Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
Mme A... C... a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler la décision du ministre de l'intérieur du 3 juin 2020 en ce qu'elle refusait de reconnaître l'imputabilité au service de sa maladie et la décision du 27 octobre 2020 portant rejet de son recours gracieux.
Par un jugement n° 2008958 du 8 décembre 2021, le tribunal a rejeté ses demandes.
Procédure devant la cour
Par une requête enregistrée le 4 février 2022, Mme C..., représentée par Me Pousset-Bougère, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ainsi que les décisions du ministre de l'intérieur des 3 juin et 27 octobre 2020 dans la mesure rappelée plus haut ;
2°) d'enjoindre à l'administration de la placer en congé longue maladie à solde pleine du 1er juillet 2020 au 30 juin 2023 ;
3°) de mettre à la charge de l'État le versement de la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- les décisions contestées sont entachées d'une erreur d'appréciation ;
- le lien entre sa maladie et le service est établi de façon certaine eu égard aux différents avis médicaux fournis et à ses conditions de travail, attestées par les services des armées.
Par une ordonnance du 11 octobre 2022, la clôture de l'instruction a été fixée au 14 novembre 2022.
Le ministre de l'intérieur et des outre-mer a produit un mémoire enregistré le 17 janvier 2023 et non communiqué.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de la défense ;
- le code de justice administrative.
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Picard, président ;
- les conclusions de M. Rivière, rapporteur public ;
- et les observations de Me Verrier, pour Mme C... ;
Considérant ce qui suit :
1. Mme C..., qui a intégré la gendarmerie nationale en qualité d'élève sous-officier du corps technique administratif de la gendarmerie nationale (CSTAGN), le 1er septembre 2008, a développé, deux ans après son affectation en 2016 au groupe de soutien ressources humaines du groupement de gendarmerie départementale de l'Ardèche, un syndrome du canal carpien bilatéral pour lequel elle a été opérée en septembre 2019 et, faute de pouvoir reprendre son service en raison de complications post-opératoires, placée en congé de maladie. Le 3 juin 2020, le ministre de l'intérieur l'a placée en congé longue maladie pour une durée maximale de trois ans à partir du 1er juillet 2020, avec solde pleine jusqu'au 30 juin 2021, puis à mi traitement jusqu'au 30 juin 2023 mais a refusé de regarder son affection comme imputable au service. Par une décision du 27 octobre 2020, le ministre de l'intérieur a rejeté le recours de Mme C... contre cette décision, tout en ramenant la période de congé initiale à six mois à partir du 1er juillet 2020 à solde pleine. Mme C... relève appel du jugement du tribunal administratif de Lyon du 8 décembre 2021 qui a rejeté sa demande d'annulation des décisions du ministre de l'intérieur des 3 juin et 27 octobre 2020 en tant qu'elles refusent de reconnaître l'imputabilité au service de sa maladie.
Sur la décision du 3 juin 2020 :
2. Aux termes de l'article R. 4125-1 du code de la défense : " Tout recours contentieux formé par un militaire à l'encontre d'actes relatifs à sa situation personnelle est précédé d'un recours administratif préalable, à peine d'irrecevabilité du recours contentieux ". Aux termes de l'article R. 4125-10 du même code : " Dans un délai de quatre mois à compter de sa saisine, la commission notifie à l'intéressé la décision du ministre compétent, ou le cas échéant, des ministres conjointement compétents. La décision prise sur son recours, qui est motivée en cas de rejet, se substitue à la décision initiale. Cette notification, effectuée par tout moyen conférant date certaine de réception, fait mention de la faculté d'exercer, dans le délai de recours contentieux, un recours contre cette décision devant la juridiction compétente à l'égard de l'acte initialement contesté devant la commission ".
3. La décision du ministre de l'intérieur du 27 octobre 2020 s'étant substituée à celle prise initialement le 3 juin 2020 sur recours administratif préalable obligatoire, les conclusions dirigées à l'encontre de cette dernière, qui sont irrecevables, ne peuvent qu'être rejetées.
Sur la décision du 27 octobre 2020 :
4. Aux termes de l'article L. 4138-13 du code de la défense, dans sa rédaction applicable : " Le congé de longue maladie est attribué, après épuisement des droits de congé de maladie ou des droits du congé du blessé fixés aux articles L. 4138-3 et L. 4138-3-1, dans les cas autres que ceux prévus à l'article L. 4138-12, lorsque l'affection constatée met l'intéressé dans l'impossibilité d'exercer ses fonctions et qu'elle présente un caractère invalidant et de gravité confirmée. / Lorsque l'affection survient du fait ou à l'occasion de l'exercice des fonctions ou à la suite de l'une des causes exceptionnelles prévues à l'article L. 27 du code des pensions civiles et militaires de retraite, ce congé est d'une durée maximale de trois ans. Le militaire conserve, dans les conditions définies par décret en Conseil d'État, sa rémunération. (...) ".
5. L'intéressé doit justifier de l'existence d'une relation certaine et directe de cause à effet entre les troubles qu'il invoque et des circonstances particulières de service à l'origine de l'affection. Cette preuve ne saurait résulter de la seule circonstance que l'infirmité est apparue durant le service, ni d'une hypothèse médicale, ni d'une vraisemblance, ni d'une probabilité, aussi forte soit-elle.
6. A propos du syndrome du canal carpien, évoqué plus haut, dont a été victime Mme C..., les inspecteurs du service de santé des armées ont estimé, sans plus de précisions, qu'il n'existait " pas de lien potentiel entre l'affection nécessitant un congé de la non-activité et l'exercice des fonctions ou l'une des causes exceptionnelles prévues par les dispositions du Code des pensions civiles et militaires de retraite ". Il n'apparaît cependant pas, au vu notamment du rapport d'expertise médicale du Dr B... D... et du compte rendu d'hospitalisation de Mme C..., que le syndrome dont souffre l'intéressée, apparu à la suite d'un " appui quotidien prolongé des poignets à son bureau ", en relation avec les tâches administratives de secrétariat qu'elle exerçait depuis son entrée dans la gendarmerie nationale, aurait été provoqué par des activités extérieures à son travail ou aurait préexisté à celui-ci. L'administration ne fait à cet égard état d'aucune autre cause pouvant sérieusement expliquer la survenance de ce syndrome. Dans ces conditions, et alors que les documents sur lesquels l'administration s'est appuyée pour dénier tout lien avec le service sont dépourvus de toute précision circonstancielle susceptibles de leur conférer un fondement plausible, Mme C... doit être regardée comme justifiant d'un lien direct et certain entre les fonctions qu'elle a exercées et le syndrome dont elle s'est trouvée affectée.
7. Il résulte de ce qui précède que Mme C... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif a rejeté ses conclusions à fin d'annulation de la décision du ministre de l'intérieur du 27 octobre 2020 en ce qu'elle porte refus de reconnaissance de l'imputabilité au service de sa maladie.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
8. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution ".
9. L'annulation d'une décision refusant de prendre en charge des congés longue maladie au titre d'une maladie imputable au service nécessite la prise d'une nouvelle décision dans le sens contraire. Par suite, et en application de l'article L. 911-1 précité, il y a lieu d'enjoindre au ministre de l'intérieur, en exécution du présent arrêt, de placer Mme C... en congé de longue maladie à solde pleine du 1er juillet 2020 au 30 juin 2023.
Sur l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
10. Il résulte de ce qui précède qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'État le paiement à Mme C... de la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Lyon du 8 décembre 2021, en tant qu'il rejette les conclusions dirigées contre la décision du 27 octobre 2020 en ce qu'elle refuse de reconnaître l'imputabilité au service de la maladie de Mme C..., et cette dernière mesure sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint à l'État de statuer de nouveau sur la situation de Mme C... dans les conditions prévues au point 9 du présent arrêt.
Article 3 : L'État est condamné à verser à Mme C... une somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de Mme C... est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... C... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Délibéré après l'audience du 6 juillet 2023 à laquelle siégeaient :
M. Picard, président de chambre ;
M. Seillet, président assesseur ;
M. Chassagne, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 20 juillet 2023.
Le président, rapporteur,
V.-M. Picard
Le président assesseur,
Ph. Seillet
La greffière,
A. Le Colleter
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
La greffière,
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N° 22LY00344
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