Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société MATSO a demandé au tribunal administratif de Dijon, d'une part, d'annuler la décision par laquelle la société ENEDIS a implicitement rejeté sa demande du 16 juillet 2018 tendant au déplacement de la ligne électrique édifiée sur les parcelles cadastrées ZB 18, 19, 20, 231, 233, 235 et 24 lui appartenant, situées au lieu-dit " Es Maitres Cornes ", à Saint-Usage, d'autre part, d'enjoindre à la société ENEDIS de déplacer cette ligne électrique.
Par un jugement n° 1803011 du 2 avril 2021, le tribunal administratif de Dijon a rejeté cette demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 2 juin 2021, la SAS MATSO, représentée par Me Barberousse, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1803011 du 2 avril 2021 du tribunal administratif de Dijon ;
2°) d'enjoindre à la société ENEDIS de déplacer la ligne électrique édifiée sur les parcelles cadastrées ZB 18, 19, 20, 231, 233, 235 et 24 lui appartenant, situées au lieu-dit " Es Maitres Cornes ", à Saint-Usage, dans un délai de trois mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;
3°) de mettre à la charge de la société ENEDIS une somme de 3 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
La société MATSO soutient que :
- l'emprise de la ligne sur sa propriété est irrégulière en l'absence de notification de l'arrêté préfectoral du 29 janvier 1976 aux propriétaires des parcelles concernées ;
- cette irrégularité n'est pas régularisable dès lors qu'elle n'entend conclure aucune convention de servitude d'implantation de poteaux et de survol de lignes ; par ailleurs, aucune déclaration d'utilité publique n'est possible et l'article 2AU-4 du plan local d'urbanisme en cours d'adoption s'oppose à la mise en place de réseaux aériens ou enterrés ;
- aucun motif d'intérêt général, tenant à des contraintes techniques ou au coût, ne s'oppose à ce que les lignes en cause soient ôtées de son terrain, ce qui lui permettrait de réaliser son propre projet d'implantation d'une surface commerciale ;
- l'article L. 323-6 du code de l'énergie donne au propriétaire un droit à obtenir le déplacement des ouvrages implantés sur sa propriété.
Par un mémoire en défense enregistré le 20 juin 2022, la SA ENEDIS, représentée par la SCP RIVA et Associés, conclut :
1°) au rejet de la requête ;
2°) à ce que la somme de 2 000 euros soit mise à la charge de la société requérante sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
La société ENEDIS soutient que :
- en application de l'article 2227 du code civil, l'action en démolition est prescrite ;
- subsidiairement, l'emprise n'est pas irrégulière, dès lors qu'elle repose sur une convention pour les parcelles ZB 18 et ZB 19, et sur un arrêté préfectoral du 29 janvier 1976 pour les autres ; l'absence de notification est sans incidence compte tenu des dispositions de l'article L. 323-5 du code de l'énergie ;
- en outre, il s'agit d'une ligne haute tension majeure, qui participe à la desserte de la commune et ne pourrait être supprimée sans atteinte à l'intérêt général ; le coût de son déplacement serait également une atteinte à l'intérêt général ; à l'inverse, la société requérante ne se prévaut que d'un projet encore purement potentiel et subordonné à la modification des règles d'urbanisme.
Par ordonnance du 21 juin 2022, la clôture d'instruction a été fixée au 1er août 2022 à 16h30.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code civil ;
- le code de l'énergie ;
- la loi du 15 juin 1906 sur les distributions d'énergie ;
- la loi n° 46-628 du 8 avril 1946 sur la nationalisation de l'électricité et du gaz ;
- le décret n° 67-886 du 6 octobre 1967 portant règlement d'administration publique pour l'application de la loi du 15 juin 1906 sur les distributions d'énergie et de la loi du 16 octobre 1919 relative à l'utilisation de l'énergie hydraulique ;
- le décret n° 70-492 du 11 juin 1970 pris pour l'application de l'article 35 modifié de la loi du 8 avril 1946 concernant la procédure de déclaration d'utilité publique des travaux d'électricité et de gaz qui ne nécessitent que l'établissement de servitudes ainsi que les conditions d'établissement desdites servitudes ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Stillmunkes, président-assesseur,
- les conclusions de Mme Cottier, rapporteure publique,
- et les observations de Me Cadet, représentant la société Enedis.
Considérant ce qui suit :
1. La société MATSO a acquis en mai et juillet 2016 les parcelles cadastrées ZB 18, 19, 20, 24, 231, 233 et 235, au lieu-dit " Es Maîtres Cornes ", sur le territoire de la commune de Saint-Usage. Elle expose qu'elle envisage, sous réserve d'une modification des règles d'urbanisme, d'y implanter une surface commerciale sous l'enseigne Intermarché. Par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Dijon a rejeté sa demande tendant à ce qu'il soit enjoint à la société ENEDIS d'enlever de sa propriété une ligne électrique haute tension qui la traverse pour les besoins de la desserte en électricité de la commune.
2. Lorsqu'il est saisi d'une demande tendant à ce que soit ordonnée la démolition d'un ouvrage public dont il est allégué qu'il est irrégulièrement implanté par un requérant qui estime subir un préjudice du fait de l'implantation de cet ouvrage et qui en a demandé sans succès la démolition à l'administration, il appartient au juge administratif, juge de plein contentieux, de déterminer, en fonction de la situation de droit et de fait existant à la date à laquelle il statue, si l'ouvrage est irrégulièrement implanté, puis, si tel est le cas, de rechercher, d'abord, si eu égard notamment à la nature de l'irrégularité, une régularisation appropriée est possible, puis, dans la négative, de prendre en considération, d'une part les inconvénients que la présence de l'ouvrage entraîne pour les divers intérêts publics ou privés en présence, notamment, le cas échéant, pour le propriétaire du terrain d'assiette de l'ouvrage, d'autre part, les conséquences de la démolition pour l'intérêt général, et d'apprécier, en rapprochant ces éléments, si la démolition n'entraîne pas une atteinte excessive à l'intérêt général.
3. En premier lieu, s'agissant des parcelles cadastrées ZB 18 et ZB 19, ainsi que l'a relevé le tribunal sans contestation en appel, la société ENEDIS a justifié de ce que l'implantation de poteaux électriques et le survol de lignes électriques ont été réalisés en exécution de conventions de reconnaissance de servitudes, régulièrement conclues avec les propriétaires en application de l'article 1er du décret susvisé du 6 octobre 1967. La circonstance qu'aucun arrêté préfectoral n'aurait été notifié est, dès lors, sans incidence utile. L'implantation des ouvrages en litige sur ces parcelles n'est dès lors entachée d'aucune irrégularité.
4. En deuxième lieu, aux termes de l'article 12 de la loi susvisée du 15 juin 1906 applicable lors de l'implantation des ouvrages, actuellement repris à l'article L. 323-4 du code de l'énergie : " (...) / La déclaration d'utilité publique d'une distribution d'énergie confère, en outre, au concessionnaire le droit : / (...) / 2° De faire passer les conducteurs d'électricité au-dessus des propriétés privées, sous les mêmes conditions et réserves que celles spécifiques à l'alinéa 1° ci-dessus ; / 3° D'établir à demeure des canalisations souterraines, ou des supports pour conducteurs aériens, sur des terrains privés non bâtis, qui ne sont pas fermés de murs ou autres clôtures équivalentes (...) / L'exécution des travaux prévus aux alinéas 1° à 4° ci-dessus doit être précédée d'une notification directe aux intéressés et d'une enquête spéciale dans chaque commune ; elle ne peut avoir lieu qu'après approbation du projet de détail des tracés par le préfet (...) ". Aux termes de l'article 35 de la loi susvisée du 8 avril 1946 : " Les servitudes d'ancrage, d'appui, de passage, d'abattage d'arbres, d'aqueduc, de submersion et d'occupation temporaire s'appliquent dès la déclaration d'utilité publique des travaux. / Un décret déterminera les formes de la déclaration d'utilité publique des travaux qui ne nécessitent que l'établissement de servitudes et n'impliquent aucun recours à l'expropriation. Ce décret fixera également les conditions d'établissement desdites servitudes ". Aux termes de l'article 18 du décret susvisé du 11 juin 1970, pris pour l'application de ces dispositions, actuellement repris à l'article R. 323-14 du code de l'énergie : " (...) / Les servitudes sont instituées par arrêté préfectoral. / (...) / [Cet arrêté est] notifié par le maire ou en son nom par un fonctionnaire communal assermenté, à moins que le demandeur ne préfère procéder à cette notification par lettre recommandée avec demande d'avis de réception à chaque propriétaire intéressé ainsi que, en ce qui concerne les servitudes imposées pour l'établissement des lignes d'énergie électrique à chaque exploitant pourvu d'un titre régulier d'occupation (...) ". Enfin, aux termes de l'article 19 du même décret, actuellement repris à l'article R. 323-15 du code de l'énergie : " Après accomplissement des formalités mentionnées à l'article précédent, le demandeur est autorisé à exercer les servitudes ". Il résulte de ces dispositions que l'exécution des arrêtés préfectoraux instituant des servitudes pour le besoin du passage de lignes électriques ne peut s'opérer avant que l'arrêté ait été notifié aux propriétaires concernés.
5. S'agissant des parcelles cadastrées ZB 20, ZB 24, ZB 231 (alors 21), ZB 233 (alors 22) et ZB 235 (alors 23), il résulte de l'instruction que les servitudes en litige ont été instituées par arrêté du préfet de la Côte d'Or du 29 janvier 1976. Il ne résulte pas de l'instruction que cet arrêté aurait été régulièrement notifié avant l'installation des ouvrages et l'exercice des servitudes. Il est vrai que le défaut de notification de cet arrêté avant la réalisation des travaux est en elle-même sans incidence sur sa légalité. En revanche, dès lors que ce vice faisait obstacle à la mise à exécution régulière de l'arrêté, les ouvrages en cause doivent être regardés comme ayant été irrégulièrement implantés.
6. Toutefois, le seul vice tenant au défaut de notification de l'arrêté précité, qui n'affecte pas son bien-fondé ni sa légalité, est régularisable. Il est constant que cet arrêté a été régulièrement porté à la connaissance de la société MATSO, actuelle propriétaire des parcelles, au plus tard dans le cadre de la présente instance. Eu égard à l'office du juge du plein contentieux, le vice invoqué doit, ainsi, être regardé comme ayant été régularisé à la date du présent arrêt.
7. En troisième lieu, l'article 2AU 4 du plan local d'urbanisme qui est invoqué, est relatif à la desserte des terrains par les réseaux. Il ne peut dès lors être utilement invoqué pour le passage d'une ligne électrique qui n'a pas pour objet la desserte spéciale des parcelles en cause, mais se rattache plutôt au réseau général de distribution d'énergie électrique.
8. En quatrième lieu, aux termes de l'article L. 323-6 du code de l'énergie : " La servitude établie n'entraîne aucune dépossession. / La pose d'appuis sur les murs ou façades ou sur les toits ou terrasses des bâtiments ne peut faire obstacle au droit du propriétaire de démolir, réparer ou surélever. La pose des canalisations ou supports dans un terrain ouvert et non bâti ne fait pas non plus obstacle au droit du propriétaire de se clore ou de bâtir ". Ces dispositions, qui reprennent des dispositions de l'article 12 de la loi susvisée du 15 juin 1906, n'ont, contrairement à ce qu'allègue la société requérante, pas pour objet de garantir au propriétaire un droit à obtenir le déplacement hors de son terrain d'ouvrages du réseau de distribution électrique, mais visent plutôt à confirmer que les servitudes liées à ces ouvrages ne font pas obstacle à l'exercice du droit de propriété, pour le reste de la parcelle et des constructions privées éventuelles, dans la seule limite du respect des servitudes d'utilité publique qui ont été instituées. Le moyen tiré de ce que cet article impliquerait qu'il soit fait droit à une demande de déplacement des ouvrages en litige hors des parcelles appartenant à la société requérante doit, en conséquence, être écarté.
9. Il résulte de tout ce qui précède que la société MATSO n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Dijon a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent également être rejetées.
10. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de la société MATSO une somme de 1 500 euros, à verser à la société ENEDIS sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DECIDE :
Article 1er : La requête de la société MATSO est rejetée.
Article 2 : La somme de 1 500 euros, à verser à la société ENEDIS, est mise à la charge de la société MATSO sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société MATSO et à la société ENEDIS.
Délibéré après l'audience du 23 mars 2023, à laquelle siégeaient :
M. Pourny, président de chambre,
M. Stillmunkes, président assesseur,
Mme Bentéjac, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 7 avril 2023.
Le rapporteur,
H. Stillmunkes
Le président,
F. Pourny
La greffière,
F. Abdillah
La République mande et ordonne à la ministre de la transition énergétique, en ce qui la concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
La greffière,
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N° 21LY01755