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15/06/2023 | FRANCE | N°21LY03272

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 6ème chambre, 15 juin 2023, 21LY03272


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Grenoble, en premier lieu, d'annuler les décisions tacites par lesquelles la société Enedis a refusé de faire droit à sa demande de déplacement d'ouvrages de transport et de distribution d'électricité qui seraient implantés irrégulièrement sur sa propriété, en deuxième lieu, d'enjoindre à la société Enedis de déplacer ces ouvrages et, en troisième lieu, de condamner la société Enedis à lui verser la somme de 24 000 euros, outre intérêts au

taux légal, en réparation des préjudices résultant de l'implantation des ouvrages en c...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Grenoble, en premier lieu, d'annuler les décisions tacites par lesquelles la société Enedis a refusé de faire droit à sa demande de déplacement d'ouvrages de transport et de distribution d'électricité qui seraient implantés irrégulièrement sur sa propriété, en deuxième lieu, d'enjoindre à la société Enedis de déplacer ces ouvrages et, en troisième lieu, de condamner la société Enedis à lui verser la somme de 24 000 euros, outre intérêts au taux légal, en réparation des préjudices résultant de l'implantation des ouvrages en cause.

Par un jugement n° 1903867 du 10 août 2021, le tribunal administratif de Grenoble, a enjoint à la société Enedis de procéder à la suppression des ouvrages électriques irrégulièrement implantés dans la propriété de M. A... dans le délai de trois mois, a condamné cette société à verser à M. A... la somme de 2 000 euros, outre intérêt au taux légal à compter du 7 février 2019, a mis à la charge de la société Enedis la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et a rejeté le surplus des conclusions de la demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 11 octobre 2021, ensemble un mémoire complémentaire enregistré le 23 juin 2022, M. B... A..., représenté par Me Arnaud, demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :

1°) de réformer le jugement n° 1903867 du 10 août 2021 du tribunal administratif de Grenoble en tant qu'il a limité à 2 000 euros la somme que la société Enedis a été condamnée à lui verser au titre des préjudices résultant de l'implantation d'ouvrages électriques sur sa propriété ;

2°) de condamner la société Enedis à lui verser la somme de 77 700 euros, outre intérêts au taux légal ;

3°) de rejeter les conclusions incidentes de la société Enedis ;

4°) de mettre à la charge de la société Enedis une somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

M. A... soutient, dans le dernier état de ses écritures, que :

- il a subi, du fait de la présence d'ouvrages irrégulièrement édifiés, un préjudice tenant à l'impossibilité de mettre en œuvre un permis de construire, un préjudice de jouissance et un préjudice tenant aux interventions de la société Enedis ;

- le préjudice de jouissance ne se prescrit pas en cinq ans mais en trente ans ;

- le préjudice tenant à l'impossibilité d'exécuter un permis de construire avait été invoqué en première instance, et il s'est en outre aggravé en appel ;

- la prescription trentenaire n'est pas établie ;

- la suppression de l'ouvrage ne porterait pas une atteinte excessive à l'intérêt généralet le délai imparti par le tribunal pour y procéder n'est pas insuffisant.

Par un mémoire en défense enregistré le 7 février 2022, ensemble un mémoire complémentaire enregistré le 22 juillet 2022, la SA Enedis, représentée par la SELAS Adaltys affaires publiques, conclut :

1°) au rejet de la requête ;

2°) à titre incident, à l'annulation du jugement n° 1903867 du 10 août 2021 du tribunal administratif de Grenoble en tant qu'il a partiellement fait droit à la demande de M. A... ;

3°) au rejet de la demande de M. A... ;

4°) à ce que la somme de 3 500 euros soit mise à la charge de M. A... sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

La société Enedis soutient, dans le dernier état de ses écritures, que :

- concernant le préjudice de jouissance, les conclusions indemnitaires sont prescrites par cinq ans ; le préjudice n'est en tout état de cause pas établi avant 2019 ; postérieurement à 2019, le préjudice n'est que peu établi ;

- concernant le préjudice tenant à l'impossibilité de mettre en œuvre un permis de construire, il ne peut être invoqué pour la première fois en appel ; il n'est en tout état de cause pas établi ; il procède d'une faute de la victime qui a tardé à réaliser les diligences nécessaires ;

- concernant le préjudice lié aux interventions d'Enedis, le lien de causalité avec la clôture endommagée n'est pas établi ; le chiffrage invoqué n'est en outre pas justifié ;

- l'action immobilière engagée devant le tribunal était prescrite par application de l'article 2227 du code civil ;

- la démolition enjointe par le tribunal porterait une atteinte excessive à l'intérêt général ; subsidiairement, le délai imparti par le tribunal est trop bref ;

- en tout état de cause, l'ouvrage a été régulièrement implanté.

Par ordonnance du 25 mai 2022, la clôture d'instruction a été fixée au 24 juin 2022 à 16h30. Par ordonnance du 23 juin 2022, la clôture d'instruction a été reportée au 25 juillet 2022 à 16h30. Par ordonnance du 22 juillet 2022, la clôture d'instruction a été reportée au 23 septembre 2022 à 16h30.

Un mémoire complémentaire, présenté pour M. A... et enregistré le 22 septembre 2022, n'a pas été communiqué.

Par courrier du 17 mars 2023, les parties ont été informées, sur le fondement de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, que la cour était susceptible de se fonder sur le moyen, relevé d'office, tiré de l'incompétence de la juridiction administrative pour connaitre de conclusions indemnitaires relevant des prévisions de l'article L. 323-7 du code de l'énergie.

Un mémoire portant observations en réponse au moyen d'ordre public, présenté pour M. A..., a été enregistré le 24 mars 2023.

M. A... soutient que l'article L. 323-7 du code de l'énergie ne trouve pas à s'appliquer en l'absence de servitude régulièrement instituée.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code civil ;

- le code de l'énergie ;

- la loi du 15 juin 1906 sur les distributions d'énergie ;

- la loi n° 46-628 du 8 avril 1946 sur la nationalisation de l'électricité et du gaz ;

- le décret n° 67-886 du 6 octobre 1967 portant règlement d'administration publique pour l'application de la loi du 15 juin 1906 sur les distributions d'énergie et de la loi du 16 octobre 1919 relative à l'utilisation de l'énergie hydraulique ;

- le décret n° 70-492 du 11 juin 1970 pris pour l'application de l'article 35 modifié de la loi du 8 avril 1946 concernant la procédure de déclaration d'utilité publique des travaux d'électricité et de gaz qui ne nécessitent que l'établissement de servitudes ainsi que les conditions d'établissement desdites servitudes ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Stillmunkes, président-assesseur,

- les conclusions de Mme Cottier, rapporteure publique,

- les observations de Me Arnaud, représentant M. A...,

- et les observations de Me Debliquis, représentant la société Enedis.

Une note en délibéré, présentée pour M. A..., a été enregistrée le 26 mai 2023.

Considérant ce qui suit :

1. M. A... est propriétaire des parcelles cadastrées ..., sur le territoire de la commune de .... Un pylône électrique a été implanté sur le chemin qui borde ces parcelles et une ligne électrique surplombe la parcelle .... Par le jugement attaqué du 10 août 2021, le tribunal administratif de Grenoble a enjoint à la société Enedis de procéder à la suppression des ouvrages électriques irrégulièrement implantés dans la propriété de M. A... dans le délai de trois mois, a condamné cette société à verser à M. A... la somme de 2 000 euros, outre intérêt au taux légal à compter du 7 février 2019, a mis à la charge de la société Enedis la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et a rejeté le surplus des conclusions de la demande. M. A... interjette appel de ce jugement en tant qu'il n'a fait droit que partiellement à ses conclusions indemnitaires. La société Enedis, par la voie de l'appel incident, en interjette appel en tant qu'il a fait droit partiellement à la demande de M. A....

2. Lorsqu'il est saisi d'une demande tendant à ce que soit ordonnée la démolition d'un ouvrage public dont il est allégué qu'il est irrégulièrement implanté par un requérant qui estime subir un préjudice du fait de l'implantation de cet ouvrage et qui en a demandé sans succès la démolition à l'administration, il appartient au juge administratif, juge de plein contentieux, de déterminer, en fonction de la situation de droit et de fait existant à la date à laquelle il statue, si l'ouvrage est irrégulièrement implanté, puis, si tel est le cas, de rechercher, d'abord, si eu égard notamment à la nature de l'irrégularité, une régularisation appropriée est possible, puis, dans la négative, de prendre en considération, d'une part les inconvénients que la présence de l'ouvrage entraîne pour les divers intérêts publics ou privés en présence, notamment, le cas échéant, pour le propriétaire du terrain d'assiette de l'ouvrage, d'autre part, les conséquences de la démolition pour l'intérêt général, et d'apprécier, en rapprochant ces éléments, si la démolition n'entraîne pas une atteinte excessive à l'intérêt général.

3. En premier lieu, aux termes de l'article 1er du décret susvisé du 6 octobre 1967 : " Une convention passée entre le concessionnaire et le propriétaire ayant pour objet la reconnaissance des servitudes d'appui, de passage, d'ébranchage ou d'abattage prévues au troisième alinéa de l'article 12 de la loi du 15 juin 1906 susvisée peut remplacer les formalités prévues au quatrième alinéa dudit article. / Cette convention produit, tant à l'égard des propriétaires et de leurs ayants droit que des tiers, les effets de l'approbation du projet de détail des tracés par le préfet, qu'elle intervienne en prévision de la déclaration d'utilité publique des travaux ou après cette déclaration, ou, en l'absence de déclaration d'utilité publique, par application de l'article 298 de la loi du 13 juillet 1925 susvisée ".

4. D'une part, il résulte de l'instruction et notamment des plans et photographies produits par les deux parties et dont les indications concordent que, contrairement à ce qu'allègue le requérant, le pylône électrique n'est pas implanté sur sa propriété. M. A... n'est dès lors pas fondé à soutenir que ce pylône aurait été implanté irrégulièrement sur une parcelle lui appartenant.

5. D'autre part, il est en revanche constant que la propriété de M. A... est survolée par une ligne électrique. M. A... a demandé le déplacement de la ligne électrique en litige, afin de réaliser un projet de construction. N'ayant pu obtenir ce déplacement, il a soutenu devant le tribunal qu'elle serait installée sans titre. Ainsi que le relève Enedis pour la première fois en appel, M. A... a toutefois, dans un courriel du 28 juillet 2016, lui-même admis que la ligne avait été implantée en exécution d'une " convention de passage signée à l'époque de l'implantation initiale de cette ligne ". Un courrier du 12 janvier 2018 émanant de son conseil précise à cet égard que l'autorisation a été signée par une indivisaire au nom de l'indivision propriétaire de la parcelle, sans que l'acte ait jamais été contesté. Il résulte ainsi des éléments mêmes que produit le requérant que la servitude de passage de ligne électrique a été régulièrement établie sur le fondement d'un titre permettant son institution.

6. Enfin, M. A... soutient, dans le dernier état de ses écritures, que la ligne ne serait pas implantée conformément au tracé convenu. Il se borne toutefois à produire un relevé dressé par un architecte, dont il a modifié manuscritement le tracé. Ce seul élément, dénué de toute valeur probante, n'est dès lors pas de nature à établir que l'ouvrage public serait irrégulièrement implanté.

7. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 323-7 du code de l'énergie : " Lorsque l'institution des servitudes prévues à l'article L. 323-4 entraîne un préjudice direct, matériel et certain, elle ouvre droit à une indemnité au profit des propriétaires, des titulaires de droits réels ou de leurs ayants droit. / L'indemnité qui peut être due à raison des servitudes est fixée, à défaut d'accord amiable, par le juge judiciaire ". Si les conséquences des dommages purement accidentels causés par les travaux de construction, de réparation ou d'entretien des ouvrages relèvent de la compétence des juridictions administratives, en revanche, les juridictions judiciaires sont seules compétentes pour connaître des dommages qui sont les conséquences certaines, directes et immédiates des servitudes instituées au profit des concessionnaires de distribution d'énergie, tels que la dépréciation de l'immeuble, les troubles de jouissance et d'exploitation, la gêne occasionnée par le passage des préposés à la surveillance et à l'entretien.

8. D'une part, les conclusions indemnitaires présentées par M. A... qui portent sur les conséquences inhérentes à la servitude de passage de ligne électrique en litige, doivent être rejetées comme portées devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaitre.

9. D'autre part, M. A... a également présenté des conclusions indemnitaires fondées sur des dommages accidentels qui auraient été occasionnés à une clôture par des opérations d'entretien des ouvrages électriques.

10. Il résulte de l'instruction et notamment d'un courriel d'un prestataire intervenu pour la société Enedis que, lors d'une intervention d'entretien, un technicien a enjambé la clôture de M. A... et, accidentellement, l'a endommagée. M. A... produit une facture de réparation, non contestée, de 669 euros. Il n'est pas établi que l'état de vétusté de la clôture justifierait une réduction de ce montant, nécessaire pour rétablir la clôture en son état normal. Il y a, en conséquence, lieu de condamner la société Enedis à verser cette somme à M. A....

11. En troisième lieu, dès lors qu'il ne résulte pas de l'instruction que la servitude en litige aurait été irrégulièrement instituée, ni par suite que la ligne électrique qui surplombe la propriété de M. A... aurait été irrégulièrement implantée, les conclusions à fin d'injonction présentées par M. A... doivent être rejetées.

12. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que la société Enedis est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble lui a enjoint de procéder à la démolition de l'ouvrage public et l'a condamnée à réparer les préjudices liés à la servitude. M. A... est uniquement fondé à demander que la société Enedis soit condamnée à lui verser une somme de 669 euros au titre du dommage causé accidentellement à sa propriété.

13. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions présentées par les parties sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1903867 du 10 août 2021 du tribunal administratif de Grenoble est annulé.

Article 2 : Les conclusions indemnitaires de M. A... portant sur les conséquences inhérentes à la servitude de passage de ligne électrique sont rejetées comme portées devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaitre.

Article 3 : La société Enedis est condamnée à verser à M. A... la somme de 669 euros en réparation des conséquences dommageables pour la clôture de sa propriété de l'intervention d'un technicien chargé de l'entretien de la ligne électrique traversant cette propriété.

Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et à la SA Enedis.

Délibéré après l'audience du 25 mai 2023, à laquelle siégeaient :

M. Pourny, président de chambre,

M. Stillmunkes, président assesseur,

Mme Bentéjac, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 15 juin 2023.

Le rapporteur,

H. Stillmunkes

Le président,

F. Pourny

La greffière,

F. Abdillah

La République mande et ordonne à la ministre de la transition énergétique, en ce qui la concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition,

La greffière,

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N° 21LY03272


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