Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Grenoble de prononcer la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été réclamés au titre de la période du 1er janvier 2009 au 31 décembre 2011.
Par un jugement n° 1800291-1801864 du 19 juin 2020, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 7 août 2020 et le 4 mai 2021, Mme A..., représentée par Me Le Boulc'h et Me Ibarra, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de prononcer la décharge de ces impositions ;
3°) de condamner l'Etat aux dépens ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 800 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- c'est à tort que le coefficient d'assujettissement à la taxe sur la valeur ajoutée applicable à son activité de location meublée, et par suite le coefficient de déduction, ont été ramenés à 0,42, dès lors qu'en dehors de la période hivernale au cours de laquelle le chalet était donné en location à un exploitant d'établissement d'hébergement, elle a offert ce bien à la location par le biais d'un mandat confié à un administrateur de biens chargé de rechercher des locataires, de sorte qu'elle a exercé une double activité ;
- elle ne s'est pas réservé la jouissance du bien en dehors de la période hivernale puisqu'il n'a été relevé aucune consommation d'eau, de gaz ou d'électricité durant ces périodes ;
- l'administration supporte la charge de preuve ;
- la mise à disposition du bien pour les besoins privés de son propriétaire constitue une opération imposable à la taxe sur la valeur ajoutée et l'administration aurait dû constater l'existence d'une prestation de service à elle-même, en application du 2 du II de l'article 257 du code général des impôts et du paragraphe 60 de l'instruction du 2 mars 2016 publiée sous la référence BOI-TVA-CHAMP-10-20-20.
Par des mémoires, enregistrés les 8 avril et 2 août 2021, le ministre de l'économie, des finances et de la relance conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens invoqués ne sont pas fondés.
Par ordonnance du 3 août 2021, la clôture d'instruction a été fixée au 30 août 2021.
Un mémoire, présenté pour Mme A..., enregistré le 30 août 2021, n'a pas été communiqué.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Courbon, présidente-assesseure,
- et les conclusions de Mme Lesieux, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme A..., qui est propriétaire d'un chalet à Morzine (Haute-Savoie) et a déclaré exercer une activité de location meublée non professionnelle, a fait l'objet en 2012 d'une vérification de comptabilité portant, en matière de taxe sur la valeur ajoutée, sur la période du 1er janvier 2009 au 31 décembre 2011 à l'issue de laquelle l'administration, ayant relevé que l'intéressée exerçait une activité de location meublée assortie de prestations para-hôtelières seulement cinq mois par an, a ramené le coefficient d'assujettissement de cette activité à la taxe sur la valeur ajoutée au prorata de la durée d'utilisation de ce bien pour la réalisation d'opérations imposables, soit à 0,42. Elle a, en conséquence, remis en cause partiellement la taxe déduite par l'intéressée et a mis à sa charge les droits de taxe sur la valeur ajoutée correspondants au titre de la période vérifiée. Mme A... relève appel du jugement du 19 juin 2020 par lequel le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande tendant à la décharge de ces impositions et des majorations correspondantes.
2. Aux termes de l'article 168 bis de la directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée de l'Union européenne : " 1. Dans le cas d'un bien immeuble faisant partie du patrimoine de l'entreprise d'un assujetti et utilisé par l'assujetti à la fois aux fins des activités de l'entreprise et pour son usage privé ou celui de son personnel ou, plus généralement, à des fins autres que celles de son entreprise, la TVA sur les dépenses liées à ce bien ne doit être déductible, conformément aux principes énoncés aux articles 167, 168, 169 et 173, qu'à proportion de son utilisation aux fins des activités de l'entreprise de l'assujetti. (...) ". Aux termes du I de l'article 256 du code général des impôts : " I. Sont soumises à la taxe sur la valeur ajoutée les livraisons de biens et les prestations de services effectuées à titre onéreux par un assujetti agissant en tant que tel. ". Aux termes de l'article 271 du même code : " I. 1. La taxe sur la valeur ajoutée qui a grevé les éléments du prix d'une opération imposable est déductible de la taxe sur la valeur ajoutée applicable à cette opération. ". Aux termes de l'article 205 de l'annexe II à ce code : " La taxe sur la valeur ajoutée grevant un bien ou un service qu'un assujetti à cette taxe acquiert, importe ou se livre à lui-même est déductible à proportion de son coefficient de déduction. ". Enfin, aux termes de l'article 206 de l'annexe II à ce code : " I. - Le coefficient de déduction mentionné à l'article 205 est égal au produit des coefficients d'assujettissement, de taxation et d'admission. II. - Le coefficient d'assujettissement d'un bien ou d'un service est égal à sa proportion d'utilisation pour la réalisation d'opérations imposables. Les opérations imposables s'entendent des opérations situées dans le champ d'application de la taxe sur la valeur ajoutée en vertu des articles 256 et suivants du code général des impôts, qu'elles soient imposées ou légalement exonérées. (...) IV. - 1. Le coefficient d'admission d'un bien ou d'un service est égal à l'unité, sauf dans les cas décrits aux 2 à 4. 2. Le coefficient d'admission est nul dans les cas suivants :1° Lorsque le bien ou le service est utilisé par l'assujetti à plus de 90 % à des fins étrangères à son entreprise. 2° Lorsque le bien ou le service est relatif à la fourniture à titre gratuit du logement des dirigeants ou du personnel de l'entreprise, à l'exception de celui du personnel de gardiennage, de sécurité ou de surveillance sur les chantiers ou dans les locaux de l'entreprise (...) ".
3. Il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne, et, notamment, des arrêts du 11 juillet 1991, Lennartz, C-97/90, du 4 octobre 1995, Armbrecht, C-291/92 et du 8 mars 2001, Bakcsi, C-415/98, que, lorsqu'un assujetti utilise un bien d'investissement à des fins tant professionnelles que privées, il a le choix, pour les besoins de la taxe sur la valeur ajoutée, soit d'affecter ce bien en totalité au patrimoine de son entreprise, soit de le conserver en totalité dans son patrimoine privé, soit de ne l'intégrer au patrimoine de son entreprise qu'à concurrence de l'utilisation professionnelle effective. En application de l'article 168 bis de la directive 2006/112/CE du 28 novembre 2006, telle que modifiée par la directive 2009/162/UE du 22 décembre 2009, la taxe sur la valeur ajoutée grevant les dépenses liées à un immeuble faisant partie du patrimoine de l'entreprise d'un assujetti et utilisé par l'assujetti à la fois aux fins des activités de l'entreprise et pour son usage privé ou celui de son personnel ou, plus généralement, à des fins autres que celles de son entreprise, ne peut être déduite immédiatement qu'à proportion de son utilisation aux fins des activités professionnelles de l'assujetti.
4. Il résulte de l'instruction que Mme A... a donné en location le chalet qu'elle possède à la société The French Chalet Company Limited, qui exerce une activité de prestation d'hébergement à caractère hôtelier, par des baux commerciaux conclus, respectivement, le 15 octobre 2008 et le 14 août 2009, puis à la société SDF Hughes Brittle, qui exerce la même activité, par un bail commercial conclu le 4 juin 2011. Ces baux indiquent, à l'article 2, qu'ils sont conclus pour une période de cinq mois, respectivement, du 1er décembre 2008 au 30 avril 2009, du 1er décembre 2009 au 30 avril 2010 et du 1er décembre 2011 au 30 avril 2012. Si Mme A... fait valoir que son père avait donné mandat à un administrateur de biens, par un contrat conclu en 1979 pour une période d'un an renouvelable par tacite reconduction, amendé par un avenant en 2008, aux fins de " rechercher d'éventuels locataires " et d'administrer le bien en cause, et produit la copie de correspondances échangées avec ce mandataire, il ne résulte pas de l'instruction, eu égard aux termes mêmes de ces courriers, et à défaut de production de tout élément attestant d'une mise en location, que des démarches effectives ont été entreprises pour louer le bien en dehors de la période de cinq mois couverte par les baux commerciaux conclus avec les sociétés The French Chalet Company Limited et SDF Hughes Brittle. La requérante, qui se borne à faire valoir que le bien est demeuré vacant faute de demande, n'établit pas qu'il n'a pu être affecté à des opérations imposables en raison de circonstances indépendantes de sa volonté. Si elle soutient, par ailleurs, que le chalet n'a pas été occupé en dehors des périodes de location saisonnière, ainsi qu'en atteste l'absence de consommation de gaz et d'électricité, cette circonstance est, en elle-même, sans incidence sur l'étendue du droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée, dès lors qu'en l'absence de toutes diligences en vue de réaliser des opérations imposables, conformément à l'objet de l'entreprise, Mme A... doit être regardée comme s'en étant réservée la disposition en vue d'une utilisation à des fins étrangères à l'exploitation sept mois par an. Dans ces conditions, l'administration fiscale a pu, à bon droit, fixer le droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée, au prorata de l'utilisation du bien pour son activité professionnelle.
5. Mme A... fait valoir que l'administration aurait dû, non remettre en cause son droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée à raison de la part d'utilisation privative du bien, mais rappeler la taxe à raison d'une prestation de service à soi-même qu'elle aurait dû déclarer, en application du 2° du II de l'article 257 du code général des impôts, aux termes duquel : " 2° L'affectation par un assujetti aux besoins de son entreprise d'un bien produit, construit, extrait, transformé, acheté, importé ou ayant fait l'objet d'une acquisition intracommunautaire dans le cadre de son entreprise lorsque l'acquisition d'un tel bien auprès d'un autre assujetti, réputée faite au moment de l'affectation, ne lui ouvrirait pas droit à déduction complète parce que le droit à déduction de la taxe afférente au bien fait l'objet d'une exclusion ou d'une limitation ou peut faire l'objet d'une régularisation ; cette disposition s'applique notamment en cas d'affectation de biens à des opérations situées hors du champ d'application de la taxe sur la valeur ajoutée ". Toutefois, la circonstance, à la supposer établie, que la requérante ait omis de déclarer une prestation de service à elle-même est, par elle-même, sans incidence sur le bien-fondé du rappel de taxe sur la valeur ajoutée en litige, qui repose sur la remise en cause du droit à déduction de la taxe à raison de la part d'affectation du bien à d'autres fins que l'exploitation de l'entreprise.
6. Aux termes enfin de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales : " Il ne sera procédé à aucun rehaussement d'impositions antérieures si la cause du rehaussement poursuivi par l'administration est un différend sur l'interprétation par le redevable de bonne foi du texte fiscal et s'il est démontré que l'interprétation sur laquelle est fondée la première décision a été, à l'époque, formellement admise par l'administration. / Lorsque le redevable a appliqué un texte fiscal selon l'interprétation que l'administration avait fait connaître par ses instructions ou circulaires publiées et qu'elle n'avait pas rapportée à la date des opérations en cause, elle ne peut poursuivre aucun rehaussement en soutenant une interprétation différente. Sont également opposables à l'administration, dans les mêmes conditions, les instructions ou circulaires publiées relatives au recouvrement de l'impôt et aux pénalités fiscales. ".
7. Mme A... se prévaut du paragraphe 60 de l'instruction du 2 mars 2016 publiée sous la référence BOI-TVA-CHAMP-10-20-20, aux termes duquel : " Le 1° du 1 du II de l'article 257 du CGI définit ces besoins comme étant ceux des dirigeants, du personnel de l'entreprise ou de tiers. En effet, l'utilisation ou l'acquisition à titre gratuit par ces personnes excluent l'affectation matérielle de ces biens à la réalisation de livraisons ou de prestations de service effectuées à titre onéreux. Elles ne sont donc pas effectuées pour les besoins de l'entreprise. Cette définition découle des 1° à 5° du 2 du IV de l'article 206 de l'annexe II au CGI " Toutefois, ce paragraphe, au demeurant publié postérieurement à la date de déclaration de la taxe sur la valeur ajoutée en litige, ne donne pas de la loi une interprétation différente de celle qui résulte du présent arrêt.
8. Il résulte de tout ce qui précède que Mme A... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions tendant au bénéfice des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, et, en tout état de cause, celles tendant à la condamnation de l'Etat aux dépens, doivent être rejetées.
DÉCIDE:
Article 1er : La requête de Mme A... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... A... et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté numérique et industrielle.
Délibéré après l'audience du 1er septembre 2022, à laquelle siégeaient :
M. Pruvost, président de chambre,
Mme Courbon, présidente-assesseure,
Mme Caraës, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 22 septembre 2022.
La rapporteure,
A. Courbon
Le président,
D. PruvostLa greffière,
A.-C. Ponnelle
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
La greffière,
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N° 20LY02215