Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
La société par actions simplifiée (SAS) Société française de négoce international a demandé au tribunal administratif de Lyon de prononcer la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée et des pénalités correspondantes qui lui ont été réclamés pour la période du 1er janvier au 31 décembre 2015 à hauteur de 1 264 333 euros.
Par un jugement n° 2000305 du 12 octobre 2021, le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour
Par une requête et des mémoires enregistrés le 10 décembre 2021, le 11 février 2022 et le 14 octobre 2022, la Société française de négoce international, représentée par Me Froment-Meurice, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Lyon du 12 octobre 2021 ;
2°) de la décharger des impositions et pénalités susmentionnées ;
3°) de mettre à la charge de l'État une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- sa requête, qui ne constitue pas la simple reproduction des écritures de première instance, est recevable ;
- l'administration aurait dû lui indiquer les éléments de droit et de fait ayant fondé les impositions en litige ;
- l'administration a tardé à communiquer les documents sollicités sur le fondement de l'article L. 76 B du livre des procédures fiscales ;
- l'administration lui a sciemment fourni une fausse information concernant la possibilité de saisir la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires ;
- elle n'a pu bénéficier des garanties liées au caractère contradictoire de la procédure d'imposition ;
- en tout état de cause, l'administration n'établit pas qu'elle savait ou aurait dû savoir qu'elle participait à une fraude à la taxe sur la valeur ajoutée.
Par des mémoires enregistrés le 19 mai 2022 et le 16 novembre 2022, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- la requête, qui ne se borne à reproduire les écritures de première instance, n'est pas recevable ;
- aucun des autres moyens soulevés par la requérante n'est fondé.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Dèche, présidente assesseure ;
- les conclusions de Mme Le Frapper, rapporteure publique ;
- et les observations de Me Froment-Meurice, représentant la Société française de négoce international ;
Considérant ce qui suit :
1. À l'issue d'une vérification de sa comptabilité portant sur la taxe sur le chiffre d'affaires au titre de la période du 27 novembre 2014 au 28 février 2017, la Société française de négoce international, qui exerce une activité de négoce de métaux ferreux, non ferreux, spéciaux et précieux, a été destinataire d'une proposition de rectification datée du 7 décembre 2018, lui notifiant des rappels en matière de taxe sur la valeur ajoutée portant sur la période du 1er janvier au 31 décembre 2015. L'administration a notamment, remis en cause, sur le fondement du 3 de l'article 272 du code général des impôts, l'exercice de son droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée lors de l'acquisition, entre juillet et décembre 2015, de platine auprès des sociétés Metalinium et Metosoir, qu'elle a regardées comme étant impliquées dans un circuit de fraude dite " au carrousel ". La Société française de négoce international relève appel du jugement du 12 octobre 2021 par lequel le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande tendant à la décharge de ces rappels de taxe sur la valeur ajoutée ainsi que des pénalités dont ils ont été assortis.
Sur la régularité de la procédure d'imposition :
2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 57 du livre des procédures fiscales : " L'administration adresse au contribuable une proposition de rectification qui doit être motivée de manière à lui permettre de formuler ses observations ou de faire connaître son acceptation. / Sur demande du contribuable reçue par l'administration avant l'expiration du délai mentionné à l'article L. 11, ce délai est prorogé de trente jours. (...) ". Aux termes de l'article R. 57-1 du livre des procédures fiscales : " La proposition de rectification prévue par l'article L. 57 fait connaître au contribuable la nature et les motifs de la rectification envisagée. L'administration invite, en même temps, le contribuable à faire parvenir son acceptation ou ses observations dans un délai de trente jours à compter de la réception de la proposition, prorogé, le cas échéant, dans les conditions prévues au deuxième alinéa de cet article. "
3. Il résulte de ces dispositions que l'administration doit indiquer au contribuable, dans la proposition de rectification, les motifs et le montant des rehaussements envisagés, leur fondement légal et la catégorie de revenus dans laquelle ils sont opérés, ainsi que les années d'imposition concernées.
4. Il résulte de l'instruction que la proposition de rectification du 7 décembre 2018 comporte la désignation de la taxe qui est l'objet du rappel et de la période objet du redressement, ainsi que des bases de cette imposition. Elle précise l'origine et la nature des renseignements que l'administration a obtenus dans le cadre de la mise en œuvre du droit de communication. Elle indique également les motifs des rappels proposés et, notamment, les différents éléments qui ont conduit l'administration à considérer que la Société française de négoce international ne pouvait ignorer qu'elle participait à une fraude à la taxe sur la valeur ajoutée. Enfin, elle détaille les conséquences financières pour la société des rappels envisagés. Ces éléments étaient suffisants pour permettre à la société de présenter utilement ses observations.
5. En second lieu, aux termes de l'article L. 76 B du livre des procédures fiscales : " L'administration est tenue d'informer le contribuable de la teneur et de l'origine des renseignements et documents obtenus de tiers sur lesquels elle s'est fondée pour établir l'imposition faisant l'objet de la proposition prévue au premier alinéa de l'article L. 57 ou de la notification prévue à l'article L. 76. Elle communique, avant la mise en recouvrement, une copie des documents susmentionnés au contribuable qui en fait la demande. "
6. S'il incombe à l'administration, quelle que soit la procédure de redressement mise en œuvre, d'informer le contribuable dont elle envisage soit de rehausser, soit d'arrêter d'office les bases d'imposition, de l'origine et de la teneur des renseignements recueillis dans l'exercice de son droit de communication, afin que l'intéressé soit mis à même de demander, avant la mise en recouvrement des impositions, que les documents qui contiennent ces renseignements soient mis à sa disposition, elle n'est tenue à cette obligation d'information et de communication qu'en ce qui concerne ceux des renseignements qu'elle a effectivement utilisés pour procéder aux redressements. Elle ne peut, en revanche, mettre à la disposition du contribuable des renseignements obtenus auprès de tiers, notamment à l'occasion d'une vérification de comptabilité, s'ils sont couverts par le secret professionnel.
7. Il résulte de l'instruction et en particulier de la proposition de rectification du 7 décembre 2018 que, pour fonder les rappels de taxe sur la valeur ajoutée en litige, l'administration a obtenu des renseignements issus du droit de communication qu'elle a exercé notamment auprès de l'Institut national de la propriété intellectuelle, de la SARL Ultrawave Trading Ltd, de la SARL Metalinium, de la SARL Metosoir, du tribunal de commerce de Nanterre, de la SAS Amaury Media, du transporteur Malca Amit France, de la direction régionale des douanes de Paris-bureau de la garantie, de la Société française du radiotéléphone-SFR et d'établissements bancaires. L'administration a également obtenu des renseignements issus de l'assistance administrative internationale auprès des autorités slovènes, lettones, tchèques et chinoises. Ainsi, la proposition de rectification du 7 décembre 2018 a précisé de manière détaillée l'origine des renseignements et documents obtenus de tiers ainsi que la teneur de ces renseignements sur lesquels l'administration s'est fondée pour établir les rappels de taxe sur la valeur ajoutée en litige, mettant ainsi à même la société requérante de demander, le cas échéant, que les documents qui contiennent ces renseignements soient mis à sa disposition.
8. Par une lettre du 6 février 2019, le conseil de la requérante a demandé à l'administration fiscale la communication de l'intégralité des documents obtenus de tiers sur lesquels le service s'était fondé pour établir les rappels de taxe sur la valeur ajoutée notifiés dans le cadre de cette proposition de rectification. Le service a répondu à cette demande par un courrier du 15 février 2019, reçu le 18 février, qui était accompagné d'un CD-Rom contenant la copie des documents cités dans la proposition de rectification.
9. La requérante fait valoir qu'en l'absence de ces documents, elle n'a pu utilement contester la proposition de rectification dans le courrier qu'elle a adressé, le 6 février 2019, à l'administration, et qu'elle a dû se borner à exprimer un refus de principe des conséquences de celle-ci. Elle explique que son conseil avait sollicité la communication de ces documents, dès le 16 janvier 2019 sur le fondement des articles L. 311-1 et suivants du code des relations entre le public et l'administration afin d'obtenir ces informations sans délai, mais que l'administration lui a répondu que cette communication aurait lieu avant la mise en recouvrement des impositions en litige. Toutefois, il résulte de l'instruction que la proposition de rectification, ainsi qu'il a été dit précédemment, était suffisamment motivée pour permettre à l'intéressée de formuler utilement des observations dans le courrier qu'elle a adressé à l'administration le 6 février 2019, alors qu'il n'appartenait pas à l'administration de lui communiquer les informations obtenues auprès de tiers en dehors des règles définies par les dispositions de l'article L. 76 B du livre des procédures fiscales. Si la requérante fait valoir que le courrier du 15 février 2019 de l'administration ne pouvait constituer une réponse aux observations du contribuable, alors que dans ses observations du 6 février 2019, elle avait indiqué qu'elle ne pouvait utilement faire ses observations en l'absence des documents sollicités, elle ne pouvait raisonnablement estimer que la procédure contradictoire avait ainsi pris fin et que les impositions litigieuses pouvaient être mises en recouvrement sans délai. De même, alors que la requérante a réceptionné l'ensemble de ces documents le 18 février 2019 et que les impositions litigieuses ont été mises en recouvrement le 29 mars 2019, il ne résulte pas de l'instruction qu'elle aurait présenté des observations ou qu'elle aurait exercé un recours hiérarchique ou saisi l'interlocuteur départemental alors qu'elle disposait d'un temps suffisant pour le faire. De même, il ne résulte pas de l'instruction qu'elle aurait demandé à l'administration de lui communiquer une copie des documents du CD-Rom qui auraient été illisibles. Enfin, la requérante soutient que l'administration l'aurait induite en erreur en lui laissant croire qu'elle aurait pu saisir la commission des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires, laquelle n'est pas compétente en matière de taxe sur la valeur ajoutée déductible, et qu'elle a reporté, de ce fait, l'examen des pièces qui lui avaient été communiquées dans l'attente d'être convoquée à cette commission. Toutefois, le courrier du 15 février 2019 indique que le différend peut être soumis à l'avis de la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires " dans les conditions prévues aux articles L. 59, L. 59 A, L. 59 C, L. 76 du livre des procédures fiscales " et que cet organisme peut être saisi pour les affaires qui relèvent de sa compétence, ce qui implique que certains points peuvent ne pas relever de la compétence de la commission. Si la requérante fait valoir que le 12 mars 2019, elle a sollicité la saisine de cette commission, et que le 18 mars 2019, l'administration lui a indiqué que la commission n'était pas compétente en matière de taxe sur la valeur ajoutée déductible, il ne peut être déduit de ces circonstances que la requérante aurait été empêchée de faire valoir utilement ses observations, après avoir réceptionné les documents que l'administration lui avait communiqués. Dans ces conditions, la requérante n'est pas fondée à soutenir que l'administration aurait méconnu les dispositions de l'article L.76 B du livre des procédures fiscales, ni qu'elle l'aurait privée de la possibilité de bénéficier des garanties d'une procédure d'imposition contradictoire.
Sur le bien-fondé des rappels de taxe sur la valeur ajoutée :
10. Aux termes du I de l'article 256 du code général des impôts : " Sont soumises à la taxe sur la valeur ajoutée les livraisons de biens et les prestations de services effectuées à titre onéreux par un assujetti agissant en tant que tel ". Aux termes de l'article 271 du code général des impôts : " I. 1. La taxe sur la valeur ajoutée qui a grevé les éléments du prix d'une opération imposable est déductible de la taxe sur la valeur ajoutée applicable à cette opération. / 2. Le droit à déduction prend naissance lorsque la taxe déductible devient exigible chez le redevable. / (...) II. 1. Dans la mesure où les biens et les services sont utilisés pour les besoins de leurs opérations imposables, et à la condition que ces opérations ouvrent droit à déduction, la taxe dont les redevables peuvent opérer la déduction est, selon le cas : / a) Celle qui figure sur les factures établies conformément aux dispositions de l'article 289 et si la taxe pouvait légalement figurer sur lesdites factures (...) ". Aux termes du 3 de l'article 272 du même code : " La taxe sur la valeur ajoutée afférente à une livraison de biens ne peut faire l'objet d'aucune déduction lorsqu'il est démontré que l'acquéreur savait ou ne pouvait ignorer que, par son acquisition, il participait à une fraude consistant à ne pas reverser la taxe due à raison de cette livraison ".
11. Il résulte des dispositions de l'article 17 de la sixième directive 77/388/CEE du 17 mai 1977, reprises en substance à l'article 168 de la directive 2006/112/CE du 28 novembre 2006 et dont les dispositions du I et du a) du 1 du II de l'article 271 du CGI citées au point 2 assurent la transposition, que le bénéfice du droit à déduction de taxe sur la valeur ajoutée doit être refusé à un assujetti lorsqu'il est établi, au vu d'éléments objectifs, que celui-ci savait ou aurait dû savoir que, par l'opération invoquée pour fonder ce droit, il participait à une fraude à la taxe sur la valeur ajoutée commise dans le cadre d'une chaîne de livraisons ou de prestations, ainsi que l'a jugé la Cour de justice de l'Union européenne, notamment par son arrêt du 18 décembre 2014, Staatssecretaris van Financiën c/ Schoenimport " Italmoda " Mariano Previti vof et Turbu.com BV, Turbu.com Mobile Phone's BV (C-131/13, 163/13 et 164/13).
12. Si les opérateurs qui prennent toute mesure pouvant raisonnablement être exigée d'eux pour s'assurer que leurs opérations ne sont pas impliquées dans une fraude, qu'il s'agisse de la fraude à la taxe sur la valeur ajoutée ou d'autres fraudes, ne doivent pas perdre leur droit à déduire la taxe sur la valeur ajoutée acquittée en amont, en revanche, un assujetti qui savait ou aurait dû savoir que, par son acquisition, il participait à une opération impliquée dans une fraude à la taxe sur la valeur ajoutée, doit être considéré comme participant à cette fraude, indépendamment de la question de savoir s'il tire ou non un bénéfice de la revente des biens, dès lors que, dans une telle situation, l'assujetti devient complice de la fraude, comme l'a jugé la Cour de justice de l'Union européenne dans son arrêt du 6 juillet 2006, Axel Kittel et Recolta Recycling SRPL (C-439/04 et C-440/04).
13. Si l'administration fiscale ne peut exiger de manière générale de l'assujetti souhaitant exercer le droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée, d'une part, qu'il vérifie que l'émetteur de la facture correspondant aux biens et aux services au titre desquels l'exercice de ce droit est demandé dispose de la qualité d'assujetti, qu'il disposait des biens en cause et était en mesure de les livrer et qu'il a rempli ses obligations de déclaration et de paiement de la taxe, afin de s'assurer qu'il n'existe pas d'irrégularités ou de fraude au niveau des opérateurs en amont, ou, d'autre part, qu'il dispose de documents à cet égard, un opérateur avisé peut, en revanche, lorsqu'il existe des indices permettant de soupçonner l'existence d'irrégularités ou de fraude, se voir contraint de prendre des renseignements sur un autre opérateur auprès duquel il envisage d'acheter des biens ou des services afin de s'assurer qu'il s'est acquitté de ses obligations fiscales, comme l'a jugé la Cour de justice de l'Union européenne dans son arrêt du 21 juin 2012, Mahagében kft (C-80/11). Lorsque les indices permettent de soupçonner une méconnaissance, par un fournisseur de biens ou un prestataire de services, de ses obligations de déclaration ou de paiement de la taxe sur la valeur ajoutée, il appartient ainsi à l'assujetti qui a acquis certains de ces biens ou services, pour les céder à son tour, de s'assurer qu'en ce qui concerne ces biens et services, son fournisseur ou son prestataire s'est acquitté de ses obligations.
14. Enfin, il incombe à l'administration fiscale d'établir les éléments objectifs permettant de conclure que l'assujetti savait ou aurait dû savoir que l'opération invoquée pour fonder le droit à déduction était impliquée dans une fraude. Lorsque sont en cause des opérations similaires réalisées par des sociétés différentes pendant une courte période, ces éléments doivent porter sur chacune de ces sociétés, qu'il s'agisse de l'existence de la fraude reprochée, des indices permettant à l'assujetti mis en cause de la soupçonner ou encore des mesures qui peuvent raisonnablement être exigées.
15. L'administration a relevé, dans la proposition de rectification du 7 décembre 2018, que deux fournisseurs de la société requérante, les sociétés Metalinium et Metosoir, qui n'avaient pas reversé au Trésor, la taxe sur la valeur ajoutée, étaient insérées dans un circuit de fraude. Les informations obtenues dans le cadre du droit de communication ont permis d'établir que ces sociétés ont perçu des encaissements importants qu'elles ont reversés systématiquement sur un compte situé à Honk Kong, détenu par la société Ultrawave Trading Ltd, ayant pour gérant de fait leur propre gérant de droit. L'administration a également constaté, qu'en dépit de ces encaissements importants, les sociétés Metalinium et Metosoir n'avaient déclaré aucun impôt sur les sociétés et avaient payé, au titre de l'exercice 2015, des taxes sur la valeur ajoutée nette limitées respectivement à 233 euros et à 467 euros.
16. La requérante ne conteste pas sérieusement l'existence de la fraude à la taxe sur la valeur ajoutée dans laquelle elle s'est trouvée impliquée, du seul fait qu'elle aurait ignoré l'existence de la société Ultrawave Trading Ltd. En revanche, elle soutient qu'elle ne pouvait soupçonner l'existence de ces fraudes et qu'elle a, en tout état de cause, accompli les diligences nécessaires pour s'assurer que ses deux fournisseurs s'acquittaient de leurs obligations fiscales.
17. En ce qui concerne les indices pouvant conduire la Société française de négoce international à soupçonner l'existence d'une fraude fiscale, le service vérificateur a constaté que cette société, qui a été créée le 27 novembre 2014, avait effectué auprès des fournisseurs en litige des acquisitions pour des montants importants, représentant 5 003 959 euros toutes taxes comprises, soit 46 % des achats de platine effectués par cette société au cours de l'année 2015. Il a également relevé que le dirigeant de la société requérante avait été amené, lors de précédentes fonctions, à entrer en contact avec M. A... qui avait géré trois sociétés d'existence éphémère, dont les sociétés Metalinium et Metosoir. À ce titre, l'administration a constaté que la société Metalinium, constituée le 21 novembre 2014, avait pour activité 1'" achat, la vente et l'import d'accessoires de mode, prêt-à-porter, bijoux fantaisie et matériaux s'y rapportant ", qu'elle n'avait eu qu'un seul client avant d'engager des relations commerciales avec la société requérante, lesquelles ont porté sur des sommes importantes, représentant un montant de 1 054 770 euros toutes taxes comprises, alors qu'elles se sont nouées pour une période de courte durée, des factures ayant été émises entre le 10 juin et le 15 juillet 2015, et que cette société a fermé le 3 mars 2016. S'agissant de la société Metosoir, l'administration a constaté que cette société, constituée le 23 juin 2015, a eu pour seul et unique client la société requérante et qu'elle lui a adressé, entre le 22 juillet et le 9 décembre 2015, des factures pour un montant global de 3 949 182 euros toutes taxes comprises. Par ailleurs, l'administration a observé que la requérante avait acheté le platine à un prix inférieur au cours du " fixing ", alors que, pour la même période elle a pu constater que la société Metalor, fournisseur établi de longue date sur le marché du négoce de matériaux, a vendu le platine à un prix supérieur au cours du " fixing ". L'administration a également constaté que les deux fournisseurs de la requérante ne disposaient pas des moyens d'exploitation nécessaires à leur activité, leurs sièges sociaux étant situés dans des lieux de domiciliation dénués de local commercial et aucun salarié n'avait été déclaré. S'agissant des factures et des documents de livraison, l'administration a relevé leur imprécision quant aux biens vendus et au circuit de livraison suivi. Dans ces conditions, et compte tenu des caractéristiques du marché concerné notamment marqué par l'intervention d'acteurs issus d'une zone géographique bien localisée, l'administration établit l'existence d'indices qui permettaient à la société requérante de soupçonner la fraude à la taxe sur la valeur ajoutée à laquelle participaient ses fournisseurs, les sociétés Metalinium et Metosoir, alors même que la Société française de négoce international n'aurait pas eu connaissance de l'existence de la société Ultrawave Trading Ltd que l'administration a regardée comme la société " taxi " de la fraude à la taxe sur la valeur ajoutée, et qu'elle ne pouvait a priori soupçonner que ces sociétés avaient été créées de manière éphémère.
18. En ce qui concerne les diligences mises en œuvre par la Société française de négoce international pour prévenir le risque de participation à une fraude fiscale, l'administration a relevé que la requérante ne s'était pas assurée de l'existence de ses deux fournisseurs auprès du bureau de la garantie, alors que, contrairement à ce que prétend l'intéressée, l'article 534 du code général des impôts les obligeait à déclarer leur activité, y compris de commerce de platine à usage industriel. L'administration a également observé que la société requérante n'avait pas consulté les extraits K-Bis de ses deux fournisseurs, qui lui auraient permis de constater notamment que leur création était récente, que leur capital social s'avérait particulièrement faible au regard du secteur d'activité concerné et que leur siège social correspondait à une adresse de domiciliation. Enfin, l'administration a constaté que la requérante n'avait pas consulté le livre de police de ses deux fournisseurs, document dont la tenue est exigée par les dispositions de l'article 537 du code général des impôts, s'agissant de professionnels faisant commerce du platine.
19. En se bornant à faire valoir qu'elle n'était légalement pas en mesure de s'assurer de l'inscription de ses deux fournisseurs auprès du bureau de la garantie, ni de consulter le livre de police qu'ils étaient supposés tenir, la société requérante ne justifie pas des diligences qu'il lui incombait de mettre en œuvre pour s'assurer du respect par ses deux fournisseurs de leurs obligations au regard de la taxe sur la valeur ajoutée concernant les biens acquis. Dans ces conditions, la société ne peut être regardée comme ayant pris les mesures qui pouvaient raisonnablement être exigées d'elle pour s'assurer que ses opérations n'étaient pas impliquées dans une fraude fiscale. Il s'ensuit que l'administration a, à bon droit, remis en cause la taxe sur la valeur ajoutée déduite sur les achats réalisés auprès des sociétés Metalinium et Metosoir.
20. Il résulte de tout ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir opposée en défense, la Société française de négoce international n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la Société française de négoce international est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la Société française de négoce international et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Délibéré après l'audience du 6 juillet 2023 à laquelle siégeaient :
M. Hermitte, président de la cour ;
M. B..., premier vice-président ;
Mme Dèche, présidente assesseure.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 3 août 2023.
La rapporteure,
P. Dèche
Le président,
G. Hermitte
La greffière,
A.-C. Ponnelle
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
La greffière,
2
N° 21LY04031
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