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20/12/2022 | FRANCE | N°21LY01605

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 5ème chambre, 20 décembre 2022, 21LY01605


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. A... a demandé au tribunal administratif de Lyon de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de prélèvements sociaux auxquelles son foyer fiscal a été assujetti au titre de l'année 2014 et de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1901047 du 23 mars 2021, le tribunal administratif de Lyon a rejeté ses demandes.

Procédure dev

ant la cour

Par une requête enregistrée le 20 mai 2021, M. A..., représenté par Me Tati...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. A... a demandé au tribunal administratif de Lyon de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de prélèvements sociaux auxquelles son foyer fiscal a été assujetti au titre de l'année 2014 et de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1901047 du 23 mars 2021, le tribunal administratif de Lyon a rejeté ses demandes.

Procédure devant la cour

Par une requête enregistrée le 20 mai 2021, M. A..., représenté par Me Tatin-Gignoux, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de prélèvements sociaux auxquelles son foyer fiscal a été assujetti au titre de l'année 2014, ainsi que des intérêts de retard correspondants ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le ministre ne s'est pas prévalu, pour fonder les impositions, du pouvoir qu'il détient en vertu du principe général du droit à la répression des abus de droit ;

- ce principe ne peut en tout état de cause fonder légalement qu'un redressement, mais ne peut constituer la base légale de l'imposition elle-même ;

- aucun des critères de la fraude à la loi n'est rempli en l'espèce, dès lors qu'il s'est conformé aux objectifs fixés par le législateur sans rechercher un but exclusivement fiscal ;

- en application de l'article L. 80A du livre des procédures fiscales, la perception de la soulte ne peut être remise en cause sur le fondement de l'abus de droit, que la doctrine administrative applicable à la date de l'opération ne prévoyait pas.

Par un mémoire en défense, enregistré le 2 décembre 2021, le ministre de l'économie, des finances et de la relance conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par M. A... ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Le Frapper, première conseillère,

- les conclusions de M. Vallecchia, rapporteur public ;

Considérant ce qui suit :

1. M. C... et M. A... étaient associés de la société par actions simplifiée (SAS) Financière du Haut Pays (FHP), à hauteur de 50% du capital social chacun. M. A... a transmis en novembre 2014 à ses trois enfants, par acte de donation-partage, la nue-propriété de 8 034 des 60 000 actions de la société FHP qu'il détenait puis il a constitué le 26 novembre 2014, avec ses enfants, la société à responsabilité limitée (SARL) La Financière des Charmes à laquelle lui et ses enfants ont conjointement fait apport de l'intégralité de leurs parts dans la société FHP. M. A... a obtenu en contrepartie de son apport 3 526 397 parts sociales de la société La Financière des Charmes en pleine propriété, 600 138 parts en usufruit, et une soulte de 355 464 euros inscrite à son compte courant d'associé. La plus-value d'apport, incluant la soulte, a été placée en report d'imposition sur le fondement de l'article 150-0 B ter du code général des impôts. La société La Financière des Charmes a fait l'objet, entre novembre 2017 et janvier 2018, d'une vérification de comptabilité au cours de laquelle, par courrier du 19 décembre 2017, M. A... a demandé au vérificateur, à titre de régularisation, l'imposition de la soulte perçue dans la catégorie des plus-values sur valeurs mobilières, au titre de l'année 2014, avec le bénéfice des abattements pour durée de détention et sans pénalités. Par lettre du 21 décembre 2017, le vérificateur a informé M. A... et son épouse des conséquences financières de cette régularisation, s'élevant à 72 783 euros en droit et intérêts de retard, mis en recouvrement en avril 2018. La réclamation contentieuse alors formée par M. A... a été rejetée par décision du 10 décembre 2018. M. A... relève appel du jugement du 23 mars 2021 par lequel le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande tendant à la décharge de ces impositions ainsi que des intérêts de retard correspondants.

Sur le bien-fondé de l'imposition :

2. En premier lieu, aux termes du 1 du I de l'article 150-0 A du code général des impôts, dans sa rédaction applicable à l'année 2014 : " Sous réserve des dispositions propres aux bénéfices industriels et commerciaux, aux bénéfices non commerciaux et aux bénéfices agricoles ainsi que des articles 150 UB et 150 UC, les gains nets retirés des cessions à titre onéreux, effectuées directement, par personne interposée ou par l'intermédiaire d'une fiducie, de valeurs mobilières, de droits sociaux, de titres mentionnés au 1° de l'article 118 et aux 6° et 7° de l'article 120, de droits portant sur ces valeurs, droits ou titres ou de titres représentatifs des mêmes valeurs, droits ou titres, sont soumis à l'impôt sur le revenu ". Aux termes de l'article 150-0 B ter du même code, dans sa rédaction applicable au litige : " I.- L'imposition de la plus-value réalisée, directement ou par personne interposée, dans le cadre d'un apport de valeurs mobilières, de droits sociaux, de titres ou de droits s'y rapportant tels que définis à l'article 150-0 A à une société soumise à l'impôt sur les sociétés ou à un impôt équivalent est reportée si les conditions prévues au III du présent article sont remplies. Le contribuable mentionne le montant de la plus-value dans la déclaration prévue à l'article 170. / Les apports avec soulte demeurent soumis à l'article 150-0 A lorsque le montant de la soulte reçue excède 10 % de la valeur nominale des titres reçus. / (...) III.- Le report d'imposition est subordonné aux conditions suivantes : / 1° L'apport de titres est réalisé en France ou dans un Etat membre de l'Union européenne ou dans un Etat ou territoire ayant conclu avec la France une convention fiscale contenant une clause d'assistance administrative en vue de lutter contre la fraude et l'évasion fiscales ; / 2° La société bénéficiaire de l'apport est contrôlée par le contribuable (...) ".

3. Il résulte de l'instruction que, par courrier du 19 décembre 2017, M. A... a demandé l'imposition de la soulte perçue en 2014 en tant que " plus-value sur valeurs mobilières ", avec le bénéfice des abattements pour durée de détention de droit commun. Il s'ensuit que les impositions mises en recouvrement en juin 2018, conformément aux montants indiqués dans un courrier de réponse du 21 décembre 2017 de l'administration fiscale, ne sont pas fondées sur l'article L. 64 du livre des procédures fiscales ni sur le principe général du droit à la répression des abus de droit, mais sur l'article 150-0 A précité du code général des impôts. Il résulte par ailleurs des termes de la décision du 10 décembre 2018 statuant sur la réclamation contentieuse déposée par M. A..., tendant au bénéfice du report d'imposition de l'article 150-0 B ter du code général des impôts, que l'administration, si elle raisonne par analogie avec la procédure d'abus de droit instituée à l'article L. 64 du livre des procédures fiscales, n'a, en tout état de cause, entendu fonder le rejet opposé à la demande que sur l'existence d'un abus de droit, conformément au principe général du droit précité. Par suite, M. A... n'est pas fondé à soutenir que les impositions en cause seraient dépourvues de fondement faute pour l'administration d'avoir demandé devant le juge de l'impôt une substitution de base légale.

4. En deuxième lieu, hors du champ d'application des dispositions de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales, l'administration fiscale peut toujours écarter comme ne lui étant pas opposables certains actes passés par le contribuable, dès lors qu'elle établit que ces actes ont un caractère fictif, mais également écarter les actes qui, recherchant le bénéfice d'une application littérale des textes à l'encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, n'ont pu être inspirés par aucun motif autre que celui d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que l'intéressé, s'il n'avait pas passé ces actes, aurait normalement supportées eu égard à sa situation et à ses activités réelles.

5. En instituant un mécanisme de report d'imposition, le législateur a entendu favoriser les restructurations d'entreprises susceptibles d'intervenir par échange de titres en évitant que l'imposition immédiate de la plus-value constatée à l'occasion d'une telle opération, alors que le contribuable ne dispose pas des liquidités lui permettant d'acquitter cet impôt, fasse obstacle à sa réalisation. Si, dans la version du texte applicable au litige, le report d'imposition bénéficie à la totalité de la plus-value résultant d'une opération d'apport avec soulte lorsque le montant de celle-ci n'excède pas 10 % de la valeur nominale des titres reçus en rémunération de l'apport, le but ainsi poursuivi par le législateur n'est pas respecté si la stipulation d'une soulte au profit de l'apporteur en complément de l'attribution de titres de la société bénéficiaire de l'apport n'a aucune autre finalité que de permettre à celui-ci d'appréhender, en franchise immédiate d'impôt, des liquidités détenues par cette société ou par celle dont les titres sont apportés. Dans ce cas, l'administration est fondée à considérer qu'en stipulant l'octroi de cette soulte, les parties à l'opération d'apport ont recherché le bénéfice d'une application littérale des dispositions de l'article 150-0 B ter du code général des impôts à l'encontre des objectifs poursuivis par le législateur, dans le seul but d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que l'apporteur aurait normalement supportées.

6. En recourant ainsi au principe général du droit à la répression des abus de droit, l'administration, qui n'a privé l'intéressé d'aucune garantie, n'ajoute toutefois pas de condition au texte adopté par le législateur et ne méconnaît pas davantage le principe de sécurité juridique.

7. En l'espèce, il résulte de l'instruction que M. A..., en contrepartie de son apport de 51 966 parts en pleine propriété et 8 034 parts en usufruit de la société FHP, a obtenu 3 526 397 parts sociales de la société La Financière des Charmes en pleine propriété, 600 138 parts en usufruit, et une soulte de 355 464 euros inscrite à son compte courant d'associé. Le ministre fait par ailleurs valoir sans être contredit que la société La Financière des Charmes a souscrit en février et avril 2015 deux emprunts ayant permis l'émission de virements bancaires à destination des comptes privés de M. A..., en remboursement au moins partiel du compte courant d'associé. L'administration fiscale apporte ainsi des éléments suffisamment précis de nature à établir que, dans le cadre de l'opération litigieuse, la stipulation conventionnelle d'une soulte légèrement inférieure à 10% de la valeur nominale des titres, son inscription en compte courant d'associé, et son remboursement au moyen de prêts souscrits par la société La Financière des Charmes, ont permis à M. A... d'appréhender en franchise d'impôt des liquidités substantielles, au bénéfice d'une application littérale des textes contraire à l'intention du législateur et au détriment de la société bénéficiaire de l'apport.

8. La circonstance que la création de la holding familiale se soit inscrite dans le cadre d'une transmission intrafamiliale du groupe n'a pas pour effet de conférer ce même objectif à la stipulation de la soulte, laquelle demeure sans influence sur les modalités de gouvernance ultérieure du groupe. La soulte n'a par ailleurs permis qu'un accroissement infime de la participation de chacun des enfants de M. A... au capital de la société nouvellement créée et ne peut sérieusement être regardée comme ayant ainsi poursuivi un objectif de relution. Il ne résulte pas davantage de l'instruction que la stipulation de la soulte aurait, en l'espèce, été de nature à favoriser une hypothétique cession ultérieure du groupe, dont la perspective à la date de l'apport n'est au demeurant nullement avérée. Le requérant n'est, par ailleurs, pas fondé à soutenir que la soulte aurait permis de compenser une perte alléguée de liquidités des titres de la société La Financière des Charmes, dès lors que, si les statuts de cette société restreignent effectivement les possibilités de cession à des tiers, une telle cession demeure possible avec le consentement de la majorité des associés représentant au moins la moitié des parts sociales, M. A... disposant à lui seul, en pleine propriété, de 3 526 397 des 4 126 535 parts de la holding familiale, outre 600 138 parts en usufruit, de sorte que son adhésion à l'opération, au demeurant menée à son initiative dans un objectif de transmission patrimoniale, ne saurait avoir été conditionnée au versement d'une soulte, et ne peut non plus être regardée comme la compensation de la renonciation de M. A... au privilège du vendeur. M. A..., dirigeant de la société FHP et seul actionnaire de la société La Financière des Charmes susceptible de percevoir des dividendes, ne démontre pas davantage que la soulte serait justifiée par une hypothétique perte d'assurance de percevoir des dividendes, désormais simplement versés par la holding et non plus par la société FHP, quand bien même la holding, comme la société FHP avant elle, disposerait également de la faculté de réinvestir une partie de ses gains dans des opérations de diversification. En outre, la circonstance qu'un apport de titres soit, pour la société bénéficiaire, fiscalement moins onéreuse qu'une acquisition, ne permet pas de justifier l'intérêt, pour cette société, de la stipulation d'une soulte d'un montant significatif, financée par des emprunts bancaires. Il ne peut enfin être sérieusement soutenu que le recours à une soulte s'expliquerait par l'intérêt du contrôle de l'opération par un commissaire aux apports.

9. Par suite, l'administration fiscale, qui établit l'existence de l'abus de droit, était fondée à appliquer le principe général du droit à la répression des abus de droit pour rejeter la demande tendant au bénéfice du report d'imposition de la plus-value d'apport à concurrence du montant de la soulte.

10. En dernier lieu, M. A... ne peut se prévaloir, sur le fondement de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales, des termes de la documentation administrative applicable au report d'imposition des plus-values d'apport à la date des opérations d'apport, laquelle n'a jamais exclu la possibilité pour l'administration de recourir au principe de l'abus de droit, dont la définition jurisprudentielle était par ailleurs bien établie, pour faire échec à des opérations menées à l'encontre des objectifs poursuivis par le législateur, au bénéfice d'une application littérale des textes.

11. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lyon a rejeté ses demandes.

Sur les frais liés au litige :

12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que l'Etat qui n'a pas, dans la présente instance, la qualité de partie perdante, verse à M. A... la somme qu'il demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Délibéré après l'audience du 8 décembre 2022, à laquelle siégeaient :

M. Bourrachot, président de chambre,

Mme Dèche, présidente assesseure,

Mme Le Frapper, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 20 décembre 2022.

La rapporteure,

M. Le FrapperLe président,

F. Bourrachot

La greffière,

A.-C. Ponnelle

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition,

La greffière,

2

N° 21LY01605

ar


Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Fiscal

Analyses

19-01-03-03 Contributions et taxes. - Généralités. - Règles générales d'établissement de l'impôt. - Abus de droit et fraude à la loi.


Références :

Publications
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Composition du Tribunal
Président : M. BOURRACHOT
Rapporteur ?: Mme Mathilde LE FRAPPER
Rapporteur public ?: M. VALLECCHIA
Avocat(s) : CABINET ERNST et YOUNG

Origine de la décision
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 5ème chambre
Date de la décision : 20/12/2022
Date de l'import : 01/01/2023

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 21LY01605
Numéro NOR : CETATEXT000046836184 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2022-12-20;21ly01605 ?
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