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17/05/2023 | FRANCE | N°22LY01893

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 5ème chambre, 17 mai 2023, 22LY01893


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. C... B... a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler les décisions du 30 mai 2022 par lesquelles le préfet de la Savoie l'a obligé à quitter sans délai le territoire français, a déterminé le pays de destination en cas de reconduite et l'a interdit de retour sur le territoire national avant l'écoulement d'une période d'un an.

Par un jugement n° 2204122 du 3 juin 2022, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande.

Procédure de

vant la cour

Par une requête enregistrée le 17 juin 2022, M. A..., représenté par Me Boud...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. C... B... a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler les décisions du 30 mai 2022 par lesquelles le préfet de la Savoie l'a obligé à quitter sans délai le territoire français, a déterminé le pays de destination en cas de reconduite et l'a interdit de retour sur le territoire national avant l'écoulement d'une période d'un an.

Par un jugement n° 2204122 du 3 juin 2022, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour

Par une requête enregistrée le 17 juin 2022, M. A..., représenté par Me Boudjellal, avocat, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Lyon en date du 3 juin 2022 ;

2°) à titre principal, de renvoyer l'affaire devant le tribunal administratif ;

3°) à titre subsidiaire, d'évoquer et d'annuler les décisions du préfet de la Savoie en date du 30 mai 2022 ;

4°) d'enjoindre au préfet de la Savoie de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour, de réexaminer sa situation et de le munir durant le réexamen d'une autorisation provisoire de séjour ;

5°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- alors qu'il avait présenté sa demande devant le tribunal, par l'application Télérecours, il n'a pas été tenu informé de la tenue de l'audience ; le jugement a été rendu en méconnaissance du principe du contradictoire ainsi que du droit à l'avocat choisi ;

- il a clairement manifesté sa volonté de solliciter une demande d'asile avant l'adoption de la mesure d'éloignement.

Par un mémoire en défense enregistré le 1er juillet 2022, le préfet de la Savoie, représenté par Me Tomasi, conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- il appartenait au requérant d'informer son conseil de la tenue de l'audience ; en tout état de cause, il a été représenté lors de l'audience ;

- M. A... n'a pas émis le souhait de demander l'asile en France, n'a pas demandé de protection internationale en Italie, ainsi que le démontre la consultation du fichier Eurodac et n'apporte aucun élément de nature à démontrer qu'il risque de subir des traitements inhumains ou dégradants en Egypte ;

- aucun des autres moyens de la demande de première instance n'est fondé.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention de Genève relative au statut des réfugiés du 28 juillet 1951 ;

- le protocole relatif au statut des réfugiés signé à New York le 31 janvier 1967 ;

- la convention d'application de l'accord de Schengen du 14 juin 1985, signée le 19 juin 1990 ;

- le protocole intégrant l'acquis de Schengen dans le cadre de l'Union européenne, annexé au traité sur l'Union européenne et au traité instituant la Communauté européenne ;

- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'État membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative ;

La présidente de la formation de jugement ayant dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Le rapport de Mme Dèche, présidente assesseure, ayant été entendu au cours de l'audience publique ;

Considérant ce qui suit :

1. M. A..., ressortissant égyptien né le 24 mai 1992, a été interpellé, le 29 mai 2022, par la police aux frontières italienne, alors qu'il voyageait à bord d'un bus en provenance de Paris et à destination de Milan, puis remis aux autorités françaises. Par décisions du 30 mai 2022, le préfet de la Savoie l'a obligé à quitter sans délai le territoire français, a déterminé le pays de destination en cas de reconduite et l'a interdit de retour sur le territoire national avant l'écoulement d'une période d'un an. M. A... relève appel du jugement du 3 juin 2022 par lequel le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande tendant à l'annulation de ces décisions du 30 mai 2022.

2. D'une part, il ressort des dispositions des articles L. 610-1 et suivants du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, relatives à l'obligation de quitter le territoire français, de celles des articles L. 615-1 et suivants relatives aux cas de l'étranger obligé de quitter le territoire d'un autre État membre de l'Union européenne ou d'un État dans lequel s'applique l'accord de Schengen et de celles des articles L. 621-1 et suivants relatives aux procédures de remise aux États membres de l'Union européenne ou parties à la convention d'application de l'accord de Schengen que le champ d'application des mesures obligeant un étranger à quitter le territoire français et celui des mesures de remise d'un étranger à un autre État ne sont pas exclusifs l'un de l'autre et que le législateur n'a pas donné à l'une de ces procédures un caractère prioritaire par rapport à l'autre. Toutefois, si l'étranger demande à être éloigné vers l'État membre de l'Union européenne ou partie à la convention d'application de l'accord de Schengen d'où il provient, ou s'il est résident de longue durée dans un État membre ou titulaire d'une " carte bleue européenne " délivrée par un tel État, il appartient au préfet d'examiner s'il y a lieu de reconduire en priorité l'étranger vers cet État ou de le réadmettre dans cet État. S'agissant enfin, du cas de l'étranger demandeur d'asile, les stipulations de l'article 31-2 de la convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés et les dispositions du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile impliquent nécessairement que l'étranger qui sollicite la reconnaissance de la qualité de réfugié soit autorisé à demeurer provisoirement sur le territoire jusqu'à ce qu'il ait été statué sur sa demande. Ainsi, lorsqu'en application des stipulations des conventions internationales conclues avec les États membres de l'Union européenne, l'examen de la demande d'asile d'un étranger ne relève pas de la compétence des autorités françaises mais de celles de l'un de ces États, la situation du demandeur d'asile n'entre pas dans le champ d'application des dispositions de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile mais dans celui des dispositions des articles L. 571-1 et suivants du même code. En vertu de ces dispositions, la mesure d'éloignement en vue de remettre l'intéressé aux autorités étrangères compétentes pour l'examen de sa demande d'asile ne peut être qu'une décision de réadmission prise sur le fondement de l'article L. 572-1 du même code.

3. D'autre part, les stipulations de l'article 31-2 de la convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés et les dispositions du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile impliquent nécessairement que l'étranger qui sollicite la reconnaissance de la qualité de réfugié soit autorisé à demeurer provisoirement sur le territoire jusqu'à ce qu'il ait été statué sur sa demande. Aux termes de l'article 9 de la directive 2013/32/UE : " 1. Les demandeurs sont autorisés à rester dans l'État membre, aux seules fins de la procédure, jusqu'à ce que l'autorité responsable de la détermination se soit prononcée conformément aux procédures en première instance prévues au chapitre III. Ce droit de rester dans l'État membre ne constitue pas un droit à un titre de séjour (...) ". Aux termes de l'article L. 541-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Le demandeur d'asile dont l'examen de la demande relève de la compétence de la France et qui a introduit sa demande auprès de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides bénéficie du droit de se maintenir sur le territoire français ". Aux termes de l'article L. 541-2 du même code : " L'attestation délivrée en application de l'article L. 521-7, dès lors que la demande d'asile a été introduite auprès de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, vaut autorisation provisoire de séjour et est renouvelable jusqu'à ce que l'office et, le cas échéant, la Cour nationale du droit d'asile statuent ". Selon l'article L. 541-3 du même code : " Sans préjudice des dispositions des articles L. 753-1 à L. 753-4 et L. 754-1 à L. 754-8, lorsque l'étranger sollicitant l'enregistrement d'une demande d'asile a fait l'objet, préalablement à la présentation de sa demande, d'une décision d'éloignement prise en application du livre VI, cette dernière ne peut être mise à exécution tant que l'étranger bénéficie du droit de se maintenir sur le territoire français, dans les conditions prévues aux articles L. 542-1 et L. 542-2 ". Il résulte de ces dispositions que, sous réserve du cas de demandes présentées par l'étranger en rétention ou des cas de refus d'attestation de demande respectivement prévus aux articles L. 754-2 à L. 754-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, une demande d'asile ouvre droit au maintien sur le territoire français jusqu'à ce qu'il y soit statué. Si, préalablement à sa demande, l'intéressé, en l'absence de droit au maintien sur le territoire, a fait l'objet d'une mesure d'éloignement, cette mesure ne peut être exécutée avant qu'il soit statué sur la demande d'asile. Le droit au maintien sur le territoire est conditionné par l'introduction de la demande auprès de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, mais l'intéressé peut y prétendre dès qu'il a manifesté à l'autorité administrative son intention de solliciter l'asile, l'attestation mentionnée aux articles L. 521-1 à L. 521-4 du même code ne lui étant délivrée qu'en conséquence de cette demande.

4. Lors de son audition par les services de la police aux frontières le 29 mai 2022, M. A... a déclaré expressément " je veux demander l'asile en Italie ", puis, " Je suis égyptien et je souhaite déposer l'asile en Italie ". La réalité de cette demande d'asile présentée par l'intéressé ressort également des termes de l'obligation de quitter le territoire français en litige qui indique que ce dernier " déclare vouloir se rendre en Italie pour déposer une demande d'asile en Italie ". En conséquence, le requérant doit être regardé comme ayant sollicité d'être réadmis aux autorités italiennes. Il est, par suite, fondé à soutenir que le préfet de la Savoie, préalablement à l'édiction de l'obligation de quitter le territoire français, aurait dû saisir en priorité les autorités italiennes d'une demande de réadmission sur le fondement des dispositions des articles L. 572-1 et suivants du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

5. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de statuer sur la régularité du jugement, que M. A... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande. Il est dès lors fondé à demander l'annulation de ce jugement ainsi que celle des décisions du préfet de la Savoie du 30 mai 2022.

Sur les conclusions aux fins d'injonction :

6. Il résulte de l'article L. 614-16 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile que l'annulation de l'obligation de quitter le territoire français implique que le requérant soit muni d'une autorisation provisoire de séjour jusqu'à ce que l'autorité administrative compétente ait à nouveau statué sur son cas. Ainsi, il y a lieu d'enjoindre à l'autorité préfectorale compétente de délivrer à M. A..., dans le délai de quinze jours à compter de la notification du présent arrêt, une autorisation provisoire de séjour, dans l'attente du réexamen de sa situation.

Sur les frais liés au litige :

7. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros au titre des frais exposés par M. A... et non compris dans les dépens.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement du magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Lyon du 3 juin 2022 et les décisions du préfet de la Savoie du 30 mai 2022 sont annulés.

Article 2 : Il est enjoint au préfet territorialement compétent de délivrer une autorisation provisoire de séjour à M. A... dans le délai de quinze jours à compter de la notification du présent arrêt, dans l'attente du réexamen de sa situation.

Article 3 : L'Etat versera à M. A... la somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... B..., au préfet de la Savoie et au ministre de l'intérieur et des outre-mer .

Copie en sera adressée au procureur de la République près le tribunal judiciaire de Chambéry en application de l'article R. 751-11 du code de justice administrative.

Délibéré après l'audience du 27 avril 2023 à laquelle siégeaient :

Mme Dèche, présidente,

Mme Vinet, présidente assesseure,

Mme Rémy-Néris, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 17 mai 2023.

La rapporteure,

P. DècheL'assesseure la plus ancienne,

C. Vinet

La greffière,

A-C. Ponnelle

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition,

La greffière,

2

N° 22LY01893

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Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 22LY01893
Date de la décision : 17/05/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-01-03 Étrangers. - Séjour des étrangers. - Refus de séjour.


Composition du Tribunal
Président : Mme DECHE
Rapporteur ?: Mme Pascale DECHE
Rapporteur public ?: Mme LE FRAPPER
Avocat(s) : TOMASI

Origine de la décision
Date de l'import : 28/05/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2023-05-17;22ly01893 ?
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