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24/02/2023 | FRANCE | N°22LY00410

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 6ème chambre, 24 février 2023, 22LY00410


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler la décision du 14 février 2021 par laquelle le préfet de l'Isère lui a refusé le bénéfice de la procédure de regroupement familial au profit de son petit-fils, d'enjoindre au préfet de l'Isère de lui accorder le bénéfice du regroupement familial sollicité et de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil de la somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de l

a loi du 10 juillet 1991.

Par un jugement n° 2002013 du 14 décembre 2021, le ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler la décision du 14 février 2021 par laquelle le préfet de l'Isère lui a refusé le bénéfice de la procédure de regroupement familial au profit de son petit-fils, d'enjoindre au préfet de l'Isère de lui accorder le bénéfice du regroupement familial sollicité et de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil de la somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Par un jugement n° 2002013 du 14 décembre 2021, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 8 février 2022, M. B..., représentée par Me Borges de Deus Correia, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement et cette décision ;

2°) d'enjoindre au préfet de l'Isère de lui délivrer l'autorisation de regroupement familial sollicitée au profit de son petit-fils dans le délai de dix jours à compter de la notification du présent arrêt sous astreinte de 100 euros par jour de retard.

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991, à charge pour son conseil de renoncer à percevoir la part contributive de l'Etat.

Il soutient que :

- la décision a été prise à la suite d'une procédure irrégulière dès lors que si le préfet allègue avoir recueilli l'avis du maire, il ne justifie pas avoir transmis les pièces du dossier conformément aux articles L. 421-2 et L. 421-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- elle est entachée d'erreur d'appréciation en ce qu'elle se fonde sur son absence, à deux reprises, lors de la visite de son logement par les agents de la commune alors qu'il avait un motif légitime d'absence ;

- elle est entachée d'erreur de droit dès lors que l'intérêt de l'enfant à rester avec ses parents n'est pas au nombre des motifs justifiant le refus du regroupement familial prévu par l'article 4 de l'accord franco-algérien.

La requête a été communiquée au préfet de l'Isère qui n'a pas produit de mémoire.

M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 13 avril 2022.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant, signée à New-York le 26 janvier 1990 ;

- l'accord du 27 décembre 1968 relatif à la circulation, à l'emploi et au séjour en France des ressortissants algériens et de leurs familles ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n°91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme Bentéjac, première conseillère, a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. A... B..., ressortissant algérien né le 25 avril 1937, titulaire d'un certificat de résidence, a sollicité le 28 février 2017 le bénéfice du regroupement familial au profit de son petit-fils, M. C... B.... Par une décision du 3 décembre 2019, le préfet de l'Isère a refusé de lui accorder ce bénéfice. Par un jugement n° 2002013 du 14 décembre 2021, dont M. B... fait appel, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande tendant à l'annulation de ce refus.

2. Il ressort des pièces du dossier que le préfet de l'Isère a refusé à M. B... le regroupement familial qu'il sollicitait en faveur de son petit-fils au motif, d'une part, que les conditions de logement du demandeur n'ayant pu être vérifiées compte-tenu de son absence aux deux rendez-vous qui lui avaient été fixés, les stipulations de l'article 4 de l'accord franco-algérien s'opposent à ce qu'il soit fait droit à cette demande, d'autre part, qu'en l'absence de lien affectif avec l'enfant, l'intérêt de ce dernier s'oppose à ce qu'il soit séparé de sa famille pour venir vivre en France.

3. D'une part, en vertu de l'article 4 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 modifié : " Les membres de famille qui s'établissent en France sont mis en possession d'un certificat de résidence de même durée de validité que celui de la personne qu'ils rejoignent. / Sans préjudice des dispositions de l'article 9, l'admission sur le territoire français en vue de l'établissement des membres de famille d'un ressortissant algérien titulaire d'un certificat de résidence d'une durée de validité d'au moins un an, présent en France depuis au moins un an sauf cas de force majeure, et l'octroi du certificat de résidence sont subordonnés à la délivrance de l'autorisation de regroupement familial par l'autorité française compétente. / Le regroupement familial ne peut être refusé que pour l'un des motifs suivants : / 1 Le demandeur ne justifie pas de ressources stables et suffisantes pour subvenir aux besoins de sa famille. Sont prises en compte toutes les ressources du demandeur et de son conjoint indépendamment des prestations familiales. L'insuffisance des ressources ne peut motiver un refus si celles-ci sont égales ou supérieures au salaire minimum interprofessionnel de croissance ; / 2. Le demandeur ne dispose ou ne disposera pas à la date d'arrivée de sa famille en France d'un logement considéré comme normal pour une famille comparable vivant en France / (...) / Le regroupement familial est sollicité pour l'ensemble des personnes désignées au Titre II du Protocole annexé au présent Accord. Un regroupement familial partiel peut être autorisé pour des motifs tenant à l'intérêt des enfants. (...) ". Aux termes du titre II du protocole annexé à l'accord franco-algérien, dans sa rédaction issue du troisième avenant : " Les membres de la famille s'entendent du conjoint d'un ressortissant algérien, de ses enfants mineurs ainsi que des enfants de moins de dix-huit ans dont il a juridiquement la charge en vertu d'une décision de l'autorité judiciaire algérienne, dans l'intérêt supérieur de l'enfant ".

4. Si la situation des ressortissants algériens est régie de manière complète par l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 modifié, ce dernier n'a, toutefois, pas entendu écarter, sauf stipulations incompatibles expresses, l'application des dispositions de procédure du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile qui s'appliquent à tous les étrangers, dès lors que les ressortissants algériens se trouvent dans une situation entrant à la fois dans les prévisions de l'accord et dans celles du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

5. Aux termes de l'article L. 421-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile alors applicable : " L'autorisation d'entrer en France dans le cadre de la procédure du regroupement familial est donnée par l'autorité administrative compétente après vérification des conditions de logement et de ressources par le maire de la commune de résidence de l'étranger ou le maire de la commune où il envisage de s'établir. Le maire, saisi par l'autorité administrative, peut émettre un avis sur la condition mentionnée au 3° de l'article L. 411-5. Cet avis est réputé rendu à l'expiration d'un délai de deux mois à compter de la communication du dossier par l'autorité administrative ". Aux termes de l'article L. 421-2 du même code : " Pour procéder à la vérification des conditions de logement et de ressources, le maire examine les pièces justificatives requises dont la liste est déterminée par décret. Des agents spécialement habilités des services de la commune chargée des affaires sociales ou du logement, ou, à la demande du maire, des agents de l'Office français de l'immigration et de l'intégration peuvent pénétrer dans le logement. (...) ". L'article R. 421-16 du même code dispose que : " La vérification sur place des conditions de logement donne lieu à l'établissement d'un compte rendu, dont le modèle est établi par arrêté du ministre chargé de l'immigration ". L'article R. 421-18 dudit code dispose : " A l'issue des vérifications sur les ressources et le logement, le maire de la commune où doit résider la famille transmet à l'Agence nationale de l'accueil des étrangers et des migrations le dossier accompagné des résultats de ces vérifications et de son avis motivé. En l'absence de réponse du maire à l'expiration du délai de deux mois prévu à l'article L. 421-3, cet avis est réputé favorable. ". L'article R. 421-19 prévoit que : " Dès réception du dossier et de l'avis motivé du maire ou, à défaut d'avis, à l'expiration du délai mentionné à l'article R. 421-18, l'Office français de l'immigration et de l'intégration : 1° Vérifie, le cas échéant, le respect des conditions de ressources et de logement prescrites aux articles R. 411-4 et R. 411-5 ; 2° Procède, si nécessaire, à un complément d'instruction et, s'il n'a pas déjà été saisi par le maire, à des vérifications sur place ; 3° Transmet le dossier au préfet pour décision ". Enfin, aux termes de l'article R. 421-9 du même code : " Après vérification des pièces du dossier et délivrance à l'intéressé de l'attestation de dépôt de sa demande, les services de l'Office français de l'immigration et de l'intégration transmettent une copie du dossier au maire de la commune de résidence de l'étranger ou au maire de la commune où l'étranger envisage de s'établir ".

6. D'autre part, l'intérêt d'un enfant est en principe de vivre auprès de la personne qui, en vertu d'une décision de justice qui produit des effets juridiques en France, est titulaire à son égard de l'autorité parentale. Ainsi, dans le cas où une autorisation de regroupement familial est sollicitée en vue de permettre à un enfant de rejoindre un ressortissant algérien séjournant en France depuis au moins un an et titulaire d'un certificat de résidence algérien d'une durée de validité minimale d'une année, qui a reçu délégation de l'autorité parentale sur cet enfant en vertu d'un jugement de kafala, cette autorisation ne peut, en règle générale, eu égard notamment aux stipulations du paragraphe 1 de l'article 3 de la convention relative aux droits de l'enfant, être refusée pour un motif tiré de ce que l'intérêt de l'enfant serait, au contraire, de demeurer auprès de ses parents ou d'autres membres de sa famille dans son pays d'origine. En revanche, et sous réserve de ne pas porter une atteinte disproportionnée au droit du demandeur au respect de sa vie privée et familiale, le préfet peut se fonder, pour rejeter la demande d'autorisation dont il est saisi, sur le motif tiré de ce que les conditions d'accueil de cet enfant en France seraient, compte tenu notamment des ressources et des conditions de logement du titulaire de l'autorité parentale, contraires à son intérêt.

7. En premier lieu, il ressort de la décision attaquée que M. B... a été absent aux deux rendez-vous des 20 avril 2017 et 18 mai 2018 fixés par l'agent enquêteur de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) pour la visite de son logement. D'une part, s'agissant du premier rendez-vous du 20 avril 2017, le requérant soutient ne pas en avoir été informé et établit être sorti du territoire le 9 mars 2017 pour revenir en France le 23 juillet suivant. L'administration n'indique ni n'établit avoir informé M. B... de cette première visite. D'autre part, s'agissant du second rendez-vous du 18 mai 2018, le requérant fait valoir que son état de santé ne lui permettait pas d'être présent et établit avoir été hospitalisé à cette période. Par suite, M. B... doit être regardé comme disposant, dans les circonstances de l'espèce, d'un motif légitime d'absence lors des deux visites de l'agent enquêteur de l'OFII. En conséquence, la décision attaquée qui refuse le regroupement familial sollicité au motif que les conditions de logement n'ont pu être vérifiées et alors qu'un délai de dix-huit mois s'est écoulé entre cette seconde visite et la date à laquelle elle a été prise sans qu'une nouvelle visite ne soit organisée dans l'intervalle, méconnaît l'article 4 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 précité.

8. En second lieu, les conditions de logement n'ayant pu être vérifiées, le préfet n'est pas fondé à opposer à M. B... l'intérêt pour l'enfant de rester en Algérie auprès de ses parents dès lors qu'il ressort des pièces du dossier que M. B... bénéficie d'un acte de Kafala rendu le 8 juin 2016 par le tribunal d'El Eulma, qui, étant directement exécutoire en France, lui confère l'autorité parentale sur cet enfant.

9. Il résulte de ce qui précède que M. B... est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 3 décembre 2019 par laquelle le préfet de l'Isère a refusé le regroupement familial qu'il sollicitait.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

10. Si le présent arrêt, qui annule la décision contestée du 3 décembre 2019, a pour effet de saisir à nouveau le préfet de l'Isère de la demande de regroupement familial formulée par M. B..., son exécution n'implique pas la délivrance de l'autorisation sollicitée. Par suite, les conclusions de M. B... tendant à la délivrance du titre sollicité doivent être rejetées. En revanche, il y a lieu d'enjoindre au préfet de l'Isère de se prononcer sur la demande de M. B... dans un délai de quatre mois à compter de la notification du présent arrêt.

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

11. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros à verser à Me Borges de Deus Correia, avocat de M. B..., au titre des dispositions combinées des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative, sous réserve que Me Borges de Deus Correia renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à la mission d'aide juridictionnelle qui lui a été confiée.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement n° 2002013 du tribunal administratif de Grenoble du 14 décembre 2021 et la décision du 3 décembre 2019 du préfet de l'Isère qui a rejeté la demande de regroupement familial sollicitée par M. B... sont annulés.

Article 2 : Il est enjoint au préfet de l'Isère de se prononcer à nouveau sur la demande de M. B... dans un délai de quatre mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 3 : L'Etat versera à Me Borges de Deus Correia une somme de 1 000 euros au titre des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 susvisée, sous réserve qu'il renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à la mission d'aide juridictionnelle qui lui a été confiée.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer. Copie en sera adressée au préfet de l'Isère.

Délibéré après l'audience du 2 février 2023, à laquelle siégeaient :

M. Pourny, président de chambre,

M. Stillmunkes, président assesseur,

Mme Bentéjac, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 24 février 2023.

La rapporteure,

C. Bentéjac

Le président,

F. Pourny

La greffière,

F. Abdillah

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition,

La greffière,

2

N° 22LY00410


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 22LY00410
Date de la décision : 24/02/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-01-03 Étrangers. - Séjour des étrangers. - Refus de séjour.


Composition du Tribunal
Président : M. POURNY
Rapporteur ?: Mme Caroline BENTEJAC
Rapporteur public ?: Mme COTTIER
Avocat(s) : BORGES DE DEUS CORREIA

Origine de la décision
Date de l'import : 28/03/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2023-02-24;22ly00410 ?
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