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20/10/2022 | FRANCE | N°21LY02355

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 2ème chambre, 20 octobre 2022, 21LY02355


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. C... B... et Mme A... D... ont demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler les arrêtés du 29 avril 2021 par lesquels le préfet de la Haute-Savoie les a obligés à quitter le territoire français dans le délai de trente jours, a fixé le pays de destination et a interdit leur retour sur le territoire français pour une durée d'un an.

Par un jugement n° 2103173 et 2103175 du 14 juin 2021, le magistrat désigné du tribunal administratif de Grenoble a rejeté leurs demandes.

Procédu

re devant la cour

Par une requête enregistrée le 15 juillet 2021 et un mémoire enregistré...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. C... B... et Mme A... D... ont demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler les arrêtés du 29 avril 2021 par lesquels le préfet de la Haute-Savoie les a obligés à quitter le territoire français dans le délai de trente jours, a fixé le pays de destination et a interdit leur retour sur le territoire français pour une durée d'un an.

Par un jugement n° 2103173 et 2103175 du 14 juin 2021, le magistrat désigné du tribunal administratif de Grenoble a rejeté leurs demandes.

Procédure devant la cour

Par une requête enregistrée le 15 juillet 2021 et un mémoire enregistré le 7 août 2021, M. B... et Mme D..., représentés par Me Djinderedjian, demandent à la cour :

1°) d'annuler ce jugement et ces arrêtés ;

2°) d'enjoindre au préfet de la Haute-Savoie de réexaminer leur situation et de leur délivrer un récépissé de demande de titre de séjour dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros, à verser à leur conseil, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et des articles 37 et 75 de la loi du 10 juillet 1991.

Ils soutiennent que :

- l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ainsi que l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ont été méconnus ;

- les articles 8 et 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ont été méconnus ;

- le paragraphe 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant a été méconnu ;

- les arrêtés attaqués sont insuffisamment motivés au regard de l'intérêt supérieur de l'enfant ;

- les décisions portant interdiction de retour ont été prises en méconnaissance de l'article L. 613-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction en vigueur au 1er mai 2021 ;

- ces décisions sont insuffisamment motivées.

En application de l'article R. 611-8 du code de justice administrative, la requête a été dispensée d'instruction.

M. B... et Mme D... ont été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 22 septembre 2021.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative ;

Le président de la formation de jugement ayant dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Le rapport de M. Pin, premier conseiller, ayant été entendu au cours de l'audience publique ;

Considérant ce qui suit :

1. M. B... et Mme D..., ressortissants nigérians nés respectivement le 25 janvier 1993 et le 26 mai 1994, sont entrés en France le 30 novembre 2019, selon leurs déclarations, et ont sollicité la reconnaissance du statut de réfugié. Leurs demandes ont été rejetées par deux décisions de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides du 30 octobre 2020 confirmées par la Cour nationale du droit d'asile le 8 avril 2021. Par deux arrêtés du 29 avril 2021, le préfet de la Haute-Savoie leur a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours sur le fondement du 6° du I de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, leur a accordé un délai de départ volontaire de trente jours, a fixé le pays de destination et a interdit leur retour sur le territoire français pour une durée d'un an. M. B... et Mme D... relèvent appel du jugement du 14 juin 2021 par lequel le magistrat désigné du tribunal administratif de Grenoble a rejeté leurs demandes tendant à l'annulation de ces arrêtés.

Sur la légalité des décisions portant obligation de quitter le territoire français :

2. En premier lieu, et contrairement à ce que soutiennent M. B... et Mme D..., la circonstance que les décisions attaquées, qui comportent l'énoncé des motifs de droit et de fait qui en constituent le fondement, ne contiennent pas de développements explicites relatifs à l'appréciation portée sur l'intérêt supérieur de leur enfant, dont les arrêtés litigieux font d'ailleurs dûment mention, ne révèle par elle-même qu'elles seraient insuffisamment motivées, ni que le préfet n'aurait pas tenu compte de l'intérêt supérieur de cet enfant. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation des décisions litigieuses doit être écarté.

3. En deuxième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ". Aux termes de l'article 14 de la même convention : " La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. ". Aux termes de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant : " 1. Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale. (...) ".

4. Il ressort des pièces du dossier que M. B... et Mme D..., entrés en France moins de deux ans avant l'édiction des arrêtés attaqués, n'ont été autorisés à séjourner sur le territoire français que le temps de l'instruction de leurs demandes d'asile. Les requérants, qui n'établissent aucune intégration particulière en France, notamment professionnelle, ne justifient pas davantage être dépourvus d'attaches privées et familiales dans leur pays d'origine, où ils ont vécu pour l'essentiel. En outre, M. B... et Mme D..., qui se bornent à invoquer la situation générale prévalant au Nigéria, ne démontrent pas qu'ils seraient empêchés de reconstituer leur cellule familiale, avec leur jeune enfant, né le 4 avril 2020, hors de France et notamment dans leur pays d'origine. S'il est constant que Mme D... était enceinte à la date de la décision attaquée, dans le quatrième mois de sa grossesse, elle n'établit pas qu'elle n'était pas en mesure de voyager à cette date. Dans ces conditions, eu égard notamment à la durée et aux conditions de séjour des intéressés, les décisions en litige n'ont pas porté une atteinte disproportionnée à leur droit au respect de sa vie privée et familiale au regard des buts qu'elles poursuivent. Par suite, le préfet de la Haute-Savoie n'a pas méconnu les stipulations des articles 8 et 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Les décisions contestées, qui n'ont ni pour objet ni pour effet de séparer les requérants de leur enfant mineur, n'ont pas davantage méconnu les stipulations du paragraphe 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.

Sur la légalité des décisions fixant le pays de destination :

5. Aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou des traitements inhumains ou dégradants ". Aux termes du dernier alinéa de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, alors applicable : " Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950. ".

6. M. B... et Mme D... soutiennent qu'ils craignent pour leur vie et leur sécurité en cas de retour dans leur pays d'origine. A cet égard, M. B... soutient qu'il risque d'être persécuté par son oncle, en raison d'un conflit foncier, sans pouvoir bénéficier de la protection effective des autorités de son pays et Mme D... fait valoir qu'elle a fait l'objet de menaces par le réseau de prostitution auquel elle a appartenu. Toutefois, les requérants n'apportent aucun élément établissant la réalité des craintes dont ils font état alors au demeurant que leur demandes d'asile ont été rejetées, comme il a été rappelé au point 1. Dès lors, ils n'établissent pas qu'ils seraient exposés à des risques actuels et personnels en cas de retour au Nigéria. Par suite, les moyens tirés de la méconnaissance des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, alors applicable, doivent être écartés.

Sur la légalité des décisions portant interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an :

7. En premier lieu, aux termes du III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, alors applicable : " L'autorité administrative, par une décision motivée, assortit l'obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français, d'une durée maximale de trois ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français, lorsque aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger. Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative ne prononce pas d'interdiction de retour. (...) Lorsqu'elle ne se trouve pas en présence du cas prévu au premier alinéa du présent III, l'autorité administrative peut, par une décision motivée, assortir l'obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée maximale de deux ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français. (...) La durée de l'interdiction de retour mentionnée aux premier, sixième et septième alinéas du présent III ainsi que le prononcé et la durée de l'interdiction de retour mentionnée au quatrième alinéa sont décidés par l'autorité administrative en tenant compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français (...) ".

8. Il ressort des termes mêmes de ces dispositions que l'autorité compétente doit, pour décider de prononcer à l'encontre de l'étranger soumis à l'obligation de quitter le territoire français une interdiction de retour et en fixer la durée, tenir compte, dans le respect des principes constitutionnels, des principes généraux du droit et des règles résultant des engagements internationaux de la France, des quatre critères qu'elles énumèrent, sans pouvoir se limiter à ne prendre en compte que l'un ou plusieurs d'entre eux. La décision d'interdiction de retour doit comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement, de sorte que son destinataire puisse à sa seule lecture en connaître les motifs. Si cette motivation doit attester de la prise en compte par l'autorité compétente, au vu de la situation de l'intéressé, de l'ensemble des critères prévus par la loi, aucune règle n'impose que le principe et la durée de l'interdiction de retour fassent l'objet de motivations distinctes, ni que soit indiquée l'importance accordée à chaque critère.

9. Il incombe ainsi à l'autorité compétente qui prend une décision d'interdiction de retour d'indiquer dans quel cas susceptible de justifier une telle mesure se trouve l'étranger. Elle doit par ailleurs faire état des éléments de la situation de l'intéressé au vu desquels elle a arrêté, dans son principe et dans sa durée, sa décision, eu égard notamment à la durée de la présence de l'étranger sur le territoire français, à la nature et à l'ancienneté de ses liens avec la France et, le cas échéant, aux précédentes mesures d'éloignement dont il a fait l'objet. Elle doit aussi, si elle estime que figure au nombre des motifs qui justifient sa décision une menace pour l'ordre public, indiquer les raisons pour lesquelles la présence de l'intéressé sur le territoire français doit, selon elle, être regardée comme une telle menace. En revanche, si, après prise en compte de ce critère, elle ne retient pas cette circonstance au nombre des motifs de sa décision, elle n'est pas tenue, à peine d'irrégularité, de le préciser expressément.

10. Les décisions contestées visent le III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, alors applicable, et énoncent que M. B... et Mme D..., qui sont dans la même situation administrative au regard de leur droit au séjour, résident en France depuis le 30 novembre 2019, et qu'ils n'établissent pas être dépourvus d'attaches dans leur pays d'origine. Dès lors, ces décisions sont suffisamment motivées au regard des principes rappelés aux points précédents.

11. En second lieu, M. B... et Mme D... ne peuvent, en tout état de cause, utilement se prévaloir des dispositions de l'article L. 613-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, lesquelles sont entrées en vigueur le 1er mai 2021, soit postérieurement aux arrêtés en date du 29 avril 2021.

12. Il résulte de ce qui précède que M. B... et Mme D... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné du tribunal administratif de Grenoble a rejeté leurs demandes. Par voie de conséquence, leurs conclusions à fin d'injonction, sous astreinte, ainsi que celles tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et des articles 37 et 75 de la loi du 10 juillet 1991 doivent également être rejetées.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de M. B... et Mme D... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... B... et à Mme A... D....

Copie en sera adressée au ministre de l'intérieur et des outre-mer et au préfet de la Haute-Savoie.

Délibéré après l'audience du 29 septembre 2022, à laquelle siégeaient :

M. Pruvost, président de chambre,

Mme Courbon, présidente-assesseure,

M. Pin, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 20 octobre 2022.

Le rapporteur,

F.-X. Pin

Le président,

D. PruvostLa greffière,

N. Lecouey

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition,

La greffière,

2

N° 21LY02355


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 21LY02355
Date de la décision : 20/10/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-01 Étrangers. - Séjour des étrangers.


Composition du Tribunal
Président : M. PRUVOST
Rapporteur ?: M. François-Xavier PIN
Rapporteur public ?: Mme LESIEUX
Avocat(s) : DJINDEREDJIAN

Origine de la décision
Date de l'import : 30/10/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2022-10-20;21ly02355 ?
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