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07/04/2023 | FRANCE | N°21LY01736

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 6ème chambre, 07 avril 2023, 21LY01736


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... A... a demandé au tribunal administratif de Dijon d'annuler l'arrêté du 21 octobre 2019 par lequel le président du conseil départemental de ... a prononcé la suspension de l'activité du lieu de vie et d'accueil ... pour une durée de six mois.

Par un jugement n° 1903075 du 2 avril 2021, le tribunal administratif de Dijon a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 28 mai 2021, M. A..., représenté par Me Geslain, demande à la cour :
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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... A... a demandé au tribunal administratif de Dijon d'annuler l'arrêté du 21 octobre 2019 par lequel le président du conseil départemental de ... a prononcé la suspension de l'activité du lieu de vie et d'accueil ... pour une durée de six mois.

Par un jugement n° 1903075 du 2 avril 2021, le tribunal administratif de Dijon a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 28 mai 2021, M. A..., représenté par Me Geslain, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement et l'arrêté du 21 octobre 2019 par lequel le président du conseil départemental de ... a prononcé la suspension de l'activité du lieu de vie et d'accueil " ... " pour une durée de six mois ;

2°) de mettre à la charge du département de ... la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le jugement est irrégulier dès lors que le juge des référés, qui a eu à connaître d'un référé suspension contre l'arrêté prononçant la suspension de l'activité de M. A..., a siégé en qualité de président de la formation de jugement ;

- la décision a été prise par une autorité incompétente en l'absence de délégation de signature ;

- elle a été prise à la suite d'une procédure irrégulière dès lors que le département ne justifie d'aucune urgence le dispensant d'adresser une injonction préalable et de respecter la procédure contradictoire préalable prévue à l'article L. 121-1 du code des relations entre le public et l'administration ;

- les faits qui ont conduit au prononcé de la mesure de suspension de l'activité du lieu de vie ne sont pas matériellement établis ;

- la décision est entachée d'une erreur d'appréciation.

Par un mémoire en défense, enregistré le 23 septembre 2022, le département de ..., représenté par Me Saban, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mis à la charge de M. A... le versement d'une somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que les moyens soulevés ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'action sociale et des familles ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Bentéjac, première conseillère,

- les conclusions de Mme Cottier, rapporteure public,

- et les observations de Me Dandon, substituant Me Geslain, représentant M. A... et celles de Me Rubio, substituant Me Saban, représentant le département de ....

Considérant ce qui suit :

1. M. A... a été autorisé par un arrêté du 8 octobre 2004 à créer un lieu de vie et d'accueil (LVA) " ... " de quatre places avec une place supplémentaire de dépannage pour des adolescents âgés de 13 à 18 ans avec habilitation au titre de l'aide sociale départementale. A la suite de l'intervention de plusieurs informations préoccupantes ainsi que de courriers reçus faisant état de violences physiques et psychologiques commises par les intervenants à l'encontre des jeunes accueillis, le président du conseil départemental de ... a, par arrêté du 21 octobre 2019, décidé la suspension, pour une durée de six mois, de l'activité du lieu de vie et d'accueil " ... ". M. A..., qui a demandé au tribunal administratif de Dijon l'annulation de cet arrêté relève appel du jugement du 2 avril 2021 par lequel le tribunal administratif de Dijon a rejeté sa demande.

Sur la régularité du jugement :

2. Saisi sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative d'une demande tendant à ce qu'il prononce, à titre provisoire et conservatoire, la suspension d'une décision administrative, le juge des référés procède dans les plus brefs délais à une instruction succincte - distincte de celle au vu de laquelle le juge saisi du principal statuera - pour apprécier si les préjudices que l'exécution de cette décision pourrait entraîner sont suffisamment graves et immédiats pour caractériser une situation d'urgence, et si les moyens invoqués apparaissent, en cet état de l'instruction, de nature à faire naître un doute sérieux sur la légalité de la décision. Il se prononce par une ordonnance qui n'est pas revêtue de l'autorité de la chose jugée et dont il peut lui-même modifier la portée au vu d'un élément nouveau invoqué devant lui par toute personne intéressée.

3. Eu égard à la nature de l'office ainsi attribué au juge des référés, la seule circonstance qu'un magistrat a statué sur une demande tendant à la suspension de l'exécution d'une décision administrative n'est pas, par elle-même, de nature à faire obstacle à ce qu'il se prononce ultérieurement sur la requête en qualité de juge du principal. Toutefois, dans le cas où il apparaîtrait, compte tenu notamment des termes mêmes de l'ordonnance, qu'un magistrat statuant comme juge des référés aurait préjugé l'issue du litige, ce magistrat ne pourrait, sans méconnaître le principe d'impartialité, se prononcer ultérieurement comme juge du principal.

4. Il ressort des pièces du dossier que, par son ordonnance du 21 novembre 2019, le juge des référés ne s'est pas borné à relever qu'aucun des moyens n'était de nature, en l'état de l'instruction, à faire naître un doute sérieux sur la légalité de la décision, mais a expressément indiqué que la matérialité des griefs de maltraitance n'était pas établie par les pièces produites par le département. Le juge des référés a ainsi statué sur une question se posant dans les mêmes termes pour l'examen de la requête au fond et ainsi, a préjugé l'issue du litige. Dès lors, le juge du fond étant le même magistrat que le juge des référés, le jugement du 2 avril 2021 a été rendu dans des conditions irrégulières. Par suite, M. A... est fondé à demander l'annulation du jugement attaqué.

5. Il y a lieu, en l'espèce, pour la cour d'évoquer et de statuer immédiatement sur les conclusions présentées en première instance et en appel pour M. A....

Sur les conclusions à fin d'annulation :

6. En premier lieu, l'arrêté attaqué a été pris par M. D..., directeur général des services, qui disposait d'une délégation permanente du président du conseil départemental de ... à l'effet notamment de signer, en toutes matières, tous les actes, arrêtés, décisions, documents et correspondances administratives concernant les affaires du département de ..., à l'exception d'actes au nombre desquels ne figure pas la décision attaquée. Le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de l'acte manque en fait et doit, par suite, être écarté.

7. Aux termes de l'article L. 313-14 du code de l'action sociale et des familles : " I.- Lorsque les conditions d'installation, d'organisation ou de fonctionnement de l'établissement, du service ou du lieu de vie et d'accueil méconnaissent les dispositions du présent code ou présentent des risques susceptibles d'affecter la prise en charge des personnes accueillies ou accompagnées ou le respect de leurs droits, l'autorité compétente en vertu de l'article L. 313-13 peut enjoindre au gestionnaire d'y remédier, dans un délai qu'elle fixe. Ce délai doit être raisonnable et adapté à l'objectif recherché. Elle en informe le conseil de la vie sociale quand il existe et, le cas échéant, le représentant de l'Etat dans le département, ainsi que le procureur de la République dans le cas des établissements et services accueillant des majeurs bénéficiant d'une mesure de protection juridique. L'autorité compétente peut également prévoir les conditions dans lesquelles le responsable de l'établissement, du service ou du lieu de vie et d'accueil assure l'affichage de l'injonction à l'entrée de ses locaux. / Cette injonction peut inclure des mesures de réorganisation ou relatives à l'admission de nouveaux bénéficiaires et, le cas échéant, des mesures individuelles conservatoires, en application du code du travail ou des accords collectifs. (...) ". Aux termes de l'article L. 313-16 du code de l'action sociale et des familles : " I- Lorsque la santé, la sécurité, ou le bien-être physique ou moral des personnes accueillies ou accompagnées sont menacés ou compromis, et s'il n'y a pas été remédié dans le délai fixé par l'injonction prévue à l'article L. 313-14 ou pendant la durée de l'administration provisoire, l'autorité compétente pour délivrer l'autorisation peut décider la suspension ou la cessation de tout ou partie des activités de l'établissement, du service ou du lieu de vie et d'accueil dans les conditions prévues aux articles L. 313-17 et L. 313-18. / En cas d'urgence ou lorsque le gestionnaire refuse de se soumettre au contrôle prévu à l'article L. 313-13, l'autorité compétente pour délivrer l'autorisation peut, sans injonction préalable, prononcer la suspension de l'activité en cause pour une durée maximale de six mois. (...) ".

8. En deuxième lieu, il ressort de la lecture de la décision attaquée que celle-ci fait suite à l'intervention, tout d'abord, d'une information préoccupante en avril 2015 de l'éducatrice référente et de la psychologue en charge du suivi de l'un des jeunes placés au centre faisant état de faits constitutifs de maltraitances physiques et psychologiques au sein du LVA " ... " ayant donné lieu, notamment, à une enquête de la cellule de recueil des informations préoccupantes confirmant lesdits faits et concluant à l'incompatibilité de ces faits avec la poursuite de l'activité de ce lieu de vie et d'accueil. Elle fait également suite à un courrier anonyme du 3 août 2018 dénonçant des faits nouveaux similaires à ceux décrits en 2015 ainsi qu'à un courriel de Mme B..., ex-épouse de M. A..., révélant des faits de maltraitances identiques. Elle fait enfin suite à une nouvelle information préoccupante du 12 octobre 2019 des services de gendarmerie, à la suite de la fugue d'une adolescente, faisant état de faits de violence sur mineur et de violences psychologiques, de même nature que les faits révélés en 2015 et 2018. D'une part, M. A... fait valoir que les faits révélés en 2015 à la suite de l'information préoccupante transmise au procureur ont fait l'objet d'un classement sans suite en janvier 2018 de sorte qu'ils ne peuvent être considérés comme établis et ainsi, fonder la décision en litige. Toutefois, l'autorité de chose jugée en matière pénale ne s'attache qu'aux décisions des juridictions de jugement qui statuent sur le fond de l'action publique et non, comme en l'espèce, aux décisions de classement sans suite. D'autre part, si M. A... fait état du conflit qui l'oppose à son ex-épouse de sorte que le courrier anonyme, qui pourrait être attribué à cette dernière, du 3 août 2018 et le courriel signé de celle-ci ne pourraient être pris en considération, il ressort toutefois des pièces du dossier que ces courriers particulièrement précis et circonstanciés font état de faits identiques à ceux révélés en 2015, à savoir des faits de violences physiques et psychologiques et de propos à caractère sexuel et sont également similaires à ceux ayant donné lieu à la transmission, en 2019, de la seconde information préoccupante qui émane des services de gendarmerie. Par suite, le président du conseil départemental de ... disposait, à la date de la décision attaquée, d'éléments circonstanciés et concordants de nature à laisser à penser que la santé, la sécurité, ou le bien-être physique ou moral des personnes accueillies ou accompagnées au LVA étaient menacés ou compromis. Il pouvait ainsi, conformément aux dispositions précitées, en raison de l'urgence qu'il y avait à protéger ces personnes, prononcer, sur le fondement de l'article L. 313-16 du code de l'action sociale et des familles, la suspension, à titre provisoire, de l'activité du LVA " ... ". Il n'a, ce faisant, entaché sa décision d'aucune erreur d'appréciation.

9. En troisième lieu, il ressort de la lecture de l'arrêté attaqué, ainsi qu'il a été dit précédemment, que celui-ci a été pris, sur le fondement de l'article L. 313-16 du code de l'action sociale et des familles en raison de " l'urgence impérieuse de protéger les adolescents placés ". Ainsi, les dispositions du code de l'action sociale et des familles, dans leur version applicable à la date de l'arrêté en cause, ayant organisé une procédure spécifique en cas d'urgence, le requérant ne peut utilement invoquer la méconnaissance des dispositions de l'article L. 121-1 du code des relations entre le public et l'administration en l'absence d'engagement d'une procédure contradictoire préalable à l'intervention de la décision attaquée.

10. En quatrième lieu, les dispositions de l'article L. 313-16 du code de l'action sociale et des familles permettent, en cas d'urgence notamment, au président du conseil départemental de procéder à suspension, à titre provisoire et pour une durée maximale de six mois de l'activité en cause. Cette procédure, suivie en raison de l'urgence qu'il y a à préserver le bien-être des personnes accueillies, est décidée sans injonction préalable de l'autorité compétente. Ces dispositions ne prévoient pas davantage qu'une telle décision soit précédée d'une procédure de contrôle, visite ou d'inspection de l'établissement.

11. Enfin, aux termes de l'article D. 316-6 du code de l'action sociale et des familles : " (...) III. ' Les lieux de vie et d'accueil transmettent chaque année avant le 30 avril aux organismes financeurs mentionnés au I de l'article D. 316-5 un compte d'emploi, dont le modèle est fixé par arrêté du ministre chargé de l'action sociale et du ministre de l'intérieur, relatif à l'utilisation des financements provenant des forfaits journaliers au titre de l'année précédente. Jusqu'à transmission du compte d'emploi, le montant du forfait journalier versé pour l'année considérée ne peut dépasser le montant du forfait arrêté pour l'exercice précédent. (...) ".

12. La décision fait état d'un retard récurrent de transmission, de la part du directeur du LVA " ... ", des documents budgétaires et des informations relatives à l'état du personnel en méconnaissance des dispositions de l'article D. 316-6 du code de l'action sociale et des familles. Si M. A... conteste le nombre de courriers transmis par les services du département, il ne conteste en revanche pas ce retard de transmission qui, d'ailleurs, ressort des pièces du dossier. Il n'est ainsi pas fondé à soutenir que la matérialité des faits relatés dans la décision du 21 octobre 2019 n'est pas établie.

13. Par suite, M. A... n'est pas fondé à demander l'annulation de l'arrêté du 21 octobre 2019 par lequel le président du conseil départemental a suspendu, pour une durée de six mois, l'activité du lieu de vie et d'accueil " ... ".

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge du département de ..., qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que M. A... demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. En revanche, il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. A... la somme demandée par le département de ... au titre des frais exposés par et non compris dans les dépens.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Dijon du 2 avril 2021 est annulé.

Article 2 : La demande présentée par M. A... devant le tribunal administratif de Dijon et le surplus des conclusions de sa requête sont rejetés.

Article 3 : Les conclusions du département de ... tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... A... et au département de ....

Délibéré après l'audience du 23 mars 2023, à laquelle siégeaient :

M. Pourny, président de chambre,

M. Stillmunkes, président assesseur,

Mme Bentéjac, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 7 avril 2023.

La rapporteure,

C. Bentéjac

Le président,

F. Pourny

La greffière,

F. Abdillah

La République mande et ordonne au préfet de ..., en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition,

La greffière,

2

N° 21LY01736


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 21LY01736
Date de la décision : 07/04/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

04-03-01-02 Aide sociale. - Institutions sociales et médico-sociales. - Établissements - Questions communes. - Établissements médico-éducatifs.


Composition du Tribunal
Président : M. POURNY
Rapporteur ?: Mme Caroline BENTEJAC
Rapporteur public ?: Mme COTTIER
Avocat(s) : CABINET D'AVOCATS PHILIPPE PETIT ET ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 16/04/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2023-04-07;21ly01736 ?
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