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20/07/2023 | FRANCE | N°22LY01476

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 7ème chambre, 20 juillet 2023, 22LY01476


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler la décision du 7 janvier 2021 par laquelle l'inspectrice du travail de la 8ème section de l'unité départementale du Rhône a autorisé la société April Mon Assurance à procéder à son licenciement pour motif économique.

Par un jugement n° 2101593 du 15 mars 2022, le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour

Par une requête enregistrée le 11 mai 2022 et un mémoire enregistré le

23 février 2023, présentés pour Mme B..., il est demandé à la cour :

1°) d'annuler ce jugement n° 2...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler la décision du 7 janvier 2021 par laquelle l'inspectrice du travail de la 8ème section de l'unité départementale du Rhône a autorisé la société April Mon Assurance à procéder à son licenciement pour motif économique.

Par un jugement n° 2101593 du 15 mars 2022, le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour

Par une requête enregistrée le 11 mai 2022 et un mémoire enregistré le 23 février 2023, présentés pour Mme B..., il est demandé à la cour :

1°) d'annuler ce jugement n° 2101593 du 15 mars 2022 du tribunal administratif de Lyon ;

2°) d'annuler la décision susmentionnée ;

3°) de mettre à la charge de l'État la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la décision en litige est entachée d'une insuffisance de motivation en ce qu'elle ne dit pas si le contrôle opéré par l'inspectrice du travail a effectivement porté sur le secteur d'activité économique et sur la définition pertinente du secteur retenue par l'employeur, ni en quoi les efforts de reclassement opérés par la société étaient suffisants ;

- la décision contestée est entachée d'une erreur d'appréciation, dès lors que le secteur d'activité du courtage direct de produit d'assurance en agences ne constituait pas le secteur d'activité pertinent, que les difficultés économique ne sont pas démontrées et que l'employeur n'a pas justifié du caractère sérieux et exhaustif des démarches entreprises pour parvenir à son reclassement.

Par un mémoire enregistré le 22 février 2023, présenté pour la société April Mon Assurance, elle conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de Mme B... la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés.

La requête a été communiquée au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion qui n'a pas produit d'observation.

Par une ordonnance du 19 décembre 2022 la clôture de l'instruction a été fixée au 28 février 2023.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code du travail ;

- le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Seillet, président assesseur ;

- les conclusions de M. Rivière, rapporteur public ;

- et les observations Me Tastevin pour Mme B..., ainsi que celles de Me Gury pour la société April Mon Assurance ;

Considérant ce qui suit :

1. La société April Mon Assurance, qui fait partie du groupe April exerçant une activité historique de courtier grossiste en assurance, et qui avait pour activité la vente de produits d'assurance aux particuliers et aux professionnels, a sollicité, suite à une réorganisation impliquant l'arrêt de son activité de courtage direct d'assurance dans les agences métropolitaines et la réorganisation des fonctions réalisées au siège, et à l'homologation, le 5 août 2020, d'un plan de sauvegarde de l'emploi établi par un accord collectif majoritaire conclu le 9 juillet 2020, l'autorisation de procéder au licenciement pour motif économique de Mme B..., qui occupait les fonctions de gestionnaire de production et détenait le mandat de membre suppléant du comité social et économique. Par une décision du 7 janvier 2021, l'inspectrice du travail de la 8ème section de l'unité départementale du Rhône a fait droit à cette demande d'autorisation de licenciement. Mme B... relève appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande d'annulation de cette décision d'autorisation.

2. En vertu des dispositions du code du travail, le licenciement des salariés légalement investis de fonctions représentatives qui bénéficient, dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, d'une protection exceptionnelle, est subordonné à une autorisation de l'inspecteur du travail dont dépend l'établissement. Lorsque le licenciement d'un de ces salariés est envisagé, ce licenciement ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l'appartenance syndicale de l'intéressé. Dans le cas où la demande d'autorisation de licenciement est fondée sur un motif de caractère économique, il appartient à l'inspecteur du travail et, le cas échéant, au ministre de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si la situation de l'entreprise justifie le licenciement, en tenant compte notamment de la nécessité des réductions envisagées d'effectifs et de la possibilité d'assurer le reclassement du salarié dans l'entreprise ou au sein du groupe auquel appartient cette dernière. En outre, pour refuser l'autorisation sollicitée, l'autorité administrative a la faculté de retenir des motifs d'intérêt général relevant de son pouvoir d'appréciation de l'opportunité, sous réserve qu'une atteinte excessive ne soit pas portée à l'un ou l'autre des intérêts en présence.

3. En premier lieu, la décision en litige du 7 janvier 2021, après avoir visé les articles L. 1233-4 et D. 1233-2-1 du code du travail qui prévoient que l'employeur doit adresser de manière personnalisée les offres de reclassement à chaque salarié ou communiquer aux salariés, par tout moyen permettant de conférer date certaine, la liste des offres disponibles et le cas échéant l'actualisation de celle-ci, mentionne que la société April Mon Assurance a satisfait à son obligation de reclassement telle qu'elle résulte de ces articles eu égard à la publication, le 11 août 2020, d'une liste de postes rattachés au groupe April et sa diffusion sur une plateforme d'information dont les mises à jour faisaient l'objet d'une alerte par courriel sur une adresse email transmise par les salariés, à l'envoi de plusieurs mails à la salariée, dont celui du 2 septembre 2020 par lequel la société avait attiré son attention sur le poste de chargé de relation clients au sein de la société April Partenaires, et à l'absence de candidature de la salariée en raison de l'absence de poste correspondant à son profil professionnel. Dans la mesure où ladite décision mentionne également les éléments de droit et de fait sur lesquels s'est fondée l'inspectrice du travail pour estimer que la réalité du motif économique était établie au niveau du secteur d'activité qu'elle a déterminé, que la société devait être regardée comme ayant satisfait à son obligation de reclassement et que le licenciement n'avait pas de lien avec le mandat, elle est, par suite, suffisamment motivée.

4. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 1233-3 du code du travail : " Constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d'une suppression ou transformation d'emploi ou d'une modification, refusée par le salarié, d'un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment : 1° A des difficultés économiques caractérisées soit par l'évolution significative d'au moins un indicateur économique tel qu'une baisse des commandes ou du chiffre d'affaires, des pertes d'exploitation ou une dégradation de la trésorerie ou de l'excédent brut d'exploitation, soit par tout autre élément de nature à justifier de ces difficultés. (...) Les difficultés économiques, (...) s'apprécient au niveau de cette entreprise si elle n'appartient pas à un groupe et, dans le cas contraire, au niveau du secteur d'activité commun à cette entreprise et aux entreprises du groupe auquel elle appartient, établies sur le territoire national, sauf fraude. (...) Le secteur d'activité permettant d'apprécier la cause économique du licenciement est caractérisé, notamment, par la nature des produits biens ou services délivrés, la clientèle ciblée, ainsi que les réseaux et modes de distribution, se rapportant à un même marché. (...) ".

5. Pour apprécier la réalité du motif économique allégué à l'appui d'une demande d'autorisation de licenciement d'un salarié protégé présentée par une société qui fait partie d'un groupe, l'autorité administrative est tenue de faire porter son examen sur la situation économique de l'ensemble des sociétés du groupe intervenant dans le même secteur d'activité que la société en cause implantées en France. A ce titre, le groupe s'entend, ainsi qu'il est dit au I de l'article L. 2331-1 du code du travail, de l'ensemble constitué par les entreprises placées sous le contrôle d'une même entreprise dominante dans les conditions définies à l'article L. 233-1, aux I et II de l'article L. 233-3 et à l'article L. 233-16 du code de commerce.

6. Lorsque le juge administratif est saisi d'un litige portant sur la légalité de la décision par laquelle l'autorité administrative a autorisé le licenciement d'un salarié protégé pour un motif économique ou a refusé de l'autoriser pour le motif tiré de ce que les difficultés économiques invoquées ne sont pas établies et qu'il se prononce sur le moyen tiré de ce que l'administration a inexactement apprécié le motif économique, il lui appartient de contrôler le bien-fondé de ce motif économique en examinant la situation de l'ensemble des entreprises du groupe intervenant dans le même secteur d'activité dans les conditions mentionnées au point précédent.

7. D'une part, il ressort des pièces du dossier que l'inspectrice du travail a estimé que le motif économique du licenciement de Mme B... était justifié, en se fondant sur la situation économique de la société April Mon Assurance et de la société Réunion Assurances, ces deux sociétés relevant d'un même secteur d'activité constitué par l'activité de courtage direct physique en agence, et appartenant l'une et l'autre au groupe April. Il en ressort également que, eu égard, en particulier, à la nature des produits commercialisés par ces deux sociétés, mandatées par leurs clients pour rechercher, pour leur compte, une couverture assurantielle pour des risques courants, au réseau et au mode de distribution, en agence physique, et à leur clientèle et leur marché, le public visé étant constitué pour l'essentiel de particuliers et, marginalement, d'entreprises de petite taille, ces deux sociétés devaient être regardées comme intervenant dans le même secteur d'activité du courtage direct en agences physiques. Le moyen tiré d'une erreur dans la détermination du secteur d'activité pour l'appréciation de la réalité du motif économique du licenciement soulevé par Mme B... qui ne peut utilement se prévaloir, en tout état de cause, de la norme comptable dite " IFRS 8 " qui n'était pas applicable au groupe April, non côté en bourse, doit donc être écarté.

8. D'autre part, ainsi que l'ont relevé les premiers juges, entre 2016 et 2020, la société April Mon Assurance a enregistré des résultats d'exploitation négatifs et ses résultats opérationnels sont restés aussi largement négatifs. Si la société April Mon Assurance a produit les résultats de la société Réunion Assurances, dont l'activité a généré un résultat opérationnel légèrement positif en 2018 et 2019 mais qui pèse peu au sein de l'ensemble de l'activité de courtage direct d'assurances en agence, il ressort également des éléments produits que la société April Mon Assurance a cumulé 77 millions d'euros de pertes d'exploitation entre 2009 et 2019, dont 20,6 millions sur les quatre derniers exercices, ce qui reflète incontestablement ses difficultés économiques, et que, en cumulé, les deux sociétés affichaient une perte d'exploitation de 3,5 millions d'euros en 2019. Ainsi, au sein du secteur d'activité du courtage direct en agences physiques, la réalité des difficultés économiques invoquées par la société April Mon Assurance pour solliciter l'autorisation de licencier Mme B... était justifiée.

9. En dernier lieu, aux termes de l'article L. 1233-4 du code du travail : " Le licenciement pour motif économique d'un salarié ne peut intervenir que lorsque tous les efforts de formation et d'adaptation ont été réalisés et que le reclassement de l'intéressé ne peut être opéré sur les emplois disponibles, situés sur le territoire national dans l'entreprise ou les autres entreprises du groupe dont l'entreprise fait partie et dont l'organisation, les activités ou le lieu d'exploitation assurent la permutation de tout ou partie du personnel. Pour l'application du présent article, la notion de groupe désigne le groupe formé par une entreprise appelée entreprise dominante et les entreprises qu'elle contrôle dans les conditions définies à l'article L. 233-1, aux I et II de l'article L. 233-3 et à l'article L. 233-16 du code de commerce. Le reclassement du salarié s'effectue sur un emploi relevant de la même catégorie que celui qu'il occupe ou sur un emploi équivalent assorti d'une rémunération équivalente. A défaut, et sous réserve de l'accord exprès du salarié, le reclassement s'effectue sur un emploi d'une catégorie inférieure. L'employeur adresse de manière personnalisée les offres de reclassement à chaque salarié ou diffuse par tout moyen une liste des postes disponibles à l'ensemble des salariés, dans des conditions précisées par décret. Les offres de reclassement proposées au salarié sont écrites et précises ".

10. Ainsi qu'il a été relevé dans la décision en litige, la société April Mon Assurance, conformément aux dispositions de l'article D. 1233-2-1 du code du travail, qui permettent à l'employeur, pour l'application de l'article L. 1233-4 du même code, de communiquer la liste des offres disponibles aux salariés, a publié, le 11 août 2020, une liste de postes rattachés au groupe April diffusés sur une plateforme d'information dont les mises à jour faisaient l'objet d'une alerte par courriel sur une adresse email transmise par les salariés, et elle a, par ailleurs, adressé à Mme B... plusieurs courriels, dont l'un, en date du 2 septembre 2020, attirant son attention sur un poste figurant parmi la liste des postes réservés aux collaborateurs de la société April Mon Assurance et les autres mentionnant d'autres offres de reclassement, alors que l'intéressée n'a pas présenté de candidature sur les offres de reclassement publiées ni répondu aux courriels. Il ressort des pièces du dossier que la liste actualisée des postes de reclassement, mise à jour le 16 octobre 2020, sous la forme d'un tableau, comportait, pour chaque poste proposé, l'indication de son intitulé et de son descriptif, du statut, du lieu de travail et du niveau de rémunération. Si le tableau ainsi diffusé ne mentionnait pas la nature du contrat correspondant à chaque poste, il ne ressort pas des pièces du dossier, contrairement à ce que soutient Mme B..., que les fiches de présentation des postes, auxquelles il n'est pas établi que les salariés ne pouvaient accéder à partir de la plateforme d'information, ne comportaient pas cette information alors, au contraire, que la mention d'un " poste en CDI " figurait sur la fiche du poste faisant l'objet du courriel du 2 septembre 2020. Dès lors, le moyen tiré ce que l'inspectrice du travail n'aurait pas contrôlé que la société April Mon Assurance avait effectué des démarches sérieuses de reclassement doit être écarté.

11. Il résulte de ce qui précède que Mme B... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande. Doivent être rejetées, par voie de conséquence, ses conclusions tendant à la mise à la charge de l'État d'une somme au titre des frais liés au litige exposés à l'occasion de la présente instance. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la requérante une somme au titre des frais exposés par la société April Mon Assurance.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de Mme B... est rejetée.

Article 2 : Les conclusions de la société April Mon Assurance tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B..., à la société April Mon Assurance et au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion.

Délibéré après l'audience du 6 juillet 2023 à laquelle siégeaient :

M. Picard, président de chambre ;

M. Seillet, président-assesseur ;

M. Chassagne, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 20 juillet 2023.

Le rapporteur,

Ph. SeilletLe président,

V.-M. Picard

La greffière,

A. Le Colleter

La République mande et ordonne au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition,

La greffière,

1

2

N° 22LY01476

al


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 7ème chambre
Numéro d'arrêt : 22LY01476
Date de la décision : 20/07/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

66-07 Travail et emploi. - Licenciements.


Composition du Tribunal
Président : M. PICARD
Rapporteur ?: M. Philippe SEILLET
Rapporteur public ?: M. RIVIERE
Avocat(s) : BREDIN PRAT

Origine de la décision
Date de l'import : 10/08/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2023-07-20;22ly01476 ?
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