Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
M. A... a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 11 février 2022 par lequel le préfet de l'Isère lui a fait obligation de quitter sans délai le territoire français et prononcé une interdiction de retour d'une durée de trois ans, et de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil d'une somme de 800 euros au titre des frais liés au litige.
Par un jugement n° 2200906 du 4 mars 2022, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Grenoble a rejeté ses demandes.
Procédure devant la cour
Par une requête enregistrée le 21 mars 2022, M. A..., représenté par Me Martin, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du préfet de l'Isère du 11 février 2022 ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil de la somme de 800 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- le magistrat désigné n'a ni visé ni répondu à son moyen tiré de la méconnaissance de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- il n'a pas bénéficié d'une procédure équitable, au regard de l'article 6 de la convention européenne des droits de l'homme, dès lors que son avocat n'a été désigné que la veille de l'audience et qu'aucune communication n'a pu avoir lieu compte tenu de son incarcération, ce qui implique l'annulation de l'arrêté attaqué par voie de conséquence ;
- l'obligation de quitter le territoire français méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle procède en outre d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- l'illégalité de la mesure d'éloignement entraîne l'illégalité de l'interdiction de retour sur le territoire français ;
- l'interdiction de retour est insuffisamment motivée et procède d'un défaut d'examen particulier ;
- sa durée est disproportionnée ;
- cette décision méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle est entachée d'erreur manifeste d'appréciation.
La requête a été communiquée au préfet de l'Isère, qui n'a pas produit de mémoire en défense.
La demande d'aide juridictionnelle de M. A... a été rejetée par une décision du 3 août 2022.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 modifiée ;
- le code de justice administrative ;
Le président de la formation de jugement ayant dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Le rapport de Mme Le Frapper, première conseillère, ayant été entendu au cours de l'audience publique ;
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., ressortissant de la République de Guinée né le 21 février 2001, a déclaré être entré en France à l'âge de 16 ans, le 6 juin 2017. Par une décision du 21 décembre 2021, l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, statuant en procédure accélérée sur la demande de protection internationale présentée par M. A... au cours de sa détention, a rejeté cette demande. Par un arrêté du 11 février 2022, le préfet de l'Isère a alors fait obligation à M. A... de quitter sans délai le territoire français, sur le fondement du 4° de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire d'une durée de trois ans. M. A... relève appel du jugement du 4 mars 2022 par lequel un magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur la régularité du jugement :
2. Aux termes de l'article R. 741-2 du code de justice administrative : " La décision (...) contient le nom des parties, l'analyse des conclusions et mémoires ainsi que les visas des dispositions législatives ou réglementaires dont elle fait application (...) ".
3. Il ressort des pièces du dossier de première instance que M. A... a déposé le 4 mars 2022, avant la clôture de l'instruction, un mémoire contenant notamment un moyen tiré de ce que la procédure suivie devant le tribunal administratif méconnaissait le droit à un procès équitable garanti par l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et de ce que cette irrégularité devait emporter, par voie de conséquence, l'annulation de l'arrêté attaqué. Si le magistrat désigné a visé ce mémoire, il n'a pas analysé ce moyen et n'y a pas davantage répondu dans ses motifs, entachant ainsi son jugement d'irrégularité. M. A... est, par suite, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur l'autre moyen de régularité, fondé à demander l'annulation de ce jugement.
4. Il y a lieu pour la cour d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par M. A... devant le tribunal administratif de Grenoble.
Sur la légalité de l'arrêté du 11 février 2022 :
En ce qui concerne l'obligation de quitter le territoire français :
5. En premier lieu, le moyen tiré de ce que la procédure suivie devant le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Grenoble n'aurait pas garanti à M. A... le respect de son droit à un procès équitable ne peut que demeurer sans influence sur la légalité de l'arrêté préfectoral intervenu au préalable. M. A... a en tout état de cause été mis en mesure, en appel, de produire de nouvelles pièces par l'intermédiaire de son conseil.
6. En deuxième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
7. M. A... déclare être entré en France le 6 juin 2017 et avoir été pris en charge jusqu'à sa majorité par l'association Adate. Il ne justifie toutefois pas d'une intégration particulière par sa seule durée de présence sur le territoire français, alors qu'il ressort des pièces du dossier qu'il n'a accompli aucune démarche tendant à la régularisation de son séjour avant de faire l'objet le 30 avril 2019 et le 25 janvier 2021 de précédentes mesures d'éloignement. Aucune pièce du dossier ne permet par ailleurs d'établir que la scolarisation de deux années dont se prévaut M. A... aurait présenté un caractère particulier. Le requérant, qui s'est déclaré célibataire, a vécu l'essentiel de son existence en Guinée et n'a pas mentionné l'existence d'une quelconque relation au cours de ses auditions des 24 janvier 2021 et 1er février 2022, ne justifie pas du sérieux, de la stabilité et de l'ancienneté de la relation amoureuse dont il fait état désormais par la seule production d'une attestation insuffisamment circonstanciée indiquant toutefois que les intéressés vivraient ensemble " par intermittence ". M. A..., compte tenu de la multiplicité de ses condamnations pour des infractions à la législation sur les stupéfiants, ne justifie enfin pas davantage d'une intégration sociale suffisante. Par suite, il n'est pas fondé à soutenir que la mesure d'éloignement porterait une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale. Le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit ainsi être écarté. Pour les mêmes motifs, la mesure d'éloignement litigieuse n'est pas entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.
En ce qui concerne l'interdiction de retour sur le territoire français :
8. En premier lieu, aux termes de l'article L. 612-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsqu'aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger, l'autorité administrative assortit la décision portant obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français (...) ". Aux termes de l'article L. 612-10 du même code : " Pour fixer la durée des interdictions de retour mentionnées aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative tient compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français ". Aux termes de l'article L. 613-2 du même code : " Les décisions relatives au refus et à la fin du délai de départ volontaire prévues aux articles L. 612-2 et L. 612-5 et les décisions d'interdiction de retour et de prolongation d'interdiction de retour prévues aux articles L. 612-6, L. 612-7, L. 612-8 et L. 612-11 sont distinctes de la décision portant obligation de quitter le territoire français. Elles sont motivées ".
9. Il ressort des termes de la décision attaquée que le préfet de l'Isère, après avoir fait état notamment de la mesure d'éloignement du 30 avril 2019 au soutien de la décision de refus d'un délai de départ volontaire, a d'abord motivé la décision d'interdiction de retour par la menace à l'ordre public constituée par la présence en France de M. A..., condamné plusieurs fois pour des faits d'infraction à la législation sur les stupéfiants et alors incarcéré. En minorant ensuite l'importance de la durée de séjour alléguée par la circonstance que le requérant se maintenait en situation irrégulière depuis sa majorité, le préfet a nécessairement entendu faire référence à la circonstance mentionnée préalablement qu'il avait déjà fait l'objet d'au moins une mesure d'éloignement. Le préfet a enfin évalué la nature et l'ancienneté des attaches de M. A... avec la France. La décision portant interdiction de retour sur le territoire français est, dès lors, suffisamment motivée et ne procède pas d'un défaut d'examen particulier de la situation de M. A....
10. En deuxième lieu, le moyen dirigé contre l'interdiction de retour et tiré, par voie d'exception, de l'illégalité de la mesure d'éloignement doit être écarté, en l'absence d'une telle illégalité.
11. En dernier lieu, M. A... était présent en France depuis moins de cinq ans à la date de la décision attaquée, et ne justifie ni de la stabilité de la relation amoureuse dont il se prévaut dans le cadre de la présente instance, ni d'aucune autre attache particulière sur le territoire français, ni du sérieux de sa scolarité. L'examen du bulletin n° 2 de son casier judiciaire fait par ailleurs apparaître cinq mentions en l'espace de moins de deux ans, pour une infraction routière et des infractions à la législation sur les stupéfiants, pour lesquelles il a été incarcéré du 26 juin 2021 au 5 mars 2022. M. A... ne conteste pas, par ailleurs, n'avoir exécuté ni les deux mesures d'éloignement prises à son encontre ni la décision de remise aux autorités italiennes intervenue dans le cadre de l'examen de sa demande d'asile. Dans ces conditions, en fixant à trois ans la durée d'interdiction de retour prononcée à l'encontre du requérant, le préfet n'a pas fait une inexacte application des dispositions précitées du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, sur lesquelles le juge de l'excès de pouvoir exerce un contrôle normal, ni méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
12. Il résulte de ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à demander l'annulation de l'arrêté attaqué du 11 février 2022.
Sur les frais liés au litige :
13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que l'Etat qui n'a pas, dans la présente instance, la qualité de partie perdante, verse au conseil de M. A... la somme qu'il demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 2200906 du tribunal administratif de Grenoble du 4 mars 2022 est annulé.
Article 2 : Les demandes présentées par M. A... devant le tribunal administratif de Grenoble et le surplus de ses conclusions d'appel sont rejetés.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Délibéré après l'audience du 8 décembre 2022, à laquelle siégeaient :
M. Bourrachot, président de chambre,
Mme Dèche, présidente assesseure,
Mme Le Frapper, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 20 décembre 2022.
La rapporteure,
M. Le FrapperLe président,
F. Bourrachot
La greffière,
A.-C. Ponnelle
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
La greffière,
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N° 22LY00853
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