La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

27/04/2023 | FRANCE | N°22LY03488

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 7ème chambre, 27 avril 2023, 22LY03488


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

Mme C... a demandé au tribunal administratif de Clermont-Ferrand d'annuler l'arrêté du 29 septembre 2022 par lequel le préfet du Rhône a décidé la remise aux autorités lituaniennes en vue de l'examen de sa demande d'asile.

Par un jugement n° 2202180 du 2 novembre 2022, le magistrat désigné par la présidente du tribunal a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour

Par une requête enregistrée le 28 novembre 2022, présentée pour Mme A..., il est demandé à la cour :

1°) d

'annuler ce jugement n° 2202180 du 2 novembre 2022 ;

2°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision susme...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

Mme C... a demandé au tribunal administratif de Clermont-Ferrand d'annuler l'arrêté du 29 septembre 2022 par lequel le préfet du Rhône a décidé la remise aux autorités lituaniennes en vue de l'examen de sa demande d'asile.

Par un jugement n° 2202180 du 2 novembre 2022, le magistrat désigné par la présidente du tribunal a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour

Par une requête enregistrée le 28 novembre 2022, présentée pour Mme A..., il est demandé à la cour :

1°) d'annuler ce jugement n° 2202180 du 2 novembre 2022 ;

2°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision susmentionnée ;

3°) d'enjoindre au préfet du Rhône de l'admettre au séjour au titre de l'asile, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'État le paiement d'une somme de 1 500 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Elle soutient que :

- la décision méconnaît l'article 4 et l'article 5 du règlement du 26 juin 2013 dès lors qu'il ne ressort pas du résumé de l'entretien individuel qu'il a été mené par un agent qualifié et que les informations prévues par l'article 4 du règlement susvisé lui auraient été données ;

- il n'est pas justifié de la délégation de compétence de l'agent instructeur de la demande pour procéder à l'établissement d'une demande de prise en charge d'un demandeur d'asile ni à la notification d'arrêtés portant transfert d'une demande d'asile ;

- le préfet s'est abstenu d'examiner la possibilité de l'admettre au séjour ;

- la décision méconnaît l'article 29 du règlement du 26 juin 2013 dès lors que la Lituanie, qui n'a pas entrepris de démarche pour procéder à un transfert de sa demande d'asile ou à son éloignement, était libérée de son obligation de prise en charge de sa demande d'asile ;

- la décision méconnaît l'article 17 du règlement du 26 juin 2013, l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, eu égard à l'état de santé de sa fille, qui fait l'objet d'un important suivi médical du fait de sa pathologie à la date de la décision en litige et à son propre état de santé ; elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.

Par un mémoire enregistré le 24 février 2023, la préfète du Rhône conclut au rejet de la requête.

Elle soutient que les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- le règlement (CE) n° 1560/2003 de la Commission du 2 septembre 2003 modifié par le règlement (UE) n° 118/2014 de la Commission du 30 janvier 2014 ;

- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'État membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative ;

Le président de la formation de jugement ayant dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Le rapport de M. Seillet, président assesseur, ayant été entendu au cours de l'audience publique ;

Considérant ce qui suit :

1. Mme A..., de nationalité azerbaïdjanaise, née le 7 août 1978 à Zaqatala (Azerbaïdjan), entrée en France le 17 mai 2022, selon ses déclarations, a déposé une demande d'asile enregistrée à la préfecture du Puy-de-Dôme le 20 mai 2022. L'examen du passeport de Mme A... a fait alors apparaître que les autorités lituaniennes lui avaient délivré un visa valable du 1er mai au 23 mai 2022 qui lui avait permis de pénétrer sur le territoire des États membres. Les autorités lituaniennes, saisies d'une demande de prise en charge de Mme A..., le 9 juin 2022, ont donné leur accord implicite pour sa réadmission le 10 août 2022. Par arrêté du 29 septembre 2022, le préfet du Rhône a ordonné son transfert aux autorités lituaniennes, responsables de sa demande d'asile. Mme A... relève appel du jugement du 2 novembre 2022 par lequel le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Clermont-Ferrand a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision du préfet du Rhône du 29 septembre 2022.

2. En premier lieu, Mme A... a bénéficié d'un entretien le 20 mai 2022 avec un agent du service compétent de la préfecture du Puy-de-Dôme, qui est un agent qualifié au sens du 5 de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013. L'article 5 du règlement (UE) n°604/2013 du 26 juin 2013 n'exige pas que le résumé de l'entretien individuel mentionne l'identité et la qualité de l'agent qui l'a conduit.

3. En deuxième lieu, aux termes de l'article 4 du règlement (UE) n° 604-2013 du 26 juin 2013 : " 1. Dès qu'une demande de protection internationale est introduite au sens de l'article 20, paragraphe 2, dans un État membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de l'application du présent règlement et notamment : a) des objectifs du présent règlement (...) b) des critères de détermination de l'État membre responsable, de la hiérarchie de ces critères au cours des différentes étapes de la procédure et de leur durée (...) 2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend. Les États membres utilisent la brochure commune rédigée à cet effet en vertu du paragraphe 3. Si c'est nécessaire à la bonne compréhension du demandeur, les informations lui sont également communiquées oralement, par exemple lors de l'entretien individuel (...) ". Il résulte de ces dispositions que le demandeur d'asile auquel l'administration entend faire application du règlement du 26 juin 2013 doit se voir remettre, dès le moment où le préfet est informé de ce qu'il est susceptible d'entrer dans le champ d'application de ce règlement, et en tout état de cause en temps utile, une information complète sur ses droits, par écrit et dans une langue qu'il comprend.

4. Il ressort des pièces du dossier et, en particulier, de la signature apposée sur ces documents par la requérante, que Mme A... s'est vu remettre, le 20 mai 2022, et à l'occasion de l'entretien individuel, soit en temps utile pour faire valoir ses observations, les brochures A et B conformes aux modèles figurant à 1'annexe X du règlement d'exécution (UE) n° 118/2014 de la Commission du 30 janvier 2014, qui contiennent l'ensemble des informations prescrites par les dispositions précitées et que ces informations ont été portées à sa connaissance oralement, avec le concours d'un interprète, en langue azéri, que l'intéressée a déclaré comprendre et dans laquelle il n'existe pas de traduction officielle de ces brochures. Par suite, elle n'est pas fondée à soutenir que la décision ordonnant sa remise aux autorités lituaniennes méconnaît l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 et les garanties du droit d'asile.

5. En troisième lieu, d'une part, la demande de prise en charge adressée aux autorités d'un autre État membre, dans le cadre du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, ne revêtant pas le caractère d'une décision administrative, il est sans incidence sur sa régularité que l'agent de la préfecture qui l'a présenté soit titulaire d'une délégation de signature tandis que son habilitation et sa qualification résultent de son affectation au service chargé du traitement des demandes d'asile et de son appartenance à un corps de la fonction publique lui donnant vocation à instruire de telles demandes sous l'autorité du préfet. Le moyen tiré de l'incompétence de l'agent qui a adressé une telle demande aux autorités lituaniennes doit donc être écarté. D'autre part, dès lors que les conditions de notification d'une décision administrative sont sans incidence sur sa légalité, le moyen tiré de l'incompétence de l'agent ayant procédé à la notification de la décision en litige doit être écarté comme inopérant.

6. En quatrième lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier que le préfet du Rhône qui a, en particulier, examiné la situation familiale de Mme A..., se serait abstenu d'examiner la possibilité de l'admettre au séjour.

7. En cinquième lieu, aux termes de l'article 29 du règlement (UE) n° 604/2013 précité : " 1. Le transfert du demandeur (...) de l'État membre requérant vers l'État membre responsable s'effectue conformément au droit national de l'État membre requérant, après concertation entre les États membres concernés, dès qu'il est matériellement possible et, au plus tard, dans un délai de six mois à compter de l'acceptation par un autre État membre de la requête aux fins de prise en charge ou de reprise en charge de la personne concernée ou de la décision définitive sur le recours ou la révision lorsque l'effet suspensif est accordé conformément à l'article 27, paragraphe 3. (...) ; 2. Si le transfert n'est pas exécuté dans le délai de six mois, l'État membre responsable est libéré de son obligation de prendre en charge ou de reprendre en charge la personne concernée et la responsabilité est alors transférée à l'État membre requérant. Ce délai peut être porté (...) à dix-huit-mois au maximum si la personne concernée prend la fuite (...) ". Aux termes du paragraphe 2 de l'article 9 du règlement (CE) n° 1560/2003 du 2 septembre 2003, modifié par le règlement d'exécution (UE) n° 118/2014 de la Commission du 30 janvier 2014 : " Il incombe à l'État membre qui, pour un des motifs visés à l'article 29, paragraphe 2, du règlement (UE) n° 604/2013, ne peut procéder au transfert dans le délai normal de six mois à compter de la date de l'acceptation de la requête aux fins de prise en charge ou de reprise en charge de la personne concernée, ou de la décision finale sur le recours ou le réexamen en cas d'effet suspensif, d'informer l'État responsable avant l'expiration de ce délai. À défaut, la responsabilité du traitement de la demande de protection internationale et les autres obligations découlant du règlement (UE) n° 604/2013 incombent à cet État membre conformément aux dispositions de l'article 29, paragraphe 2, dudit règlement ".

8. Il résulte de la combinaison de ces dispositions que l'introduction d'un recours devant le tribunal administratif contre la décision de transfert a pour effet d'interrompre le délai de six mois fixé à l'article 29 du règlement (UE) n° 604/2013, qui courait à compter de l'acceptation du transfert par l'État requis, délai qui recommence à courir intégralement à compter de la date à laquelle le jugement du tribunal administratif, statuant au principal sur cette demande, quel que soit le sens de sa décision, a été notifié à l'administration. Ni un appel ni le sursis à exécution du jugement accordé par le juge d'appel sur une demande présentée en application de l'article R. 811-15 du code de justice administrative n'ont pour effet d'interrompre ce nouveau délai. L'expiration du délai prolongé a pour conséquence que l'État requérant devient responsable de l'examen de la demande de protection internationale.

9. La demande de Mme A... devant le tribunal administratif de Clermont-Ferrand, enregistrée le 13 octobre 2022, a interrompu le délai de six mois fixé à l'article 29 du règlement (UE) n° 604/2013, qui courait à compter de l'acceptation du transfert par la Lituanie, le 10 août 2022. Ce délai, qui n'était pas expiré à la date du jugement attaqué, a recommencé à courir à compter de la notification au préfet du Rhône du jugement de ce tribunal, en date du 3 novembre 2022, et ce délai n'est pas davantage expiré à celle du présent arrêt. Dès lors, Mme A..., qui ne peut utilement se prévaloir de ce qu'à la date de la décision en litige, les autorités lituaniennes n'avaient procédé à aucune démarche en vue d'exécuter cette décision, n'est pas fondée à soutenir que la France est devenue l'État responsable de l'examen de sa demande d'asile.

10. En dernier lieu, aux termes de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 : " 1. Par dérogation (...), chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers (...), même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement (...) ". La faculté qu'ont les autorités françaises d'examiner une demande d'asile présentée par un ressortissant d'un État tiers, alors même que cet examen ne leur incombe pas, relève de l'entier pouvoir discrétionnaire du préfet, et ne constitue nullement un droit pour les demandeurs d'asile.

11. D'une part, si Mme A... a produit en appel un bilan sénologique réalisé par un centre d'imagerie médicale le 8 novembre 2022 et un résultat d'examen de microbiopsie réalisé le 14 novembre 2022, soit au demeurant postérieurement à la date de la décision en litige, ces pièces médicales, qui évoquent la présence d'un adénocarcinome mammaire et la nécessité d'une prise en charge oncologique et de nouveaux examens d'imagerie et de biopsie ne sont pas de nature à établir l'impossibilité pour la requérante, à la date de la décision qu'elle conteste, de bénéficier de traitements adaptés à son état de santé en Lituanie. D'autre part, la circonstance que sa fille se soit vu attribuer, en septembre 2022 une allocation d'éducation de l'enfant à raison d'un handicap justifiant un taux d'incapacité supérieur ou égal à 80 % n'est pas davantage de nature à établir l'impossibilité pour cette enfant d'une prise en charge dans le pays de transfert. Il résulte de ce qui précède que le préfet du Rhône n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation en ne faisant pas usage de la clause discrétionnaire prévue au 1 de l'article 17 précité du règlement (UE) n° 604/2013. Il n'a pas davantage entaché la décision en litige d'une violation des stipulations de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ni de celles de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ou d'une erreur manifeste d'appréciation de sa situation. Par ailleurs, la seule circonstance qu'à la suite de l'examen de sa demande de protection, Mme A... serait susceptible d'être éloignée à destination de l'Azerbaïdjan ne peut caractériser la méconnaissance par la Lituanie de ses obligations, ni la méconnaissance par la France des obligations résultant des articles 3 de la convention européenne des droits de l'homme et 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.

12. Il résulte de ce qui précède que Mme A... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Clermont-Ferrand a rejeté sa demande. Doivent être rejetées, par voie de conséquence, ses conclusions aux fins d'injonction et tendant à la mise à la charge de l'État d'une somme au titre des frais exposés à l'occasion de la présente instance dans les conditions prévues par les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de Mme A... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Copie en sera adressée à la préfète du Rhône.

Délibéré après l'audience du 6 avril 2023 à laquelle siégeaient :

M. Picard, président de chambre ;

M. Seillet, président assesseur ;

Mme Djebiri, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 27 avril 2023.

Le rapporteur,

Ph. SeilletLe président,

V.-M. PicardLe président,

V.-M. Picard

La greffière,

A. Le Colleter

La greffière,

A. Le Colleter

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition,

La greffière,

1

N° 22LY03488 2

al


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 7ème chambre
Numéro d'arrêt : 22LY03488
Date de la décision : 27/04/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

095


Composition du Tribunal
Président : M. PICARD
Rapporteur ?: M. Philippe SEILLET
Rapporteur public ?: M. RIVIERE
Avocat(s) : REMEDEM

Origine de la décision
Date de l'import : 07/05/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2023-04-27;22ly03488 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award