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11/05/2023 | FRANCE | N°22LY03007

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 2ème chambre, 11 mai 2023, 22LY03007


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

Mme B..., épouse C... a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler l'arrêté du 19 avril 2022 par lequel le préfet de la Haute-Savoie a refusé de faire droit à sa demande de protection contre l'éloignement, l'a obligée à quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a pris à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans.

Par un jugement n° 2204028 du 15 septembre 2022, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté s

a demande.

Procédure devant la cour

Par une requête, enregistrée le 14 octobre 2022...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

Mme B..., épouse C... a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler l'arrêté du 19 avril 2022 par lequel le préfet de la Haute-Savoie a refusé de faire droit à sa demande de protection contre l'éloignement, l'a obligée à quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a pris à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans.

Par un jugement n° 2204028 du 15 septembre 2022, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour

Par une requête, enregistrée le 14 octobre 2022, Mme B..., représentée par Me Djinderedjian, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler l'arrêté du préfet de la Haute-Savoie du 19 avril 2022 ;

3°) d'enjoindre au préfet de la Haute-Savoie de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dans les meilleurs délais à compter de la notification de l'arrêt et de réexaminer sa situation dans le délai d'un mois, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat, à verser à son conseil, une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.

Elle soutient que :

- le jugement contesté est irrégulier, le tribunal ayant omis de statuer sur le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales soulevé à l'encontre des décisions portant refus d'admission au séjour et obligation de quitter le territoire français ;

- le préfet n'a pas précédé à un examen complet de sa situation ;

- la décision de refus d'admission au séjour est insuffisamment motivée, dès lors qu'elle vise un avis de l'Office français de l'immigration et de l'intégration du 19 janvier 2019 et non le dernier avis rendu la concernant, daté du 19 janvier 2022 ;

- les décisions portant refus d'admission au séjour et obligation de quitter le territoire français méconnaissent le 9° de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- ces décisions méconnaissent l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- l'interdiction de retour est insuffisant motivée ;

- cette décision est entachée d'erreur d'appréciation.

Le préfet de la Haute-Savoie, qui a reçu communication de la requête, n'a pas produit d'observations.

La demande d'aide juridictionnelle présentée de Mme B... a été rejetée par une décision du 14 décembre 2022.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative ;

La présidente de la formation de jugement ayant dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Le rapport de Mme Courbon, présidente-assesseure, ayant été entendu au cours de l'audience publique ;

Considérant ce qui suit :

1. Mme B..., ressortissante serbe née le 15 mai 1968, est entrée en France en janvier 2016. Sa demande d'asile a été rejetée par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides le 28 novembre 2017, décision confirmée par la Cour nationale du droit d'asile le 24 juillet 2018. Le 21 septembre 2018, elle a sollicité le réexamen de sa demande d'asile, qui a été rejeté en dernier lieu par une décision de la Cour nationale du droit d'asile du 21 février 2019. Par un arrêté du 17 décembre 2018, dont la légalité a été confirmée par arrêt de la cour administrative d'appel de Lyon du 27 mai 2019, le préfet de la Haute-Savoie a pris à son encontre une décision de refus de titre de séjour assortie d'une obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours. Le 29 avril 2019, Mme C... a demandé une protection contre l'éloignement en application du 10° de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile alors en vigueur. Le 1er juillet 2019, le préfet a maintenu la mesure d'éloignement après avis du collège des médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration du 25 juin 2019. Le 19 novembre 2021, Mme B... a déposé une nouvelle demande de protection contre l'éloignement sur le fondement du 9° de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par un arrêté du 19 avril 2022, le préfet de la Haute-Savoie a refusé de faire droit à sa demande, l'a obligée à quitter le territoire dans un délai de trente jours et a prononcé une interdiction de retour d'une durée de deux ans. Mme B... relève appel du jugement du 15 septembre 2022 par lequel le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.

Sur la régularité du jugement :

2. Il ressort des pièces du dossier que dans sa requête de première instance, Mme B... soutenait que le refus d'admission au séjour et l'obligation de quitter le territoire français pris à son encontre méconnaissaient l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Si le tribunal a bien visé ce moyen, il n'y a pas répondu, alors qu'il n'était pas inopérant. Par suite, Mme B... est fondée à soutenir que le jugement du 15 septembre 2022 est, pour ce motif, irrégulier et à en obtenir l'annulation, en tant qu'il statue sur la légalité des décisions de refus d'admission au séjour et portant obligation de quitter le territoire français.

3. Il y a lieu pour la cour de statuer par la voie de l'évocation sur les conclusions de Mme B... dirigées contre ces deux décisions et, par la voie de l'effet dévolutif de l'appel, sur celles dirigées contre la décision portant interdiction de retour sur le territoire français.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

En ce qui concerne les décisions de refus d'admission au séjour et portant obligation de quitter le territoire français :

4. En premier lieu, les décisions contestées, qui visent les textes applicables, détaillent la situation administrative de Mme B... et mentionnent les raisons pour lesquelles elle ne peut bénéficier d'un droit au séjour en France en raison de son état de santé, comportent les considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement. A cet égard, si l'arrêté en litige fait état d'un avis du collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration du 19 janvier 2019, il ressort des pièces du dossier que le préfet s'est appuyé sur le dernier avis de ce collège, daté du 19 janvier 2022, produit en première instance. Par suite, et alors que la mention du 19 janvier 2019 résulte d'une simple erreur de plume, le moyen tiré l'insuffisance de motivation ne peut qu'être écarté.

5. En deuxième lieu, il ne ressort ni des termes de l'arrêté attaqué, ni des pièces du dossier que le préfet de la Haute-Savoie n'aurait pas procédé à un examen particulier de la situation de Mme B... avant de refuser de l'admettre au séjour et de l'obliger à quitter le territoire français.

6. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 611-3 du même code : " Ne peuvent faire l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français : (...) / 9° L'étranger résidant habituellement en France si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé du pays de renvoi, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié. "

7. Pour refuser à Mme B... la protection contre l'éloignement qu'elle sollicitait, le préfet de la Haute-Savoie s'est appuyé sur l'avis du collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration du 19 janvier 2022 indiquant que si l'état de santé de l'intéressée nécessite une prise en charge médicale, le défaut de prise en charge ne devrait pas entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité et qu'elle peut voyager sans risque vers son pays d'origine. Si Mme B... fait valoir qu'elle souffre de plusieurs pathologies, à savoir des fistules anales et recto vaginales multiples, des douleurs lombaires chroniques et un nodule pulmonaire, pour lesquelles elle bénéficie d'un suivi et d'un traitement médicamenteux, le certificat médical établi par son médecin généraliste et les ordonnances qu'elle produit sont insuffisants pour contredire cet avis. A cet égard, elle ne peut utilement se prévaloir, pour justifier de la gravité de son état de santé, des difficultés d'accès aux soins de la minorité rom en Serbie. Dans ces conditions, en refusant de l'admettre au séjour et en l'obligeant à quitter le territoire français, le préfet de la Haute-Savoie n'a pas méconnu le 9° de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

8. En quatrième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

9. M. B... fait valoir qu'elle réside en France depuis plus de six ans et qu'elle a quitté son pays d'origine depuis plus de neuf ans, ayant entre-temps vécu en Allemagne. Il ressort toutefois des pièces du dossier qu'elle est séparée de son époux, au demeurant en situation irrégulière sur le territoire national et que ses trois enfants résident en Serbie, pays dans lequel elle a elle-même vécu l'essentiel de sa vie. Ainsi qu'il a été dit au point 7 ci-dessus, son état de santé n'impose pas son maintien sur le territoire national, où elle ne justifie d'aucune intégration sociale ou professionnelle particulière. Dans ces circonstances, Mme B... n'est pas fondée à soutenir que les décisions attaquées ont porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée par rapport aux buts en vue desquels elles ont été prises et ont méconnu les stipulations précitées.

En ce qui concerne la décision portant interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans :

10. Aux termes de l'article L. 612-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsque l'étranger n'est pas dans une situation mentionnée aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative peut assortir la décision portant obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français. Les effets de cette interdiction cessent à l'expiration d'une durée, fixée par l'autorité administrative, qui ne peut excéder deux ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français ". Aux termes de l'article L. 612-10 du même code : " Pour fixer la durée des interdictions de retour (...), l'autorité administrative tient compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français. Il en est de même pour l'édiction et la durée de l'interdiction de retour mentionnée à l'article L. 612-8 (...) ".

11. Il ressort des termes mêmes de ces dispositions que l'autorité compétente doit, pour décider de prononcer à l'encontre de l'étranger soumis à l'obligation de quitter le territoire français une interdiction de retour et en fixer la durée, tenir compte, dans le respect des principes constitutionnels, des principes généraux du droit et des règles résultant des engagements internationaux de la France, des quatre critères qu'elles énumèrent, sans pouvoir se limiter à ne prendre en compte que l'un ou plusieurs d'entre eux. La décision d'interdiction de retour doit comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement, de sorte que son destinataire puisse à sa seule lecture en connaître les motifs. Si cette motivation doit attester de la prise en compte par l'autorité compétente, au vu de la situation de l'intéressé, de l'ensemble des critères prévus par la loi, aucune règle n'impose que le principe et la durée de l'interdiction de retour fassent l'objet de motivations distinctes, ni que soit indiquée l'importance accordée à chaque critère.

12. Il incombe ainsi à l'autorité compétente qui prend une décision d'interdiction de retour d'indiquer dans quel cas susceptible de justifier une telle mesure se trouve l'étranger. Elle doit par ailleurs faire état des éléments de la situation de l'intéressé au vu desquels elle a arrêté, dans son principe et dans sa durée, sa décision, eu égard notamment à la durée de la présence de l'étranger sur le territoire français, à la nature et à l'ancienneté de ses liens avec la France et, le cas échéant, aux précédentes mesures d'éloignement dont il a fait l'objet. Elle doit aussi, si elle estime que figure au nombre des motifs qui justifie sa décision une menace pour l'ordre public, indiquer les raisons pour lesquelles la présence de l'intéressé sur le territoire français doit, selon elle, être regardée comme une telle menace. En revanche, si, après prise en compte de ce critère, elle ne retient pas cette circonstance au nombre des motifs de sa décision, elle n'est pas tenue, à peine d'irrégularité, de le préciser expressément.

13. Il ressort des termes de la décision du 19 avril 2022, qui fait état de la situation administrative et familiale de Mme B..., notamment de la durée de son séjour en France, de la présence en France de son époux en situation irrégulière, de la circonstance qu'elle s'est soustraite à l'exécution d'une précédente mesure d'éloignement et de l'existence d'attaches familiales dans son pays d'origine, que le préfet de la Haute-Savoie, qui a également précisé qu'elle ne représentait pas une menace pour l'ordre public, a pris en compte l'ensemble des critères, énoncés à l'article L. 612-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Dans ces conditions, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation doit être écarté.

14. Eu égard à la situation de Mme B... telle que décrite au point 13 ci-dessus, le préfet de la Haute-Savoie, en prononçant à son encontre une interdiction de retour pour une durée de deux ans, n'a pas commis d'erreur d'appréciation.

15. Il résulte de tout ce qui précède que Mme B... est seulement fondée à demander l'annulation du jugement attaqué en tant qu'il rejette ses conclusions à fin d'annulation dirigées contre les décisions du préfet de la Haute-Savoie du 19 avril 2022 refusant son admission au séjour et l'obligeant à quitter le territoire français et que le surplus de ses conclusions d'appel, ainsi que sa demande de première instance tendant à l'annulation de ces décisions, doivent être rejetées. Par voie de conséquence, ses conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte doivent également être rejetées.

Sur les frais liés au litige :

16. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme en application des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Grenoble du 15 septembre 2022 est annulé en tant qu'il rejette les conclusions de Mme B... dirigées contre les décisions du préfet de la Haute-Savoie du 19 avril 2022 refusant son admission au séjour et l'obligeant à quitter le territoire français.

Article 2 : La demande de Mme B... tendant à l'annulation de ces décisions et le surplus des conclusions de sa requête d'appel sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B..., épouse C... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer. Copie en sera adressée au préfet de la Haute-Savoie.

Délibéré après l'audience du 20 avril 2023, à laquelle siégeaient :

Mme Courbon, présidente de la formation de jugement,

Mme Caraës, première conseillère,

M. Pin, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 11 mai 2023.

La présidente-rapporteure,

A. Courbon

L'assesseure la plus ancienne,

R. Caraës

La greffière,

N. Lecouey

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition,

La greffière,

2

N° 22LY03007


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 22LY03007
Date de la décision : 11/05/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-03 Étrangers. - Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : Mme COURBON
Rapporteur ?: Mme Audrey COURBON
Rapporteur public ?: Mme LESIEUX
Avocat(s) : DJINDEREDJIAN

Origine de la décision
Date de l'import : 14/05/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2023-05-11;22ly03007 ?
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