Vu la procédure suivante :
Procédure devant la cour
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 21 décembre 2020 et 7 juillet 2021, la SAS Parc éolien des monts d'Éringes, représenté par Me Versini-Campinchi, demande à la cour :
1°) d'annuler l'arrêté du 27 août 2020 par lequel le préfet de la Côte-d'Or a rejeté sa demande d'autorisation environnementale pour la construction et l'exploitation d'un parc éolien sur le territoire de la commune d'Éringes ;
2°) d'enjoindre au préfet de la Côte-d'Or de procéder à l'instruction complète et de statuer à nouveau sur la demande d'autorisation unique, dans un délai d'un mois à compter de l'arrêt et sous astreinte de 500 euros par jour de retard ;
3°) de mettre à la charge de l'État le versement d'une somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la variante finale retenue est composée de deux lignes parallèles de trois éoliennes orientées nord-ouest/sud-est ; préfet a justifié son rejet sur le fondement de l'article R. 181-34 du code de l'environnement par l'impact visuel du projet sur le site d'Alésia et son impact sur l'avifaune ;
- il y a violation de l'article R. 181-40 du code de l'environnement ; la décision contestée n'a pas été précédée d'une procédure contradictoire ;
- il n'y a pas d'atteinte au site d'Alésia ; la variante n° 3 permet de limiter au maximum la prégnance visuelle du projet depuis le site d'Alésia, dès lors que " la disposition des éoliennes les unes derrière les autres et perpendiculaire au point de vue du site archéologique d'Alésia permet de réduire l'emprise visuelle horizontale du parc éolien depuis ce point de vue très sensible " ; si la visibilité depuis le site archéologique et la statue de Vercingétorix notamment n'est pas contestable, celle-ci apparaît toutefois très limitée ; les éoliennes étant implantées à altitude inférieure à la ligne de crête, seuls le haut du mât et le rotor sont visibles depuis le site archéologique ou la statue de Vercingétorix et la visibilité est en partie atténuée par la présence de boisements ; aucun programme de mise en valeur visant à dégager les vues entrantes sur le site n'est avéré ; l'intérêt du site d'Alésia est d'abord et avant tout historique, les vestiges gallo-romains et le statue de Vercingétorix constituant des lieux de mémoires ; l'impact visuel du projet litigieux, plus proche, mais implanté précisément dans l'axe de la visibilité et sans aucun étalement dans le paysage, n'est pas plus important que celui de Lucenay-le-Duc ;
- aucune atteinte à l'avifaune n'est établie, en particulier au milan royal, en périodes pré et post nuptiales ou de nidification ; l'identification de l'espèce dans le secteur d'implantation du projet n'est pas liée à une particularité de la zone d'Éringes, mais à la présence globale de l'espèce dans les plaines de l'Auxois ; l'accroissement du parc éolien n'implique pas nécessairement la disparition du milan royal ; l'évaluation du risque sur le milan royal est justifiée et non sous-estimée ; il est proposé une mesure MR 7 relative à l'arrêt des éoliennes pendant les travaux agricoles effectués sur les parcelles à proximité des éoliennes et une mesure MR 8 relative à la mise en place d'un dispositif vidéo associé à un système d'effarouchement et de régulation des éoliennes ; l'impact résiduel sur l'espèce, après application de ces mesures, a été considéré comme " non significatif " par le bureau d'études ;
- aucune dérogation n'a été sollicitée dans le cadre de la demande d'autorisation environnementale.
Par un mémoire enregistré le 31 mai 2021, la ministre de la transition écologique conclut au rejet de la requête.
Elle soutient que :
- l'arrêté contesté a été pris à l'issue de la phase d'examen, sur le fondement de l'article R. 181-34 du code de l'environnement ; aucune violation du principe du contradictoire ne saurait être retenue ;
- l'éolienne la plus proche se situe à 1,3 kilomètre de la limite sud du site classé d'Alésia, le projet éolien d'Éringes se situe en particulier à 5,3 kilomètres du champ de fouilles de la ville Gallo-romaine, à 5,2 kilomètres de l'esplanade de la statue de Vercingétorix et à 5,6 kilomètres de la terrasse panoramique du centre d'interprétation ; le projet se place systématiquement en co-visibilité avec le site classé d'Alésia depuis le champ de fouilles de la ville Gallo-romaine et l'esplanade de la statue de Vercingétorix et crée un nouveau point focal, anachronique, en contradiction radicale avec le modelé des collines encerclant le Mont Auxois ; il nuira inévitablement à l'appréhension de la configuration spatiale naturelle du site et à la reconstitution du déroulement de la bataille historique notamment en ce que concerne l'effet cumulé avec les autres projets à proximité ; la configuration de l'implantation des éoliennes sur le plateau agricole engendre des co-visibilités avec des éléments de patrimoine bâti ou naturel emblématiques du territoire, en particulier le site classé d'Alésia et le site patrimonial remarquable de Flavigny-sur-Ozerain ; malgré le choix de la variante 3, la visibilité reste importante ; les termes officiels du classement du site d'Alésia sont : " Préserver en même temps le paysage qui reste le principal vestige de cet événement et qui représente aux yeux de la conscience collective le témoin de la mémoire des lieux avec toute la signification émotionnelle, politique, culturelle, qu'il sous-tend. " ; le paysage est un élément essentiel de la valeur du site d'Alésia ; il est resté globalement peu modifié depuis l'époque de la bataille et sa valorisation permet de comprendre les choix stratégiques mis en œuvre par Jules César ;
- s'agissant des milans royaux, la pétitionnaire a omis un préalable incontournable à la séquence " éviter-réduire compenser " qui est la définition des enjeux, faute de localisation du nid le plus proche -1 kilomètre de la zone d'implantation du projet (ZIP) - des individus de cette espèce patrimoniale ; tout en observant une fréquentation régulière sur l'année du milan royal, il indique dans le même temps que rien ne permet d'affirmer que la ZIP constituerait une zone privilégiée pour ce dernier ; le milan royal fréquente son nid dans un rayon allant jusqu'à 2 kilomètres en particulier en période de nourrissage des jeunes, et ces derniers, à l'envol, sont également susceptibles d'explorer leur territoire sur des distances supérieures et sur l'ensemble des habitats ; le milan royal est une espèce dont les effectifs en France ont connu une forte régression (environ - 80 %) durant les vingt dernières années ; les analyses du risque menées par le pétitionnaire sont incomplètes, insuffisantes voire contradictoires ; le dossier mentionne une sensibilité générale " faible " au risque de collision pour le milan royal, alors que les données scientifiques sur l'espèce montrent un comportement à risque élevé en particulier pour les nicheurs adultes ; à ce jour, aucun dispositif fiable (système de détection et d'effarouchement ou mesures) ne peut garantir l'absence de collision.
Par une ordonnance du 4 octobre 2022, la clôture de l'instruction a été fixée au 27 octobre 2022.
La commune d'Éringes a produit, postérieurement à la date de clôture de l'instruction, deux mémoires en intervention enregistrés les 8 février et 15 mai 2023.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de l'environnement ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Chassagne, premier conseiller ;
- les conclusions de M. Rivière, rapporteur public ;
- et les observations de Me Louis, pour la SAS Parc éolien des monts d'Éringes ;
Considérant ce qui suit :
1. La SAS Parc éolien des monts d'Éringes demande l'annulation de l'arrêté du 27 août 2020 par lequel le préfet de la Côte-d'Or, sur le fondement des dispositions des articles L. 181-3 et R. 181-34 du code de l'environnement, a refusé de lui délivrer une autorisation environnementale pour l'exploitation sur le territoire de la commune d'Éringes d'un parc éolien constitué de six éoliennes de 150 mètres de hauteur, réparties en deux lignes de trois éoliennes sur un axe nord-ouest/sud-est, compte tenu de ses impacts sur le site protégé d'Alésia et sur une espèce d'oiseaux protégée, le milan royal.
2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 181-9 du code de l'environnement : " L'instruction de la demande d'autorisation environnementale se déroule en trois phases : / 1° Une phase d'examen ; / 2° Une phase de consultation du public ; / 3° Une phase de décision. (...) ". Aux termes de l'article R. 181-34 du même code : " Le préfet est tenu de rejeter la demande d'autorisation environnementale dans les cas suivants : / 1° Lorsque, malgré la ou les demandes de régularisation qui ont été adressées au pétitionnaire, le dossier est demeuré incomplet ou irrégulier ; (...) / 3° Lorsqu'il s'avère que l'autorisation ne peut être accordée dans le respect des dispositions de l'article L. 181-3 ou sans méconnaître les règles, mentionnées à l'article L. 181-4, qui lui sont applicables. (...) ". Enfin, aux termes du premier alinéa l'article R. 181-40 de ce même code : " Le projet d'arrêté statuant sur la demande d'autorisation environnementale est communiqué par le préfet au pétitionnaire, qui dispose de quinze jours pour présenter ses observations éventuelles par écrit ".
3. Il résulte de l'instruction que la demande de délivrance d'une autorisation environnementale présentée par la SAS Parc éolien des monts d'Éringes a été rejetée dès la phase d'examen, sur le fondement de l'article R. 181-34 du code de l'environnement. La procédure prévue par l'article R. 181-40 du code de l'environnement, qui ne s'applique qu'aux décisions adoptées lors de la phase de décision, ne trouvait dès lors pas à s'appliquer en l'espèce. La société requérante ne peut donc utilement soutenir que l'arrêté a été pris à l'issue d'une procédure irrégulière, faute d'avoir été précédé de la procédure contradictoire prévue par ces dernières dispositions. Le moyen doit par suite être écarté.
4. En second lieu, aux termes de l'article L. 181-3 du code de l'environnement : " I. - L'autorisation environnementale ne peut être accordée que si les mesures qu'elle comporte assurent la prévention des dangers ou inconvénients pour les intérêts mentionnés aux articles L. 211-1 et L. 511-1, selon les cas. (...) ". Aux termes de l'article L. 511-1 de ce code : " Sont soumis aux dispositions du présent titre les usines, ateliers, dépôts, chantiers et, d'une manière générale, les installations exploitées ou détenues par toute personne physique ou morale, publique ou privée, qui peuvent présenter des dangers ou des inconvénients (...) soit pour la protection de la nature, de l'environnement et des paysages, (...) soit pour la conservation des sites et des monuments ainsi que des éléments du patrimoine archéologique. (...) ".
5. Le site d'Alesia, qui comprend en particulier plusieurs monuments historiques classés, notamment les restes de l'ancienne Alésia, du théâtre Gallo-romain et du quartier des huttes gauloises ou les vestiges archéologiques dans la plaine des Laumes, a fait l'objet d'une reconnaissance patrimoniale consacrant son caractère de site majeur et emblématique de l'histoire nationale. Depuis le promontoire sur lequel se trouvent le champ de fouilles, l'espace de restitution à destination du public et la statue monumentale de Vercingétorix, érigée sur l'ordre de Napoléon III, et dont elle emprunte les traits, une vue dégagée s'ouvre depuis le mont d'Auxois, siège du site d'Alesia, sur les contreforts du plateau de la Seine et la vallée de la Brenne. Le projet de parc éolien, disposé perpendiculairement au site d'Alésia, est lui-même situé à une altitude d'environ 400 mètres, sur le rebord du plateau du Duesmois, légèrement ondulé, et principalement constitué de terres agricoles et de bois. Le promontoire est éloigné approximativement de 5,5 kilomètres du parc éolien, la limite nord du site classé étant quant à elle distante d'environ 1,3 kilomètre de l'éolienne la plus proche, le périmètre de classement étant à peine plus important que celui correspondant au rempart- extérieur- de " circonvallation ", long de 21 kilomètres, édifié par César lors du siège (52 av. J-C) pour protéger son armée d'éventuels renforts. Le classement du site d'Alésia est en particulier destiné à préserver " le secteur de la bataille en tant que site historique, entendu dans son acceptation scientifique avec tout le fond archéologique qu'il peut contenir " et " en même temps le paysage qui reste le principal vestige de cet évènement qui représente aux yeux de la conception collective le témoin de la mémoire des lieux avec toute la signification émotionnelle, politique, culturelle qu'il sous-tend ". Les panoramas et perspectives qu'offre le site d'Alésia, indispensables à la compréhension de son siège, apparaissent comme des éléments essentiels de sa valeur patrimoniale, archéologique et historique. C'est dans ce cadre qu'a notamment été mis en œuvre un programme d'aménagement d'envergure européenne comprenant en particulier des parcours " découvertes " destinés à permettre des vues croisées et lointaines sur le site et au-delà. A partir du promontoire évoqué plus haut, au moins une partie des éoliennes projetées apparaissent très aisément visibles, compte tenu notamment de leur taille, de leur situation et de leur agencement, même si l'intensité ou l'étendue de leur perception varient en fonction des angles de vue ou de l'existence à certains endroits de massifs de végétation. Sur ce dernier point, outre l'effet des saisons, la pérennité de ces massifs n'est pas garantie. Les autres projets éoliens autorisés dans le secteur, en particulier ceux du Châtillonnais, des Userolles ou de l'Herbue, sont plus éloignés, en retrait du site d'Alésia, et à l'écart du projet litigieux, la visibilité de ce dernier dans l'environnement proche du site s'en trouvant renforcée. Dans ces circonstances, compte tenu des inconvénients que le projet litigieux présente pour la conservation du site d'Alésia, y compris la préservation de ses paysages et environnement proches, qui en constituent des éléments difficilement dissociables, et en dépit de la présence sur ce site, ou à proximité, d'éléments modernes ou contemporains tels que la statue de Vercingétorix, le museoparc ou encore des aménagements routiers et habitations, l'appréciation à laquelle s'est livrée le préfet pour opposer le refus d'autorisation contesté n'apparaît pas ici erronée.
6. En admettant même que le risque que le projet comporterait pour le milan royal, compte tenu des mesures d'évitement et de réduction envisagées par l'exploitant, ne serait pas suffisamment caractérisé et qu'aucune dérogation " espèces protégées " au titre de l'article L. 411-2 du code de l'environnement ne s'imposait, le motif relevé précédemment, tenant à l'atteinte au paysage, justifiait à lui seul le refus d'autorisation contesté, le préfet étant dans un tel cas tenu d'opposer un refus d'autorisation sur le fondement de l'article R. 181-34 du code de l'environnement.
7. Par suite et même si le préfet, qui n'était saisi d'aucune demande en ce sens, a estimé de manière surabondante que les conditions de délivrance d'une dérogation " espèces protégées " n'étaient pas réunies, la requête de la SAS Parc éolien des monts d'Éringes doit, dans l'ensemble de ses conclusions, être rejetée.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la SAS Parc éolien des monts d'Éringes est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la SAS Parc éolien des monts d'Éringes, au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires et à la commune d'Eringes.
Copie en sera adressée à la ministre de la transition énergétique et au préfet de la Côte-d'Or.
Délibéré après l'audience du 25 mai 2023 à laquelle siégeaient :
M. Picard, président de chambre ;
M. Seillet, président assesseur ;
M. Chassagne, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 8 juin 2023.
Le rapporteur,
J. ChassagneLe président,
V.-M. Picard
La greffière,
A. Le Colleter
La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires et à la ministre de la transition énergétique, en ce qui les concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
La greffière,
N° 20LY03752 2
lc