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14/06/2022 | FRANCE | N°22LY00138

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 1ère chambre, 14 juin 2022, 22LY00138


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler la décision du 13 octobre 2021 par laquelle la préfète de la Loire a fixé le pays à destination duquel il pourra être reconduit d'office.

Par un jugement n° 2108182 du 23 novembre 2021, le tribunal administratif de Lyon a annulé cette décision.

Procédure devant la cour

Par une requête enregistrée le 14 janvier 2022, la préfète de la Loire demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 23 novembre 2021 ;r>
2°) de rejeter les conclusions de la demande de M. B... tendant à l'annulation de cette décision du 13 ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler la décision du 13 octobre 2021 par laquelle la préfète de la Loire a fixé le pays à destination duquel il pourra être reconduit d'office.

Par un jugement n° 2108182 du 23 novembre 2021, le tribunal administratif de Lyon a annulé cette décision.

Procédure devant la cour

Par une requête enregistrée le 14 janvier 2022, la préfète de la Loire demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 23 novembre 2021 ;

2°) de rejeter les conclusions de la demande de M. B... tendant à l'annulation de cette décision du 13 octobre 2021.

Elle soutient que :

- c'est à tort que les premiers juges ont estimé que sa décision était entachée d'un défaut d'examen complet et approfondi de la situation de M. B... ;

- aucun des autres moyens soulevés par l'intimé n'est fondé.

La requête a été communiquée à M. B..., qui n'a pas produit de mémoire en défense.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention de Genève du 28 juillet 1951 et le protocole signé à New York le 31 janvier 1967 relatifs aux réfugiés ;

- la directive 2011/95/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement ayant dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Thierry Besse, président-assesseur.

Considérant ce qui suit :

1. M. B..., ressortissant russe d'origine tchétchène, né en 1987, s'est vu reconnaître la qualité de réfugié en mai 2011. Par une décision du 7 mai 2016, devenue définitive, l'Office français de protection des réfugiés et apatrides a mis fin à son statut. M. B... a présenté en juillet 2021 une demande de réexamen de sa demande d'asile, demande rejetée comme irrecevable par décision du 5 août 2021 de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides. Par décisions du 13 septembre 2021, la préfète de la Loire l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination et lui a fait interdiction de retourner sur le territoire français pendant une durée de deux ans. Par jugement du 21 septembre 2021, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Lyon a annulé la décision fixant le pays à destination duquel M. B... serait éloigné d'office. Par décision du 13 octobre 2021, la préfète de la Loire a pris une nouvelle décision fixant le pays de destination. Elle relève appel du jugement du 23 novembre 2021 par lequel le tribunal administratif de Lyon a annulé cette décision.

2. D'une part, le 2° du paragraphe A de l'article 1er de la convention de Genève du 28 juillet 1951 stipule que la qualité de réfugié est notamment reconnue à " toute personne qui, craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité ou de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays (...) ".

3. Aux termes de l'article 14 de la directive 2011/95/UE du 13 décembre 2011 concernant les normes relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir bénéficier d'une protection internationale, à un statut uniforme pour les réfugiés ou les personnes pouvant bénéficier de la protection subsidiaire, et au contenu de cette protection : " (...) 4. Les États membres peuvent révoquer le statut octroyé à un réfugié par une autorité gouvernementale, administrative, judiciaire ou quasi judiciaire, y mettre fin ou refuser de le renouveler, / a) lorsqu'il existe des motifs raisonnables de le considérer comme une menace pour la sécurité de l'État membre dans lequel il se trouve ; / b) lorsque, ayant été condamné en dernier ressort pour un crime particulièrement grave, il constitue une menace pour la société de cet État membre. / 5. Dans les situations décrites au paragraphe 4, les États membres peuvent décider de ne pas octroyer le statut de réfugié, lorsqu'une telle décision n'a pas encore été prise. / 6. Les personnes auxquelles les paragraphes 4 et 5 s'appliquent ont le droit de jouir des droits prévus aux articles 3, 4, 16, 22, 31, 32 et 33 de la convention de Genève ou de droits analogues, pour autant qu'elles se trouvent dans l'État membre ".

4. L'article L. 711-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dispose, dans sa rédaction applicable au présent litige, dispose que : " Le statut de réfugié peut être refusé ou il peut être mis fin à ce statut lorsque : (...) 2° La personne concernée a été condamnée en dernier ressort en France soit pour un crime, soit pour un délit constituant un acte de terrorisme ou puni de dix ans d'emprisonnement, et sa présence constitue une menace grave pour la société ".

5. Les dispositions de l'article L. 711-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doivent être interprétées conformément aux objectifs de la directive du 13 décembre 2011 dont elles assurent la transposition et qui visent à assurer, dans le respect de la convention de Genève du 28 juillet 1951 et du protocole signé à New York le 31 janvier 1967, d'une part, que tous les Etats membres appliquent des critères communs pour l'identification des personnes nécessitant une protection internationale et, d'autre part, un niveau minimal d'avantages à ces personnes dans tous les Etats membres. Il résulte du paragraphe 4 de l'article 14 de cette directive, tels qu'interprété par l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne du 14 mai 2019 M e.a. (Révocation du statut de réfugié) (C-391/16, C-77/17 et C-78/17), que la " révocation " du statut de réfugié, que ses dispositions prévoient, ne saurait avoir pour effet de priver de la qualité de réfugié le ressortissant d'un pays tiers ou l'apatride concerné qui remplit les conditions pour se voir reconnaître cette qualité au sens du A de l'article 1er de la convention de Genève. En outre, le paragraphe 6 de l'article 14 de cette même directive doit être interprété en ce sens que l'Etat membre qui fait usage des facultés prévues à l'article 14, paragraphe 4, de cette directive, doit accorder au réfugié relevant de l'une des hypothèses visées à ces dispositions et se trouvant sur le territoire de cet Etat membre, à tout le moins, le bénéfice des droits et protections consacrés par la convention de Genève auxquels cet article 14, paragraphe 6, fait expressément référence, en particulier la protection contre le refoulement vers un pays où sa vie ou sa liberté serait menacée, ainsi que des droits prévus par ladite convention dont la jouissance n'exige pas une résidence régulière.

6. La perte du statut de réfugié résultant de l'application de l'article L. 711-6 ne saurait dès lors avoir une incidence sur la qualité de réfugié, que l'intéressé est réputé avoir conservée dans l'hypothèse où l'Office français de protection des réfugiés et apatrides et, le cas échéant, le juge de l'asile, font application de l'article L. 711-6, dans les limites prévues par l'article 33, paragraphe 1, de la convention de Genève du 28 juillet 1951 et le paragraphe 6 de l'article 14 de la directive du 13 décembre 2011.

7. D'autre part, aux termes de l'article 33 de la convention de Genève : " 1. Aucun des États contractants n'expulsera ou ne refoulera, de quelque manière que ce soit, un réfugié sur les frontières des territoires où sa vie ou sa liberté serait menacée en raison de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques. / 2. Le bénéfice de la présente disposition ne pourra toutefois être invoqué par un réfugié qu'il y aura des raisons sérieuses de considérer comme un danger pour la sécurité du pays où il se trouve ou qui, ayant été l'objet d'une condamnation définitive pour un crime ou délit particulièrement grave, constitue une menace pour la communauté dudit pays ". Aux termes de l'article 21 de la directive du 13 décembre 2011 : " 1. Les États membres respectent le principe de non-refoulement en vertu de leurs obligations internationales. / 2. Lorsque cela ne leur est pas interdit en vertu des obligations internationales visées au paragraphe 1, les États membres peuvent refouler un réfugié, qu'il soit ou ne soit pas formellement reconnu comme tel : / a) lorsqu'il y a des raisons sérieuses de considérer qu'il est une menace pour la sécurité de l'État membre où il se trouve ; ou / b) lorsque, ayant été condamné en dernier ressort pour un crime particulièrement grave, il constitue une menace pour la société de cet État membre. / (...) ". Il résulte de ces dispositions et de l'application des dispositions de l'article L. 711-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile qu'il peut être dérogé au principe de non-refoulement lorsqu'il existe des raisons sérieuses de considérer que le réfugié constitue une menace grave pour la sureté de l'Etat ou lorsque ayant condamnée en dernier ressort en France soit pour un crime, soit pour un délit constituant un acte de terrorisme ou puni de dix ans d'emprisonnement, il constitue une menace grave pour la société. Toutefois, ainsi que l'a jugé la Cour de justice de l'Union européenne par l'arrêt du 14 mai 2019 cité au point 5 ci-dessus, un Etat membre ne saurait éloigner un réfugié lorsqu'il existe des motifs sérieux et avérés de croire qu'il encourt dans le pays de destination un risque réel de subir des traitements prohibés par les articles 4 et 19 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. Ainsi, lorsque le refoulement d'un réfugié relevant de l'une des hypothèses prévues au 4 de l'article 14 ainsi qu'au 2 de l'article 21 de la directive du 13 décembre 2011 ferait courir à celui-ci le risque que soient violés ses droits fondamentaux consacrés aux articles 4 et 19 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'Etat membre concerné ne saurait déroger au principe de non-refoulement sur le fondement du 2 de l'article 33 de la convention de Genève.

8. Il appartient à l'étranger qui conteste son éloignement de démontrer qu'il y a des raisons sérieuses de penser que, si la mesure incriminée était mise à exécution, il serait exposé à un risque réel de se voir infliger des traitements contraires à l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ou aux articles 4 et 19 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. Toutefois, ainsi qu'il ressort de l'arrêt du 15 avril 2021 de la Cour européenne des droits de l'homme K.I. contre France (n° 5560/19), le fait que la personne ait la qualité de réfugié est un élément qui doit être particulièrement pris en compte par les autorités. Dès lors, la personne à qui le statut de réfugié a été retiré, mais qui a conservé la qualité de réfugié, ne peut être éloignée que si l'administration, au terme d'un examen approfondi de sa situation personnelle prenant particulièrement en compte cette qualité, conclut à l'absence de risque pour l'intéressé de subir un traitement prohibé par les stipulations précitées dans le pays de destination.

9. Il ressort des pièces du dossier que, par décision du 7 mai 2016, devenue définitive, l'Office français de protection des réfugiés et apatrides a mis fin au statut de réfugié de M. B..., en se fondant sur les dispositions alors en vigueur du 2° de l'article L. 711-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Si l'intéressé ne disposait ainsi plus d'un droit au maintien sur le territoire français, il n'a pas perdu pour autant sa qualité de réfugié. Dans ces conditions, et ainsi qu'il a été dit précédemment, la préfète de la Loire ne pouvait décider de l'éloigner vers son pays d'origine qu'au terme d'un examen approfondi de sa situation personnelle prenant particulièrement en compte sa qualité de réfugié, et concluant à l'absence de risque pour l'intéressé de subir un traitement prohibé par les stipulations précitées en Russie. Pour prendre sa décision, la préfète de la Loire s'est bornée à se référer à l'avis défavorable de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Lyon sur la demande d'extradition de l'intéressé formulée par les autorités russes, qui était fondée sur l'analyse des accusations portées contre lui, et à la décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides le 5 août 2021, qui a rejeté comme irrecevable la demande de M. B... au regard de la menace grave que représente l'intéressé pour la société française. Aucune de ces deux décisions n'examinant et ne prenant parti sur les risques effectivement encourus par l'intéressé en cas de retour dans son pays, et la préfète de la Loire, à qui il incombait de mener un examen approfondi sur ce point, n'ayant pas même invité l'intéressé à formuler des observations sur ce point, la décision est entachée d'un défaut d'examen de la situation de l'intimé. C'est par suite à bon droit que les premiers juges ont retenu ce motif pour annuler la décision du 13 octobre 2021 fixant le pays de destination.

10. Il résulte de ce qui précède que la préfète de la Loire n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lyon a annulé sa décision du 13 octobre 2021.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de la préfète de la Loire est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. A... B....

Copie en sera adressée à la préfète de la Loire.

Délibéré après l'audience du 24 mai 2022 à laquelle siégeaient :

M. Thierry Besse, président,

M. François Bodin-Hullin, premier conseiller,

Mme Christine Psilakis, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 14 juin 2022.

L'assesseur le plus ancien,

François Bodin-HullinLe président,

Thierry Besse

La greffière,

Fabienne Prouteau

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, en ce qui le concerne, ou à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition,

La greffière,

2

N° 22LY00138


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 22LY00138
Date de la décision : 14/06/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-03 Étrangers. - Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : M. BESSE
Rapporteur ?: M. Thierry BESSE
Rapporteur public ?: M. LAVAL

Origine de la décision
Date de l'import : 28/06/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2022-06-14;22ly00138 ?
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