Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Lyon de condamner le centre hospitalier universitaire (CHU) de Saint-Etienne et de son assureur, la société hospitalière d'assurances mutuelles (SHAM), à l'indemniser du préjudice résultant des suites d'une intervention réalisée le 17 décembre 2013. La caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de la Loire a formé des conclusions tendant à la condamnation du CHU de Saint-Etienne et de son assureur à lui verser la somme de 70 421,12 euros.
Par un jugement n° 1906618 du 18 mai 2021, le tribunal administratif de Lyon a condamné, d'une part, le CHU de Saint-Etienne à verser la somme de 5 200 euros à M. B..., d'autre part, le CHU de Saint-Etienne et la SHAM à verser la somme de 67 399,73 euros à la CPAM de la Loire.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 16 juillet 2021, M. A... B..., représenté par Me Lawson-Body, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1906618 du 18 mai 2021 du tribunal administratif de Lyon en tant qu'il rejette le surplus des conclusions de sa demande ;
2°) de porter la somme que le CHU de Saint-Etienne a été condamné à lui verser à un montant provisionnel de 30 000 euros, à parfaire au vu des conclusions d'une expertise à décider avant-dire droit ;
3°) subsidiairement, en l'absence d'expertise, de porter la somme que le CHU de Saint-Etienne a été condamné à lui verser à un montant de 192 145,11 euros, portant intérêt au taux légal à compter de sa demande préalable.
Il soutient que :
* une expertise complémentaire doit être décidée ;
* une faute a été commise durant l'intervention du 17 décembre 2013 ;
* il a en outre été victime d'une infection nosocomiale ;
* il a subi un déficit fonctionnel temporaire, des souffrances, un préjudice esthétique, des pertes de gains professionnels actuels, un déficit fonctionnel permanent, un préjudice d'agrément, des pertes de gains professionnels futurs, un préjudice d'incidence professionnelle, un préjudice sexuel et il a dû supporter des frais divers.
Par un mémoire en défense enregistré le 8 mars 2022, le centre hospitalier universitaire (CHU) de Saint-Etienne et la société hospitalière d'assurances mutuelles (SHAM), représentés par Me Le Prado, concluent au rejet de la requête.
Ils soutiennent que :
* une nouvelle expertise serait frustratoire ;
* aucune faute n'a été commise ;
* le caractère nosocomial de l'infection peut être admis ;
* les demandes indemnitaires du requérant sont excessives.
Par un mémoire enregistré le 8 mars 2022, la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de la Loire, représentée par la SELARL Axiome avocats, conclut :
1°) à ce que les sommes qui lui ont été allouées soient assorties d'intérêts au taux légal, ces intérêts étant eux-mêmes capitalisés ;
2°) à ce que le CHU de Saint-Etienne et la SHAM soient en outre condamnés à lui verser l'indemnité forfaitaire de gestion ;
3°) à ce que la somme de 1 800 euros soit mise à la charge du CHU de Saint-Etienne et de la SHAM sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
* c'est à juste titre que le tribunal a retenu le caractère nosocomial de l'infection ;
* c'est à juste titre que le tribunal lui a accordé le remboursement de ses débours ;
* elle est fondée à demander le versement de l'indemnité forfaitaire de gestion.
Par ordonnance du 10 février 2022, la clôture d'instruction a été fixée au 16 mars 2022.
M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 8 septembre 2021.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
* le code civil ;
* le code de la santé publique ;
* le code de la sécurité sociale, ensemble l'arrêté du 14 décembre 2021 relatif aux montants minimal et maximal de l'indemnité forfaitaire de gestion prévue aux articles L. 376-1 et L. 454-1 du code de la sécurité sociale pour l'année 2022 ;
* la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
* le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
* le rapport de M. Stillmunkes, rapporteur,
* les conclusions de Mme Cottier, rapporteure publique,
* et les observations de Me Demailly, représentant le CHU de Saint-Etienne et la SHAM.
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., né le 13 août 1963, a subi une intervention de remplacement de la valve aortique et de l'aorte ascendante par des prothèses, réalisée au centre hospitalier universitaire (CHU) de Saint-Etienne, le 17 décembre 2013. Des interventions de reprise ont dû être réalisées, respectivement, le 18 décembre pour la prise en charge d'un saignement post-opératoire, puis le 27 décembre pour la prise en charge d'un épanchement péricardique post-opératoire, et enfin le 30 décembre 2013 pour la prise en charge d'un autre épanchement péricardique. Les suites ont par ailleurs été compliquées par une infection. Par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lyon a retenu le caractère nosocomial de l'infection et a condamné le CHU à indemniser le patient. Il a également condamné le CHU, ainsi que son assureur la société hospitalière d'assurances mutuelles (SHAM), à indemniser la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de la Loire, tiers payeur subrogé.
Sur les conclusions à fin d'expertise :
2. Une première expertise amiable, confiée aux docteurs Chatelard et Tissot Guerraz, a été réalisée le 15 novembre 2018 à l'initiative de la SHAM. Le patient ayant saisi la commission de conciliation et d'indemnisation (CCI) Rhône-Alpes, cette dernière a diligenté une expertise contradictoire, confiée au docteur D... et au professeur C..., dont le rapport a été remis le 5 février 2020. Compte tenu des éléments d'information dont dispose ainsi la cour, et notamment des rapports des expertises précitées, spécialement celle diligentée dans le cadre de la procédure de conciliation et d'indemnisation, l'organisation d'une nouvelle expertise présenterait en l'espèce un caractère frustratoire
Sur le principe de la responsabilité :
3. Aux termes de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " I. - Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute. / Les établissements, services et organismes susmentionnés sont responsables des dommages résultant d'infections nosocomiales, sauf s'ils rapportent la preuve d'une cause étrangère (...) ".
4. En premier lieu, les parties ne contestent pas la partie du jugement par laquelle le tribunal a retenu le caractère nosocomial de l'infection à candida albicans contractée au cours ou au décours de l'intervention, et qui n'a pas entraîné un taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique relevant des prévisions du 1° de l'article L. 1142-1-1 du code de la santé publique.
5. En second lieu, si le requérant allègue dans sa requête d'appel que des fautes médicales auraient été commises durant l'intervention du 17 décembre 2013, il ne fournit pas les précisions nécessaires pour apprécier le bien-fondé de son moyen. Contrairement à ce qu'il semble alléguer, la seule circonstance que l'intervention cardiaque du 17 décembre 2013 ait été suivie de trois interventions de reprise, les 18, 27 et 30 décembre, pour prendre en charge un saignement et des épanchements péricardiques, ne révèle pas par elle-même une faute, alors en particulier que les expertises font apparaitre qu'il s'agit en l'espèce d'aléas thérapeutiques connus et non fautifs.
Sur les préjudices et les intérêts :
6. L'infection nosocomiale dont a été victime M. B... s'est révélée dans la nuit du 31 décembre 2013 au 1er janvier 2014. Elle a justifié un transfert en réanimation jusqu'au 7 janvier, et un traitement par antibiothérapie. Le patient a été transféré en infectiologie le 13 janvier 2014, puis est revenu à domicile le 3 février. La guérison est intervenue au plus tard le 20 mai 2014, sans déficit fonctionnel permanent imputable à la seule infection.
7. En premier lieu, il résulte de l'instruction et notamment de l'expertise diligentée par la CCI, que l'intervention cardiaque impliquait en tout état de cause une hospitalisation correspondant à un déficit fonctionnel temporaire total jusqu'au 4 janvier 2014, puis un déficit partiel de classe IV, soit un taux de de 75 %, jusqu'au 2 mars 2014. La même expertise, analysant de façon théorique les conséquences de l'infection, les évalue à un déficit fonctionnel temporaire total du 31 décembre 2013 au 3 février 2014, puis partiel de classe I, soit un taux de 10 %, du 4 février au 20 mai 2014. Il en résulte ainsi qu'aucune aggravation n'est imputable à l'infection avant le 5 janvier 2014. De cette date au 3 février 2014, le déficit partiel de 75 % est aggravé jusqu'à devenir total. Aucune aggravation n'est ensuite imputable avant le 3 mars 2014. Enfin, de cette dernière date jusqu'au 20 mai 2014, un taux de 10 % de déficit partiel temporaire est imputable. Il en sera fait une juste appréciation en évaluant le préjudice correspondant à un montant de 300 euros.
8. En deuxième lieu, ainsi que le relève l'expertise CCI, les souffrances temporaires endurées du fait de l'infection doivent être évaluées à 3/7. Elles ne se confondent pas avec celles identifiées en conséquence des aléas thérapeutiques précités, dont l'expertise précise qu'elles résultent essentiellement des trois interventions de reprise, alors que les souffrances propres aux conséquences de l'infection résultent en particulier du transfert en réanimation ayant nécessité une ventilation, de l'antibiothérapie et de l'hospitalisation supplémentaire rendue nécessaire. Le tribunal n'a pas fait une évaluation inexacte du préjudice correspondant en allouant une somme de 3 000 euros.
9. En troisième lieu, l'expertise CCI évalue le préjudice esthétique temporaire imputable à 0,5/7, du fait essentiellement de la ventilation qui a dû être pratiquée. Le tribunal n'en a pas fait une évaluation insuffisante en retenant une somme de 500 euros.
10. En quatrième lieu, pour les motifs exposés par le tribunal et que la cour fait siens, le requérant ne peut être regardé comme ayant subi un préjudice de perte de revenus avant le 2 mars 2014, compte tenu de la nature et de la gravité des suites de l'intervention et de la prise en charge des aléas thérapeutiques qui excluaient dans tous les cas la reprise rapide d'une activité. En revanche, ainsi que l'expose le requérant, il résulte de la comparaison des revenus salariaux mentionnés dans son avis d'imposition de l'année antérieure et du total des indemnités journalières, qu'il a subi une perte temporaire et résiduelle de revenus s'élevant à un montant mensuel de 154,26 euros. La perte de revenus avant consolidation subie entre le 2 mars et le 20 mai 2014 doit, ainsi, être évaluée au montant de 398,09 euros. Il n'y a par ailleurs pas de litige en appel sur les sommes allouées à la caisse au titre des indemnités journalières.
11. En cinquième lieu, il ne résulte pas de l'instruction qu'un déficit fonctionnel permanent serait imputable à l'infection nosocomiale. Aucune somme ne peut dès lors être allouée à ce titre.
12. En sixième lieu, alors que le requérant ne fait valoir aucune activité spécifique qui serait affectée des suites de l'infection, il n'est en tout état de cause pas fondé à demander réparation forfaitaire d'un préjudice d'agrément.
13. En septième lieu, ainsi qu'il a été dit, les suites de l'infection se sont consolidées sans déficit fonctionnel permanent identifiable. Aucun préjudice de perte de revenus futurs en lien avec l'infection ne peut dès lors être caractérisé. Aucun préjudice d'incidence professionnelle ne résulte davantage de l'instruction.
14. En huitième lieu, ainsi que l'a retenu le tribunal, les frais de conseil exposés dans la procédure de conciliation et la demande préalable ont en l'espèce présenté un caractère utile. Il y a dès lors lieu de retenir la somme de 1 580 euros au titre des frais divers. Les frais de transport invoqués ne sont en revanche pas établis.
15. En neuvième lieu, l'expertise CCI ne permet d'identifier aucun préjudice sexuel en lien avec l'infection. La seule circonstance que l'expertise réalisée à l'initiative de la SHAM mentionne un préjudice sexuel qui " existe à titre théorique ", sans le rattacher aux suites de l'infection, ne permet pas de caractériser un préjudice sexuel imputable. Le tribunal a dès lors à bon droit rejeté la demande correspondante.
16. En dixième lieu, la caisse demande par ailleurs, pour la première fois en appel, que les sommes qui lui ont été allouées soient assorties d'intérêts au taux légal, ces intérêts étant eux-mêmes capitalisés. D'une part, elle a droit aux intérêts au taux légal à compter du 16 avril 2021, date à laquelle elle doit être regardée comme ayant demandé en première instance le remboursement des débours exposés. D'autre part, les intérêts peuvent être capitalisés au 16 avril 2022, pour les seuls intérêts qui n'auraient pas fait l'objet d'un paiement à cette date.
17. Il résulte de ce qui précède que le requérant est uniquement fondé à soutenir que les sommes qui lui ont été allouées doivent être portées au montant de 5 778,09 euros, sans modification des conditions d'intérêt au taux légal retenues par le tribunal. La CPAM du Rhône est pour sa part fondée à demander le bénéfice d'intérêts au taux légal et d'une capitalisation dans les conditions qui viennent d'être exposées.
Sur l'indemnité forfaitaire de gestion :
18. Aux termes du neuvième alinéa de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale : " En contrepartie des frais qu'elle engage pour obtenir le remboursement mentionné au troisième alinéa ci-dessus, la caisse d'assurance maladie à laquelle est affilié l'assuré social victime de l'accident recouvre une indemnité forfaitaire à la charge du tiers responsable et au profit de l'organisme national d'assurance maladie. Le montant de cette indemnité est égal au tiers des sommes dont le remboursement a été obtenu, dans les limites d'un montant maximum de 910 euros et d'un montant minimum de 91 euros. A compter du 1er janvier 2007, les montants mentionnés au présent alinéa sont révisés chaque année, par arrêté des ministres chargés de la sécurité sociale et du budget, en fonction du taux de progression de l'indice des prix à la consommation hors tabac prévu dans le rapport économique, social et financier annexé au projet de loi de finances pour l'année considérée ". Les montants évoqués sont fixés à la date du présent arrêt par l'arrêté susvisé du 14 décembre 2021.
19. La caisse demande pour la première fois en appel le bénéfice de l'indemnité forfaitaire de gestion. Eu égard au montant qui lui est alloué, cette indemnité doit lui être versée à hauteur de la somme de 1 114 euros.
Sur les frais de l'instance :
20. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions présentées par les parties sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
Article 1er : La somme que le CHU de Saint-Etienne a été condamné à verser à M. B... par l'article 1er du jugement est portée au montant de 5 778,09 euros. Cette somme portera intérêts au taux légal à compter du 23 novembre 2016.
Article 2 : La somme que le CHU de Saint-Etienne et la SHAM ont été condamnés à verser à la CPAM de la Loire par l'article 2 du jugement est assortie d'intérêts au taux légal, eux-mêmes capitalisés, dans les conditions précisées au paragraphe 16 du présent arrêt.
Article 3 : Le CHU de Saint-Etienne et la SHAM sont condamnés à verser à la CPAM de la Loire la somme de 1 114 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion.
Article 4 : Le jugement du tribunal administratif de Lyon n° 1906618 du 18 mai 2021 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 5 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B..., à la caisse primaire d'assurance maladie de la Loire, au centre hospitalier universitaire de Saint-Etienne et à la société hospitalière d'assurances mutuelles (SHAM).
Délibéré après l'audience du 20 octobre 2022, à laquelle siégeaient :
M. Pourny, président,
M. Stillmunkes, président assesseur,
Mme Bentéjac, première conseillère,
Rendu public par mise à disposition au greffe le 17 novembre 2022.
Le rapporteur,
H. Stillmunkes
Le président,
F. Pourny
La greffière,
B. Berger
La République mande et ordonne au ministre de la santé et de la prévention, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
La greffière,
2
N° 21LY02381