Vu la procédure suivante :
Procédure devant la cour
Par une requête et deux mémoires, enregistrés le 12 janvier 2022, le 1er avril 2022 et le 13 janvier 2023, la société par actions simplifiée (SAS) Distribution Casino France, représentée par la Selarl Concorde avocats, demande à la cour :
1°) d'annuler, en tant qu'il vaut autorisation d'exploitation commerciale, l'arrêté du 12 novembre 2021 par lequel le maire de la commune de Saint-Bonnet-de-Mure a délivré à la SNC Lidl un permis de construire portant sur l'extension, après démolition et reconstruction, d'un supermarché ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat et de la commune de Saint-Bonnet-de-Mure la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- sa requête est recevable ;
- la Commission nationale d'aménagement commercial a insuffisamment motivé son avis favorable au projet ;
- le dossier de demande d'autorisation d'exploitation commerciale était incomplet s'agissant, d'une part, de l'aménagement du territoire, en particulier en ce qui concerne les flux journaliers de véhicules générés par le projet, et, d'autre part, du développement durable, notamment en ce qui concerne la qualité architecturale, paysagère et environnementale ;
- le projet n'est pas compatible avec les objectifs du schéma de cohérence territoriale, notamment en matière d'équilibre commercial du territoire ;
- l'avis favorable de la Commission est entaché d'erreur d'appréciation au regard des articles L. 750-1 et L. 752-6 du code de commerce, dès lors que l'opération envisagée aura un impact négatif sur les petits commerces de la zone de chalandise, pourtant bénéficiaires du programme national " petites villes de demain ", que le projet aura également un impact négatif sur les flux de circulation, en l'absence de desserte correcte par les nouveaux modes de transport, qu'il entraînera une consommation d'espace trop importante et non intégralement précisée, et que sa qualité paysagère et environnementale est insuffisante.
Par des mémoires en défense, enregistrés le 22 mars 2022 et le 3 mai 2022, la commune de Saint-Bonnet-de-Mure, représentée par Me Giraudon, conclut au rejet de la requête et demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures, de mettre à la charge de la SAS Distribution Casino France une somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la requête est irrecevable ;
- les moyens soulevés par la SAS Distribution Casino France ne sont pas fondés.
Par un mémoire enregistré le 1er août 2022, la SNC Lidl, représentée par la Selarl Leonem, conclut au rejet de la requête et demande à la cour de mettre à la charge de la SAS Distribution Casino France une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que les moyens soulevés par la SAS Distribution Casino France ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de commerce ;
- le code de l'urbanisme ;
- le décret n° 2022-1312 du 13 octobre 2022 relatif aux modalités d'octroi de l'autorisation d'exploitation commerciale pour les projets qui engendrent une artificialisation des sols ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Bourrachot, président,
- les conclusions de Mme Le Frapper, rapporteure publique,
- et les observations de Me Girard, représentant la SAS Distribution Casino France et Me Picoche représentant la SNC Lidl ;
Considérant ce qui suit :
1. La SNC Lidl, qui exploite à Saint-Bonnet-de-Mure un supermarché d'une surface de vente d'environ 956 m², a déposé en mairie de la même commune, le 26 février 2021, une demande de permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale portant sur la construction, après démolition, d'un nouveau bâtiment commercial, afin de porter sa surface de vente à 1 685 m². La commission départementale d'aménagement commercial du Rhône a émis un avis favorable le 26 avril 2021, contesté devant la Commission nationale notamment par la SAS Distribution Casino France, qui exploite un supermarché dans la zone de chalandise définie par le pétitionnaire. La Commission nationale d'aménagement commercial a émis un avis favorable au projet le 30 septembre 2021. Par un arrêté du 12 novembre 2021, le maire de Saint-Bonnet-de-Mure a délivré à la SNC Lidl le permis de construire demandé. La SAS Distribution Casino France demande à la cour d'annuler cet arrêté, en tant qu'il vaut autorisation d'exploitation commerciale.
Sur la légalité de l'arrêté attaqué :
En ce qui concerne la motivation de l'avis de la Commission nationale d'aménagement commercial :
2. Aux termes de l'article R. 752-38 du code du commerce, seul applicable aux avis rendus par la Commission nationale d'aménagement commercial : " (...) L'avis ou la décision est motivé, signé par le président et indique le nombre de votes favorables et défavorables ainsi que le nombre d'abstentions (...) ".
3. L'obligation de motivation prévue par ces dispositions n'implique pas que la Commission nationale d'aménagement commercial soit tenue de prendre explicitement parti sur le respect, par le projet qui lui est soumis, de chacun des objectifs et critères d'appréciation fixés par les dispositions législatives applicables, ni même de répondre à chacun des arguments soulevés dans le cadre d'un recours administratif préalable obligatoire. En l'espèce, la Commission nationale d'aménagement commercial, dans son avis du 30 septembre 2021, a visé en particulier l'article L. 752-6 du code de commerce, et a énoncé de manière circonstanciée les considérations de fait qui, au regard des critères d'appréciation définis par cet article, l'ont conduite à se prononcer en faveur du projet, et a au demeurant répondu aux principales objections des recours formés devant elle. Elle a ainsi suffisamment motivé son avis.
En ce qui concerne la composition du dossier de demande d'autorisation :
4. La circonstance que le dossier de demande d'autorisation ne comporterait pas l'ensemble des éléments exigés par les dispositions des articles L. 752-6 et R. 752-6 du code de commerce, ou que les documents produits seraient insuffisants, imprécis ou comporteraient des inexactitudes, n'est susceptible d'entacher d'illégalité l'autorisation qui a été accordée que dans le cas où les omissions, inexactitudes ou insuffisances entachant le dossier ont été de nature à fausser l'appréciation portée par l'autorité administrative sur la conformité du projet à la réglementation applicable.
5. Aux termes de l'article R. 752-6 du code de commerce, dans sa rédaction applicable au projet : " I.-La demande est accompagnée d'un dossier comportant les éléments mentionnés ci-après ainsi que, en annexe, l'analyse d'impact définie au III de l'article L. 752-6. / 3° Effets du projet en matière d'aménagement du territoire. / Le dossier comprend une présentation des effets du projet sur l'aménagement du territoire, incluant les éléments suivants : / (...) b) Evaluation des flux journaliers de circulation des véhicules générés par le projet sur les principaux axes de desserte du site, ainsi que des capacités résiduelles d'accueil des infrastructures de transport existantes ; / (...) 4° Effets du projet en matière de développement durable. / Le dossier comprend une présentation des effets du projet en matière de développement durable, incluant les éléments suivants : / c) Le cas échéant, dans les limites fixées aux articles L. 229-25 et R. 229-47 du code de l'environnement, description des émissions directes et indirectes de gaz à effet de serre que le projet est susceptible de générer et les mesures envisagées pour les limiter ; / (...) e) Description des mesures propres à limiter les pollutions associées à l'activité, notamment en matière de gestion des eaux pluviales et de traitement des déchets (...) ".
6. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que la SNC Lidl a notamment joint à sa demande d'autorisation d'exploitation commerciale une étude de trafic établie par le bureau d'études EMTIS, analysant les effets du projet sur ses voies de desserte, sur la base d'un scénario maximaliste retenant une fréquentation en voiture de 100% des clients, et concluant à l'absence d'impact du projet sur la circulation, compte tenu notamment des bonnes réserves de capacité. En se bornant à faire valoir de manière très générale que le projet emporte presque un doublement de la surface de vente pour critiquer l'hypothèse d'une augmentation de fréquentation du magasin de seulement 15% retenue par l'étude de trafic, justifiée par l'expérience et par la nature du projet, la SAS Distribution Casino France n'apporte pas d'éléments permettant de remettre sérieusement en cause le caractère complet de cette étude.
7. En second lieu, les dispositions précitées n'imposent pas au pétitionnaire de présenter les mesures de traitement des déchets ou de limitation des émissions de gaz à effet de serre en phase de chantier. Le dossier de demande d'autorisation d'exploitation commerciale comprend par ailleurs, d'une part, plusieurs pages consacrées à la description des émissions de gaz à effet de serre qui ont été évaluées par le pétitionnaire ainsi que des actions envisagées pour les réduire ou les limiter, dont des mesures concernant les déchets. Le dossier comprend également, d'autre part, plusieurs pages décrivant les mesures de réduction ou de valorisation des déchets envisagées pour limiter les pollutions liées à l'activité. Il comprend enfin une vue aérienne du projet dans son environnement, une vue aérienne rapprochée, un document d'insertion du projet, une vue de l'entrée du magasin depuis le parking, ainsi qu'une vue de l'ambiance paysagée de l'aire de stationnement, qui ont permis à la Commission nationale d'apprécier la qualité architecturale et paysagère du projet. Le moyen tiré du caractère incomplet ne peut ainsi qu'être écarté.
En ce qui concerne la compatibilité du projet avec le schéma de cohérence territoriale :
8. En vertu du I de l'article L. 752-6 du code de commerce, l'autorisation d'exploitation commerciale mentionnée à l'article L. 752-1 est compatible avec le document d'orientation et d'objectifs des schémas de cohérence territoriale. Il appartient aux commissions d'aménagement commercial non de vérifier la conformité des projets d'exploitation commerciale qui leur sont soumis aux énonciations des schémas de cohérence territoriale mais d'apprécier la compatibilité de ces projets avec les orientations générales et les objectifs qu'ils définissent.
9. Il ressort des pièces du dossier que le terrain d'assiette du projet de la SNC Lidl est inclus dans un secteur identifié par le schéma de cohérence territoriale de l'agglomération lyonnaise comme " pôle commercial d'agglomération ". Si les orientations de ce schéma préconisent notamment d'adapter l'offre alimentaire de ces pôles d'agglomération et de réorienter leur activité au profit de commerces correspondant à des achats exceptionnels, relevant de concepts innovants ou d'une montée en gamme, elles ne prohibent pas pour autant toute offre alimentaire dans ces pôles. Le projet litigieux d'un bâtiment plus contemporain, alternant en particulier en façade des parements en matériau calcaire et des plantes grimpantes, répond par ailleurs à une autre orientation tendant à " mettre à profit les opérations de requalification, nécessaires au regard de la fonction valorisante de " vitrine d'agglomération ", pour mieux intégrer ces pôles majeurs dans les tissus urbains ". Le moyen tiré de l'incompatibilité du projet de reconstruction d'un commerce alimentaire existant avec une extension limitée avec le schéma de cohérence territoriale doit, par suite être écarté.
En ce qui concerne la méconnaissance des articles L. 750-1 et L. 752-6 du code de commerce :
10. Aux termes de l'article L. 750-1 du code de commerce : " Les implantations, extensions, transferts d'activités existantes et changements de secteur d'activité d'entreprises commerciales et artisanales doivent répondre aux exigences d'aménagement du territoire, de la protection de l'environnement et de la qualité de l'urbanisme. Ils doivent en particulier contribuer au maintien des activités dans les zones rurales et de montagne ainsi qu'au rééquilibrage des agglomérations par le développement des activités en centre-ville et dans les zones de dynamisation urbaine. / Dans le cadre d'une concurrence loyale, ils doivent également contribuer à la modernisation des équipements commerciaux, à leur adaptation à l'évolution des modes de consommation et des techniques de commercialisation, au confort d'achat du consommateur et à l'amélioration des conditions de travail des salariés ".
11. Il résulte de ces dispositions que l'autorisation d'exploitation commerciale ne peut être refusée que si, eu égard à ses effets, le projet contesté compromet la réalisation des objectifs énoncés par la loi. Il appartient aux commissions d'aménagement commercial, lorsqu'elles statuent sur les dossiers de demande d'autorisation, d'apprécier la compatibilité du projet à ces objectifs, au vu des critères d'évaluation mentionnés à l'article L. 752-6 du code de commerce.
12. En premier lieu, en se bornant à citer des extraits des rapports ou avis des services instructeurs faisant état d'inquiétudes quant à une hypothétique contradiction entre le projet porté par la SNC Lidl et les futures orientations du programme " Petites villes de demain " pour trois villes de la zone de chalandise, la SAS Distribution Casino France n'apporte pas suffisamment d'éléments de nature à remettre sérieusement en cause les termes de l'analyse d'impact réalisée par la SNC Lidl en ce qui concerne les incidences plutôt positives sur l'animation de la vie urbaine du projet d'extension d'un magasin déjà existant, dont les conclusions sont au demeurant corroborées par le résultat de questionnaires distribués aux commerçants de Saint-Bonnet-de-Mure.
13. En deuxième lieu, la SAS Distribution Casino France n'apporte pas davantage d'éléments de nature à remettre sérieusement en cause l'étude de trafic produite par la SNC Lidl au soutien de sa demande, concluant à l'absence d'augmentation significative des flux de circulation et aux bonnes réserves de capacité des voies existantes. La seule circonstance que les camions de livraison, dont il n'est pas contesté qu'ils se présenteront en-dehors des horaires d'ouverture du magasin, soient contraints d'effectuer une manœuvre en marche arrière sur le parking ouvert à la clientèle ne saurait caractériser un risque pour la sécurité suffisant à justifier le rejet du projet. Il en va de même de la circonstance que les piétons ne disposeraient pas d'un cheminement dédié depuis l'arrêt de bus situé à 310 mètres du terrain d'assiette, alors qu'il n'est pas contesté qu'il existe néanmoins des traversées de voies sécurisées.
14. En troisième lieu, il ressort des pièces du dossier que le projet, qui remplace un magasin existant et deux tènements bâtis actuellement en friche, a pour effet de réduire l'emprise au sol des bâtiments par rapport à la situation antérieure, de réduire de 52% les surfaces imperméabilisées et d'augmenter de 128% la surface d'espaces verts, ce que ne conteste pas la requérante, laquelle ne peut par ailleurs utilement se prévaloir du V de l'article L. 752-6 du code de commerce, dans sa rédaction en vigueur depuis le 25 août 2021, dont la mise en œuvre était toutefois subordonnée à l'intervention du décret du 13 octobre 2022 susvisé, dont l'article 9 ne prévoit l'application qu'aux demandes d'autorisation d'exploitation commerciale déposées à compter du 15 octobre 2022. La SAS Distribution Casino France n'apporte par ailleurs aucun élément de nature à remettre en cause la réalité de la mise en œuvre d'un espace de biodiversité et d'une prairie fleurie sur un secteur d'un peu plus de 2 000 m² situé à l'ouest du tènement.
15. En dernier lieu, il ressort des pièces produites par la SNC Lidl au soutien de sa demande, et notamment des documents d'insertion qui ne font l'objet d'aucune critique sérieuse et circonstanciée par la SAS Distribution Casino France, que le projet présente une architecture soignée et végétalisée de nature à apporter une amélioration à la situation existante en ce qui concerne l'insertion architecturale et paysagère du nouveau supermarché. Par ailleurs, il ne ressort pas du dossier de demande que le projet aurait des effets particulièrement négatifs en matière d'émissions de gaz à effet de serre ou de traitement des déchets, alors que des mesures, non sérieusement discutées, ont été présentées sur ces deux points.
16. Par suite, la requérante n'est pas fondée à soutenir que le projet compromettrait les objectifs définis aux articles L. 750-1 et L. 752-6 du code de commerce.
17. Il résulte de ce qui précède que la SAS Distribution Casino France n'est pas fondée à demander l'annulation de l'arrêté du 12 novembre 2021 par lequel le maire de Saint-Bonnet-de-Mure a délivré à la SNC Lidl un permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale.
Sur les frais liés au litige :
18. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que l'Etat et la commune de Saint-Bonnet-de-Mure qui n'ont pas, dans la présente instance, la qualité de parties perdantes, versent à la SAS Distribution Casino France la somme qu'elle demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il y a lieu en revanche, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la SAS Distribution Casino France le versement à la commune de Saint-Bonnet-de-Mure et à la SNC Lidl d'une somme de 3 000 euros chacune au même titre.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la SAS Distribution Casino France est rejetée.
Article 2 : La SAS Distribution Casino France versera à la SNC Lidl ainsi qu'à la commune de Saint-Bonnet-de-Mure une somme de 3 000 euros chacune au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la SAS Distribution Casino France, à la commune de Saint-Bonnet-de-Mure, à la SNC Lidl, à la présidente de la commission nationale d'aménagement commercial et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Délibéré après l'audience du 19 janvier 2023, à laquelle siégeaient :
M. Bourrachot, président de chambre,
Mme Dèche, présidente assesseure,
Mme Rémy-Néris, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 9 février 2023.
Le président-rapporteur,
F. BourrachotLa présidente assesseure,
P. Dèche
La greffière,
A-C. Ponnelle
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer, au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui les concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
La greffière,
2
N° 22LY00103
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