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29/09/2022 | FRANCE | N°21LY00791

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 6ème chambre, 29 septembre 2022, 21LY00791


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Lyon de condamner le centre hospitalier ... à lui verser la somme de 25 000 euros.

Par une ordonnance n° 2009518 du 15 janvier 2021, le président de la 1ère chambre du tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande comme portée devant une juridiction incompétente pour en connaître.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 12 mars 2021, M. B... A..., représenté par Me Segard, demande à la cour :

1°)

d'annuler l'ordonnance n° 2009518 du 15 janvier 2021 du président de la 1ère chambre du tribunal admin...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Lyon de condamner le centre hospitalier ... à lui verser la somme de 25 000 euros.

Par une ordonnance n° 2009518 du 15 janvier 2021, le président de la 1ère chambre du tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande comme portée devant une juridiction incompétente pour en connaître.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 12 mars 2021, M. B... A..., représenté par Me Segard, demande à la cour :

1°) d'annuler l'ordonnance n° 2009518 du 15 janvier 2021 du président de la 1ère chambre du tribunal administratif de Lyon ;

2°) de condamner le centre hospitalier ... à lui verser la somme de 25 000 euros ;

3°) de mettre à la charge du centre hospitalier ... une somme de 2 000 euros au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- c'est à tort que le président de la 1ère chambre du tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande comme portée devant une juridiction incompétente pour en connaitre ;

- il ne conteste pas la régularité ou le bien-fondé des décisions d'admission ou de maintien en soins psychiatriques sans son consentement, ni les conséquences en découlant ;

- le directeur de l'hôpital a commis une faute en autorisant que des séquences soient filmées et diffusées et en ne s'assurant pas que son anonymat soit préservé, ni que le secret médical ne soit pas méconnu à l'occasion du documentaire ainsi réalisé.

Par un mémoire en défense enregistré le 21 juin 2021, le centre hospitalier ..., représenté par la SELARL Carnot Avocats, agissant par Me Prouvez, conclut au rejet de la requête :

Il soutient que les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés et que la juridiction administrative est en outre incompétente pour en connaître.

Par décision du 21 avril 2021, la demande d'aide juridictionnelle présentée par M. A... a été rejetée.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code civil ;

- le code de l'organisation judiciaire ;

- le code de la santé publique ;

- la loi n°91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridictionnelle ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Stillmunkes, président assesseur,

- les conclusions de Mme Cottier, rapporteure publique,

- et les observations de Me Litzler représentant le centre hospitalier du Vinatier.

Considérant ce qui suit :

1. M. B... A..., né le 29 août 1996, a été hospitalisé sous contrainte dans l'unité des malades difficiles du centre hospitalier ... du 15 septembre 2016 au 13 juin 2017. Le 29 novembre 2016, alors que sa comparution devant le juge des libertés et de la détention était prévue dans le cadre des locaux du centre hospitalier ..., il a été filmé, avec l'autorisation préalable du directeur de ce centre hospitalier. Cette séquence apparait dans le film documentaire intitulé " ... " tourné par M. C..., qui a été diffusé au cinéma, à la télévision et sous format de DVD. M. A... a adressé à la ministre chargée de la santé une réclamation préalable, reçue le 31 juillet 2019, puis a saisi le tribunal administratif de Lyon en vue d'obtenir la condamnation du centre hospitalier ... à réparer son préjudice moral pour un montant de 25 000 euros. Par ordonnance n° 2009518 du 15 janvier 2021, dont M. A... relève appel, le président de la 1ère chambre du tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande sur le fondement de l'article R. 222-1 du code de justice administrative, comme portée devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaitre.

Sur la régularité de l'ordonnance attaquée et la compétence de la juridiction administrative :

2. D'une part, les articles L. 3211-12 et L. 3211-12-1 du code de la santé publique donnent compétence au juge des libertés et de la détention pour contrôler de manière régulière et systématique ainsi que de manière facultative, à la demande notamment des personnes et de leur entourage, la poursuite des mesures de soins sans consentement et en ordonner la mainlevée. Aux termes de l'article L. 3216-1 du code de la santé publique : " La régularité des décisions administratives prises en application des chapitres II à IV du présent titre ne peut être contestée que devant le juge judiciaire. / Le juge des libertés et de la détention connaît des contestations mentionnées au premier alinéa du présent article dans le cadre des instances introduites en application des articles L. 3211-12 et L. 3211-12-1. Dans ce cas, l'irrégularité affectant une décision administrative mentionnée au premier alinéa du présent article n'entraîne la mainlevée de la mesure que s'il en est résulté une atteinte aux droits de la personne qui en faisait l'objet. / Lorsque le tribunal judiciaire statue sur les demandes en réparation des conséquences dommageables résultant pour l'intéressé des décisions administratives mentionnées au premier alinéa, il peut, à cette fin, connaître des irrégularités dont ces dernières seraient entachées ". La juridiction judiciaire est ainsi seule compétente pour apprécier non seulement le bien-fondé mais également la régularité d'une mesure d'admission en soins psychiatriques sans consentement et les conséquences qui peuvent en résulter.

3. D'autre part, la protection de la vie privée ne relève pas, par nature, de la compétence exclusive des juridictions judiciaires. En conséquence et en l'absence de dispositions législatives contraires, les demandes indemnitaires à raison des atteintes au droit à l'image, lequel est une composante du droit au respect de la vie privée, commises par une personne publique dans l'exercice d'un service public administratif, relèvent de la compétence du juge administratif.

4. Le président de la 1ère chambre du tribunal administratif de Lyon a estimé que la demande de M. A... se rapportait à la discussion de la régularité et du bien-fondé d'une mesure d'admission en soins psychiatriques sans consentement. Il résulte toutefois de l'instruction que le litige ne porte pas sur une telle mesure, mais sur une atteinte invoquée au droit à l'image d'un patient, découlant de ce qu'une séquence a pu, avec l'autorisation préalable du directeur du centre hospitalier ..., être filmée dans les locaux de ce centre hospitalier, pour être diffusée dans le documentaire " ... " de M. C.... Dès lors, le requérant est fondé à soutenir que c'est à tort que, par l'ordonnance attaquée, le président de la 1ère chambre du tribunal administratif de Lyon a rejeté la requête de M. A... comme ne relevant manifestement pas de la compétence de la juridiction administrative.

5. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par M. A... devant le tribunal administratif de Lyon.

6. Si le centre hospitalier ... fait par ailleurs valoir en appel que la responsabilité de l'Etat pour fonctionnement défectueux du service public de la justice définie par l'article L. 141-1 du code de l'organisation judiciaire ressort de la compétence des juridictions de l'ordre judiciaire, la circonstance que la séquence du documentaire ait eu lieu alors qu'une audition par le juge des libertés et de la détention était organisée dans les locaux hospitaliers, est en l'espèce sans lien avec le fait générateur invoqué, qui tient ici à ce que le directeur du centre hospitalier a autorisé le tournage, dans les locaux de l'hôpital, d'une séquence dans laquelle un des patients de l'hôpital apparait et est appelé à s'exprimer devant la caméra, sans que cette autorisation ait été la conséquence nécessaire d'une décision liée au fonctionnement de l'autorité judiciaire, et alors, au demeurant, que le requérant recherche la responsabilité de l'hôpital et non celle de l'Etat. L'exception d'incompétence de la juridiction administrative ne peut donc être retenue.

Sur la responsabilité :

7. Aux termes de l'article L. 1110-2 du code de la santé publique : " La personne malade a droit au respect de sa dignité ". Aux termes de l'article L. 1110-4 du même code : " I.- Toute personne prise en charge par un professionnel de santé, un établissement ou service, un professionnel ou organisme concourant à la prévention ou aux soins dont les conditions d'exercice ou les activités sont régies par le présent code, le service de santé des armées, un professionnel du secteur médico-social ou social ou un établissement ou service social et médico-social mentionné au I de l'article L. 312-1 du code de l'action sociale et des familles a droit au respect de sa vie privée et du secret des informations la concernant. / Excepté dans les cas de dérogation expressément prévus par la loi, ce secret couvre l'ensemble des informations concernant la personne venues à la connaissance du professionnel, de tout membre du personnel de ces établissements, services ou organismes et de toute autre personne en relation, de par ses activités, avec ces établissements ou organismes. Il s'impose à tous les professionnels intervenant dans le système de santé (...) ". Aux termes de l'article L. 1112-1 du même code : " (...) / III.- Les établissements sont tenus de protéger la confidentialité des informations qu'ils détiennent sur les personnes qu'ils accueillent (...) ". Enfin, aux termes de l'article R. 1112-47 du même code : " Les visiteurs ne doivent pas troubler le repos des malades ni gêner le fonctionnement des services. Lorsque cette obligation n'est pas respectée, l'expulsion du visiteur et l'interdiction de visite peuvent être décidées par le directeur. / Les journalistes, photographes, démarcheurs et représentants n'ont pas accès aux malades, sauf accord de ceux-ci et autorisation écrite donnée par le directeur. / Les malades peuvent demander aux cadres infirmiers du service de ne pas permettre aux personnes qu'ils désignent d'avoir accès à eux ". Il résulte de l'ensemble de ces dispositions qu'il appartient aux établissements hospitaliers d'assurer le respect de la dignité et de la vie privée de leurs patients ainsi que de la confidentialité des données les concernant, dans le respect du principe du secret médical. Nul ne peut en particulier saisir des images d'un patient dans un service hospitalier dans le but de les diffuser, sans accord exprès de ce patient, et dans le cadre qu'il appartient au directeur de l'hôpital de définir.

8. Il résulte de l'instruction, que M. C... a envisagé le tournage d'un film documentaire sur l'hospitalisation psychiatrique sans consentement. Il s'est rapproché de l'autorité judiciaire pour obtenir l'autorisation de filmer des audiences publiques présidées par un juge des libertés et de la détention. Souhaitant filmer une audience qui se tenait dans les locaux du centre hospitalier ..., ainsi que des patients dans le cadre de cet hôpital, il a par ailleurs formé une demande d'autorisation auprès du directeur du centre hospitalier. Par décision du 26 août 2016, cette dernière autorisation lui a été accordée. Elle encadre précisément l'objet, les lieux, la date et la durée du tournage. Elle précise que cette autorisation ne dispense pas de l'obtention de l'accord de chacun des patients et de chacune des personnes susceptibles d'être filmés, ainsi que de l'obligation de respecter le secret des informations les concernant, sauf accord de leur part. Elle rappelle en outre le nécessaire respect des patients. Enfin, elle rappelle l'interdiction de mentionner le nom des patients, sauf autorisation expresse de leur part. Un contrat portant sur l'accord du requérant, alors patient de l'hôpital, a en outre été conclu entre la société réalisant le film documentaire et le patient. Ainsi que l'a relevé la cour d'appel de Grenoble, saisie d'un litige en référé entre le patient et la société de production du film, d'une part, le patient a donné son accord pour être filmé alors qu'il n'était pas sous le coup d'une mesure de protection juridique, la confirmation par son conseil ayant en outre été demandée et obtenue, ainsi que des avis médicaux, d'autre part, le film a un objet purement informatif et éducatif, et en aucun cas récréatif, sans que la séquence où apparait le patient ne présente un caractère ridicule ou indigne. La cour d'appel a également relevé qu'un protocole de tournage a été spécialement défini, dans le cadre d'une phase de préparation de plusieurs mois, en concertation entre la direction de l'établissement de soins psychiatriques, les équipes médicales, les magistrats du tribunal de grande instance et le Barreau de Lyon.

9. M. A... recherche la responsabilité pour faute du centre hospitalier ... pour ne pas avoir pris les mesures nécessaires pour s'assurer de son anonymat et du respect du secret médical. Toutefois, ainsi qu'il a été exposé, le directeur du centre hospitalier ... n'a autorisé M. C..., réalisateur, et Mme D..., productrice, à réaliser le documentaire " ... ", dans les locaux de l'hôpital, que sous réserve de l'obtention des autorisations individuelles de chaque personne devant être filmée, photographiée ou interviewée, ainsi que de l'absence de mention de leur nom, sauf autorisation expresse des intéressés. Ainsi, contrairement à ce que soutient le requérant, l'hôpital a pris les mesures suffisantes pour s'assurer de la sauvegarde de son anonymat, dans le respect de sa volonté. Au demeurant, l'intéressé, non soumis à une mesure judiciaire de protection, a donné son autorisation écrite expresse à être filmé pour le documentaire et à la diffusion de ce dernier sur tout support et en tous lieux. Il ne résulte par ailleurs pas de l'instruction qu'une atteinte au secret médical aurait été commise lors de l'enregistrement de l'audience devant le juge des libertés et de la détention, alors que le tournage a été réalisé avec l'accord du patient, spécialement assisté d'un conseil, mais également des équipes médicales de l'établissement. Enfin, il ne peut être reproché à l'hôpital de ne pas avoir préservé le requérant de conséquences psychologiques qu'il aurait subies à la suite de la diffusion du documentaire à compter de fin novembre 2017, dès lors que le montage du documentaire et sa diffusion ne relevaient pas en eux-mêmes de la compétence du centre hospitalier et qu'il ne résulte d'ailleurs pas de l'instruction qu'il y aurait participé. Il s'ensuit, compte tenu de l'ensemble des garanties définies par le centre hospitalier pour accorder l'autorisation de tournage, qu'aucune faute imputable à l'hôpital ne peut être caractérisée. Dans ces conditions, la demande de M. A... tendant à la condamnation du centre hospitalier ... à lui verser la somme de 25 000 euros au titre de son préjudice moral doit être rejetée.

Sur les frais du litige :

10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative s'opposent à ce que le centre hospitalier, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, verse une quelconque somme à M. A..., au titre de frais exposés par lui et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : L'ordonnance n° 2009518 du 15 janvier 2021 du président de la 1ière chambre du tribunal administratif de Lyon est annulée.

Article 2 : La demande de M. A... et le surplus des conclusions de sa requête sont rejetés.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et au centre hospitalier ....

Délibéré après l'audience du 8 septembre 2022, à laquelle siégeaient :

M. Pourny, président de chambre,

M. Stillmunkes, président assesseur,

Mme Bentéjac, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 29 septembre 2022.

Le rapporteur,

H. StillmunkesLe président,

F. Pourny

La greffière,

F. Abdillah

La République mande et ordonne au ministre de la santé et de la prévention en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition,

La greffière,

N° 21LY00791 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 21LY00791
Date de la décision : 29/09/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-02-01-01-01-02 Responsabilité de la puissance publique. - Responsabilité en raison des différentes activités des services publics. - Service public de santé. - Établissements publics d'hospitalisation. - Responsabilité pour faute simple : organisation et fonctionnement du service hospitalier. - Absence de faute.


Composition du Tribunal
Président : M. POURNY
Rapporteur ?: M. Henri STILLMUNKES
Rapporteur public ?: Mme COTTIER
Avocat(s) : SEGARD

Origine de la décision
Date de l'import : 09/10/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2022-09-29;21ly00791 ?
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