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22/06/2023 | FRANCE | N°22LY03261

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 2ème chambre, 22 juin 2023, 22LY03261


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

Mme A... C..., épouse B... a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler l'arrêté du 8 mars 2022 par lequel le préfet du Rhône l'a obligée à quitter le territoire français dans le délai de quatre-vingt-dix jours, a fixé le pays de destination et a pris à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an.

Par un jugement n° 2202210 du 20 juin 2022, le magistrat désigné du tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande.

Procédure devan

t la cour

Par une requête, enregistrée le 10 novembre 2022, Mme C..., représentée par Me Abd...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

Mme A... C..., épouse B... a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler l'arrêté du 8 mars 2022 par lequel le préfet du Rhône l'a obligée à quitter le territoire français dans le délai de quatre-vingt-dix jours, a fixé le pays de destination et a pris à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an.

Par un jugement n° 2202210 du 20 juin 2022, le magistrat désigné du tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour

Par une requête, enregistrée le 10 novembre 2022, Mme C..., représentée par Me Abdouraoufi, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler l'arrêté du préfet du Rhône du 8 mars 2022 ;

3°) d'enjoindre au préfet du Rhône :

- de réexaminer sa situation et de lui délivrer dans l'attente une autorisation provisoire de séjour ;

- de supprimer son signalement aux fins de non admission dans le système d'information Schengen et d'en justifier ;

- d'ordonner la restitution de la somme de 1 050 euros saisie lors de son interpellation, ainsi que ses téléphones.

Elle soutient que :

- la décision portant obligation de quitter le territoire français est entachée d'erreur de fait, révélant un défaut d'examen sérieux de sa situation ;

- cette décision méconnait l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- elle méconnait l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- elle est entachée d'une erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle ;

- la décision fixant le pays de destination est illégale en conséquence de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français ;

- l'interdiction de retour est illégale en conséquence de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français ;

- cette décision est entachée d'erreur d'appréciation ;

- elle justifie de circonstances humanitaires de nature à faire obstacle à l'édiction d'une interdiction de retour sur le territoire français.

La préfète du Rhône, qui a reçu communication de la requête, n'a pas produit d'observations.

La demande d'aide juridictionnelle présentée par Mme C... a été rejetée par une décision du 12 octobre 2022.

Par courrier du 5 mai 2023, les parties ont été informées de ce que la cour était susceptible de procéder d'office à une substitution de base légale, l'obligation de quitter le territoire français prise à l'encontre D... C... trouvant son fondement légal dans le 2° de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, au lieu du 1° du même article.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention internationale relative aux droits de l'enfants ;

- l'accord franco-tunisien en matière de séjour et de travail du 17 mars 1988 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative ;

La présidente de la formation de jugement ayant dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Le rapport D... Courbon, présidente, ayant été entendu au cours de l'audience publique ;

Considérant ce qui suit :

1. Mme C..., de nationalité tunisienne, née le 10 novembre 1983, est entrée en France le 21 juillet 2019, accompagnée de ses trois enfants mineurs. Par un arrêté du 8 mars 2022, le préfet du Rhône l'a obligée à quitter le territoire français dans le délai de quatre-vingt-dix jours, a fixé le pays de destination et a pris à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an. Mme C... relève appel du jugement du 20 juin 2022 par lequel le magistrat désigné du tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande tendant à l'annulation de ces décisions.

Sur la décision portant obligation de quitter le territoire français :

2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut obliger un étranger à quitter le territoire français lorsqu'il se trouve dans les cas suivants : / 1° L'étranger, ne pouvant justifier être entré régulièrement sur le territoire français, s'y est maintenu sans être titulaire d'un titre de séjour en cours de validité ; / 2° L'étranger, entré sur le territoire français sous couvert d'un visa désormais expiré ou, n'étant pas soumis à l'obligation du visa, entré en France plus de trois mois auparavant, s'est maintenu sur le territoire français sans être titulaire d'un titre de séjour ou, le cas échéant, sans demander le renouvellement du titre de séjour temporaire ou pluriannuel qui lui a été délivré ; (...) ".

3. Il ressort des pièces du dossier que, contrairement à ce qu'indiquent les motifs de l'arrêté attaqué, Mme C... justifie, par la production de son passeport revêtu d'un visa de court séjour valable du 5 juillet au 5 septembre 2019, ainsi que d'un tampon d'entrée sur le territoire français en date du 21 juillet 2019, de son entrée régulière en France. Par suite, l'obligation de quitter le territoire français ne pouvait être prise sur le fondement du 1° de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

4. Lorsqu'il constate que la décision contestée devant lui aurait pu être prise, en vertu du même pouvoir d'appréciation, sur le fondement d'un autre texte que celui dont la méconnaissance est invoquée, le juge de l'excès de pouvoir peut substituer ce fondement à celui qui a servi de base légale à la décision attaquée, sous réserve que l'intéressé ait disposé des garanties dont est assortie l'application du texte sur le fondement duquel la décision aurait dû être prononcée. Une telle substitution relevant de l'office du juge, celui-ci peut y procéder de sa propre initiative, au vu des pièces du dossier mais sous réserve, dans ce cas, d'avoir au préalable mis les parties à même de présenter des observations sur ce point.

5. En l'espèce, la décision d'éloignement, motivée par l'irrégularité du séjour D... C... trouve son fondement légal dans les dispositions du 2° du même article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qui peuvent être substituées à celles du 1° dès lors, en premier lieu, que, s'étant maintenue sur le territoire français plus de trois mois après son entrée sans être titulaire d'un premier titre de séjour régulièrement délivré, Mme C... se trouvait dans la situation où, en application du 2° de l'article L. 611-1, le préfet pouvait l'obliger à quitter le territoire français, en deuxième lieu, que cette substitution de base légale n'a pour effet de priver l'intéressée d'aucune garantie et, en troisième lieu, que l'administration dispose du même pouvoir d'appréciation pour appliquer l'une ou l'autre de ces deux dispositions.

6. Il s'ensuit que l'erreur de fait commise par le préfet du Rhône, en faisant état de l'entrée irrégulière D... C... sur le territoire national, n'est pas, en elle-même, de nature à faire obstacle à son éloignement, ni à caractériser un défaut d'examen particulier de son dossier.

7. En deuxième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

8. Mme C... réside en France depuis moins de trois ans à la date de la décision attaquée, avec ses trois enfants nés en 2013, 2015 et 2017. Si elle indique avoir suivi des cours de langue française, avoir tissé de nombreux liens amicaux en France, au travers de son implication bénévole dans plusieurs associations, et que l'une de ses sœurs réside régulièrement sur le territoire national, ces circonstances ne suffisant pas à caractériser des liens personnels et familiaux suffisamment anciens, stables et intenses sur le territoire national, où elle est dépourvue de moyens de subsistance. Par ailleurs, si elle est en instance de divorce avec son époux résidant en Tunisie, qui se serait rendu coupable de violences conjugales, elle n'est pas dépourvue d'attaches personnelles et familiales dans ce pays, où elle a vécu jusqu'à l'âge de trente-six ans, où résident la plupart des membres de sa famille, notamment ses parents, trois de ses sœurs et son frère et dans lequel elle pourra reconstituer la cellule familiale qu'elle forme avec ses enfants. Dans ces conditions, eu égard à la durée et aux conditions du séjour en France D... C..., le préfet du Rhône, en l'obligeant à quitter le territoire français, n'a pas porté une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale et n'a donc, par suite, pas méconnu l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Pour les mêmes motifs, il n'a pas davantage entaché sa décision d'une erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur la situation personnelle D... C....

9. En troisième lieu, aux termes de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ".

10. Il résulte de ce qui a été dit au point 8 ci-dessus que la décision contestée n'a ni pour objet, ni pour effet d'entraîner la séparation des enfants mineurs D... Mme C... de leur mère, la cellule familiale pouvant se reconstituer Tunisie, où les enfants pourront poursuivre leur scolarité. Dans ces conditions, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant doit être écarté.

Sur la décision fixant le pays de destination :

11. Il résulte de ce qui précède que Mme C... n'est pas fondée à exciper de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français à l'encontre de celle fixant le pays de destination.

Sur l'interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an :

12. En premier lieu, l'obligation de quitter le territoire français n'étant pas illégale, Mme C... n'est pas fondée à exciper de l'illégalité de cette décision à l'encontre de l'interdiction de retour sur le territoire français.

13. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 612-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsque l'étranger n'est pas dans une situation mentionnée aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative peut assortir la décision portant obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français. / Les effets de cette interdiction cessent à l'expiration d'une durée, fixée par l'autorité administrative, qui ne peut excéder deux ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français ". Aux termes de l'article L. 612-10 du même code : " Pour fixer la durée des interdictions de retour (...), l'autorité administrative tient compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français. Il en est de même pour l'édiction et la durée de l'interdiction de retour mentionnée à l'article L. 612-8 (...) ".

14. Il ressort des termes da décision contestée que le préfet s'est fondé sur l'absence de justifications de la nature et de l'ancienneté des liens D... C... avec la France, sur la circonstance qu'elle est mariée avec M. B..., dont il n'est pas établi qu'il serait en situation régulière sur le territoire national, avec trois enfants en charge ainsi que sur l'absence de circonstances humanitaires faisant obstacle à l'édiction d'une interdiction de retour, sans lui opposer qu'elle représente une menace pour l'ordre public. Si, comme le relève la requérante, elle n'a jamais fait l'objet d'une mesure d'éloignement, les éléments relevés par le préfet, même si elle est en instance de divorce, suffisent à justifier, dans son principe, comme dans sa durée, l'interdiction de retour édictée à son encontre, et ce alors qu'il résulte de ce qui a été dit au point 8 ci-dessus que la situation de l'intéressée, au regard notamment de la durée de sa présence en France, de l'absence de liens stables, intenses et anciens sur le territoire national et de la possibilité de reconstitution de la cellule familiale qu'elle forme avec ses enfants en Tunisie ne permet pas de caractériser l'existence de circonstances humanitaires y faisant obstacle, quand bien même elle aurait été victime de violences conjugales de la part de son époux dans ce pays. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions précitées doit être écarté.

15. Il résulte de ce qui précède que Mme C... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné du tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions aux fins d'injonction doivent également être rejetées.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête D... C... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... C..., épouse B... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer. Copie en sera adressée à la préfète du Rhône.

Délibéré après l'audience du 1er juin 2023, à laquelle siégeaient :

Mme Courbon, présidente de la formation de jugement,

Mme Caraës, première conseillère,

M. Pin, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 22 juin 2023.

La présidente-rapporteure,

A. Courbon

L'assesseure la plus ancienne,

R. Caraës

La greffière,

N. Lecouey

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition,

La greffière,

2

N° 22LY03261


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 22LY03261
Date de la décision : 22/06/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-03 Étrangers. - Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : Mme COURBON
Rapporteur ?: Mme Audrey COURBON
Rapporteur public ?: Mme LESIEUX
Avocat(s) : ABDOURAOUFI

Origine de la décision
Date de l'import : 10/08/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2023-06-22;22ly03261 ?
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