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26/10/2022 | FRANCE | N°21LY00923

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 3ème chambre, 26 octobre 2022, 21LY00923


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Grenoble :

1°) d'annuler l'arrêté du préfet de l'Isère du 29 septembre 2020 portant obligation de quitter le territoire français, fixant le pays de destination et prononçant une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de trois ans ;

2°) d'enjoindre au préfet de l'Isère, à titre principal, de lui délivrer une carte de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de trente jours à compter

du jugement, à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation dans un délai d'un mois et, dans...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Grenoble :

1°) d'annuler l'arrêté du préfet de l'Isère du 29 septembre 2020 portant obligation de quitter le territoire français, fixant le pays de destination et prononçant une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de trois ans ;

2°) d'enjoindre au préfet de l'Isère, à titre principal, de lui délivrer une carte de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de trente jours à compter du jugement, à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation dans un délai d'un mois et, dans l'attente, de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dans les deux jours de la notification du jugement ;

3°) d'enjoindre au préfet de l'Isère de supprimer l'inscription de non admission au fichier d'information Schengen.

Par un jugement n° 2005751 du 14 décembre 2020, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Grenoble a annulé la décision portant interdiction de retour sur le territoire français et a rejeté le surplus des conclusions de la requête de M. A....

Par une requête enregistrée le 23 août 2021 au greffe du tribunal de Marseille et un mémoire enregistré le 1er octobre 2021, M. A... a demandé au tribunal administratif de Grenoble :

1°) d'annuler l'arrêté du 21 août 2021 par lequel la préfète des Hautes-Alpes a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de deux ans ;

2°) d'annuler son inscription au fichier SIS.

Par jugement n° 2106198 du 29 octobre 2021, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Grenoble a rejeté la demande de M. A....

Procédure devant la cour

I - Par une requête enregistrée le 22 mars 2021, M. A... représenté par Me Mathis, demande à la cour :

1°) d'annuler l'article 3 de ce jugement du 14 décembre 2020 du tribunal administratif de Grenoble ;

2°) d'annuler les décisions du préfet de l'Isère du 29 septembre 2020 portant obligation de quitter le territoire français et fixant le pays de destination de son éloignement ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 200 euros à verser à son conseil sur le fondement de l'article 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991.

M. A... soutient que :

- la décision portant obligation de quitter le territoire français méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est entachée d'erreur manifeste d'appréciation ;

- la décision fixant le pays de destination est dépourvue de base légale en raison de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français.

Par un mémoire en défense enregistré le 10 mai 2021, le préfet de l'Isère conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que les moyens présentés par le requérant ne sont pas fondés.

M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle partielle (55%) par une décision du 12 février 2021.

II - Par une requête enregistrée le 3 décembre 2021, M. A... représenté par Me Combes, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du 29 octobre 2021 du tribunal administratif de Grenoble ;

2°) d'annuler l'arrêté du 21 août 2021 par lequel la préfète des Hautes-Alpes a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de deux ans ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 200 euros à verser à son conseil sur le fondement de l'article 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991.

M. A... soutient que :

- la décision est entachée d'un défaut d'examen de sa situation individuelle ;

- l'autorité préfectorale ne pouvait fonder sa décision sur l'article L. 612-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile alors qu'aucune interdiction de retour n'est exécutoire à son encontre ;

- la durée de deux ans est manifestement disproportionnée au regard de sa vie privée et familiale et en l'absence de menace pour l'ordre public ;

- elle méconnaît l'article L. 511-1 III du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Par un mémoire en défense enregistré le 4 février 2022, la préfète des Hautes-Alpes conclut au rejet de la requête.

Elle fait valoir que les moyens présentés par le requérant ne sont pas fondés.

M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 19 octobre 2022.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience.

Après avoir entendu au cours de l'audience publique le rapport de M. Fédi, président-assesseur.

Considérant ce qui suit :

1. Le tribunal administratif de Grenoble a annulé, par jugement n° 2005751 du 14 décembre 2020, l'arrêté du préfet de l'Isère du 29 septembre 2020 portant interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de trois ans de M. A..., ressortissant tunisien né le 18 février 1990, qui relève appel de l'article 3 de ce jugement rejetant ses conclusions tendant à l'annulation des décisions de la même autorité portant obligation de quitter le territoire français et fixant le pays de destination de cette mesure d'éloignement. Dans une seconde requête, enregistrée sous le n° 21LY03898, M. A... relève également appel du jugement n° 2106198 du tribunal administratif de Grenoble du 29 octobre 2021 qui a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 21 août 2021 par lequel la préfète des Hautes-Alpes a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de deux ans. Les requêtes n° 21LY00923 et n° 21LY03898 présentées par M. A... qui concernent la situation d'un même requérant et qui ont fait l'objet d'une instruction commune, présentent à juger des questions semblables. Il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt.

Sur la légalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français :

2. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

3. Il ressort des pièces du dossier que M. A... est entré, pour la dernière fois, en France en juillet 2020 et ne fait d'état d'aucune insertion sociale ou professionnelle particulière. En se bornant à soutenir, d'une part, qu'il réside auprès de son épouse, s'occupant des enfants de cette dernière, d'autre part, que certains membres de sa famille sont de nationalité française ou en situation régulière en France, l'appelant ne démontre pas qu'il justifie d'une vie privée et familiale intense, ancienne et stable sur le territoire national, alors qu'il a passé l'essentiel de son existence en Tunisie, où il n'est pas dépourvu de liens privés et familiaux et alors qu'il s'est maintenu en France sans solliciter la régularisation de sa situation administrative. Ainsi, compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'espèce, la décision en litige n'a pas porté au droit de l'intéressé au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels elle a été prise. Elle n'a ainsi pas méconnu les stipulations précitées de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Le préfet de l'Isère n'a pas davantage entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation.

Sur la légalité de la décision fixant le pays de destination :

4. Il résulte de ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à exciper de l'illégalité de la décision l'obligeant à quitter le territoire français à l'appui de ses conclusions dirigées contre la décision fixant le pays de destination de son éloignement.

Sur la légalité de la décision portant interdiction de retour prise le 21 août 2021 :

5. M. A... réitère en appel, sans les assortir d'éléments nouveaux ses moyens tirés, d'une part, de ce que la décision est entachée d'un défaut d'examen de sa situation individuelle, d'autre part, de ce que l'autorité préfectorale ne pouvait fonder sa décision sur l'article L. 612-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Il y a lieu d'écarter ces moyens par adoption des motifs retenus à bon droit par les premiers juges.

6. Aux termes de l'article L. 612-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsqu'aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger, l'autorité administrative assortit la décision portant obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français. Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative n'édicte pas d'interdiction de retour. Les effets de cette interdiction cessent à l'expiration d'une durée, fixée par l'autorité administrative, qui ne peut excéder trois ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français ". Aux termes de l'article L. 612-10 de ce code : " Pour fixer la durée des interdictions de retour mentionnées aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative tient compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français. (...) ".

7. M. A... soutient d'une part, qu'il s'est marié le 21 avril 2020 en Tunisie avec une ressortissante française, mère de trois enfants dont deux mineurs, qu'ils vivent ensemble depuis le mois de juillet 2020 et qu'il s'occupe de l'éducation de ces enfants, d'autre part, que sa sœur et ses deux frères vivent en France, mais dans une autre région et enfin que les faits de vols, outrages et violences sur personne dépositaire de l'autorité publique, rébellion et fourniture d'identité imaginaire qui lui sont reprochés ont été commis de 2010 à 2012. Toutefois, il ressort des pièces du dossier que l'appelant n'est installé en France que depuis un an à la date de l'arrêté attaqué, après avoir passé plusieurs années en Tunisie, où il s'est marié. Ce mariage et la cohabitation avec son épouse présentent un caractère récent et il n'est pas le père des enfants de celle-ci. Alors que son frère et sa sœur qui ont rédigé des attestations en sa faveur résident dans des départements éloignés de l'Isère où il demeure, M. A... ne justifie pas d'autres liens avec la France. En outre, l'intéressé avait fait l'objet de trois mesures d'éloignement avant l'arrêté du 29 septembre 2020. En outre, il n'est pas établi, ni même allégué, que l'épouse de M. A..., qui possède également la nationalité tunisienne, ne pourrait pas lui rendre visite périodiquement en Tunisie durant l'exécution de l'interdiction de retour en France, limitée à deux ans par l'arrêté attaqué. Dans ces conditions, et sans que l'absence de menace pour l'ordre public y fasse obstacle, la préfète des Hautes-Alpes n'a pas fait une application inexacte des dispositions précitées en prenant la mesure d'interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de deux années. De même, aucune pièce du dossier ne permet d'établir l'existence de circonstances humanitaires, notamment en l'absence de liens stables et durables en France. Il ne ressort pas davantage des circonstances de fait avancées par l'intéressé, que cette décision porterait une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale. Par suite, et dès lors que M. A... a fait l'objet d'une obligation de quitter le territoire sans délai, c'est à bon droit que la préfète a assorti cette décision d'une interdiction de retour sur le territoire français. Les moyens tirés de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et des dispositions de l'article L. 612-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doivent, par suite, être écartés.

8. Il résulte de ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par les jugements attaqués, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté ses demandes. Doivent être rejetées, par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction ainsi que celles tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Copie en sera adressée au préfet de l'Isère et à la préfète des Hautes-Alpes.

Délibéré après l'audience du 11 octobre 2022, à laquelle siégeaient :

M. Jean-Yves Tallec, président de chambre,

M. Gilles Fédi, président-assesseur,

Mme Sophie Corvellec, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 26 octobre 2022.

Le rapporteur,

Gilles Fédi

Le président,

Jean-Yves Tallec

La greffière,

Sandra Bertrand

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition,

La greffière,

2

N°s 21LY00923 - 21LY03898


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 21LY00923
Date de la décision : 26/10/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-03 Étrangers. - Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : M. TALLEC
Rapporteur ?: M. Gilles FEDI
Rapporteur public ?: M. DELIANCOURT
Avocat(s) : MATHIS

Origine de la décision
Date de l'import : 06/11/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2022-10-26;21ly00923 ?
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