La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

27/09/2023 | FRANCE | N°22LY00906

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 3ème chambre, 27 septembre 2023, 22LY00906


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Grenoble :

1°) d'annuler les décisions du 4 septembre 2021 par lesquelles le préfet de l'Isère a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a désigné le pays de destination de cette mesure d'éloignement ;

2°) d'enjoindre audit préfet, à titre principal, de lui délivrer un titre de séjour dans un délai de trente jours à compter de la notificatio

n du jugement à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ou, à titre subsidi...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Grenoble :

1°) d'annuler les décisions du 4 septembre 2021 par lesquelles le préfet de l'Isère a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a désigné le pays de destination de cette mesure d'éloignement ;

2°) d'enjoindre audit préfet, à titre principal, de lui délivrer un titre de séjour dans un délai de trente jours à compter de la notification du jugement à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ou, à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation dans les mêmes conditions de délai et d'astreinte et, dans l'attente, de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler dans les deux jours à compter de la notification du jugement ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 2106815 du 22 février 2022, le tribunal administratif de Grenoble a annulé l'arrêté du préfet de l'Isère du 4 septembre 2021, enjoint à celui-ci de délivrer un titre de séjour à M. B... dans un délai de deux mois et a mis à la charge de l'Etat une somme de 900 euros à verser à M. B... en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Procédure devant la cour

Par une requête enregistrée le 28 mars 2022, le préfet de l'Isère demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 22 février 2022 du tribunal administratif de Grenoble ;

2°) de rejeter la demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif de Grenoble.

Il soutient que :

- contrairement à ce qu'ont estimé les premiers juges, son arrêté ne méconnaît pas l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- cet arrêté n'est par ailleurs entaché d'aucune illégalité externe ou interne.

Par un mémoire en défense enregistré le 28 avril 2022, M. B..., représenté par Me Coutaz, avocat, conclut au rejet de la requête et demande en outre à la cour de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros, à verser à son conseil sous réserve que celui-ci renonce à percevoir l'aide juridictionnelle, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il expose que :

- le moyen soulevé n'est pas fondés ;

- le préfet a illégalement procédé au retrait de ses titres de séjour, plus de quatre mois après leur délivrance ;

- le préfet s'est à tort abstenu de saisir la commission du titre de séjour ;

- sa décision méconnaît l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- elle procède en outre d'une erreur manifeste d'appréciation.

M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle partielle par une décision du 15 juin 2022.

Par une ordonnance du 10 mars 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au 7 avril 2023.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du royaume du Maroc en matière de séjour et d'emploi du 9 octobre 1987 :

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;

- le code de justice administrative ;

Le président de la formation de jugement ayant dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique le rapport de M. Joël Arnould, premier conseiller ;

Considérant ce qui suit :

1. Le préfet de l'Isère relève appel du jugement du 22 février 2022 par lequel le tribunal administratif de Grenoble a annulé son arrêté du 4 septembre 2021 rejetant la demande de titre de séjour présentée par M. B..., lui faisant obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et fixant le pays de destination de cette mesure d'éloignement.

Sur le motif d'annulation retenu par le jugement attaqué :

2. Aux termes de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui n'entre pas dans les catégories prévues aux articles L. 423-1, L. 423-7, L. 423-14, L. 423-15, L. 423-21 et L. 423-22 ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, et qui dispose de liens personnels et familiaux en France tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1. Les liens mentionnés au premier alinéa sont appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'étranger, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec sa famille restée dans son pays d'origine. / L'insertion de l'étranger dans la société française est évaluée en tenant compte notamment de sa connaissance des valeurs de la République ".

3. M. B..., ressortissant marocain né le 16 novembre 1991, est entré, d'après ses déclarations, au mois d'octobre 2008 en France, afin d'y rejoindre ses grands-parents, auxquels il avait été confié par acte dit de kafala établi le 12 octobre 2005. Toutefois, M. B... n'établit la réalité et la continuité de son séjour sur le territoire français qu'à compter de l'année 2016, en se prévalant essentiellement, pour la période antérieure, d'attestations de suivi de cours de français, de témoignages imprécis de proches et de quelques documents épars. Il s'y est en outre maintenu irrégulièrement en dépit d'une précédente mesure d'éloignement adoptée à son encontre le 3 février 2017. Par ailleurs, si ses grands-parents et plusieurs de ses cousins résident en France, l'intéressé, célibataire et dépourvu de charges de famille, dispose d'importantes attaches au Maroc, où demeurent ses parents, ainsi que, d'après la fiche de renseignements remplie par ses soins le 23 avril 2019, quatre membres de sa fratrie, avec lesquels il a vécu au moins jusqu'à l'âge de dix-sept ans. Dans ces conditions, nonobstant l'intégration, notamment professionnelle, dont M. B... se prévaut, le préfet de l'Isère n'a pas porté une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale en refusant de lui délivrer un titre de séjour.

4. Il résulte de ce qui précède que le préfet de l'Isère est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Grenoble a, pour annuler le refus de titre de séjour litigieux et, par voie de conséquence, les décisions dont il est assorti, retenu le moyen tiré de la méconnaissance de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

5. Il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par les parties tant devant le tribunal administratif de Grenoble que devant la cour.

Sur la légalité du refus de titre de séjour :

6. En premier lieu, le refus de titre de séjour litigieux a été signé par le secrétaire général de la préfecture de l'Isère, qui avait régulièrement reçu délégation à cette fin par arrêté du préfet de l'Isère du 7 juin 2021 publié le jour même au recueil des actes administratifs de la préfecture. Le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de cette décision doit être écarté.

7. En deuxième lieu, la décision en litige a pour objet de rejeter la demande de titre de séjour présentée par M. B... le 29 avril 2019, sans avoir pour effet de lui retirer un titre de séjour précédemment délivré. Le moyen tiré de l'irrégularité d'un tel retrait doit être écarté.

8. En troisième lieu, il résulte de ce qui a été indiqué au point 3 que les moyens tirés de la méconnaissance des articles 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doivent être écartés.

9. En quatrième lieu, aux termes de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger ne vivant pas en état de polygamie dont l'admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu'il fait valoir peut se voir délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " salarié ", "travailleur temporaire " ou " vie privée et familiale ", sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1 (...) ".

10. L'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile est relatif aux conditions dans lesquelles les étrangers peuvent être admis à séjourner en France, soit au titre de la vie privée et familiale, soit au titre d'une activité salariée. Dès lors que l'article 3 de l'accord franco-marocain du 9 octobre 1987 prévoit la délivrance de titres de séjour au titre d'une activité salariée, un ressortissant marocain souhaitant obtenir un titre de séjour au titre d'une telle activité ne peut utilement invoquer les dispositions de l'article L. 313-14 à l'appui d'une demande d'admission au séjour sur le territoire national. Toutefois, les stipulations de cet accord n'interdisent pas au préfet, dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire dont il dispose sur ce point, d'apprécier, en fonction de l'ensemble des éléments de la situation personnelle de l'intéressé, l'opportunité d'une mesure de régularisation de la situation d'un ressortissant marocain qui ne remplirait pas les conditions auxquelles est subordonnée la délivrance de plein droit d'un titre de séjour en qualité de salarié.

11. Pour les mêmes motifs que ceux indiqués au point 3 du présent arrêt, le préfet de l'Isère, en refusant d'admettre M. B... au séjour au titre de sa vie privée et familiale, n'a pas entaché d'une erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par ailleurs, l'expérience professionnelle dont se prévaut le requérant comme façadier-peintre, emploi dépourvu de spécificité et qui ne connaît pas de difficultés de recrutement, ne suffit pas à entacher le refus du préfet de l'Isère de faire usage de son pouvoir de régularisation exceptionnelle d'une d'erreur manifeste d'appréciation.

12. En cinquième lieu, aux termes de l'article L. 432-13 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Dans chaque département est instituée une commission du titre de séjour qui est saisie pour avis par l'autorité administrative : 1° Lorsqu'elle envisage de refuser de délivrer (...) la carte de séjour temporaire prévue aux articles L. 423-1 (...) à un étranger qui en remplit effectivement les conditions de délivrance ". Le deuxième alinéa de l'article L. 435-1 du même code prévoit en outre que : " Lorsqu'elle envisage de refuser la demande d'admission exceptionnelle au séjour formée par un étranger qui justifie par tout moyen résider habituellement en France depuis plus de dix ans, l'autorité administrative est tenue de soumettre cette demande pour avis à la commission du titre de séjour (...) ".

13. Comme indiqué au point 3, M. B... n'établit pas qu'il résidait habituellement sur le territoire français depuis plus de dix ans, à la date de la décision litigieuse. Par suite, le moyen tiré du défaut de consultation de la commission du titre de séjour doit être écarté.

Sur la légalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français :

14. En premier lieu, comme indiqué ci-dessus, la décision refusant de délivrer un titre de séjour à M. B... n'est pas entachée d'illégalité. Par suite, le moyen tiré, par voie d'exception, de l'illégalité de ce refus de titre doit être écarté.

15. En second lieu, pour les mêmes motifs que ceux ci-dessus mentionnés, M. B..., qui n'a pas développé d'autres arguments, n'est pas fondé à soutenir que la décision lui faisant obligation de quitter le territoire français méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Sur la légalité de la décision désignant le pays de destination :

16. Comme il a été indiqué ci-dessus, la décision faisant obligation de quitter le territoire français à M. B... n'est pas entachée d'illégalité. Par suite, le moyen tiré, par voie d'exception, de l'illégalité de cette décision doit être écarté.

17. Il résulte de ce qui précède que le préfet de l'Isère est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a annulé ses décisions du 4 septembre 2021 refusant de délivrer un titre de séjour à M. B..., lui faisant obligation de quitter le territoire français et fixant le pays de destination de cette mesure d'éloignement.

18. L'Etat n'étant pas la partie perdante dans la présente instance, les conclusions présentées par M. B... en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Grenoble n° 2106815 du 22 février 2022 est annulé.

Article 2 : La demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif de Grenoble et ses conclusions présentées en appel sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Copie en sera adressée au préfet de l'Isère.

Délibéré après l'audience du 12 septembre 2023, à laquelle siégeaient :

M. Jean-Yves Tallec, président de chambre,

Mme Emilie Felmy, présidente-assesseure,

M. Joël Arnould, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 27 septembre 2023.

Le rapporteur,

Joël ArnouldLe président,

Jean-Yves Tallec

La greffière,

Michèle Daval

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition,

La greffière,

2

N° 22LY00906


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 22LY00906
Date de la décision : 27/09/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Étrangers - Séjour des étrangers.

Étrangers - Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : M. TALLEC
Rapporteur ?: M. Joël ARNOULD
Rapporteur public ?: M. DELIANCOURT
Avocat(s) : COUTAZ

Origine de la décision
Date de l'import : 08/10/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2023-09-27;22ly00906 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award