La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

28/06/2022 | FRANCE | N°21LY03221

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 1ère chambre, 28 juin 2022, 21LY03221


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

Par deux demandes distinctes, M. B... D... et Mme A... C... épouse D... ont demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler les arrêtés du 19 avril 2021 par lesquels la préfète de la Loire leur a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination.

Par un jugement n° 2103492-2103493 du 30 août 2021, la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Lyon a rejeté leur demande.

Procédure devant la cour


Par une requête, enregistrée le 30 septembre 2021, M. B... D... et Mme A... C... épouse D......

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

Par deux demandes distinctes, M. B... D... et Mme A... C... épouse D... ont demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler les arrêtés du 19 avril 2021 par lesquels la préfète de la Loire leur a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination.

Par un jugement n° 2103492-2103493 du 30 août 2021, la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Lyon a rejeté leur demande.

Procédure devant la cour

Par une requête, enregistrée le 30 septembre 2021, M. B... D... et Mme A... C... épouse D..., représentés par Me Bescou, demandent à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Lyon du 30 août 2021 ;

2°) d'annuler les arrêtés de la préfète de la Loire du 19 avril 2021 ;

3°) d'enjoindre à la préfète de la Loire de procéder au réexamen de leur situation et de leur délivrer une autorisation provisoire de séjour dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'État une somme de 1 200 euros à verser à leur conseil, au titre des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991, à charge pour ce dernier de renoncer à percevoir la part contributive de l'Etat.

Ils soutiennent que :

- leur droit d'être entendu prévu par les stipulations de l'article 41 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union Européenne a été méconnu ;

S'agissant des décisions portant obligation de quitter le territoire français :

- il n'a pas été procédé à un examen réel et sérieux de leur situation ;

- elles méconnaissent les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- elles méconnaissent les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- elles sont entachées d'une erreur manifeste d'appréciation de leurs conséquences sur leur situation personnelle ;

S'agissant des décisions fixant le délai de départ volontaire :

- elles sont illégales par exception d'illégalité des décisions portant obligation de quitter le territoire français ;

S'agissant des décisions fixant le pays de destination :

- elles sont illégales en conséquence de l'illégalité des décisions portant obligation de quitter le territoire français ;

- elles méconnaissent les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Par un mémoire enregistré le 30 mai 2022, la préfète de la Loire conclut au rejet de la requête.

Elle indique s'en remettre aux écritures de première instance.

Par une décision du 5 janvier 2022, le bureau d'aide juridictionnelle a admis M. et Mme D... à l'aide juridictionnelle totale.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative ;

La présidente de la formation de jugement ayant dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. François Bodin-Hullin, premier conseiller ;

- les observations de Me Guillaume pour M. et Mme D... ;

Considérant ce qui suit :

1. M. D... et Mme A... C... épouse D..., ressortissants ukrainiens, nés respectivement le 24 juin 1971 et le 9 février 1983, sont entrés en France le 18 avril 2017. Par décisions respectives du 31 mai 2019 et du 3 décembre 2020, l'Office français de protection des réfugiés et apatrides et la Cour nationale du droit d'asile ont rejeté leurs demandes d'asile. Par deux arrêtés du 19 avril 2021, la préfète de la Loire les a obligés à quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays de destination. M. et Mme D... relèvent appel du jugement de la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Lyon du 30 août 2021 qui a rejeté leur demande.

Sur la légalité des arrêtés du 19 avril 2021 :

2. M. et Mme D... réitèrent en appel, sans les assortir d'éléments nouveaux, leurs moyens selon lesquels les décisions les obligeant à quitter le territoire français ont été prises sans réel examen de leur situation. Il y a lieu de les écarter par adoption des motifs retenus à bon droit par la première juge.

3. Aux termes du paragraphe 1 de l'article 41 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " Toute personne a le droit de voir ses affaires traitées impartialement, équitablement et dans un délai raisonnable par les institutions et organes de l'Union " ; qu'aux termes du paragraphe 2 de ce même article : " Ce droit comporte notamment : / - le droit de toute personne d'être entendue avant qu'une mesure individuelle qui l'affecterait défavorablement ne soit prise à son encontre ; (...) ". Aux termes du paragraphe 1 de l'article 51 de la Charte : " Les dispositions de la présente Charte s'adressent aux institutions, organes et organismes de l'Union dans le respect du principe de subsidiarité, ainsi qu'aux Etats membres uniquement lorsqu'ils mettent en œuvre le droit de l'Union. (...) ".

4. Ainsi que la Cour de justice de l'Union européenne l'a jugé dans ses arrêts C-166/13 et C-249/13 des 5 novembre et 11 décembre 2014, le droit d'être entendu préalablement à l'adoption d'une décision de retour implique que l'autorité administrative mette le ressortissant étranger en situation irrégulière à même de présenter, de manière utile et effective, son point de vue sur l'irrégularité du séjour et les motifs qui seraient susceptibles de justifier que l'autorité s'abstienne de prendre à son égard une décision de retour. Il n'implique toutefois pas que l'administration ait l'obligation de mettre l'intéressé à même de présenter ses observations de façon spécifique sur la décision l'obligeant à quitter le territoire français ou sur la décision le plaçant en rétention dans l'attente de l'exécution de la mesure d'éloignement, dès lors qu'il a pu être entendu sur l'irrégularité du séjour ou la perspective de l'éloignement.

5. Le droit d'être entendu implique que l'autorité préfectorale, avant de prendre à l'encontre d'un étranger une décision portant obligation de quitter le territoire français non prise concomitamment au refus de délivrance d'un titre de séjour, mette l'intéressé à même de présenter ses observations écrites et lui permette, sur sa demande, de faire valoir des observations orales, de telle sorte qu'il puisse faire connaître, de manière utile et effective, son point de vue sur la mesure envisagée avant qu'elle n'intervienne.

6. Une violation des droits de la défense, en particulier du droit d'être entendu, n'entraîne l'annulation de la décision prise au terme de la procédure administrative en cause que si, en l'absence de cette irrégularité, cette procédure pouvait aboutir à un résultat différent.

7. Il ne ressort pas des pièces du dossier que M. et Mme D..., auraient été, à un moment de la procédure, informés de ce qu'ils étaient susceptibles de faire l'objet d'une mesure d'éloignement ou mis à même de présenter des observations. Toutefois, il ne ressort pas des pièces du dossier que les intéressés, qui se bornent à faire état, pour contester les mesures d'éloignement, de leur situation familiale et de celle de leur enfant majeur, qui ont été prises en compte par la préfète de la Loire dans la décision en litige, disposaient d'éléments pertinents qu'ils auraient pu utilement porter à la connaissance de l'administration avant que ne soit prise les mesures d'éloignement et qui, s'ils avaient été communiqués à temps, auraient été de nature à faire obstacle aux décisions leur faisant obligation de quitter le territoire. Par suite, le moyen doit être écarté.

8. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1- Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ". Aux termes de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant du 26 janvier 1990 : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale. ".

9. Il ressort des pièces du dossier que M. et Mme D..., sont entrés en France le 18 avril 2017, accompagnés de leurs deux premiers enfants nés en Ukraine, un troisième enfant étant né sur le territoire français, le 9 décembre 2017. La famille résidait en France depuis seulement quatre ans, à la date des arrêtés en litige. S'il est établi que M. D... exerce une activité salariée depuis le mois de janvier 2021 dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée, Mme E... ne démontre aucune insertion professionnelle. En outre, si les requérants ont participé à des cours de langue française et de socialisation et à des activités de bénévolat, ils ne peuvent être regardés comme faisant preuve d'une insertion sociale et professionnelle, et ce malgré les résultats scolaires de leurs enfants et les attestations de leurs professeurs soulignant leurs efforts d'intégration. Enfin, ni le dépôt d'une demande d'asile par leur fils aîné majeur, ni la circonstance que leur dernier enfant soit né sur le territoire français ne sont de nature à établir que le centre de leur vie privée et familiale serait désormais installé sur le territoire national. Ainsi, M. D... et Mme E... ne sont pas fondés à soutenir que les décisions attaquées auraient porté à leur droit au respect de leur vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des buts en vue desquels elles ont été prises. Dès lors, enfin, que les décisions en cause n'ont ni pour objet ni pour effet de séparer les enfants mineurs de leurs parents et que les requérants ne font état d'aucune circonstance particulière qui s'opposerait à la reconstruction de leur cellule familiale en Ukraine à la date des décisions attaquées, l'ensemble de ses membres ayant tous la même nationalité, c'est sans méconnaître l'intérêt supérieur des enfants mineurs que la préfète de la Loire a décidé de les obliger à quitter le territoire français. Les moyens tirés de la méconnaissance des stipulations précitées des articles 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant pourront donc être écartés.

10. En l'absence d'illégalité des décisions portant obligation de quitter le territoire français, les requérants ne sont pas fondés à invoquer par la voie de l'exception l'illégalité des décisions fixant le délai de départ volontaire et fixant le pays de destination et ces moyens doivent être écartés.

11. M. et Mme D... réitèrent en appel, sans les assortir d'éléments nouveaux, leurs moyens selon lesquels les décisions fixant le pays de destination méconnaissent l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Il y a lieu de les écarter par adoption des motifs retenus à bon droit par la première juge.

12. Il résulte de ce qui précède, et sous réserve que l'administration ne mette pas à exécution les mesures d'éloignement prononcées, le conflit armé qui sévit à la date de lecture de l'arrêt en Ukraine y faisant obstacle, que M. et Mme D... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Lyon a rejeté leur demande.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

13. Le présent arrêt, qui rejette les conclusions dirigées contre les arrêtés des 19 avril 2021, n'appelle aucune mesure d'exécution. Les conclusions de M. et Mme D... tendant à ce qu'il soit enjoint à la préfète de la Loire de procéder au réexamen de leur situation et de leur délivrer une autorisation provisoire de séjour dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ne peuvent dès lors qu'être rejetées.

Sur les frais d'instance :

14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il en soit fait application à l'encontre de l'Etat, qui n'est pas partie perdante dans la présente instance.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de M. et Mme D... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... D... et Mme A... C... épouse D... et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée à la préfète de la Loire.

Délibéré après l'audience du 7 juin 2022 à laquelle siégeaient :

Mme Danièle Déal, présidente de chambre,

M. Thierry Besse, président-assesseur,

M. François Bodin-Hullin, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 28 juin 2022.

Le rapporteur,

François Bodin-Hullin

La présidente,

Danièle Déal

La greffière,

Fabienne Prouteau

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition,

La greffière,

2

N° 21LY03221


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 21LY03221
Date de la décision : 28/06/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-03 Étrangers. - Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : Mme DEAL
Rapporteur ?: M. François BODIN-HULLIN
Rapporteur public ?: M. LAVAL
Avocat(s) : SELARL BS2A - BESCOU et SABATIER

Origine de la décision
Date de l'import : 12/07/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2022-06-28;21ly03221 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award