Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler la décision du 6 août 2020 par laquelle la préfète de la Loire a refusé d'instruire sa demande de délivrance d'un titre de séjour, ainsi que la décision qu'elle révèle portant refus de délivrance d'un tel titre.
Par un jugement n° 2006494 du 22 septembre 2021, le tribunal administratif de Lyon a annulé la décision de la préfète de la Loire du 6 août 2020 et a enjoint à la préfète de la Loire de réexaminer la situation de M. B... dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement.
Procédure devant la cour
Par une requête, enregistrée le 19 novembre 2021, la préfète de la Loire demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif de Lyon.
Elle soutient que :
- à titre principal, dès lors que M. B... faisait l'objet d'une mesure exécutoire l'obligeant à quitter le territoire français sans délai, prise sur le fondement des dispositions du II de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, alors en vigueur, elle n'était pas tenue d'enregistrer sa demande de titre de séjour sur le fondement des dispositions réglementaires des articles R. 311-1 et R. 311-4 du code ;
- à titre subsidiaire, elle sollicite que le motif tiré du dépôt d'une demande de titre de séjour présentant un caractère abusif et dilatoire soit substitué au motif tiré de l'existence d'une mesure d'éloignement prononcée à l'encontre de l'intéressé.
Par un mémoire en défense, enregistré le 5 octobre 2022, M. B..., représenté par Me Pialou, conclut :
1°) au rejet de la requête ;
2°) à ce qu'il soit enjoint à la préfète de la Loire de réexaminer sa situation dans un délai de quinze jours, et de lui délivrer, dans un délai de huit jours, une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler, sous astreinte de 50 euros par jour de retard ;
3°) et à ce que la somme de 2 000 euros, à verser à son conseil, soit mise à la charge de l'Etat au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- les moyens soulevés par la préfète de la Loire ne sont pas fondés ;
- la préfète n'a pas exécuté le jugement attaqué ;
- à titre subsidiaire, le refus d'instruire sa demande de titre de séjour est entaché du vice d'incompétence ;
- cette décision est insuffisamment motivée ;
- le refus d'instruire sa demande est entaché d'une erreur de droit ;
- l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales a été méconnu ;
- la préfète a entaché sa décision d'une erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle.
M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 23 mars 2022.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative ;
Le président de la formation de jugement ayant dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Le rapport de M. Pin, premier conseiller, ayant été entendu au cours de l'audience publique ;
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., ressortissant russe né en 1979, est entré en France, selon ses déclarations, en 2012. Le 7 février 2020, il a sollicité la délivrance d'un titre de séjour portant la mention vie privée et familiale. Par une décision du 6 août 2020, la préfète de la Loire a refusé d'instruire sa demande de titre de séjour au motif qu'il avait fait l'objet, le 29 juillet 2020, d'une obligation de quitter le territoire français sans délai. La préfète de la Loire relève appel du jugement du 22 septembre 2021 par lequel le tribunal administratif de Lyon a annulé cette décision.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. Aux termes de l'article R. 311-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, alors en vigueur : " Tout étranger, âgé de plus de dix-huit ans ou qui sollicite un titre de séjour (...) est tenu de se présenter (...) à la préfecture ou à la sous-préfecture, pour y souscrire une demande de titre de séjour du type correspondant à la catégorie à laquelle il appartient (...) ". Aux termes de l'article R. 311-4 du même code : " Il est remis à tout étranger admis à souscrire une demande de première délivrance ou de renouvellement de titre de séjour un récépissé qui autorise la présence de l'intéressé sur le territoire pour la durée qu'il précise (...) ".
3. Il résulte de ces dispositions que, en dehors du cas d'une demande à caractère abusif ou dilatoire, l'autorité administrative chargée d'instruire une demande de titre de séjour ne peut refuser de l'enregistrer et de délivrer le récépissé y afférent que si le dossier présenté à l'appui de cette demande est incomplet. Le caractère abusif ou dilatoire de la demande doit s'apprécier compte tenu d'éléments circonstanciés. La seule circonstance que l'étranger soit sous le coup d'une obligation de quitter le territoire français exécutoire ne suffit pas à le caractériser. En revanche, lorsqu'un étranger a fait l'objet d'une décision de refus de titre de séjour assortie d'une mesure d'éloignement qu'il n'a pas exécuté, cette circonstance s'oppose à ce qu'un nouveau récépissé lui soit délivré, sauf si des éléments nouveaux conduisent l'autorité préfectorale à l'autoriser à former une nouvelle demande.
4. Pour refuser d'enregistrer la demande de titre de séjour présentée par M. B..., la préfète de la Loire s'est fondée sur la circonstance que, dès lors qu'il n'avait pas exécuté l'obligation de quitter le territoire française sans délai prise à son encontre le 29 juillet 2020, dont la légalité avait été confirmée par le tribunal administratif de Lyon, elle ne pouvait enregistrer sa nouvelle demande de titre de séjour. En se fondant sur un tel motif, sans rechercher si la nouvelle demande de titre de séjour présentait un caractère abusif ou dilatoire, la préfète de la Loire a commis une erreur de droit.
5. L'administration peut, en première instance comme en appel, faire valoir devant le juge de l'excès de pouvoir que la décision dont l'annulation est demandée est légalement justifiée par un motif, de droit ou de fait, autre que celui initialement indiqué, mais également fondé sur la situation existant à la date de cette décision. Il appartient alors au juge, après avoir mis à même l'auteur du recours de présenter ses observations sur la substitution ainsi sollicitée, de rechercher si un tel motif est de nature à fonder légalement la décision, puis d'apprécier s'il résulte de l'instruction que l'administration aurait pris la même décision si elle s'était fondée initialement sur ce motif. Dans l'affirmative il peut procéder à la substitution demandée, sous réserve toutefois qu'elle ne prive pas le requérant d'une garantie procédurale liée au motif substitué.
6. La préfète de la Loire fait valoir que la demande de M. B... présentait un caractère abusif et dilatoire dès lors que l'intéressé, qui s'est maintenu sur le territoire français malgré plusieurs mesures d'éloignement, n'a fait valoir aucun argument nouveau au regard de sa situation personnelle. Toutefois, il ressort des pièces du dossier que la précédente demande de titre de séjour formulée par M. B..., alors même qu'elle avait notamment été présentée sur les mêmes fondements, a été enregistrée le 27 novembre 2017, soit plus de deux ans avant la demande présentée le 7 janvier 2020. En outre, de nouvelles pièces ayant trait à sa vie privée et familiale étaient annexées à cette demande d'admission au séjour. Par suite, sa demande n'avait pas, malgré le caractère exécutoire de l'obligation de quitter le territoire français dont il faisait l'objet, un caractère abusif ou dilatoire. Ainsi, le motif opposé par la préfète de la Loire en cours d'instance n'est pas davantage de nature à fonder le refus d'enregistrer la demande de titre de séjour.
7. Il résulte de ce qui précède que la préfète de la Loire n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lyon a annulé la décision du 6 août 2020.
Sur les conclusions à fin d'injonction présentées par M. B... :
8. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public (...) prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution. La juridiction peut également prescrire d'office cette mesure ". Aux termes de l'article L. 911-2 de ce code : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public (...) prenne à nouveau une décision après une nouvelle instruction, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision juridictionnelle, que cette décision doit intervenir dans un délai déterminé. La juridiction peut également prescrire d'office l'intervention de cette nouvelle décision ".
9. M. B... fait valoir que la préfète de la Loire n'a pas, malgré l'injonction prononcée par le tribunal administratif de Lyon, procédé à l'enregistrement de sa demande de titre de séjour. Il n'y a pas lieu de prescrire d'autre mesure d'exécution que celle prise par le tribunal administratif de Lyon, sauf à impartir à la préfète de la Loire, pour satisfaire à cette injonction, un nouveau délai d'un mois courant à compter de la date de notification du présent arrêt. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais d'instance :
10. M. B... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me Pialou renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Pialou de la somme de 1 000 euros au titre des frais exposés en première instance comme en appel.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de préfète de la Loire est rejetée.
Article 2 : Il est imparti à la préfète de la Loire, pour déférer à l'injonction prescrite par l'article 2 du jugement n°2006494 du tribunal administratif de Lyon du 22 septembre 2021, un délai de d'un mois courant à compter de la date de notification du présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera à Me Pialou la somme de 1 000 euros au titre des dispositions combinées des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative, sous réserve que Me Pialou renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à la mission d'aide juridictionnelle qui lui a été confiée.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer, à la préfète de la Loire et à M. A... B....
Délibéré après l'audience du 1er décembre 2022, à laquelle siégeaient :
M. Pruvost, président de chambre,
Mme Courbon, présidente-assesseure,
M. Pin, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 5 janvier 2023.
Le rapporteur,
F.-X. Pin
Le président,
D. PruvostLa greffière,
N. Lecouey
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
La greffière,
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N° 21LY03741