Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
Les sociétés Pierre Streiff et Entreprise Gillet ont demandé au tribunal administratif de Grenoble, d'une part, d'annuler le marché public n° 2444027 attribué par le centre hospitalier général de Voiron à la société Eiffage Energie pour la réalisation du lot B " Corps d'état, CVCD, Plomberie, Sanitaires, Protection incendie, Superviseurs Gtb, Paillasses, Fluides médicaux " des travaux de construction du pôle hospitalier du Voironnais, d'autre part, de condamner le centre hospitalier général de Voiron à leur verser respectivement les sommes de 82 569,84 euros et de 69 728,98 euros en réparation des préjudices subis du fait de leur éviction illégale.
Par jugement n° 1800233 du 20 février 2020, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté leurs demandes.
Procédure devant la cour
Par une requête enregistrée le 3 juin 2020, les sociétés Pierre Streiff et Entreprise Gillet, représentées par VJA Avocats, demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 20 février 2020 ainsi que le marché n° 2444027 ;
2°) de condamner le centre hospitalier général de Voiron à leur verser respectivement les sommes de 82 569,84 euros et 69 728,98 euros, outre intérêts au taux légal à compter de la date de la remise des offres, capitalisés ;
3°) de mettre à la charge du centre hospitalier général de Voiron une somme de 10 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elles soutiennent que :
- les motifs du recours à la procédure concurrentielle avec négociation n'ont pas été exposés et cette procédure ne se justifiait pas au regard des exigences du II de l'article 25 du décret du 25 mars 2016 ;
- la définition d'un macro-lot B regroupant plusieurs corps d'état, dont celui des fluides médicaux, qui, compte tenu de sa spécificité, aurait dû en être dissocié, rompt l'égalité d'accès à la commande publique ;
- l'obligation de remise des offres sous forme papier et sous une forme additionnelle dématérialisée, méconnaît les dispositions des articles 40 et 41 du même décret ;
- le pouvoir adjudicateur a entaché la procédure de mise en concurrence de plusieurs manquements et a méconnu les principes de sécurité juridique, de confidentialité et du secret des affaires ainsi que l'article 2 du décret du 14 avril 2017 ; il a exigé une remise des offres sur différents supports, des envois des éléments de l'offre à plusieurs adresses de courriels non sécurisées et l'un de ses représentants a procédé à l'ouverture prématurée des plis au moment du dépôt de la remise finale des offres ;
- les négociations se sont déroulées en méconnaissance du principe d'égalité de traitement des candidats ; le pouvoir adjudicateur n'a pas répondu aux différentes questions du groupement notifiées les 21 et 28 avril, 11 mai et 20 juin 2017 ; l'attributaire a pu améliorer son offre grâce à des informations obtenues sur d'autres lots pour lesquels il candidatait, tel le lot relatif à l'imagerie médicale ; ces informations n'ont pas été portées à la connaissance de l'ensemble des candidats en violation des articles 71 et 73 du décret du 25 mars 2016 ;
- disposant d'une chance sérieuse de remporter le marché dont elles ont été évincées, elles sont fondées à demander l'indemnisation de leur manque à gagner, d'un montant de 65 232 euros s'agissant de la société Pierre Streiff SAS et d'un montant de 65 649,49 euros s'agissant de la société entreprise Gillet SAS, ainsi que des frais d'études et d'élaboration de leur offre chiffrés à 17 337,84 euros et à 4 079,49 euros.
Par mémoire enregistré le 30 septembre 2020, le centre hospitalier universitaire (CHU) de Grenoble Alpes, venant aux droits du centre hospitalier général de Voiron, représenté par la Selarl Guimet Avocats, conclut au rejet de la requête et à ce que les sociétés Pierre Streiff et Entreprise Gillet lui versent une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il fait valoir que :
- la requête est irrecevable car tardive ;
- aucun des moyens soulevés n'est de nature à remettre en cause la validité du marché contesté ; sa remise en cause porterait une atteinte excessive à l'intérêt général ;
- les conclusions indemnitaires doivent être rejetées.
Par mémoire enregistré le 19 novembre 2020, la société Eiffage Energie Systèmes - Clevia Centre-Est, représentée par la SCP Ducrot Associés DPA, conclut au rejet de la requête et à ce que les sociétés Pierre Streiff et Entreprise Gillet lui versent une somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir qu'aucun des moyens soulevés au soutien des conclusions en annulation du contrat dont elle est titulaire n'est fondé.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général des collectivités territoriales ;
- l'ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 et son décret d'application n° 2016-360 du 25 mars 2016 ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Christine Psilakis, rapporteure,
- les conclusions de M. Bertrand Savouré, rapporteur public,
- et les observations de Me Vieuille pour les sociétés Pierre Streiff et Entreprise Gillet, celles de Me Giraudon pour la société Eiffage Energie Systèmes - Clevia Centre-Est, et celles de Me Revol pour le CHU de Grenoble Alpes ;
Considérant ce qui suit :
1. Le centre hospitalier général de Voiron a engagé une procédure concurrentielle avec négociation prévue à l'article 42-1°b) de l'ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 pour le recrutement des titulaires des marchés de travaux de construction du pôle hospitalier du Voironnais. Le CHU de Grenoble Alpes, qui lui a succédé, a attribué, le 25 octobre 2017, le marché du lot B " CVCD (chauffage-ventilation-climatisation et désenfumage) Plomberie-Sanitaire-Paillasses-Fluides médicaux ", à la société Eiffage Energie Systèmes - Clevia Centre-Est. Les sociétés Pierre Streiff et Entreprise Gillet, cotraitantes d'un groupement soumissionnaire évincé, ont saisi le tribunal administratif de Grenoble d'une demande d'annulation de ce marché et de condamnation de l'établissement hospitalier à leur verser respectivement les sommes de 82 569,84 euros et de 69 728,98 euros en réparation des préjudices subis du fait de leur éviction illégale. Elles relèvent appel du jugement du 20 février 2020 qui a rejeté ces demandes.
Sur les conclusions de la requête :
2. Tout tiers à un contrat administratif susceptible d'être lésé dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine par sa passation est recevable à former devant le juge du contrat un recours de pleine juridiction contestant la validité de ce contrat. Il ne peut invoquer que des vices en rapport direct avec l'intérêt lésé dont il se prévaut ou ceux d'une gravité telle que le juge devrait les relever d'office. Un concurrent évincé ne peut ainsi invoquer, outre les vices d'ordre public dont serait entaché le contrat, que les manquements aux règles applicables à la passation de ce contrat qui sont en rapport direct avec son éviction.
3. En premier lieu et d'une part, il résulte de l'instruction que les motifs du recours à la procédure concurrentielle avec négociation figuraient dans le rapport de présentation des offres, conformément aux dispositions de l'article 105 du décret du 25 mars 2016 susvisé. Dans ces conditions, les sociétés requérantes ne sont pas fondées à faire grief au pouvoir adjudicateur de n'en avoir pas justifié au stade de la consultation, ce que n'exige aucune disposition ni principe général du droit de la commande publique.
4. D'autre part, il résulte du rapport de présentation des offres que la procédure concurrentielle avec négociation a été mise en œuvre sur le fondement des 1° et 3° du II de l'article 25 du décret du 25 mars 2016, en raison de la nécessité d'adapter des solutions techniques immédiatement disponibles et de réaliser les plans d'exécution qui sont des prestations de conception. S'il résulte de l'instruction que les travaux à livrer n'étaient pas caractérisés par la mise en œuvre de solutions innovantes ou expérimentales indisponibles sans adaptation, l'élaboration des plans d'exécution d'ouvrages aussi techniques que la circulation des fluides pouvait justifier, à elle seule, le recours au II de l'article 25 du décret du 25 mars 2016.
5. En deuxième lieu, si les sociétés requérantes soutiennent que le pouvoir adjudicateur a irrégulièrement alloti le marché en regroupant le corps de métier de la plomberie et du génie thermique avec celui des fluides médicaux, le lot B présente la cohérence de regrouper sous la responsabilité d'un prestataire unique, qui peut aussi bien être un groupement d'entreprises qu'une entreprise de taille plus importante, la réservation dans le gros œuvre des passages de tous les fluides puis leur réalisation nécessitant une intervention simultanée. En tout état de cause, les requérantes ne démontrent pas en quoi leur regroupement dans un groupement les aurait pénalisées dans l'élaboration ou l'appréciation portée par le pouvoir adjudicateur sur les mérites de leur offre.
6. En troisième lieu, les dispositions des articles 40 et 41 du décret du 25 mars 2016 susvisé ouvrent au pouvoir adjudicateur la faculté, dans l'avis d'appel public à la concurrence, de définir les modalités de remise des offres sous différents supports à chacun des stades de la procédure. En l'espèce, l'article 7 du règlement de consultation prévoyait une transmission des offres sous pli cacheté ou par voie électronique sur le profil d'acheteur du pouvoir adjudicateur sur la plateforme " www.marches-publics.info ". La transmission de documents sur supports physiques électroniques (type clé USB) n'était pas admise, sauf copie de sauvegarde et copie supplémentaire que chaque candidat pouvait remettre en supplément de l'exemplaire papier. Le choix du mode de transmission était global et irréversible et les candidats devaient appliquer le même mode de transmission à l'ensemble des documents transmis au pouvoir adjudicateur. L'article 5.1 du règlement de consultation des offres finales prévoyait un dépôt des offres finales sur support papier accompagné d'une clef USB et sous format informatique ainsi qu'un dépôt via un lien de téléchargement. Dans ces conditions, les requérantes, qui ont d'ailleurs pu déposer leurs deux offres successives sans rencontrer de difficulté particulière, ne peuvent utilement faire grief au maître d'ouvrage d'avoir prévu la possibilité de remise facultative et supplémentaire des offres sous forme papier.
7. En quatrième lieu, les requérantes soutiennent que le pouvoir adjudicateur a entaché la procédure de plusieurs manquements aux principes de sécurité juridique, de confidentialité et du secret des affaires ainsi qu'à l'article 2 du décret du 14 avril 2017. Si le moyen tiré de la violation de l'article 2 du décret du 14 avril 2017, lequel est postérieur à la procédure de passation en litige, est inopérant, demeure toutefois l'obligation pour l'acheteur public d'assurer la confidentialité et l'intégrité des documents qui lui sont transmis au cours de la procédure, obligation qui découle de l'article 42 du décret du 25 mars 2016 et des principes sus invoqués. A cet égard, il résulte de l'instruction que l'organisation des échanges lors de la phase de négociation, où le CHU a reçu le même jour dans ses locaux, chacun à leur tour, les soumissionnaires lors d'un entretien intitulé " 1er tour de négociation " et leur avait envoyé auparavant un questionnaire identique, ne procède pas d'une violation des obligations précitées. Il en va de même, de la possibilité ouverte aux candidats d'adresser des questions à des adresses pré identifiées dans les documents de consultation. Par ailleurs, les candidats devaient présenter leur offre finale sur support papier et la compléter d'une version sur support dématérialisé en utilisant un lien de stockage personnalisé sur " we transfer " communiqué par l'assistant à maîtrise d'ouvrage ainsi que des adresses courriels du CHU et de l'AMO figurant dans le courrier de demande de remise de l'offre finale. La remise des offres finales sur support dématérialisé dans les circonstances sus évoquées, si elle n'offre pas de garantie de confidentialité des offres, n'a pu, dans les circonstances de l'espèce, porter d'atteinte à ce principe dès lors que la quasi-simultanéité de remise des offres à quelques minutes de l'heure limite a fait matériellement obstacle à ce qu'un soumissionnaire bénéficie d'information sur les offres concurrentes et modifie en conséquence son offre. Enfin, la circonstance que les plis contenant les offres finales remis à l'accueil de l'établissement aient été ouverts n'a pu, en l'espèce, donner lieu à des fuites d'informations, l'agent d'accueil qui s'est livré à cette opération ayant certifié sous sa responsabilité n'avoir fait qu'extraire les clefs USB sans prendre connaissance du contenu de ces offres.
8. En cinquième lieu, les requérantes font valoir que le pouvoir adjudicateur n'a pas répondu aux différentes questions qu'elles avaient envoyées par courriel les 21 et 28 avril, 11 mai et 20 juin 2017, ce qui aurait fait obstacle à toute amélioration de leur offre avant clôture de la phase de négociation, et qu'elles n'ont été conviées qu'à une seule réunion de négociation. Il résulte toutefois de l'instruction que tous les soumissionnaires à l'attribution du marché du lot B n'ont été conviés qu'à une seule réunion de négociation, le 4 mai 2017, après convocation comme le prévoyait d'ailleurs le règlement de consultation initial et qu'ils ont été destinataires, postérieurement à cette réunion, d'un compte rendu de réunion, évoquant la distribution en séance des renseignements complémentaires demandés par les requérantes, afférents au plan du local technique et, ultérieurement, d'un document de consultation des entreprises additif récapitulant les réponses aux questions techniques de tous les candidats engagés sur l'ensemble des lots. Dans ces conditions, les sociétés requérantes ne sont pas fondées à soutenir avoir été victimes d'un traitement discriminatoire du pouvoir adjudicateur préjudiciable à l'offre de leur groupement.
9. En dernier lieu, il résulte de l'instruction que la présentation de variantes était une faculté prévue par les documents de consultation. Si la société attributaire a pris l'initiative de proposer une variante intégrant les avantages d'un système de refroidissement des machines IRM moins puissant et donc moins onéreux que le système de base, elle n'a fait que mettre à profit sa connaissance des technologies développées par les fabricants d'appareils d'imagerie médicales, ce qui ne révèle pas une rupture d'égalité de traitement en sa faveur.
10. Les sociétés Pierre Streiff et Entreprise Gillet n'étant pas fondées à demander l'annulation ou la résiliation du marché du lot B attribué à la société Eiffage Energie Systèmes - Clevia Centre-Est, elles ne sont pas fondées à demander à être indemnisées des conséquences de leur éviction. Les conclusions de leur requête présentées à cette fin doivent être rejetées.
11. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir tirée de la tardiveté de la requête d'appel, que les sociétés Pierre Streiff et Entreprise Gillet ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté leurs demandes. Leur requête doit être rejetée dans toutes ses conclusions.
Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
12. Les conclusions des sociétés Pierre Streiff et Entreprise Gillet, parties perdantes, doivent être rejetées. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions du CHU de Grenoble Alpes et de la société Eiffage Energie Systèmes - Clevia Centre-Est.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête des sociétés Pierre Streiff et Entreprise Gillet est rejetée.
Article 2 : Les conclusions du CHU de Grenoble Alpes et de la société Eiffage Energie Systèmes - Clevia Centre-Est présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié aux sociétés Pierre Streiff et Entreprise Gillet, au centre hospitalier universitaire (CHU) de Grenoble Alpes et à la société Eiffage Energie Systèmes - Clevia Centre-Est.
Délibéré après l'audience du 3 novembre 2022 à laquelle siégeaient :
M. Philippe Arbarétaz, président de chambre,
Mme Aline Evrard, présidente-assesseure,
Mme Christine Psilakis, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 24 novembre 2022.
La rapporteure,
Christine Psilakis
Le président,
Philippe Arbarétaz
Le greffier,
Julien Billot
La République mande et ordonne au ministre de la santé et de la prévention, en ce qui les concerne, ou à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
Le greffier,
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N° 20LY01552