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16/01/2023 | FRANCE | N°21LY01934

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 6ème chambre, 16 janvier 2023, 21LY01934


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme I... B... épouse J..., M. K... J..., M. L... J..., M. A... J..., agissant à titre personnel et en qualité de représentant légal de ses deux enfants mineurs M. E... J... et M. C... J..., représentés par la SELARL Coubris, Courtois et associés, ont demandé au tribunal administratif de Dijon, d'une part, de condamner le centre hospitalier universitaire (CHU) de Dijon à leur verser au titre des préjudices en lien avec les complications pariétales subies par M. M... J..., la somme de 26 euros au titre de

s dépenses de santé actuelles, 3 418,75 euros au titre du déficit fonction...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme I... B... épouse J..., M. K... J..., M. L... J..., M. A... J..., agissant à titre personnel et en qualité de représentant légal de ses deux enfants mineurs M. E... J... et M. C... J..., représentés par la SELARL Coubris, Courtois et associés, ont demandé au tribunal administratif de Dijon, d'une part, de condamner le centre hospitalier universitaire (CHU) de Dijon à leur verser au titre des préjudices en lien avec les complications pariétales subies par M. M... J..., la somme de 26 euros au titre des dépenses de santé actuelles, 3 418,75 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire, 35 000 euros au titre des souffrances endurées et 20 000 euros au titre du préjudice esthétique, d'autre part, de condamner, à titre principal, le centre hospitalier universitaire de Dijon et l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) ou, à titre subsidiaire, seulement l'ONIAM, au titre de leurs préjudices découlant du décès de M. M... J..., à verser la somme de 348 530,56 euros à Mme J..., celle de 40 000 euros à M. K... J..., celle de 40 000 euros à M. A... J..., celle de 15 000 euros à M. E... J..., celle de 15 000 euros à M. C... J... et celle de 40 000 euros à M. L... J..., ces sommes devant être assorties des intérêts au taux légal à compter du jour de l'introduction de leurs demandes.

La caisse primaire d'assurance maladie de Côte-d'Or, appelée à l'instance, a demandé au tribunal administratif de Dijon de condamner le CHU de Dijon à lui rembourser la somme de 33 371,40 euros au titre de ses débours, augmentée des intérêts au taux légal à la date du jugement et de mettre à la charge du centre hospitalier l'indemnité forfaitaire prévue par l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale.

Par un premier jugement n° 1901999 du 2 juin 2020, le tribunal administratif de Dijon a condamné le CHU de Dijon à verser aux consorts J... une somme de 13 374,77 euros, somme augmentée des intérêts au taux légal à compter du 12 juillet 2019, au titre des préjudices subis par M. M... J... liés aux complications pariétales, à la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de la Côte d'Or une somme totale de 25 322,05 euros au titre de ses débours et 1 091 au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion, rejeté le surplus des conclusions de la CPAM de la Côte d'Or et, avant dire droit, ordonné une expertise.

Par un second jugement n° 1901999 du 30 avril 2021, le tribunal administratif de Dijon a rejeté le surplus des conclusions des requérants, mis les frais d'expertise taxés et liquidés à la somme de 1 500 euros à la charge définitive du CHU de Dijon, et mis à la charge de ce dernier établissement une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 11 juin 2021 et un mémoire enregistré le 8 mars 2022, Mme I... B... épouse J..., M. K... J..., M. L... J..., M. E... J..., M. A... J..., agissant à titre personnel et en qualité de représentant légal de son fils mineur, M. C... J..., représentés par la SELARL Coubris, Courtois et associés, demandent à la cour :

1°) de réformer le jugement n° 1901999 du 2 juin 2020 du tribunal administratif de Dijon et d'annuler le jugement n° 1901999 du 30 avril 2021 du même tribunal ;

2°) de condamner le centre hospitalier universitaire (CHU) de Dijon à leur verser, au titre des préjudices subis par M. M... J... en lien avec les complications pariétales, après déduction de la perte de chance retenue par les premiers juges, la somme de 26 euros au titre des dépenses de santé actuelles, 3 076,88 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire, 26 250 euros au titre des souffrances endurées et 15 000 euros au titre du préjudice esthétique ;

3°) en ce qui concerne la cause du décès de M. M... J..., d'ordonner, avant dire droit, une expertise ;

4°) de mettre à la charge du CHU de Dijon une somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- il y a lieu de confirmer le premier jugement attaqué en ce que le CHU de Dijon a commis différentes fautes qui ont fait perdre à M. M... J... 75 % de chance d'échapper aux complications septiques pariétales ;

- les sommes allouées par le tribunal au titre de ces complications sont insuffisantes ;

- en ce qui concerne l'indemnisation des préjudices découlant du décès de M. J..., il y a lieu d'organiser une nouvelle expertise médicale en présence de l'ONIAM, l'embolie pulmonaire présentée par M. J... pouvant être regardée comme un accident médical et les conclusions des deux rapports d'expertise étant contradictoires ;

- en tout état de cause, le CHU de Dijon a commis trois fautes en lien avec le décès de M. J... à savoir un défaut d'indication du by-pass gastrique, un défaut d'information des risques de l'intervention, un défaut de surveillance post-opératoire ; ces manquements sont à l'origine d'une perte de chance pour M. J... d'éviter son décès.

Par un mémoire en défense enregistré le 3 mai 2022, le centre hospitalier universitaire de Dijon, représenté par Me Le Prado, conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- le tribunal n'a pas insuffisamment évalué les préjudices résultant des complications pariétales présentées par M. J... ;

- les deux rapports d'expertise ne contiennent pas des conclusions opposées ; une nouvelle expertise présenterait un caractère frustratoire.

Par un mémoire enregistré le 9 mai 2022, l'ONIAM, représenté par Me Welsch, conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- aucune demande indemnitaire n'est formulée à son encontre ;

- le lien de causalité entre les préjudices dont il est sollicité l'indemnisation et un acte de prévention, de soins ou de diagnostic n'est pas établi, eu égard à l'étiologie incertaine du décès, au caractère vraisemblable d'une embolie pulmonaire qui peut survenir de manière spontanée et de ce que cette embolie est survenue six mois après l'intervention subie par M. J....

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de la sécurité sociale ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Bentéjac, première conseillère,

- les conclusions de Mme Cottier, rapporteure publique,

- et les observations de Me Sadeghian, substituant Me Coubris, représentant les consorts J....

Considérant ce qui suit :

1. M. J... a été hospitalisé au centre hospitalier universitaire (CHU) de Dijon du 23 au 26 avril 2015 pour un syndrome occlusif. Il a ensuite subi, le 26 avril 2016, une cure d'éventration associée à un by-pass gastrique et une cholécystectomie validés en réunion de concertation pluridisciplinaire. M. J... a toutefois présenté, le 19 mai 2016, une désunion cicatricielle avec secrétions purulentes et son état s'est rapidement aggravé pour évoluer vers une éviscération en octobre 2016. Le 26 octobre 2016, M. J... a fait un arrêt cardio-ventilatoire qui l'a conduit à son décès. Son épouse, Mme I... J..., ses trois fils, M. K... J..., M. L... J... et M. A... J..., ce dernier agissant en son nom personnel et en qualité de représentant légal de ses deux fils mineurs, C... et E... J..., ce dernier étant devenu, depuis, majeur, estimant que le CHU de Dijon avait commis des fautes dans la prise en charge de M. M... J... ont recherché la responsabilité de cet établissement.

2. Par un premier jugement du 2 juin 2020, le tribunal administratif de Dijon a retenu que différentes fautes ont été commises par le CHU de Dijon à l'origine d'une perte de chance, évaluée à 75 %, pour M. J... d'éviter les complications pariétales et, en conséquence, a condamné le CHU de Dijon à verser aux consorts J... une somme de 13 374,77 euros au titre des préjudices subis par M. M... J... liés aux complications pariétales et ordonné, avant dire droit, une expertise en ce qui concerne les préjudices en lien avec le décès de M. J.... Par un second jugement du 30 avril 2021, le tribunal administratif de Dijon a rejeté le surplus des conclusions des requérants. Mme J... et autres relèvent appel de ces deux jugements en vue d'obtenir la majoration des sommes qui leur ont été allouées au titre des préjudices résultant des complications pariétales subies par M. J... et d'ordonner, avant dire droit et au contradictoire de l'ONIAM, une nouvelle expertise en vue de déterminer l'origine du décès de M. J... et son lien avec d'éventuelles fautes commises par le CHU de Dijon. Le centre hospitalier universitaire de Dijon, qui ne conteste en appel ni le principe de responsabilité ni le taux de perte de chance retenus par les premiers juges ni le montant des sommes qu'il a été condamné à verser aux requérants, conclut au rejet de la requête. L'ONIAM, à l'encontre duquel aucune demande de condamnation n'est formulée, conclut également au rejet de la requête.

Sur les préjudices résultant des complications septiques pariétales :

3. Aucune des parties ne contestant la somme de 26 euros allouée au titre des dépenses de santé correspondant à la franchise laissée à la charge de M. J... par sa caisse de sécurité sociale, il y a lieu de confirmer cette somme qui a justement été évaluée.

4. Il résulte du rapport d'expertise que M. J... a subi, en lien avec la seconde chirurgie, plusieurs périodes de déficit temporaire d'abord à 100 % du 19 mai au 8 juin 2016 et du 14 septembre au 26 octobre 2016, puis à 75 % du 9 juin au 13 septembre 2016. En évaluant à 1 348,77 euros le déficit temporaire subi durant ces différentes périodes compte-tenu du taux de perte de chance de 75 % retenu, les premiers juges n'ont pas fait une évaluation insuffisante de ce chef de préjudice.

5. Les souffrances physiques subies par M. J... ont été évaluées à 5 sur une échelle de 7 au regard de la dégradation de son état de santé jusqu'à son décès. En allouant la somme de 13 500 euros à ce titre compte-tenu du taux de perte de chance précédemment retenu, les premiers juges ont fait une juste appréciation de ce chef de préjudice.

6. M. J... a également subi un préjudice esthétique, évalué par l'expert à 4 sur une échelle de 7 qui a été correctement évalué à la somme de 1 875 euros, après application du taux de perte de chance retenu.

7. Ainsi, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Dijon n'a fait que partiellement droit à leur demande.

Sur la perte de chance d'éviter le décès :

8. Les requérants soutiennent que le CHU de Dijon a commis divers manquements lors de la prise en charge de M. J... en lien avec l'intervention chirurgicale du 26 avril à l'origine d'une perte de chance pour ce dernier d'éviter le décès et sollicitent, en s'appuyant sur l'analyse du Dr G... H..., chirurgien digestif, dont ils ont sollicité eux-mêmes l'avis, l'organisation d'une nouvelle mesure d'expertise au contradictoire de l'ONIAM.

9. Il ressort toutefois du premier rapport du Dr D... que si des manquements dans la prise en charge de M. J... peuvent être retenus, à savoir notamment, un défaut d'indication du by-pass gastrique et une stratégie opératoire inadaptée, un défaut de recueil du consentement de M. J... et un défaut de surveillance post-opératoire, ces défaillances n'ont fait perdre qu'une chance pour M. J... d'éviter la survenue de complications pariétales. En revanche, en ce qui concerne le décès de M. J..., dont l'origine demeure inconnue mais qui peut, selon les éléments qui résultent de l'instruction, être attribué à la survenue d'une embolie pulmonaire, celui-ci ne peut être rattaché à la chirurgie initiale et aurait d'ailleurs pu survenir en dehors de tout contexte médical. Le second rapport du Dr D..., co-rédigé avec le Dr F... relève ainsi qu'en chirurgie abdominale majeure et en chirurgie bariatrique, le risque thromboembolique est, certes, élevé et l'incidence des embolies pulmonaires évaluée de 0,4 à 1% mais de telles complications surviennent habituellement dans un délai de dix à quinze jours après l'intervention. Si les conclusions du Dr H... indiquent que les complications de la chirurgie ont augmenté le risque de maladie thrombo-embolique veineuse, il résulte de l'instruction que la thromboprophylaxie médicamenteuse permettant de prévenir un risque thrombo-embolique, associée éventuellement à une compression pneumatique intermittente doit être administrée pendant au moins dix jours et au maximum durant quatre à six semaines après la chirurgie alors que le décès de M. J... est survenu six mois après l'intervention de sorte qu'il ne peut être considéré comme étant lié aux complications de l'intervention. Le Dr H... relève également l'absence de recommandations médicales quant à l'administration d'une thromboprophylaxie de longue durée et indique également qu'en cas d'embolie pulmonaire massive, une hospitalisation n'aurait pas permis d'éviter le décès du patient. Ainsi, il ne résulte pas de l'instruction que l'embolie pulmonaire présentée par M. J..., qui n'était pas alité de manière permanente, survenue six mois après l'intervention puisse être regardée comme étant en lien avec la chirurgie initiale ou avec les différentes fautes liées à la prise en charge de M. J.... Une nouvelle expertise sur ce point, dès lors que les conclusions des experts ne sont pas contradictoires, n'est, dès lors, pas justifiée.

10. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de procéder à une nouvelle expertise, que les requérants ne sont pas fondés à solliciter la majoration des condamnations prononcées par les premiers juges ni à solliciter une indemnisation au titre du décès de M. J....

Sur les droits de la caisse primaire d'assurance maladie de la Côte d'Or :

11. Il y a lieu de laisser à la caisse primaire d'assurance maladie de la Côte d'Or la somme de 25 322,05 euros attribuée par les premiers juges et non contestée en appel correspondant aux débours exposés par celle-ci en lien avec les complications pariétales survenues à M. J..., somme correspondant au taux de perte de chance précédemment retenu au regard du droit de priorité accordé à la victime outre la somme, non contestée en appel, de 1 091 euros allouée par les premiers juges au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion.

Sur les frais liés au litige :

12. D'une part, il y a lieu de maintenir les frais de l'expertise liquidés et taxés à la somme totale de 1 500 euros par ordonnance du 1er février 2021 du président du tribunal administratif de Dijon, à la charge définitive du centre hospitalier universitaire de Dijon.

13. D'autre part, les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soient mises à la charge du centre hospitalier universitaire de Dijon les sommes demandées à ce titre par Mme J... et les autres requérants.

DECIDE :

Article 1er : La requête de Mme J... et des autres requérants est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme I... B... épouse J..., à M. K... J..., à M. A... J..., à M. L... J..., à M. E... J..., à la caisse primaire d'assurance maladie de la Côte d'Or, au centre hospitalier universitaire de Dijon et à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales.

Délibéré après l'audience du 8 décembre 2022, à laquelle siégeaient :

M. Pourny, président de chambre,

M. Stillmunkes, président assesseur,

Mme Bentéjac, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 16 janvier 2023.

La rapporteure,

C. Bentéjac

Le président,

F. Pourny La greffière,

F. Abdillah

La République mande et ordonne au ministre de la santé et de la prévention, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition,

La greffière,

2

N° 21LY01934


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 21LY01934
Date de la décision : 16/01/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-02-01-01-02-01 Responsabilité de la puissance publique. - Responsabilité en raison des différentes activités des services publics. - Service public de santé. - Établissements publics d'hospitalisation. - Responsabilité pour faute médicale : actes médicaux. - Existence d'une faute médicale de nature à engager la responsabilité du service public.


Composition du Tribunal
Président : M. POURNY
Rapporteur ?: Mme Caroline BENTEJAC
Rapporteur public ?: Mme COTTIER
Avocat(s) : UGGC et ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 21/01/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2023-01-16;21ly01934 ?
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