Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
La société SAS Peretti a demandé au tribunal administratif de Clermont-Ferrand de condamner la région Auvergne-Rhône-Alpes à lui verser la somme de 298 948,66 euros, assortie des intérêts de droit à compter de sa demande indemnitaire préalable capitalisés, en réparation des préjudices subis du fait de son éviction illégale du lot n°9 du marché passé par cette collectivité pour la reconstruction des bâtiments A, D et E du lycée Ambroise Brugière à Clermont-Ferrand.
Par jugement n°1900148 du 11 mars 2021, le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a rejeté cette demande.
Procédure devant la cour
Par une requête et un mémoire enregistrés le 10 mai 2021 et le 18 mars 2022, la société Peretti, représentée par la Selarl DMMJB avocats, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 11 mars 2021 ;
2°) de condamner la région Auvergne-Rhône-Alpes à lui verser la somme de 298 948,66 euros, en réparation des préjudices subis du fait de son éviction illégale, outre intérêts au taux légal à compter de sa demande indemnitaire préalable et capitalisés ;
3°) de mettre à la charge de la région Auvergne-Rhône-Alpes une somme de 4 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement est irrégulier ; les premiers juges ont insuffisamment motivé leur réponse au moyen tiré du caractère arbitraire de la méthode de notation et ont omis de statuer sur le moyen tiré de l'imprécision du sous-critère calendaire ;
- le sous-critère technique " approche calendaire " n'était pas suffisamment détaillé pour pouvoir être interprété de la même façon par les différentes entreprises soumissionnaires ; le guide méthodologique pour l'élaboration du mémoire technique sur le lot en cause n'exigeait pas la présentation d'un document détaillant les temps de réalisation par phase et bâtiment ainsi que les effectifs mis en place selon les travaux à effectuer par bâtiment, à l'inverse d'autres lots tels que les numéros 1 et 5 ;
- la méthode de notation méconnaît le principe de transparence et d'égalité de traitement des candidats et est source d'arbitraire dans l'évaluation des offres, faute de préciser ce qu'est une réponse " suffisante, moyenne, acceptable, satisfaisante " ou " de bonne qualité " laquelle conditionnait une note entre 0 et 10/10 ; cette méthode a eu pour conséquence de neutraliser le critère du prix, sur lequel son offre était plus avantageuse que celle de l'entreprise adjudicataire ;
- la notation de son offre est entachée d'erreur manifeste d'appréciation ; il ne peut lui être reproché d'avoir adapté son offre au calendrier d'exécution demandé par la maîtrise d'œuvre pour le sous-critère technique " approche calendaire " alors que les documents de consultation ne prévoyaient pas la possibilité de s'écarter de ce calendrier ; les solutions présentées dans son mémoire technique afin de réduire ces délais auraient dû entraîner une notation supérieure de son offre ; le détail des effectifs mobilisés par bâtiment n'a pu constituer une plus-value justifiant une notation supérieure de l'offre de la société attributaire, d'autant que les documents de consultation ne prévoyaient pas de faire figurer cette précision dans l'offre remise ;
- disposant d'une chance sérieuse de remporter le marché, elle est fondée à demander l'indemnisation de l'intégralité de son manque à gagner, d'un montant de 296 824 euros, ainsi que des frais de présentation de l'offre chiffrés à 2 124,66 euros.
Par deux mémoires enregistrés les 29 juillet 2021 et 27 septembre 2022, ce dernier n'ayant pas été communiqué, la région Auvergne-Rhône-Alpes, représentée par la Selarl Guimet Avocats, conclut au rejet de la requête et à ce que la requérante lui verse la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
- le jugement est régulier ;
- aucun des moyens soulevés ne sont de nature à remettre en cause la validité du contrat de marché public de travaux contesté ; les conclusions indemnitaires doivent être rejetées.
Par ordonnance du 12 septembre 2022, prise en application de l'article R. 613-1 du code de justice administrative, la clôture d'instruction a été fixée au 29 septembre suivant.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- l'ordonnance no 2015-899 du 23 juillet 2015 ;
- le décret no 2016-360 du 25 mars 2016 ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Christine Psilakis, première conseillère,
- les conclusions de M. Bertrand Savouré, rapporteur public,
- et les observations de Me Lambert pour la société Peretti et celles de Me Tourmente pour la région Auvergne-Rhône-Alpes.
Considérant ce qui suit :
1. En vue de la reconstruction des bâtiments A, D et E du lycée Ambroise Brugière à Clermont-Ferrand, la région Auvergne-Rhône-Alpes a attribué le 12 septembre 2018 la réalisation du lot n° 9 " plâtrerie, peinture, plafonds suspendus " à la société Mazet. La société Peretti, candidate évincée, a saisi le tribunal administratif de Clermont-Ferrand d'une demande tendant à la condamnation de la région Auvergne-Rhône-Alpes à lui verser la somme de 298 948,66 euros outre intérêts au taux légal à compter du 16 octobre 2018 et capitalisés, en réparation du préjudice subi du fait de son éviction illégale. La société Peretti relève appel du jugement du 11 mars 2021 par lequel le tribunal a rejeté sa demande.
Sur la régularité du jugement :
2. Si une mention relative à l'imprécision des modalités d'appréciation du sous-critère technique n° 5 relatif à " l'approche calendaire " figurait dans les écritures de première instance, elle ne constituait pas un moyen mais l'un des arguments au soutien du moyen tiré de l'irrégularité de la notation, auquel le tribunal a, au point 6 du jugement, répondu par une motivation suffisante, sans qu'il soit dans l'obligation de répondre à l'ensemble des arguments soulevés devant lui. Dans ces conditions, la requérante n'est pas fondée à soutenir que le jugement est irrégulier.
Sur la demande indemnitaire :
3. Tout tiers à un contrat administratif susceptible d'être lésé dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine par sa passation est recevable à former devant le juge du contrat un recours de pleine juridiction contestant la validité de ce contrat. Il ne peut invoquer que des vices en rapport direct avec l'intérêt lésé dont il se prévaut ou ceux d'une gravité telle que le juge devrait les relever d'office. Un concurrent évincé ne peut ainsi invoquer, outre les vices d'ordre public dont serait entaché le contrat, que les manquements aux règles applicables à la passation de ce contrat qui sont en rapport direct avec son éviction.
4. En vue d'obtenir réparation de ses droits lésés, le concurrent évincé a ainsi la possibilité de présenter devant le juge du contrat des conclusions indemnitaires, à titre accessoire ou complémentaire à ses conclusions à fin de résiliation ou d'annulation du contrat. Il peut également engager, comme en l'espèce, un recours de pleine juridiction distinct, tendant exclusivement à une indemnisation du préjudice subi à raison de l'illégalité de la conclusion du contrat dont il a été évincé.
En ce qui concerne les critères d'évaluation
5. Aux termes de l'article 52 de l'ordonnance du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics : " I. - Le marché public est attribué au soumissionnaire ou, le cas échéant, aux soumissionnaires qui ont présenté l'offre économiquement la plus avantageuse sur la base d'un ou plusieurs critères objectifs, précis et liés à l'objet du marché public ou à ses conditions d'exécution. (...) / II. - Les critères d'attribution n'ont pas pour effet de conférer une liberté de choix illimitée à l'acheteur et garantissent la possibilité d'une véritable concurrence ". Selon l'article 62 du décret du 25 mars 2016 relatif aux marchés publics : " (...) II. - Pour attribuer le marché public au soumissionnaire ou, le cas échéant, aux soumissionnaires qui ont présenté l'offre économiquement la plus avantageuse, l'acheteur se fonde : / 1° Soit sur un critère unique qui peut être : / a) Le prix, à condition que le marché public ait pour seul objet l'achat de services ou de fournitures standardisés dont la qualité est insusceptible de variation d'un opérateur économique à l'autre ; / b) Le coût, déterminé selon une approche globale qui peut être fondée sur le coût du cycle de vie au sens de l'article 63 ; / 2° Soit sur une pluralité de critères non-discriminatoires et liés à l'objet du marché public ou à ses conditions d'exécution au sens de l'article 38 de l'ordonnance du 23 juillet 2015 susvisée, parmi lesquels figure le critère du prix ou du coût et un ou plusieurs autres critères comprenant des aspects qualitatifs, environnementaux ou sociaux. (...) / IV. - Les critères ainsi que les modalités de leur mise en œuvre sont indiqués dans les documents de la consultation. / Pour les marchés publics passés selon une procédure formalisée, les critères d'attribution font l'objet d'une pondération ou, lorsque la pondération n'est pas possible pour des raisons objectives, sont indiqués par ordre décroissant d'importance. La pondération peut être exprimée sous forme d'une fourchette avec un écart maximum approprié ".
6. Pour assurer le respect des principes de liberté d'accès à la commande publique, d'égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures, l'information appropriée des candidats sur les critères d'attribution d'un marché public est nécessaire, dès l'engagement de la procédure d'attribution du marché, dans l'avis d'appel public à concurrence ou le cahier des charges tenu à la disposition des candidats. Dans le cas où le pouvoir adjudicateur souhaite retenir d'autres critères que celui du prix, il doit porter à la connaissance des candidats la pondération ou la hiérarchisation de ces critères. Il doit également porter à la connaissance des candidats la pondération ou la hiérarchisation des sous-critères dès lors que, eu égard à leur nature et à l'importance de cette pondération ou hiérarchisation, ils sont susceptibles d'exercer une influence sur la présentation des offres par les candidats ainsi que sur leur sélection et doivent en conséquence être eux-mêmes regardés comme des critères de sélection. Il n'est, en revanche, pas tenu d'informer les candidats de la méthode de notation des offres.
7. Il résulte du règlement de consultation que le pouvoir adjudicateur a prévu pour le lot en cause deux critères d'évaluation de l'offre, un critère relatif au prix pondéré pour 40 % de la note finale et un critère relatif à la qualité technique de l'offre pondéré pour 60 %, ce critère étant lui-même apprécié sur la base d'un mémoire technique remis par les candidats au regard de six sous-critères évalués par une note sur 10 points. Le règlement indique en outre que le pouvoir adjudicateur appliquera la méthode de notation suivante : " 0 sur 10 = Renseignements non fournis. Élément n'existant pas. / 2 sur 10 = Réponse médiocre, peu adaptée / 4 sur 10 = Réponse passable / 6 sur 10 = Réponse suffisante, moyenne, acceptable, satisfaisante / 8 sur 10 = Réponse de bonne qualité / 10 sur 10 = Excellente réponse, de très bonne qualité / Une réponse strictement conforme aux exigences du cahier des charges techniques (ni plus, ni moins) doit normalement être notée 6 sur 10. Le candidat qui présentera une proposition supérieure sera noté jusqu'à 10 sur 10. ".
8. Les différents critères et sous critères techniques mobilisés servant au pouvoir adjudicateur pour apprécier la valeur des offres qui lui étaient soumises étaient précisément définis dans les documents de consultation, les entreprises disposant notamment du planning prévisionnel de l'ensemble du marché et d'un guide pour l'établissement du mémoire technique listant les éléments de réponse attendus par le pouvoir adjudicateur. S'agissant du sous-critère technique n° 5 " approche calendaire ", le guide précité précisait que le pouvoir adjudicateur souhaitait obtenir des précisions quant aux délais d'intervention du candidat à compter de la notification de son marché (préparation, approvisionnement, etc.) et le délai global de réalisation des travaux, l'entreprise devant vérifier et confirmer la compatibilité de son offre au regard du planning d'exécution des travaux et du phasage et enfin, que le soumissionnaire pouvait adjoindre tout document permettant d'étayer sa proposition. Dans ces conditions, la société Peretti n'est pas fondée à soutenir que les éléments d'appréciation du sous-critère n° 5 par le pouvoir adjudicateur étaient insuffisamment détaillés et que cette imprécision a pu la pénaliser quant au contenu de son offre.
En ce qui concerne la méthode de notation
9. Le pouvoir adjudicateur définit librement la méthode de notation pour la mise en œuvre de chacun des critères de sélection des offres qu'il a définis et rendus publics. Il peut ainsi déterminer tant les éléments d'appréciation pris en compte pour l'élaboration de la note des critères que les modalités de détermination de cette note par combinaison de ces éléments d'appréciation. Une méthode de notation est toutefois entachée d'irrégularité si, en méconnaissance des principes fondamentaux d'égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures, les éléments d'appréciation pris en compte pour noter les critères de sélection des offres sont dépourvus de tout lien avec les critères dont ils permettent l'évaluation ou si les modalités de détermination de la note des critères de sélection par combinaison de ces éléments sont, par elles-mêmes, de nature à priver de leur portée ces critères ou à neutraliser leur pondération et sont, de ce fait, susceptibles de conduire, pour la mise en œuvre de chaque critère, à ce que la meilleure note ne soit pas attribuée à la meilleure offre, ou, au regard de l'ensemble des critères pondérés, à ce que l'offre économiquement la plus avantageuse ne soit pas choisie. Il en va ainsi alors même que le pouvoir adjudicateur, qui n'y est pas tenu, aurait rendu publique, dans l'avis d'appel à concurrence ou les documents de la consultation, une telle méthode de notation.
10. Il résulte du règlement de consultation mentionnant " qu'une réponse strictement conforme aux exigences du cahier des charges techniques (ni plus ni moins) doit normalement être notée 6 sur 10. Le candidat qui présentera une proposition supérieure sera noté 10 sur 10 ", que les modalités d'appréciation et de notation des offres au regard des sous-critères rappelés au point 8, étaient suffisamment détaillées et basées sur des critères objectifs en lien avec l'objet du marché. Par ailleurs, la société requérante, qui a obtenu une note de 6 sur 10 pour le sous-critère calendaire correspondant à une réponse " suffisante, moyenne acceptable satisfaisante ", ne peut utilement faire valoir qu'aucun élément ne permettait de différencier cette appréciation de celle liée à la note de 4 sur 10 et correspondant à une réponse " passable ". Enfin, la méthode de notation en cause n'a pu avoir pour effet de neutraliser le critère du prix, dès lors que ce dernier compte pour 40 % de la note finale et que l'entreprise qui a présenté l'offre financière la plus avantageuse bénéficie d'un avantage constitué par la note maximale sur ce critère au prorata du poids de ce critère dans la note finale.
En ce qui concerne l'appréciation de la valeur des offres :
11. La société requérante conteste la notation qui lui a été attribuée sur le sous-critère n° 5 de même que la note, supérieure, attribuée à l'entreprise attributaire.
12. Il résulte toutefois du rapport d'analyse des offres que celle de la requérante a, s'agissant du sous-critère n° 5 " approche calendaire ", obtenu la note de 6 sur 10 correspondant à une réponse " suffisante, moyenne, acceptable, satisfaisante ", dès lors qu'elle a confirmé pouvoir réaliser le chantier selon le calendrier d'exécution demandé par la maîtrise d'œuvre et qu'elle s'est bornée à évoquer, en des termes très généraux, des solutions afin de réduire ses délais d'exécution. Par ailleurs, il résulte de l'instruction que la société attributaire a, en plus de l'engagement à respecter le planning proposé par le maître d'œuvre, soumis les temps d'intervention de ses équipes bâtiment par bâtiment, ce que permettaient les documents de consultation, lesquels rappelaient que les candidats pouvaient " adjoindre tout document permettant d'étayer [leur] proposition " et qui en l'espèce, a permis une appréciation plus favorable de l'offre au regard des possibilités de réduction des délais d'intervention. Par ailleurs, la circonstance que la société requérante, comme la société attributaire, ont obtenu des notes de 10 sur 10, correspondant à une offre " de très bonne qualité ", sur un autre critère, tenant aux moyens matériels et humains mis en œuvre, n'est pas de nature à remettre en cause la notation obtenue sur le sous-critère n° 5 par la société Peretti. Dans ces conditions, le pouvoir adjudicateur n'a pas entaché d'erreur manifeste son appréciation de la valeur de chacune des deux offres.
13. La procédure d'attribution du marché en litige n'étant entachée d'aucune irrégularité, les conclusions de la société Peretti tendant à l'indemnisation de son manque à gagner en raison des vices supposés entachant cette procédure ne peuvent qu'être rejetées.
14. Il résulte de ce qui précède que la société Peretti n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal a rejeté sa demande.
Sur les frais liés à l'instance :
15. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions présentées par la société Peretti au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions de la région Auvergne-Rhône-Alpes présentées sur ce fondement.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la société Peretti est rejetée.
Article 2 : Les conclusions de la région Auvergne-Rhône-Alpes présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la SAS Peretti et à la région Auvergne-Rhône-Alpes.
Délibéré après l'audience du 15 décembre 2022 à laquelle siégeaient :
Mme Evrard, présidente de la formation de jugement,
Mme Duguit-Larcher, première conseillère,
Mme Psilakis, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 10 janvier 2023.
La rapporteure,
C. Psilakis
La présidente,
A. Evrard
Le greffier,
J. Billot
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
Le greffier,
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N° 21LY01470