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02/06/2022 | FRANCE | N°21LY00329

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 6ème chambre, 02 juin 2022, 21LY00329


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... B... et Mme D... E... ont demandé au tribunal administratif de Lyon de condamner la société des autoroutes Paris-Rhin-Rhône (APRR) à leur verser la somme globale de 336 250 euros en réparation des dommages causés à leur propriété A... la construction de la liaison autoroutière entre les autoroutes A 89 et A 6.

A... un jugement n° 1900586 du 1er décembre 2020, le tribunal administratif de Lyon a condamné la société APRR à leur verser une somme de 266 250 euros et a rejeté le surplus

de la demande.

Procédure devant la cour :

A... une requête, enregistrée le 2 février...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... B... et Mme D... E... ont demandé au tribunal administratif de Lyon de condamner la société des autoroutes Paris-Rhin-Rhône (APRR) à leur verser la somme globale de 336 250 euros en réparation des dommages causés à leur propriété A... la construction de la liaison autoroutière entre les autoroutes A 89 et A 6.

A... un jugement n° 1900586 du 1er décembre 2020, le tribunal administratif de Lyon a condamné la société APRR à leur verser une somme de 266 250 euros et a rejeté le surplus de la demande.

Procédure devant la cour :

A... une requête, enregistrée le 2 février 2021 sous les numéros 21LY00329 et 21LY00331, communiquée sous le n° 21LY00331, et un mémoire, enregistré le 2 février 2022 dans l'instance n° 21LY00331, la société des autoroutes Paris-Rhin-Rhône, représentée Me Verdon, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1900586 du 1er décembre 2020 du tribunal administratif de Lyon ;

2°) à titre principal, de rejeter la demande de première instance ainsi que les conclusions de l'appel incident présentées A... M. B... et Mme E... ;

3°) à titre subsidiaire, de limiter la réparation des troubles de jouissance et d'existence à la somme de 5 000 euros et la réparation de la perte de valeur vénale de la propriété de M. B... et Mme E... à la somme de 30 750 euros, ou, plus subsidiairement, à la somme de 41 000 euros ou, infiniment subsidiairement, à la somme de 128 125 euros ;

3°) de mettre à la charge de M. B... et Mme E..., outre les entiers dépens, la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- il n'est pas rapporté la preuve que l'existence et le fonctionnement de l'ouvrage public seraient à l'origine d'une source de pollution ;

- il n'est pas démontré l'existence de nuisances visuelles imputables à l'ouvrage et revêtant les caractéristiques d'un dommage permanent revêtant un caractère anormal ;

- les demandeurs, dont la propriété était exposée à d'importantes nuisances sonores avant les travaux de création de la liaison autoroutière en 2017, ne rapportent pas la preuve d'une augmentation de ces nuisances sonores postérieurement à la réalisation de l'ouvrage, lesquelles nuisances ont été limitées A... l'effet des dispositifs anti-bruit et sont conformes aux seuils réglementairement fixés ; l'augmentation d'une densité du trafic imputable à la liaison autoroutière A89/A6 n'est pas démontrée ;

- aucun des éléments produits A... les demandeurs ne permet de démontrer l'existence d'une perte de valeur vénale de l'immeuble en lien avec l'ouvrage public ;

- appréciés dans leur globalité, les préjudices allégués A... les demandeurs ne permettent pas de caractériser l'existence d'un dommage anormal ;

- de nombreuses habitations étant situées de part et d'autre de la liaison autoroutière, le dommage allégué ne présente pas de caractère spécial ;

- à titre subsidiaire, à supposer que les conditions d'engagement de sa responsabilité soient réunies, les dommages allégués étaient prévisibles lors de l'acquisition A... M. B... et Mme E... de leur bien en 2003 ;

- l'éventuelle perte de valeur vénale serait de l'ordre de 6 % à 8 % de la valeur du bien ; en outre, le risque de dépréciation lié au projet de liaison autoroutière était nécessairement connu lors de l'acquisition du bien A... M. B... et Mme E... et a nécessairement été pris en compte dans le cadre du prix d'acquisition, de sorte qu'il convient de laisser à leur charge au moins la moitié de la perte de valeur vénale qui serait retenue, soit 30 750 euros pour une perte de valeur vénale estimée à 6 %, 41 000 euros pour une perte de valeur vénale estimée à 8 % et 128 125 euros pour une perte de valeur estimée à 25 % ;

- la demande de majoration de la perte de valeur vénale sollicitée en appel n'est pas fondée ;

- les consorts B... ayant vendu leur propriété le 15 juillet 2019, ils ne sont plus recevables ni fondés à solliciter une réparation au titre de troubles dans les conditions d'existence ou de jouissance du fait du fonctionnement de l'ouvrage public ;

- subsidiairement, l'indemnité allouée au titre de ces troubles ne saurait excéder la somme de 5 000 euros ;

- il convient de réformer le jugement sur le point de départ des intérêts moratoires et la demande d'anatocisme en considération de l'attitude des consorts B... devant les premiers juges.

A... un mémoire en défense enregistré le 12 janvier 2022 dans l'instance n° 21LY00331, M. B... et Mme E..., représentés A... Me Vray, concluent :

1°) au rejet de la requête ;

2°) A... la voie de l'appel incident, à ce que la somme que le tribunal administratif de Lyon a, A... le jugement attaqué, condamné la société APRR à leur verser soit portée à la somme de 344 320 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 1er octobre 2018 et de la capitalisation de ces intérêts ;

3°) à ce que la somme de 2 500 euros soit mise à la charge de la société APRR au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- les préjudices qu'ils ont subis excèdent les nuisances que peuvent être amenés à subir les propriétaires riverains d'une voie publique, s'agissant des nuisances sonores, de pollution, d'impact visuel et de perte de la valeur vénale de leur propriété à hauteur de 32,6 % ; le préjudice qu'ils ont subi revêt ainsi un caractère grave et spécial ;

- ces préjudices trouvent directement leur cause dans la mise en service de la liaison autoroutière dont la société APRR est concessionnaire dès lors que la voie de circulation préexistante n'engendrait pas de telles nuisances sonores et qu'une zone végétalisée limitait les nuisances dues à la circulation ;

- le dommage subi n'était pas prévisible lors de l'achat de leur propriété en novembre 2003 ;

- la perte de la valeur vénale de leur immeuble, directement liée à la mise en service de la liaison autoroutière, s'élève à la somme de 334 320 euros ;

- ils ont subi, entre la mise en service de l'ouvrage public en mars 2018 et la vente de leur propriété en juillet 2019, des troubles dans leurs conditions d'existence évalués à la somme de 10 000 euros.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- le code de l'environnement ;

- l'arrêté du 5 mai 1995 relatif au bruit des infrastructures routières ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Pin, premier conseiller,

- les conclusions de Mme Cottier, rapporteure publique,

- et les observations de Me Garaudet, représentant la société APRR, et de Me Vray, représentant M. B... et Mme E....

Considérant ce qui suit :

1. M. B... et Mme E... avaient acquis le 4 novembre 2003 une maison d'habitation située à Dardilly, sur un terrain qui longeait alors la route nationale. La réalisation, A... la société des autoroutes Paris-Rhin-Rhône (APRR), d'une liaison autoroutière entre les autoroutes A 89 (La Tour-de-Salvagny) et A 6 (Limonest), déclarée d'utilité publique A... un décret du 1er avril 2015, a comporté l'expropriation partielle de la propriété de M. B... et Mme E... sur une superficie de 825 m² et a entraîné la transformation de la, au droit de leur propriété, en autoroute. A la suite de la mise en service le 2 mars 2018 de cette liaison autoroutière, M. B... et Mme E... ont sollicité et obtenu du juge des référés du tribunal administratif de Lyon l'organisation d'une mesure d'expertise aux fins de décrire les dommages causés aux intéressés A... la réalisation de cette infrastructure autoroutière au droit de leur propriété. L'expert a remis son rapport le 7 février 2020. M. B... et Mme E... ont demandé au tribunal administratif de Lyon à être indemnisés, d'une part, des troubles résultant des diverses nuisances causées à leur propriété A... la proximité de cette liaison autoroutière et, d'autre part, de la dépréciation de leur immeuble du fait de la présence de cet ouvrage. La société APRR fait appel du jugement du 1er décembre 2020 A... lequel le tribunal administratif de Lyon l'a condamnée à verser à M. B... et Mme E... une somme de 266 250 euros en réparation des troubles de jouissance et dans leurs conditions d'existence ainsi que de la perte de valeur vénale de leur bien du fait de la présence et du fonctionnement de la voie autoroutière. A... la voie de l'appel incident, M. B... et Mme E... demandent que cette indemnité soit portée à la somme de 344 320 euros.

2. Le document enregistré le 2 février 2021 sous le n° 21LY00329 constitue en réalité un double de la requête présentée pour la société APRR et enregistrée le même jour au greffe de la cour sous le n° 21LY00331. A... suite, ce document doit être rayé du registre du greffe de la cour et être joint à la requête enregistrée sous le n 21LY00331.

Sur la responsabilité :

3. Le concessionnaire est responsable à l'égard des tiers, sauf faute de la victime ou cas de force majeure, des dommages causés A... l'existence ou le fonctionnement des ouvrages publics concédés.

4. Saisi de conclusions indemnitaires en ce sens, il appartient au juge du plein contentieux de porter une appréciation globale sur l'ensemble des chefs de préjudice allégués, aux fins de caractériser l'existence ou non d'un dommage revêtant, pris dans son ensemble, un caractère anormal et spécial, en lien avec l'existence ou le fonctionnement de l'ouvrage public en cause.

En ce qui concerne les troubles dans les conditions d'existence :

5. En premier lieu, aux termes de l'article R. 571-44 du code de l'environnement : " La conception, l'étude et la réalisation d'une infrastructure de transports terrestres nouvelle ainsi que la modification ou la transformation significative d'une infrastructure de transports terrestres existante sont accompagnées de mesures destinées à éviter que le fonctionnement de l'infrastructure ne crée des nuisances sonores excessives. (...) ". Aux termes de l'article 2 de l'arrêté du 5 mai 1995 relatif au bruit des infrastructures routières : " Les niveaux maximaux admissibles pour la contribution sonore d'une infrastructure nouvelle, mentionnés à l'article 4 du décret relatif à la limitation du bruit des aménagements et infrastructures de transports terrestres, sont fixés aux valeurs suivantes : (...) Usage et nature des locaux : Logements en zone d'ambiance sonore préexistante modérée LAeq (6 h - 22 h) (1) : 60 dB (A) ; LAeq (22 h - 6 h) (1) : 55 dB (A) (...) Une zone est d'ambiance sonore modérée si le niveau de bruit ambiant existant avant la construction de la voie nouvelle, à deux mètres en avant des façades des bâtiments est tel que LAeq (6 h-22 h) est inférieur à 65 dB(A) et LAeq (22 h-6 h) est inférieur à 60 dB(A). (...) ". Aux termes de l'article 3 de cet arrêté : " Lors d'une modification ou transformation significative d'une infrastructure existante au sens des articles 2 et 3 du décret susvisé relatif à la limitation du bruit des aménagements et infrastructures de transports terrestres, le niveau sonore résultant devra respecter les prescriptions suivantes : - si la contribution sonore de l'infrastructure avant travaux est inférieure aux valeurs prévues à l'article 2 du présent arrêté, elle ne pourra excéder ces valeurs après travaux ; - dans le cas contraire, la contribution sonore, après travaux, ne doit pas dépasser la valeur existant avant travaux, sans pouvoir excéder 65 dB(A) en période diurne et 60 dB(A) en période nocturne ".

6. Il résulte de l'instruction que la propriété que M. B... et Mme E... avaient acquise en 2003 jouxte l'emprise de la liaison autoroutière entre l'A89 et l'A6, laquelle est distante de 80 mètres de la façade sud de la maison, qui donne sur une terrasse et une piscine et au niveau de laquelle se situent les pièces de vie de l'habitation ainsi qu'une chambre. Si l'intensité du bruit mesuré en mai 2019 A... l'expert au niveau de la façade sud de la maison, d'une moyenne de 54 dB(A) en période diurne et de 51 dB(A) en période nocturne, est conforme aux niveaux sonores maximaux définis A... l'arrêté du 5 mai 1995 relatif au bruit des infrastructures routières, il résulte des indications fournies A... l'expert que, malgré la présence d'un mur anti-bruit, l'enregistrement sonore n'a pas révélé, sur vingt-quatre heures, de période d'accalmie et que le niveau de bruit ainsi relevé ne permet pas, de nuit, de maintenir les fenêtres ouvertes. La société APRR fait valoir, en se fondant sur des données issues d'une cartographie des niveaux sonores à quatre mètres au-dessus du niveau du sol établie en 2013 et figurant dans l'étude d'impact jointe au dossier d'enquête préalable à la déclaration d'utilité publique des travaux de la liaison A89/A6, qu'antérieurement à la mise en service de la liaison autoroutière, le niveau de pression acoustique était plus élevé que celui mesuré A... l'expert. Toutefois, il résulte de l'instruction, notamment de l'expertise, que les données issues de cette cartographie sont le résultat d'une modélisation réalisée au moyen d'un logiciel prédictif et non de mesures effectuées sur site, en conditions réelles, telles que celles qui ont été conduites lors de l'expertise et dès lors, ne permettent pas d'en déduire des mesures fiables. Si la société APRR fait également valoir qu'il n'est pas démontré que le trafic aurait augmenté depuis la mise en service de la liaison autoroutière entre l'A89 et l'A6 A... rapport à celui qui était auparavant supporté A... la RN 489, laquelle était également une route à quatre voies, il résulte de la notice explicative du projet de liaison autoroutière A89/A6, établie en novembre 2013 et produite A... la société requérante elle-même, que le trafic s'établissait, en 2011, à 23 000 véhicules A... jour sur la RN 489, qui ne comprenait alors " qu'une voie de circulation dans chaque sens ", et non deux, alors que le trafic projeté en 2018, après la mise en service de la voie autoroutière, devait s'établir, sur l'ancienne RN 489 réaménagée en deux fois deux voies avec le statut d'autoroute, à 65 700 véhicules A... jour. Dès lors, la hausse du trafic engendrée A... la transformation de la RN 489 en voie autoroutière est, contrairement à ce que soutient la société APRR, établie. En outre, il résulte de l'instruction que la vitesse maximale autorisée sur la portion de voie au droit de la propriété des intéressés est passée, depuis la requalification en voie autoroutière, de 50 km/h à 110 km/h. Au demeurant, la société APRR, qui dispose des moyens de comptage, n'a pas produit d'éléments susceptibles d'infirmer le constat d'une densification du trafic routier à l'origine d'une aggravation des nuisances, notamment sonores, après la mise en service de l'ouvrage public.

7. En deuxième lieu, il résulte de l'instruction, notamment des photographies produites, qu'avant la mise en service de la liaison autoroutière, la propriété de M. B... et Mme E... comportait une zone boisée au sud formant un écran végétal les préservant de vues directes sur la route nationale. Toutefois, pour réaliser la liaison autoroutière, le préfet du Rhône a procédé, après déclaration d'utilité publique, à l'expropriation partielle, au profit de la société APRR, de la propriété de M. B... et Mme E... sur une superficie de 825 m², correspondant à cette partie boisée. Il résulte des photographies produites que cette portion du terrain objet de l'expropriation, a, lors des travaux de construction de l'ouvrage, fait l'objet d'un déboisement pour y implanter un mur anti-bruit de sorte que, depuis les pièces de vie de la maison, la terrasse, la piscine attenante, et le jardin d'agrément de leur propriété, M. B... et Mme E... ont eu une vue directe sur ce mur. Si la société APRR fait valoir que cet impact visuel n'est que temporaire dès lors que des végétaux y ont été replantés, elle ne l'établit pas. En revanche, compte tenu de la hauteur de ce mur antibruit, les intimés n'établissent pas qu'ils subiraient, depuis leur propriété, des nuisances visuelles provoquées A... les phares des véhicules.

8. En troisième lieu, si M. B... et Mme E... font valoir qu'ils ont subi un préjudice lié à la pollution atmosphérique engendrée A... la voie autoroutière et se caractérisant A... un dépôt quotidien de poussières, ils n'établissent pas les nuisances qu'ils allèguent A... la seule production d'un article de presse, non circonstancié sur ce point.

En ce qui concerne la perte de valeur vénale de la propriété :

9. Il résulte de l'instruction, en particulier de l'expertise réalisée A... l'expert judiciaire, complétée A... le rapport du sapiteur qu'il s'était adjoint, que la densification du trafic provoquée A... le fonctionnement de la nouvelle liaison autoroutière, notamment le surcroît de trafic autoroutier des poids lourds a causé une perte de valeur vénale de la propriété de M. B... et Mme E... qui a été évaluée A... le sapiteur à 25 % de la valeur de l'immeuble. Le sapiteur a estimé, en se référant au prix de vente de villas présentant des caractéristiques similaires dans les alentours, que le bien pouvait être estimé, indépendamment des nuisances liées au surcroît de trafic autoroutier, à la somme de 1 025 000 euros et que la dépréciation du bien du fait de la liaison autoroutière s'établissait ainsi à la somme de 256 250 euros, soit un prix de vente fixé à 768 750 euros. Contrairement à ce que soutient la société APRR, il résulte de ce qui a été dit au point 6 que l'accroissement du trafic automobile du fait de la liaison autoroutière et les nuisances y afférentes sont établis. En outre, il résulte de l'instruction, notamment du compte rendu des visites effectuées à la suite de la mise en vente de leur bien immobilier A... M. B... et Mme E... en septembre 2018, que les acquéreurs potentiels ont relevé que le bruit lié au trafic autoroutier était l'inconvénient principal du bien, lequel a été finalement cédé A... les intéressés le 15 juillet 2019 au prix de 700 000 euros. Il suit de là que la dépréciation du bien du fait de l'ouvrage public en cause est, contrairement à ce que soutient la société APRR, établie.

En ce qui concerne la faute de la victime :

10. Si la société APRR soutient de nouveau en appel que M. B... et Mme E... ne pouvaient ignorer, à la date de l'acquisition de l'immeuble le 4 novembre 2003, le projet de création d'une liaison autoroutière dont un premier périmètre d'étude avait été identifié en 2000, il résulte de l'instruction qu'aucun tracé précis n'avait alors été arrêté ni présenté au public. En outre, comme l'ont relevé les premiers juges, si les travaux de construction de la section Balbigny-La-Tour-de-Salvagny de l'autoroute A 89 ont été déclarés d'utilité publique A... un décret du 17 avril 2003, ce projet était distinct de la liaison autoroutière de raccordement entre l'A 89 et l'A 6, dont les travaux de construction et d'aménagement n'ont été déclarés d'utilité publique que A... un décret du 1er avril 2015. A... suite, M. B... et Mme E... ne pouvaient pas, à la date d'acquisition de leur bien en 2003, prévoir les nuisances auxquelles ils allaient être exposés en 2018.

11. Il suit de là, contrairement à ce que soutient la société APRR, que les gênes diverses examinées dans leur ensemble, causées A... la mise en service de la liaison autoroutière A89/A6, excèdent, pour M. B... et Mme E..., qui ont la qualité de tiers A... rapport à cet ouvrage, les inconvénients que doivent normalement supporter dans l'intérêt général les propriétaires de fonds voisins des autoroutes. Les troubles causés A... la mise en service de la liaison autoroutière ont ainsi causé M. B... et Mme E... un préjudice présentant un caractère anormal et, eu égard au faible nombre d'habitations aux environs de l'ouvrage et dans une situation comparable à celles des intimés, spécial.

Sur les préjudices :

En ce qui concerne les troubles dans les conditions d'existence et de jouissance :

12. Les nuisances sonores et l'impact visuel causés A... l'existence et le fonctionnement de la voie autoroutière, tels que décrits aux points 6 et 7 du présent arrêt, ont été, à compter de la mise en service de cet ouvrage le 2 mars 2018, à l'origine de troubles dans les conditions d'existence de M. B... et Mme E... et de jouissance de leur bien. Toutefois, il résulte d'une attestation notariée produite pour la première fois en appel, que M. B... et Mme E... ont cédé leur bien le 15 juillet 2019, de sorte que leurs troubles ont cessé à compter de cette date. En fixant à 10 000 euros le montant de l'indemnité allouée de ce chef aux intéressés, les premiers juges ont, compte tenu de la brièveté de la période au cours de laquelle ils ont subi de tels troubles, fait une évaluation excessive de ce préjudice, ainsi que le relève la société APRR. Il y a lieu de ramener l'indemnité due à ce titre à la somme de 5 000 euros.

En ce qui concerne la perte de valeur vénale :

13. La société APRR, qui ne critique pas l'évaluation intrinsèque du bien immobilier telle qu'elle a été arrêtée A... le sapiteur, se borne à soutenir que la dépréciation de ce bien en lien avec la voie autoroutière, estimée à 25 % de sa valeur vénale, est exagérée, sans toutefois apporter d'éléments précis, propres aux circonstances de l'espèce, de nature à remettre en cause l'évaluation qui a été faite A... le sapiteur. Si M. B... et Mme E... font valoir qu'ils ont finalement consenti à vendre leur propriété le 15 juillet 2019 au prix de 700 000 euros, soit environ une dépréciation d'environ 32 % A... rapport au prix du bien tel qu'il avait été estimé A... le sapiteur, il ne résulte pas de l'instruction que la différence entre le prix de cession et l'estimation faite A... le sapiteur serait directement liée à l'ouvrage public et non à d'autres considérations qui lui sont étrangères. A... suite, les premiers juges n'ont pas fait une évaluation excessive ou insuffisante de ce préjudice en l'évaluant, compte tenu des indications fournies A... le sapiteur, à la somme de 256 250 euros.

14. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... et Mme E... ne sont pas fondés à soutenir, A... la voie de l'appel incident, que c'est à tort que, A... le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lyon n'a que partiellement fait droit à leur demande. En revanche, la société APRR est seulement fondée à soutenir que les premiers juges ont fait une évaluation exagérée de l'indemnité qu'elle a été condamnée à verser à M. B... et Mme E.... Il y a lieu de ramener le montant de cette indemnité à la somme de 261 250 euros.

Sur les intérêts et la capitalisation des intérêts :

15. M. B... et Mme E... ont droit aux intérêts au taux légal sur la somme de 261 250 euros à compter, contrairement à ce que soutient la société APRR, de la réception A... cette dernière de leur réclamation indemnitaire préalable, soit le 3 octobre 2018. La capitalisation de ces intérêts a été demandée devant le tribunal administratif de Lyon le 28 janvier 2019. A cette date, il n'était pas dû au moins une année d'intérêts. En conséquence, la capitalisation des intérêts ne peut être accordée qu'à compter du 3 octobre 2019, date à laquelle les intérêts étaient dus pour une année entière.

Sur les frais d'expertise :

16. Il y a lieu de maintenir les frais d'expertise, incluant les frais de l'expert et du sapiteur, taxés et liquidés A... ordonnance du président du tribunal administratif de Lyon du 17 février 2020 à la somme de 4 099,72 euros, à la charge de la société APRR.

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

17. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de laisser à la charge de chacune des parties les frais exposés A... elles et non compris dans les dépens.

DECIDE :

Article 1er : La production enregistrée sous le n° 21LY00329 est rayée des registres du greffe de la cour administrative d'appel de Lyon pour être jointe à la requête n° 21LY00331.

Article 2 : La somme de 266 250 euros que la société APRR a été condamnée à verser à M. B... et Mme E... A... le jugement du tribunal administratif de Lyon du 1er décembre 2020 est ramenée à 261 250 euros. Cette somme portera intérêts à compter du 3 octobre 2018. Les intérêts échus le 3 octobre 2019 puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date seront capitalisés à chacune de ces dates pour produire eux-mêmes intérêts.

Article 3 : Le jugement du tribunal administratif de Lyon du 1er décembre 2020 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la société des autoroutes Paris-Rhin-Rhône, à M. C... B... et à Mme D... E....

Délibéré après l'audience du 12 mai 2022, à laquelle siégeaient :

M. Pourny, président de chambre,

M. Gayrard, président assesseur,

M. Pin, premier conseiller.

Rendu public A... mise à disposition au greffe le 2 juin 2022.

Le rapporteur,

F.-X. Pin

Le président,

F. Pourny

La greffière,

F. Abdillah

La République mande et ordonne au préfet du Rhône, en ce qui le concerne, ou à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition,

La greffière,

2

N° 21LY00331,21LY00329


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 21LY00329
Date de la décision : 02/06/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-01-02-01-03-01-01 Responsabilité de la puissance publique. - Faits susceptibles ou non d'ouvrir une action en responsabilité. - Fondement de la responsabilité. - Responsabilité sans faute. - Responsabilité encourue du fait de l'exécution, de l'existence ou du fonctionnement de travaux ou d'ouvrages publics. - Victimes autres que les usagers de l'ouvrage public. - Tiers.


Composition du Tribunal
Président : M. POURNY
Rapporteur ?: M. François-Xavier PIN
Rapporteur public ?: Mme COTTIER
Avocat(s) : HASCOET ET ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 14/06/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2022-06-02;21ly00329 ?
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