Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Grenoble de condamner la chambre de commerce et d'industrie (CCI) de Grenoble à lui verser la somme de 118 889 euros en réparation du préjudice que lui a causé l'absence de cotisation à la tranche T2 de l'assurance complémentaire retraite gérée C... l'Association pour le régime de retraite complémentaire des salariés (ARRCO).
C... un jugement n° 1605007 du 22 mars 2019, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande.
C... un arrêt n° 19LY01827 du 18 mars 2021, la cour a rejeté l'appel formé C... M. B....
C... une décision n° 452737 du 10 juin 2022, le Conseil d'Etat a annulé l'arrêt de la Cour, en tant qu'il a rejeté les conclusions de M. B... tendant à l'indemnisation des préjudices autres que le préjudice moral, et a renvoyé l'affaire à la cour dans cette mesure.
Procédure devant la cour :
C... des mémoires complémentaires enregistrés les 13 juillet 2022, 3 novembre 2022 et 24 décembre 2022, la CCI de Grenoble, représentée C... Me Bousquet, conclut :
1°) au rejet de la requête ;
2°) à ce que la somme de 1 000 euros soit mise à la charge de M. B... sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
La CCI de Grenoble soutient que :
- la créance est prescrite et le requérant ne pouvait en ignorer légitimement l'existence et l'étendue ;
- subsidiairement, les prétentions de M. B... sont excessives : l'omission de cotisation n'est fautive qu'à compter de la titularisation ; elle a été régularisée pour la période courant à compter de janvier 2011 ; aucune cotisation n'était en outre due pour la période durant laquelle M. B... était en congé de fin d'activité et n'était plus rémunéré C... la CCI ; la table de capitalisation qui est applicable est celle des hommes ; il y a lieu de défalquer l'avantage ayant consisté en l'absence de déduction de la part salariale des cotisations ;
- la cassation avec renvoi ne concerne pas le préjudice moral, qui est donc étranger au litige dont la cour est saisie.
C... des mémoires complémentaires enregistrés les 15 septembre 2022 et 2 décembre 2022, M. A... B..., représenté C... VEDESI, SCP d'avocats Schmidt-Vergnon-Pelissier-Thierry-Eard-Aminthas et Tissot, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1605007 du 22 mars 2019 du tribunal administratif de Grenoble ;
2°) de condamner la CCI de Grenoble à lui verser la somme de 117 552,45 euros, outre intérêts au taux légal à compter du 12 mai 2016 et capitalisation, en réparation du préjudice que lui a causé l'absence de cotisation à la tranche T2 de l'assurance complémentaire retraite gérée C... l'ARRCO ;
3°) de mettre à la charge de la CCI de Grenoble une somme de 4 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
M. B... soutient que :
- la créance n'est pas prescrite, puisqu'il en ignorait légitimement l'existence et l'étendue jusqu'en 2015 ;
- la CCI a commis une faute en ne versant pas l'ensemble des cotisations d'assurance retraite complémentaire prévues statutairement ;
- il a subi un préjudice financier de perte de droits additionnels à retraite complémentaire ; ce préjudice est certain ;
- l'omission doit être prise en compte depuis son recrutement, et non simplement depuis sa titularisation ;
- il y a lieu de retenir, pour les besoins de la capitalisation, l'espérance de vie des femmes ;
- les droits à retraite perdus doivent se calculer au regard de la totalité des cotisations omises, et non seulement de la part patronale ;
- il a subi un préjudice moral.
C... ordonnance du 19 juillet 2022, la clôture d'instruction a été fixée au 22 août 2022 à 16h30. C... ordonnance du 2 août 2022, la clôture d'instruction a été reportée au 15 septembre 2022 à 16h30. C... ordonnance du 19 septembre 2022, la clôture d'instruction a été reportée au 21 octobre 2022 à 16h30. C... ordonnance du 12 octobre 2022, la clôture d'instruction a été reportée au 15 novembre 2022 à 16h30. C... ordonnance du 14 novembre 2022, la clôture d'instruction a été reportée au 2 décembre 2022 à 16h30. C... ordonnance du 5 décembre 2022, la clôture d'instruction a été fixée au 5 janvier 2023 à 16h30.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la directive 2004/113/CE du 13 décembre 2004 mettant en œuvre le principe de l'égalité de traitement entre les femmes et les hommes dans l'accès à des biens et services et la fourniture de biens et services ;
- le code civil ;
- le code de commerce ;
- le code de la sécurité sociale ;
- la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 ;
- la loi n° 2010-853 du 23 juillet 2010, notamment le III de l'article 40 ;
- l'arrêté du 25 juillet 1997 relatif au statut du personnel de l'assemblée des chambres françaises de commerce et d'industrie, des chambres régionales de commerce et d'industrie et des groupements interconsulaires, ensemble le règlement de prévoyance sociale et de retraite du personnel administratif des chambres de commerce homologué C... arrêté ministériel du 25 mai 1956, modifié, en dernier lieu, le 17 décembre 2001 et annexé à l'article 52 du statut ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Stillmunkes, président-assesseur,
- les conclusions de Mme Cottier, rapporteure publique,
- les observations de Me Laurent, représentant M. B...,
- et les observations de Me Bousquet, représentant la chambre de commerce et d'industrie de Grenoble.
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., recruté le 15 octobre 1988 et titularisé le 1er juin 2000 C... la chambre de commerce et d'industrie (CCI) de Grenoble pour exercer des fonctions d'enseignant à temps plein, a fait valoir ses droits à la retraite le 1er avril 2011. Son employeur ne s'étant pas acquitté de la part patronale et n'ayant pas non plus collecté la part salariale de la cotisation afférente à la tranche dite " T2 " du régime de retraite complémentaire auquel étaient affiliés les personnels d'enseignement statutaires des chambres de commerce, M. B... a présenté en mai 2016 une demande d'indemnisation de la perte de retraite complémentaire qu'il subissait. Le 7 juillet 2016, le président de la CCI lui a indiqué que l'établissement avait rétroactivement acquitté auprès de l'association des régimes de retraite complémentaire des salariés (ARRCO, devenue AGIRC-ARRCO), gestionnaire du régime, les cotisations afférentes à la période du 1er janvier 2011 au 31 août 2015 en prenant à sa charge la part salariale et a opposé la prescription quadriennale à la créance née antérieurement à 2011. Le tribunal administratif de Grenoble a rejeté la demande indemnitaire de M. B... C... le jugement attaqué du 22 mars 2019. C... un arrêt du 18 mars 2021, la cour a rejeté l'appel interjeté C... M. B.... Enfin, C... une décision du 10 juin 2022, le Conseil d'Etat a annulé l'arrêt de la cour en tant qu'il a rejeté les conclusions de M. B... tendant à l'indemnisation de ses préjudices autres que le préjudice moral, et a renvoyé l'affaire à la cour dans cette mesure.
Sur l'objet du litige :
2. Il résulte de ce qui vient d'être dit que le litige dont la cour est saisie ne porte que sur la réparation du préjudice financier résultant de l'absence partielle de règlement C... la CCI de Grenoble des cotisations du régime de retraite complémentaire bénéficiant à M. B.... Ce dernier ne peut dès lors invoquer le préjudice moral qu'il soutient avoir C... ailleurs subi, sur lequel il a déjà été statué dans la partie non annulée de l'arrêt de la cour du 18 mars 2021.
Sur la fin de non-recevoir opposée en défense :
3. Contrairement à ce que soutient la CCI de Grenoble, la requête d'appel de M. B... est suffisamment motivée au regard des exigences de l'article R. 411-1 du code de justice administrative concernant les conclusions restant en litige.
Sur les conclusions tendant à la réparation du préjudice financier :
En ce qui concerne les cotisations de retraite complémentaire pour la période courant à partir de 2011 :
4. Il résulte de l'instruction que la CCI de Grenoble a régularisé l'omission de règlement des cotisations dues à compter du 1er janvier 2011. Aucun préjudice financier ne peut donc être caractérisé au titre d'une omission à compter du 1er janvier 2011.
En ce qui concerne les cotisations de retraite complémentaire pour la période antérieure à 2011 :
S'agissant de l'exception de prescription :
5. Aux termes de l'article 3 de la loi du 31 décembre 1968 : " La prescription ne court ni contre le créancier qui ne peut agir, soit C... lui-même ou C... l'intermédiaire de son représentant légal, soit pour une cause de force majeure, ni contre celui qui peut être légitimement regardé comme ignorant l'existence de sa créance ou de la créance de celui qu'il représente légalement ".
6. Il résulte de l'instruction que, compte tenu des seules informations dont bénéficiait M. B..., sous la forme de mentions elliptiques sur ses bulletins de paye, selon des modalités qui ont varié dans le temps, sans que l'omission partielle de règlement puisse en être déduite, puis du versement de sommes au titre d'une retraite complémentaire à partir d'avril 2011, sans que les modalités de versement des cotisations tout au long de sa période d'activité soient récapitulées de façon détaillée, il a pu en l'espèce légitimement ignorer jusqu'en 2015 la circonstance que la CCI de Grenoble n'avait réglé que partiellement les cotisations dues au titre du régime de retraite complémentaire géré C... l'ARRCO. La CCI de Grenoble ne peut à cet égard soutenir qu'il aurait appartenu à M. B... de comparer ligne à ligne ses bulletins de paie avec ceux d'autres agents, alors que ces derniers documents, qui concernent la situation personnelle de tiers, ne lui étaient pas directement accessibles. Il est enfin constant que M. B..., dès qu'il a été informé de cette omission en 2015 C... voie syndicale, a formé à bref délai une demande indemnitaire préalable, rejetée le 7 juillet 2016, puis une action indemnitaire, enregistrée devant le tribunal administratif de Grenoble dès le 6 septembre 2016. Aucune prescription quadriennale ne peut dès lors lui être opposée.
S'agissant du principe de la responsabilité :
7. Il est constant que la CCI a omis de régler intégralement les cotisations dues au titre du régime de retraite complémentaire ARRCO garanti statutairement à M. B.... Elle a ainsi commis une faute de nature à engager sa responsabilité à l'égard de ce dernier.
8. Il résulte des dispositions statutaires des chambres de commerce et d'industrie, ainsi que du règlement de prévoyance sociale et de retraite annexé à l'article 52 de ces statuts, que ces dispositions visent, selon l'article 1er des statuts, les " agents ayant la qualité d'agent de droit public et qui occupent un emploi permanent à temps complet " ou " travaillant à temps partiel, à condition que ces agents accomplissent un service au moins égal à la moitié de la durée hebdomadaire du travail d'un agent à temps complet et qu'ils n'exercent aucune autre activité professionnelle rémunérée ou non ". En revanche, l'article 52 ne concerne pas les agents contractuels, dont le régime est défini C... le seul titre IV du statut. Ainsi, M. B... ne peut invoquer la faute consistant dans le non-versement des cotisations d'assurance retraite complémentaires prévues statutairement qu'à compter du 1er juin 2000, date de sa titularisation. Il ne peut exciper de l'illégalité de la décision individuelle de titularisation, devenue définitive, en soutenant qu'elle aurait dû prendre effet à une date antérieure. La période fautive part donc du 1er juin 2000 et a généré un déficit de cotisation, qui a entrainé une perte partielle de droits à retraite complémentaire.
S'agissant du montant du préjudice :
9. M. B... est né le 6 juin 1948. Il a été titularisé le 1er juin 2000. Enfin, il a été admis à faire valoir ses droits à la retraite à compter du 1er avril 2011.
10. En premier lieu, la CCI a produit une reconstitution, non sérieusement contestée, fondée sur les rémunérations effectivement versées durant la période litigieuse, dont il résulte que, compte tenu du taux de 5 % (6,25 % appelés) qui, appliqué aux rémunérations qu'elle a effectivement versées, aurait dû être consacré à la constitution de droits à retraite complémentaire, M. B... aurait dû bénéficier de la constitution de 1 417,08 points, ce qui, à la valeur du point, aurait dû lui permettre de bénéficier de droits additionnels à retraite complémentaire à hauteur d'un montant annuel de 1 773 euros.
11. En deuxième lieu, ainsi qu'il a été dit, M. B... a fait valoir ses droits à la retraite à compter du 1er avril 2011.
12. D'une part, du 1er avril 2011 à la date du présent arrêt, le préjudice de perte de droits à retraite complémentaire échu s'élève à 21 276 euros.
13. D'autre part, à la date du présent arrêt, M. B... est âgé de 74 ans. Eu égard au taux de capitalisation de 11,941 déterminé, pour une personne de sexe masculin âgée de 74 ans, C... la table de capitalisation établie C... l'ONIAM pour les besoins de l'édition du 1er avril 2022 de son référentiel d'indemnisation, M. B... peut ainsi prétendre à la somme totale de 21 171,39 euros correspondant à la capitalisation du montant annuel de la perte de droits à retraite complémentaire qu'il subira postérieurement au présent arrêt. La circonstance que les tables de mortalité révèlent une espérance de vie différente pour les femmes et les hommes, ce qui impacte nécessairement les conditions de capitalisation viagère d'un préjudice, constitue un constat de fait caractérisant une différence objective et pertinente de situation, qui doit être prise en compte dans la réparation intégrale du préjudice, et non une discrimination liée au sexe. M. B... n'est dès lors pas fondé à demander à bénéficier d'un taux de capitalisation selon la table applicable aux femmes.
14. Il résulte de ce qui vient d'être dit que le préjudice total de perte de droits à retraite complémentaire subi C... M. B... s'élève à la somme de 42 447,39 euros.
15. En troisième lieu, il résulte toutefois de l'instruction que les cotisations omises comprenaient, pour 2/3 la part patronale et pour 1/3 la part salariale. Si cette dernière n'a pas été versée à l'ARRCO pour constituer des droits à retraite complémentaire, elle n'a pas non plus été prélevée sur les salaires versés à M. B..., constituant ainsi à son bénéfice une majoration de salaire net, qu'invoque la CCI et qui est de nature à venir en compensation du préjudice subi. Il résulte de la reconstitution financière précitée produite C... la CCI en appel et non sérieusement contestée, que la part salariale des cotisations omises, pour la période litigieuse, s'élevait au montant total de 5 469 euros. Ce montant, qui a bénéficié à M. B..., doit ainsi être déduit du préjudice indemnisable, qui s'élève dès lors à 36 978,39 euros.
16. En quatrième lieu, la somme précitée due à M. B... doit être assortie d'intérêts au taux légal à compter du 12 mai 2016, date de réception de sa demande indemnitaire préalable. La capitalisation des intérêts a été demandée pour la première fois dans le mémoire enregistré en première instance le 29 mai 2018. A cette date, il était dû au moins une année d'intérêts. La capitalisation doit donc intervenir au 29 mai 2018 et à chaque échéance annuelle à compter de cette date.
Sur les frais de l'instance :
17. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de la CCI de Grenoble la somme de 1 500 euros à verser à M. B... sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. La CCI étant la partie perdante pour l'essentiel, ses conclusions présentées sur le même fondement doivent être rejetées.
DECIDE :
Article 1er : La chambre de commerce et d'industrie de Grenoble est condamnée à verser à M. A... B... la somme de 36 978,39 euros, portant intérêts au taux légal à compter du 12 mai 2016, ces intérêts étant eux-mêmes capitalisés au 29 mai 2018 et à chaque échéance annuelle à compter de cette date.
Article 2 : La somme de 1 500 euros, à verser à M. A... B..., est mise à la charge de la chambre de commerce et d'industrie de Grenoble sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le surplus des conclusions des parties restant en litige est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et à la chambre de commerce et d'industrie de Grenoble.
Délibéré après l'audience du 6 avril 2023, à laquelle siégeaient :
M. Pourny, président de chambre,
M. Stillmunkes, président assesseur,
Mme Bentéjac, première conseillère.
Rendu public C... mise à disposition au greffe le 4 mai 2023.
Le rapporteur,
H. Stillmunkes
Le président,
F. Pourny
La greffière,
F. Abdillah
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
La greffière,
2
N° 22LY01777