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28/07/2022 | FRANCE | N°21LY02322

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 6ème chambre, 28 juillet 2022, 21LY02322


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme F... D... épouse E... a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler l'arrêté du 10 février 2021 par lequel la préfète de l'Ain a refusé de l'admettre au séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours en fixant le pays de destination et lui a interdit de retourner sur le territoire français pour une durée de six mois, et d'enjoindre à la préfète de l'Ain de lui délivrer un certificat de résidence ou, à titre subsidiaire de réexaminer sa situation

dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement à intervenir, so...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme F... D... épouse E... a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler l'arrêté du 10 février 2021 par lequel la préfète de l'Ain a refusé de l'admettre au séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours en fixant le pays de destination et lui a interdit de retourner sur le territoire français pour une durée de six mois, et d'enjoindre à la préfète de l'Ain de lui délivrer un certificat de résidence ou, à titre subsidiaire de réexaminer sa situation dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard.

Par un jugement n° 2101353 du 11 juin 2021, le tribunal administratif de Lyon a annulé la décision portant interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de six mois et rejeté le surplus de la demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 10 juillet 2021, et un mémoire complémentaire enregistré le 10 novembre 2021, Mme F... E..., représentée par Me Hmaida, demande à la cour :

1°) d'annuler l'article 2 du jugement n° 2101353 du 11 juin 2021 du tribunal administratif de Lyon et les décisions contestées ;

2°) d'enjoindre à la préfète de l'Ain de lui délivrer un certificat de résidence sinon de réexaminer sa situation dans un délai de deux mois à compter de la décision à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;

3°) de condamner l'Etat à verser à son conseil la somme de 1 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 75-1 de la loi du 10 juillet 1991.

Elle soutient que :

* la décision portant refus de séjour viole l'article 6-5 de l'accord franco-algérien et l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dès lors qu'elle réside en France depuis 2015, auprès de ses deux enfants confiés à leur grand-père français selon acte de kafala du 29 juillet 2013, s'est insérée professionnellement et ne pouvait plus résider en Algérie ;

* cette décision méconnaît l'intérêt supérieur de ses deux enfants au sens de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

* la même décision méconnait l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

* la décision portant obligation de quitter le territoire français est illégale du fait de l'illégalité entachant la décision portant refus de séjour, pour méconnaissance des articles 3-1 et 16 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant et de l'article 24 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et pour violation de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

* la décision est devenue illégale du fait qu'un de ses enfants, pour lequel elle participe à l'entretien et à l'éducation, a acquis la nationalité française par déclaration du 7 avril 2021 ; elle ne peut donc faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire français en application du 5° de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et en vertu de l'article L. 243-2 du code des relations entre le public et l'administration ;

* la décision fixant le pays de destination est illégale du fait de l'illégalité des décisions portant refus de séjour et obligation de quitter le territoire français.

Par un mémoire, enregistré le 12 octobre 2021, la préfète de l'Ain conclut au rejet de la requête.

Elle fait valoir que les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés.

Mme E... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 22 septembre 2021.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

* la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

* la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

* la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

* l'accord franco-algérien ;

* le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droits d'asile ;

* le code des relations entre le public et l'administration ;

* la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

* le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

A été entendu au cours de l'audience publique le rapport de M. Gayrard, président assesseur.

Considérant ce qui suit :

1. Par arrêté du 10 février 2021, la préfète de l'Ain a refusé la délivrance d'un titre de séjour à Mme F... D... épouse E..., née le 26 février 1985 en Algérie, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours, en fixant le pays de renvoi, et lui a interdit de retourner sur le territoire français pour une durée de six mois. Par jugement du 11 juin 2021, le tribunal administratif de Lyon a seulement annulé la décision portant interdiction de retour sur le territoire français et rejeté les autres conclusions de la requérante. Mme E... fait appel de ce jugement en tant qu'il a rejeté le surplus de ses conclusions.

Sur la légalité de la décision portant refus de séjour :

2. En premier lieu, aux termes de l'article 6 de l'accord franco-algérien modifié : " (...) Le certificat de résidence d'un an portant la mention " vie privée et familiale " est délivré de plein droit : (...) 5) Au ressortissant algérien qui n'entre pas dans les catégories précédentes ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial dont les liens personnels et familiaux en France sont tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus (...) ". Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1°) Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance (...) ". Aux termes de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait d'institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ".

3. Mme E... fait d'abord valoir qu'elle est entrée en France le 4 janvier 2015 pour rejoindre ses deux fils B... et C..., nés respectivement le 28 août 2007 et le 6 avril 2010 en Algérie, qui sont entrés en France le 4 septembre 2014 dans le cadre d'un regroupement familial obtenu par leurs grands-parents paternels, bénéficiaires d'un acte de kafala rendu par le tribunal de Tigzirt le 29 juillet 2013, à la demande des parents. D'abord, il ressort des pièces du dossier que, par arrêté du préfet de l'Ain du 16 mars 2015, confirmé par jugement du tribunal administratif de Lyon du 14 janvier 2016, Mme E... a fait l'objet d'un refus de délivrance d'un certificat de résidence assorti d'une décision portant obligation de quitter le territoire français, à laquelle elle n'a pas déféré. Ensuite, dès lors qu'il n'est pas établi, ni même allégué, que l'acte de kafala serait devenu caduc, Mme E... ne dispose donc pas de l'autorité parentale sur ses deux enfants et leur intérêt supérieur reste de vivre auprès de leurs grands-parents titulaires de cette autorité parentale et qui assurent leur éducation et leur entretien. Si Mme E... fait valoir qu'elle exerce une activité salariée de façon récurrente depuis fin 2018 en qualité de cuisinière, d'agent à domicile ou d'agent d'entretien, au demeurant sans obtention préalable d'une autorisation de travail, une telle circonstance n'est pas de nature à justifier d'une insertion dans la société française. Enfin, Mme E... n'est pas dépourvue d'attache familiale en Algérie où vit son époux et dans lequel elle a vécu jusqu'à l'âge de trente ans. Dans ces conditions, Mme E... n'est pas fondée à soutenir que, par sa décision portant refus de séjour, la préfète de l'Ain a porté une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale au regard des buts qu'elle poursuit. Il s'ensuit que les moyens tirés de la méconnaissance des stipulations de l'article 6-5 de l'accord franco-algérien et de l'article 8 de la convention européenne des sauvegardes des droits de l'homme et des libertés fondamentales doivent être écartés. Si Mme E... soutient qu'il est de l'intérêt supérieur de ses enfants, dont l'ainé a acquis la nationalité française par déclaration du 7 avril 2021, de vivre auprès de leur mère, comme indiqué plus haut, l'intérêt d'un enfant est en principe de vivre auprès de la personne qui, en vertu d'une décision de justice qui produit des effets juridiques en France, est titulaire à son égard de l'autorité parentale, quel que soit le motif de cette délégation. Au demeurant, dès lors qu'à la date de la décision attaquée, les deux enfants et leur mère avaient la même nationalité et dès lors que leur père résidait en Algérie, rien ne faisait obstacle à ce que la famille s'y reconstitue. Par suite, le moyen tiré d'une violation de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant peut être écarté.

4. En second lieu, l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa version alors en vigueur, prévoyant qu'une carte de séjour temporaire peut être délivrée à l'étranger dont l'admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu'il fait valoir, ne s'applique pas aux ressortissants algériens, dont la situation est régie de manière exclusive par l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 dès lors qu'il est relatif aux conditions dans lesquelles les étrangers peuvent être admis à séjourner en France. Cependant, bien que cet accord ne prévoie pas de semblables modalités d'admission exceptionnelle au séjour, un préfet peut délivrer un certificat de résidence à un ressortissant algérien qui ne remplit pas l'ensemble des conditions auxquelles est subordonnée sa délivrance de plein droit et il dispose à cette fin d'un pouvoir discrétionnaire pour apprécier, compte tenu de l'ensemble des éléments de la situation personnelle de l'intéressé, l'opportunité d'une mesure de régularisation. Eu égard à ce qui a été dit au point 3, en indiquant dans sa décision que la situation de Mme E... ne justifie pas une régularisation, la préfète de l'Ain n'a commis aucune erreur manifeste d'appréciation.

Sur la légalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français :

5. En premier lieu, au vu des points précédents, Mme E... n'est pas fondée à soutenir que la décision portant obligation de quitter le territoire français est illégale du fait de l'illégalité de la décision portant refus de séjour.

6. En deuxième lieu, eu égard aux motifs exposés au point 3, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté.

7. En dernier lieu, aux termes de l'article 24 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " (...) 2. Dans tous les actes relatifs aux enfants, qu'ils soient accomplis par des autorités publiques ou des institutions privées, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale. / 3. Tout enfant a le droit d'entretenir régulièrement des relations personnelles et des contacts directs avec ses deux parents, sauf si cela est contraire à son intérêt. ". Comme indiqué au point 3, l'intérêt supérieur des enfants de A... E... est d'abord de vivre auprès de leurs grands-parents qui les hébergent et exercent l'autorité parentale selon acte de kafala du 29 juillet 2013 et, en tout état de cause, rien ne faisait obstacle à ce que l'intéressée et ses deux enfants rejoignent le père resté en Algérie pour y reprendre leur vie familiale et poursuivre leur scolarité. Mme E... ne peut utilement se prévaloir du 5° de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dès lors que l'ainé de ses enfants n'a acquis la nationalité française que postérieurement à la décision attaquée. Elle ne peut davantage se prévaloir des dispositions de l'article L. 243-2 du code des relations entre le public et l'administration faute de demande d'abrogation auprès de la préfète de l'Ain. Il s'ensuit que les moyens fondés sur l'article 3-1 ou 16 de la convention internationale relative aux enfants et l'article 24 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne peuvent être écartés.

8. Enfin, s'agissant de la décision fixant le pays de renvoi, il résulte de ce qui précède que Mme E... ne peut exciper d'illégalités entachant la décision portant refus de séjour ou la décision portant obligation de quitter le territoire français, au soutien de ses conclusions à fin d'annulation de cette décision.

9. Il découle de tout ce qui précède que les conclusions de Mme E... tendant à l'annulation de l'arrêté de la préfète de l'Ain du 10 février 2021 ne peuvent être accueillies, ainsi que, par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction ou présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de Mme E... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme F... E... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer. Copie en sera adressée à la préfète de l'Ain.

Délibéré après l'audience du 7 juillet 2022, à laquelle siégeaient :

* M. Pourny, président de chambre,

* M. Gayrard, président assesseur,

* M. Pin, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 28 juillet 2022.

Le rapporteur,

J-P. GayrardLe président,

F. Pourny

La greffière,

F. Abdillah

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition,

La greffière,

N° 21LY02322 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 21LY02322
Date de la décision : 28/07/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Étrangers - Séjour des étrangers.

Étrangers - Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : M. POURNY
Rapporteur ?: M. Jean-Philippe GAYRARD
Rapporteur public ?: Mme COTTIER
Avocat(s) : HMAIDA

Origine de la décision
Date de l'import : 09/08/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2022-07-28;21ly02322 ?
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