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13/07/2022 | FRANCE | N°21LY02432

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 6ème chambre, 13 juillet 2022, 21LY02432


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La SARL ... a demandé au tribunal administratif de Clermont-Ferrand de condamner l'Etat à lui verser la somme de 588 265 euros en réparation d'un préjudice résultant de l'absence de notification préalable à la Commission européenne d'arrêtés tarifaires en matière d'achat d'électricité produite à partir de centrales photovoltaïques.

Par un jugement n° 1901372 du 12 mai 2021, le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une re

quête, enregistrée le 12 juillet 2021, et un mémoire complémentaire, enregistré le 12 janvier 2022...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La SARL ... a demandé au tribunal administratif de Clermont-Ferrand de condamner l'Etat à lui verser la somme de 588 265 euros en réparation d'un préjudice résultant de l'absence de notification préalable à la Commission européenne d'arrêtés tarifaires en matière d'achat d'électricité produite à partir de centrales photovoltaïques.

Par un jugement n° 1901372 du 12 mai 2021, le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 12 juillet 2021, et un mémoire complémentaire, enregistré le 12 janvier 2022, la SARL ..., représentée par la SCP d'avocats Collet et associés, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1901372 du 12 mai 2021 du tribunal administratif de Clermont-Ferrand ;

2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 588 265 euros ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du même code.

Elle soutient que :

- le jugement attaqué est insuffisamment motivé ;

- l'Etat a commis une illégalité fautive pour violation de son obligation de notification du régime d'aide que constituent les arrêtés tarifaires concernant le rachat de l'électricité issue d'installations photovoltaïques, alors même que la Commission européenne n'a pas estimé que ce régime serait incompatible avec le marché commun ;

- cette illégalité fautive lui a fait perdre une chance de bénéficier du tarif préférentiel issu d'un arrêté du 10 juillet 2006, qui n'aurait pas été forcément déclaré incompatible, et a ainsi compromis son projet.

Par un mémoire, enregistré le 22 décembre 2021, la ministre de la transition écologique conclut au rejet de la requête.

Elle fait valoir que les moyens soulevés par la SARL ... sont infondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

* le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

* la loi n° 2000-108 du 10 février 2000 ;

* le décret n° 2000-1196 du 6 décembre 2000 ;

* le décret n° 2001-410 du 10 mai 2001 ;

* le décret n° 2010-1510 du 9 décembre 2010 ;

* l'arrêté du 10 juillet 2006 fixant les conditions d'achat de l'électricité produite par les installations utilisant l'énergie radiative du soleil telles que visées au 3° de l'article 2 du décret n° 2000-1196 du 6 décembre 2000 ;

* les arrêtés du 12 janvier 2010 portant abrogation de l'arrêté du 10 juillet 2006 et fixant les conditions d'achat de l'électricité produite par les installations utilisant l'énergie radiative du soleil telles que visées au 3° de l'article 2 du décret n° 2000-1196 du 6 décembre 2000 ;

* le code de l'énergie ;

* le code de la justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

* le rapport de M. Gayrard, président assesseur,

* les conclusions de Mme Cottier, rapporteure publique,

* et les observations de Me Ramirez, représentant la SARL ....

Considérant ce qui suit :

1. La SARL ... a été constituée le 30 novembre 2009 pour porter un projet d'installation de panneaux photovoltaïques sur les bâtiments de l'exploitation agricole de son gérant, située sur le territoire de la commune de ... (43). La société Tenesol a été mandatée par la SARL ... pour réaliser le projet, notamment le dépôt du dossier de demande de raccordement au réseau de distribution d'électricité auprès de la société ERDF, devenue société Enedis, effectué le 30 décembre 2009 mais dont il a été accusé réception comme dossier complet le 18 mai 2010. Il est constant que la société ERDF n'a pas transmis de proposition technique et financière et a opposé le 4 février 2011 la caducité de la demande de raccordement et invité la société ... à déposer une nouvelle demande. Par jugement du 6 janvier 2017, le tribunal de commerce du Puy-en-Velay a condamné la société Enedis à verser à la SARL ... la somme de 698 010 euros puis, par arrêt du 5 décembre 2018, la cour d'appel de Riom a confirmé la responsabilité de la société Enedis mais a réduit l'indemnisation à la somme de 108 745 euros. Après avoir adressé le 6 mai 2019 une réclamation préalable au préfet de la Haute-Loire, la SARL ... a saisi, le 8 juillet suivant, le tribunal administratif de Clermont-Ferrand d'une requête tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 588 265 euros. Par jugement n° 1901372 du 12 mai 2021, dont la SARL ... relève appel, le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a rejeté sa demande.

Sur la régularité du jugement :

2. Si la SARL ... soutient que la motivation du jugement attaqué est particulièrement lacunaire et que le tribunal administratif de Clermont-Ferrand s'est abstenu de répondre au cœur de l'argumentation développée, il ressort des termes de ce jugement, et notamment de ses points 14 et 15, que les premiers juges ont opposé l'absence de préjudice indemnisable de la requérante pour rejeter ses conclusions indemnitaires et qu'ils n'avaient par suite pas à répondre à l'ensemble de son argumentation, notamment quant à la portée du défaut de notification du régime d'aide en cause. Par suite, ce moyen peut être écarté.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

3. D'une part, l'article 10 de la loi n° 2000-108 du 10 février 2000 relative à la modernisation et au développement du service public de l'électricité (ultérieurement codifié à l'article L. 314-1 du code de l'énergie) a institué à la charge d'EDF et des entreprises locales de distribution une obligation d'achat de l'électricité produite par des installations d'une puissance installée inférieure ou égale à 12 mégawatts, utilisant des énergies renouvelables, dont l'énergie radiative du soleil au moyen de panneaux photovoltaïques, avec des modalités de tarification incitatives fixées réglementairement, le surcoût en découlant étant financé par la contribution au service public de l'électricité qui est acquittée par les consommateurs. Un arrêté du 10 juillet 2006 avait fixé un coût de rachat à un tarif dit S06 de 0,602 euros par kWh vendu, soit largement au-dessus du prix du marché, applicable selon la date de réception de la demande complète de contrat de rachat d'électricité en application d'un décret n° 2001-410 du 10 mai 2001, et garanti pendant toute la durée du contrat de rachat d'une durée habituelle de vingt ans après raccordement effectif au réseau public. Toutefois, par deux arrêtés du 12 janvier 2010, a été abrogé l'arrêté précité du 10 juillet 2006 et pris de nouvelles conditions tarifaires moins avantageuses, avec un tarif dit S10 compris entre 0,314 euros et 0,3768 euros / kWh. Enfin, un décret n° 2010-1510 du 9 décembre 2010 dit " moratoire " a suspendu à la fois l'obligation d'achat et le dépôt des demandes de raccordement au réseau électrique et obligé les pétitionnaires n'ayant pas conclu de contrat avec ERDF à déposer une nouvelle demande de raccordement pour bénéficier d'un contrat d'achat, entrainant l'application de tarifs encore moins avantageux fixés notamment par des arrêtés des 16 mars et 31 août 2010.

4. D'autre part, l'article 107 § 1 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne stipule que : " Sauf dérogations prévues par les traités, sont incompatibles avec le marché intérieur, dans la mesure où elles affectent les échanges entre États membres, les aides accordées par les États ou au moyen de ressources d'État sous quelque forme que ce soit qui faussent ou qui menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions ". L'article 108 du même traité prévoit que : " La Commission est informée, en temps utile pour présenter ses observations, des projets tendant à instituer ou à modifier des aides. ". Cette dernière stipulation impose aux autorités des Etats membres une obligation de notification de tout régime d'aide d'Etat à la Commission européenne dont la méconnaissance affecte la validité des actes comportant mise à exécution des mesures d'aides et l'intervention ultérieure d'une décision finale de la Commission, déclarant ces mesures compatibles avec le Marché commun, n'a pas pour conséquence de régulariser a posteriori les actes invalides. Il n'est pas contesté que le régime mis en place par la loi n° 2000-108 du 10 février 2000 accordant aux installations de production d'énergie renouvelable un tarif supérieur au prix du marché constitue une aide d'Etat et que l'Etat français n'a pas respecté son obligation de notification préalable à la Commission européenne, entachant ainsi d'illégalité les divers actes réglementaires pris pour son exécution, et notamment les arrêtés fixant les tarifs des 10 juillet 2006 et 12 janvier 2010.

5. En premier lieu, dès lors qu'une illégalité est fautive, elle est comme telle et quelle qu'en soit la nature susceptible d'engager la responsabilité de l'Etat dès lors qu'elle est à l'origine des préjudices subis. La SARL ... soutient que le défaut de notification du régime d'aide décrit au point précédent, emportant l'illégalité des actes règlementaires pris pour sa mise en œuvre, l'a privée d'une chance de bénéficier des tarifs préférentiels, notamment issus de l'arrêté du 10 juillet 2006, et ainsi compromis son projet d'installations de panneaux photovoltaïques, à l'origine de ses préjudices, tenant, d'une part à des frais d'études, de conseils et de réalisation partielle de travaux exposés en pure perte, et, d'autre part, à une perte de chance sérieuse de percevoir les bénéfices qui auraient pu être perçus sur toute la durée du contrat d'achat d'électricité passé avec EDF. Toutefois, il résulte de l'instruction que si la SARL ... n'a pu mettre en œuvre son projet, c'est en raison des agissements de la société ERDF devenue ENEDIS, qui ne lui a d'abord pas renvoyé une proposition technique et financière dans les délais impartis, puis, par lettre du 4 février 2011, lui a opposé la caducité de sa demande de raccordement au réseau déposée le 30 décembre 2009, dont il a été accusé réception le 18 mai 2010 en la considérant comme complète depuis le 17 du même mois, et l'a invitée à déposer une nouvelle demande soumise aux nouvelles conditions tarifaires moins favorables. Dans ces conditions, la SARL ... n'établit pas l'existence d'un lien de causalité suffisamment direct et certain entre l'illégalité fautive commise par l'Etat et les préjudices allégués.

6. En deuxième lieu, même à supposer que la SARL ... pouvait bénéficier des tarifs préférentiels issus des arrêtés du 10 juillet 2006 ou du 12 janvier 2010, l'illégalité entachant ces textes réglementaires en raison de la violation par l'Etat français de son obligation de notification préalable du dispositif d'aide d'Etat à la Commission européenne ne permettait pas, en tout état de cause, de regarder l'absence de perception de telles aides illégales comme un préjudice indemnisable dès lors que l'Etat français était tenu de ne pas les verser avant que la Commission statue sur la compatibilité de ce régime d'aide au regard des règles du marché commun. Dès lors, la SARL ... ne saurait se prévaloir d'une quelconque perte de chance de bénéficier des tarifs issus des arrêtés litigieux.

7. En dernier lieu, la SARL ... ne peut invoquer un préjudice tenant à une discrimination entre les bénéficiaires des tarifs avantageux issus des arrêtés précités et les exploitants qui, comme elle, n'ont pu bénéficier de tels tarifs dès lors que ces opérateurs ne sont pas placés dans la même situation juridique tenant notamment à la date de raccordement au réseau électrique ou la date de conclusion des contrats de rachat d'électricité.

8. Il découle de tout ce qui précède que la SARL ... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 588 265 euros. Il y a lieu, par suite, de rejeter sa requête.

Sur les frais du litige :

9. Les dispositions de l'article L. 761-1 s'opposent à ce que l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, verse une quelconque somme à la SARL ..., au titre de frais exposés par elle et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de la SARL ... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la SARL ... et au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.

Délibéré après l'audience du 23 juin 2022, à laquelle siégeaient :

* M. Pourny, président de chambre,

* M. Gayrard, président assesseur,

* Mme Conesa-Terrade, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 13 juillet 2022.

Le rapporteur,

J-P. GayrardLe président,

F. Pourny

La greffière,

F. Abdillah

La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition,

La greffière,

N° 21LY02432 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 21LY02432
Date de la décision : 13/07/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Communautés européennes et Union européenne - Responsabilité pour manquement au droit de l’Union européenne.

Energie.


Composition du Tribunal
Président : M. POURNY
Rapporteur ?: M. Jean-Philippe GAYRARD
Rapporteur public ?: Mme COTTIER
Avocat(s) : SCP COLLET-DE ROCQUIGNY CHANTELOT-ROMENVILLE et ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 26/07/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2022-07-13;21ly02432 ?
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