciée aux moyens invoqués par Mme B... dans ses demandes, est suffisamment motivé.
3. En second lieu, si Mme B... soutient que les premiers juges ont méconnu les règles de dévolution de la charge de la preuve, qu'ils ont dénaturé le dossier et commis diverses erreurs de fait, de droit ou de qualification juridique, de tels moyens ne relèvent pas de la régularité du jugement mais de son bien-fondé. Les moyens tirés de prétendues irrégularités du jugement attaqué ne peuvent, dès lors, qu'être écartés.
Sur le bien-fondé des impositions :
En ce qui concerne l'impôt sur le revenu :
S'agissant de l'activité exercée :
4. Aux termes de l'article 92 du code général des impôts : " 1. Sont considérés comme provenant de l'exercice d'une profession non commerciale ou comme revenus assimilés aux bénéfices non commerciaux (...) toutes occupations, exploitations lucratives et sources de profits ne se rattachant pas à une autre catégorie de bénéfices ou de revenus ". Dans le cas des personnes dont le train de vie est assuré par des subsides qu'elles reçoivent d'un tiers, ces dispositions ne permettent d'écarter l'imposabilité des sommes ainsi perçues que si l'ensemble des circonstances de l'affaire fait ressortir qu'elles ont le caractère d'une pure libéralité.
5. Il résulte des éléments de la procédure pénale pour abus de faiblesse sur personne vulnérable diligentée à l'encontre de Mme B..., à laquelle l'administration a eu accès par l'exercice d'un droit de communication faisant suite à un signalement de l'autorité judiciaire, et notamment des procès-verbaux d'audition des personnes entendues, joints à la présente instance par la requérante elle-même, que celle-ci a fréquenté régulièrement, entre deux fois par semaine et deux fois par mois sur une période d'environ dix ans, cinq hommes plus âgés précisément identifiés, qui lui ont remis d'importantes sommes d'argent et offert des bijoux et des vêtements. Au cours de la procédure pénale, l'intéressée a reconnu, à plusieurs reprises, avoir entretenu des relations tarifées avec ces personnes. Son conseil a déclaré, dans un courrier du 16 juin 2015 adressé à la juge d'instruction, que Mme B... exerçait une activité d'escort girl, distincte, était-il précisé, de la prostitution dès lors que ses prestations ne se limitaient pas à des relations sexuelles tarifées. Si Mme B... récuse ses déclarations dont elle soutient qu'elles avaient pour seul objet d'écarter l'incrimination d'abus de faiblesse pour laquelle elle était mise en cause, elle n'établit ni même n'allègue que ces déclarations, sur lesquelles elle n'est pas revenue par la suite et qui n'ont pas été démenties par les personnes entendues dans le cadre de la procédure pénale, sont entachés d'un vice de consentement. Au demeurant, les aveux de Mme B... sont corroborés par les constatations opérées au cours de la procédure pénale qui a révélé qu'elle avait perçu d'importantes sommes, pour un montant supérieur à 700 000 euros en dix ans, et avait bénéficié de paiements en nature, en particulier sous forme de pièces d'or et d'objets de valeur découverts à son domicile et dans un coffre-fort détenu dans un établissement bancaire. Enfin, dès lors que l'autorité de la chose jugée au pénal ne s'attache pas aux motifs d'un jugement de relaxe tirés de ce que les faits reprochés ne sont pas établis ou de ce qu'un doute subsiste sur leur réalité, la seule circonstance que Mme B... a été relaxée, par un jugement correctionnel du tribunal judiciaire de Chambéry du 21 janvier 2021, des faits de l'infraction reprochée n'est pas, en soi, de nature à remettre en cause la réalité des éléments relatés ci-dessus qui caractérisent l'exercice, de manière habituelle, par l'intéressée d'une activité professionnelle non commerciale ayant pour objet, en échange d'un paiement en nature ou en numéraire, d'entretenir des relations avec des personnes, peu important, à cet égard, que ces relations soient amicales, affectives ou sexuelles. Compte tenu de l'importance et de la régularité des revenus en cause, Mme B... ne saurait sérieusement soutenir que les sommes et avantages qu'elle a reçus constitueraient, pour elle, des libéralités dépourvues de toute contrepartie faisant échec à leur imposition à l'impôt sur le revenu.
S'agissant du montant des bénéfices non commerciaux
6. Mme B... ne critique pas la régularité de la procédure d'évaluation d'office employée à son encontre pour l'ensemble des années en litige d'où il résulte qu'elle supporte, en vertu de l'article L. 193 du livre des procédures fiscales, la charge de la preuve du caractère exagéré des bénéfices non commerciaux fixés par l'administration.
7. L'administration a reconstitué les recettes de Mme B... à partir, d'une part, des encaissements constatés au crédit de ses comptes bancaires personnels et, d'autre part, du montant des sommes en espèces et de la valeur des objets et bijoux découverts à son domicile et dans le coffre-fort détenu dans un établissement bancaire. L'administration a affecté à chacune des années concernée les recettes encaissées sur les comptes bancaires pour un montant total de 326 662 euros. Celles des sommes en espèces dont la date de mise à disposition a pu être identifiée, d'un montant total de 56 910 euros, ont été affectées aux années concernées. Quant aux autres recettes, d'un montant total de 540 825 euros, correspondant aux sommes en espèces et objets de valeur détenus par Mme B... dont la date de mise à disposition à l'intéressée est restée inconnue, elles ont été réparties de manière égale entre les années concernées par le contrôle de Mme B.... Celle-ci qui, en l'absence de toute comptabilité, n'est pas en mesure d'établir que la séparation entre ses revenus personnels et ceux produits par son activité personnelle a été respectée, n'est pas fondée à critiquer cette méthode, le principe de l'annualité de l'impôt ne faisant pas, dans ce cas, obstacle à la répartition forfaitaire des sommes que l'administration est dans l'incapacité de rattacher à une année donnée. Il en résulte qu'elle ne peut être regardée comme rapportant la preuve de l'exagération des bases d'imposition retenues pour l'impôt sur le revenu.
En ce qui concerne la taxe sur la valeur ajoutée :
9. Aux termes de l'article 256 du code général des impôts : " I. - Sont soumises à la taxe sur la valeur ajoutée les livraisons de biens et les prestations de services effectuées à titre onéreux par un assujetti agissant en tant que tel. ". Aux termes de l'article 256 A du même code : " Sont assujetties à la taxe sur la valeur ajoutée les personnes qui effectuent de manière indépendante une des activités économiques mentionnées au cinquième alinéa, quels que soient le statut juridique de ces personnes, leur situation au regard des autres impôts et la forme ou la nature de leur intervention. ".
10. Ainsi qu'il a été dit ci-dessus, Mme B... a exercé, de manière habituelle, une activité, que son conseil au cours de la procédure pénale a qualifiée d'escort girl, consistant à entretenir des relations avec des hommes en échange de paiements en nature ou en numéraire. Cette activité, effectuée à titre onéreux, présente un caractère permanent et il n'est pas soutenu qu'elle n'a pas été exercée, de manière indépendante, par l'intéressée. Si Mme B... soutient que la prostitution est une activité illicite insusceptible, selon elle, d'être taxée à la taxe sur la valeur ajoutée, elle a toujours nié avoir exercé une activité de prostitution. Telle qu'elle a été décrite par Mme B..., son activité entre en concurrence avec des activités licites. C'est dès lors par une exacte application des dispositions précitées que l'administration l'a soumise à la taxe sur la valeur ajoutée.
En ce qui concerne le droit de reprise :
11. Aux termes de l'article L. 188 C du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction issue de la loi n° 2015-1786 du 29 décembre 2015 applicable aux délais de reprise venant à expiration à compter du 30 décembre 2015 : " Même si les délais de reprise sont écoulés, les omissions ou insuffisances d'imposition révélées par une procédure judiciaire, par une procédure devant les juridictions administratives ou par une réclamation contentieuse peuvent être réparées par l'administration des impôts jusqu'à la fin de l'année suivant celle de la décision qui a clos la procédure et, au plus tard, jusqu'à la fin de la dixième année qui suit celle au titre de laquelle l'imposition est due ".
12. Les droits de taxe sur la valeur ajoutée réclamés à Mme B... au titre de la période du 1er janvier 2009 au 31 décembre 2015 de même que les compléments d'impôt sur le revenu établis au titre des années 2007 à 2015 au nom du foyer fiscal ont été mis en recouvrement en 2019. Il résulte de ce qui a été dit ci-dessus que les insuffisances d'impositions à l'impôt sur le revenu et à la taxe sur la valeur ajoutée établies au titre des années et des périodes atteintes par la prescription de droit commun, ont été révélées à l'administration par une procédure judiciaire, au sens de l'article L. 188 C précité du livre des procédures fiscales. Par suite, l'administration était fondée à faire application du délai spécial de reprise sans que Mme B... puisse utilement soutenir, pour faire échec à l'application de ce texte, qu'elle n'a pas exercé d'activité occulte. Le moyen tiré de que les impositions en litige étaient prescrites lorsqu'elles ont été mises en recouvrement en 2019 ne peut donc qu'être écarté.
Sur les majorations :
13. Aux termes de l'article 1728 du code général des impôts : " 1. Le défaut de production dans les délais prescrits d'une déclaration ou d'un acte comportant l'indication d'éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'impôt entraîne l'application, sur le montant des droits mis à la charge du contribuable ou résultant de la déclaration ou de l'acte déposé tardivement, d'une majoration de : (...) c. 80 % en cas de découverte d'une activité occulte (...) ". Il résulte de ces dispositions que, dans le cas où un contribuable n'a ni déposé dans le délai légal les déclarations qu'il était tenu de souscrire, ni fait connaître son activité à un centre de formalités des entreprises ou au greffe du tribunal de commerce, l'administration doit être réputée apporter la preuve, qui lui incombe, de l'exercice occulte de l'activité professionnelle si le contribuable n'est pas lui-même en mesure d'établir qu'il a commis une erreur justifiant qu'il ne se soit acquitté d'aucune de ces obligations déclaratives.
14. Mme B..., qui n'a déposé aucune des déclarations de résultats et de chiffre d'affaires qu'elle était tenue de souscrire du fait de son activité imposable à l'impôt sur le revenu dans la catégorie des bénéfices non commerciaux et à la taxe sur la valeur ajoutée ne soutient pas avoir commis une erreur justifiant qu'elle ne se soit acquittée d'aucune de ses obligations déclaratives. C'est donc à bon droit que l'administration a appliqué aux impositions auxquelles elle a été assujettie la majoration de 80 % prévue par les dispositions précitées.
15. Il résulte de ce qui précède que Mme B... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté ses demandes.
Sur l'application de l'article L. 741-2 du code de justice administrative :
16. Aucun passage des écritures du ministre ne relève du discours injurieux, outrageants ou diffamatoires au sens de l'article L. 741-2 du code de justice administrative. Les conclusions de Mme B... tendant à l'application de ces dispositions doivent dès lors, en tout état de cause s'agissant d'un pouvoir propre du juge, être rejetées.
Sur les frais liés au litige :
17. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante, quelque somme que ce soit au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de Mme B... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B... et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Délibéré après l'audience du 28 septembre 2023, à laquelle siégeaient :
M. Pruvost, président,
Mme Courbon, présidente-assesseure,
M. Laval, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 19 octobre 2023.
Le rapporteur,
J.-S. Laval
Le président,
D. Pruvost
La greffière,
N. Lecouey
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
La greffière,
2
N° 22LY00075