Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
La SCI Solyfroid a demandé au tribunal administratif de Grenoble de prononcer la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été réclamés au titre de la période du 1er janvier 2013 au 31 décembre 2015 et des majorations correspondantes.
Par un jugement n° 1706754 du 14 février 2020, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour
Par une requête et des mémoires, enregistrés le 16 avril 2020, le 23 décembre 2020 et le 9 mars 2021, la SCI Solyfroid, représentée par Me Plahuta, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de prononcer la décharge de ces impositions ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- elle a été irrégulièrement privée de la faculté de saisir la commission des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires du différend ;
- elle ne peut être regardée comme une entreprise, dès lors qu'elle est constituée de personnes physiques, ni comme une assujettie agissant en tant que telle dès lors que la seule activité qu'elle exerce est une activité de location de locaux nus à usage d'habitation ;
- il résulte du 2° de l'article 260 du code général des impôts que les opérations de location de locaux nus à usage d'habitation ne sont pas assujetties à la taxe sur la valeur ajoutée ;
- c'est à tort que l'administration a considéré que l'activité de location de locaux nus à usage d'habitation était exonérée de taxe sur la valeur ajoutée alors que cette activité n'est en réalité pas assujettie à la taxe ;
- dès lors que l'activité de location de locaux nus à usage d'habitation qu'elle exerce est hors du champ d'application de la taxe sur la valeur ajoutée, elle ne pouvait être soumise à l'obligation de constater une livraison à elle-même ;
- les travaux qu'elle a réalisés, qui ont consisté en des travaux de rénovation, qui n'ont concerné que les étages à l'exclusion du rez-de-chaussée et qui ont été effectués par des entreprises tierces, n'ont pas entraîné la construction d'un immeuble neuf et ne peuvent donner lieu à la constatation d'une livraison à soi-même ;
- les modalités de calcul des revenus fonciers sont erronés.
Par des mémoires, enregistrés le 21 octobre 2020 et le 15 février 2021, le ministre de l'économie, des finances et de la relance conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Evrard, présidente-assesseure,
- et les conclusions de Mme Vinet, rapporteure publique ;
Considérant ce qui suit :
1. La SCI Solyfroid, qui a pour objet l'acquisition et la possession de tout immeuble à Paris et en France, l'amélioration et la transformation de tous immeubles existants et leur exploitation directe par la location, est propriétaire de deux immeubles, l'un à Bondoufle (Essonne) et l'autre à Saint-Cloud (Hauts-de-Seine) qu'elle donne en location, pour le premier, à la SARL CDJ qui exploite une concession automobile et, pour le second, à la SARL La Main à la Pâte qui exploite dans les locaux du rez-de-chaussée une activité de traiteur. La SCI Solyfroid a effectué, de 2011 à 2014, des travaux dans l'immeuble de Saint-Cloud, qui ont conduit à la création, du premier au quatrième étage de l'immeuble, de trois appartements que la société a donnés en location nue à usage d'habitation à compter du mois de juillet 2014. La société a déduit l'intégralité de la taxe sur la valeur ajoutée ayant grevé ces travaux dans ses déclarations souscrites au titre de la période du 1er janvier 2013 au 31 décembre 2014. Elle a fait l'objet d'un contrôle sur place portant sur la période du 1er janvier 2012 au 31 décembre 2015 à l'issue duquel le vérificateur, après avoir constaté le défaut de toute comptabilité et l'absence de souscription de déclarations de taxe sur la valeur ajoutée au titre de la période du 1er janvier 2015 au 31 décembre 2015, a estimé que, dès lors que les travaux que la société a réalisés ont abouti à la construction d'un immeuble neuf qu'elle a affecté à une activité exonérée de taxe sur la valeur ajoutée ne lui ouvrant pas droit à déduction de la taxe, celle-ci aurait dû constater une livraison à elle-même en application du 2° du 1 du II de l'article 257 du code général des impôts et que, dans la mesure où cette activité était exonérée, la taxe ayant grevé les travaux n'était pas déductible. En conséquence de ce contrôle, la société a été assujettie à des droits de taxe sur la valeur ajoutée au titre de la période contrôlée établis suivant la procédure contradictoire. Par un jugement du 14 février 2020, dont la SCI Solyfroid relève appel, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande tendant à la décharge des droits de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été réclamés au titre de la période du 1er janvier 2013 au 31 décembre 2015 et des majorations correspondantes.
Sur la régularité de la procédure d'imposition :
3. La SCI Solyfroid soutient qu'elle a été irrégulièrement privée de la garantie tenant à la possibilité de saisir la commission des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires.
4. Aux termes de l'article L. 59 du livre des procédures, dans sa rédaction alors applicable : " Lorsque le désaccord persiste sur les rectifications notifiées, l'administration, si le contribuable le demande, soumet le litige à l'avis de la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires prévue à l'article 1651 du code général des impôts (...) ". Aux termes de l'article L. 59 A du même livre : " I. -La commission des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires intervient lorsque le désaccord porte : / 1° sur le montant (...) du chiffre d'affaires, déterminé selon un mode réel d'imposition (...) ; / II. - Dans les domaines mentionnés au I, la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires peut, sans trancher une question de droit, se prononcer sur les faits susceptibles d'être pris en compte pour l'examen de cette question de droit. (...) ".
5. Il résulte de l'instruction que le différend existant entre la SCI Solyfroid et l'administration fiscale portait sur le principe de l'assujettissement à la taxe sur la valeur ajoutée des travaux réalisés par cette société dans son immeuble situé à Saint-Cloud. Le litige, qui ne portait pas sur le montant du chiffre d'affaires taxable, n'était ainsi pas au nombre des différends dont il appartient à la commission des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires de connaître. Par suite, en n'accordant pas à la SCI Solyfroid la possibilité de saisir cette commission, l'administration, qui n'a pas méconnu les dispositions précitées, n'a pas entaché d'irrégularité la procédure d'imposition.
Sur le bien-fondé des impositions :
6. D'une part, aux termes de l'article 256 du code général des impôts, dans sa version en vigueur : " I. -Sont soumises à la taxe sur la valeur ajoutée les livraisons de biens et les prestations de services effectuées à titre onéreux par un assujetti agissant en tant que tel. (...) IV. - 1° Les opérations autres que celles qui sont définies au II, notamment (...) les travaux immobiliers (...) sont considérés comme des prestations de services ". Aux termes de l'article 256 A du même code : " Sont assujetties à la taxe sur la valeur ajoutée les personnes qui effectuent de manière indépendante une des activités économiques mentionnées au cinquième alinéa, quels que soient le statut juridique de ces personnes, leur situation au regard des autres impôts et la forme ou la nature de leur intervention. (...) Les activités économiques visées au premier alinéa se définissent comme toutes les activités de producteur, de commerçant ou de prestataire de services, y compris les activités extractives, agricoles et celles des professions libérales ou assimilées. ". Enfin, aux termes de l'article 260 D du même code : " Sont exonérées de la taxe sur la valeur ajoutée (...) 2° Les locations de terrains non aménagés et de locaux nus, à l'exception des emplacements pour le stationnement des véhicules ".
7. D'autre part, aux termes de l'article 257 du code général des impôts : " I. - Les opérations concourant à la production ou à la livraison d'immeubles sont soumises à la taxe sur la valeur ajoutée dans les conditions qui suivent. (...) 2. Sont considérés : (...) 2° Comme immeubles neufs, les immeubles qui ne sont pas achevés depuis plus de cinq années, qu'ils résultent d'une construction nouvelle ou de travaux portant sur des immeubles existants qui ont consisté en une surélévation ou qui ont rendu à l'état neuf : a) Soit la majorité des fondations ; b) Soit la majorité des éléments hors fondations déterminant la résistance et la rigidité de l'ouvrage ; c) Soit la majorité de la consistance des façades hors ravalement ; d) Soit l'ensemble des éléments de second œuvre tels qu'énumérés par décret en Conseil d'Etat, dans une proportion fixée par ce décret qui ne peut être inférieure à la moitié pour chacun d'entre eux. (...) 3. Sont également soumises à la taxe sur la valeur ajoutée : 1° Lorsqu'elles sont réalisées par des personnes assujetties au sens de l'article 256 A : a) Sans préjudice des dispositions du II, les livraisons à soi-même d'immeubles neufs lorsque ceux-ci ne sont pas vendus dans les deux ans qui suivent leur achèvement (...) II. - Les opérations suivantes sont assimilées, selon le cas, à des livraisons de biens ou à des prestations de services effectuées à titre onéreux.1. Sont assimilés à des livraisons de biens effectuées à titre onéreux : (...) 2° L'affectation par un assujetti aux besoins de son entreprise d'un bien produit, construit, extrait, transformé, acheté, importé ou ayant fait l'objet d'une acquisition intracommunautaire dans le cadre de son entreprise lorsque l'acquisition d'un tel bien auprès d'un autre assujetti, réputée faite au moment de l'affectation, ne lui ouvrirait pas droit à déduction complète parce que le droit à déduction de la taxe afférente au bien fait l'objet d'une exclusion ou d'une limitation ou peut faire l'objet d'une régularisation ; cette disposition s'applique notamment en cas d'affectation de biens à des opérations situées hors du champ d'application de la taxe sur la valeur ajoutée ". Aux termes de l'article 245 A de l'annexe II au code général des impôts pris pour l'application de l'article 257 de ce code : " I - Pour l'application du d du 2° du 2 du I de l'article 257 du code général des impôts, les éléments de second œuvre à prendre en compte sont les suivants : / a. les planchers ne déterminant pas la résistance ou la rigidité de l'ouvrage ; / b. les huisseries extérieures ; / c. les cloisons intérieures ; / d. les installations sanitaires et de plomberie ; / e. les installations électriques ; / f. et, pour les opérations réalisées en métropole, le système de chauffage. / II. - La proportion prévue au d du 2° du 2 du I de l'article 257 du code général des impôts est fixée à deux tiers pour chacun des éléments mentionnés au I. ".
8. Il est constant que la SCI Solyfroid a pour activité l'acquisition, la transformation et la mise en location de logements dont elle est propriétaire. Il résulte de l'instruction, et, notamment, de la proposition de rectification adressée à la société le 19 août 2016, qu'elle a effectué de 2011 à 2013 au sein de l'immeuble qu'elle détient à Saint-Cloud des travaux de rénovation, d'un montant total de 257 164 euros, qui ont consisté dans le remplacement de l'ensemble des portes et fenêtres, la création d'un sas donnant vers l'extérieur, des opérations de maçonnerie, notamment en ce qui concerne les cheminées dont les conduits ont été remplacés, et les escaliers, parmi lesquels ceux en bois ont été démolis et remplacés par des escaliers en béton et d'autres ont été déplacés, de plomberie en ce qui concerne les salles d'eau, toilettes et l'installation de la VMC, dans la consolidation des planchers et le remplacement des revêtements des sols, la démolition et la pose de cloisons et la peinture des locaux, la rénovation du système de chauffage et de l'installation électrique et enfin la réfection de la charpente et de la couverture. Il résulte de l'instruction que ces travaux ont notamment conduit à la rénovation complète de la toiture et à sa surélévation d'un mètre, avec création de trois chiens assis et d'une nouvelle ouverture au dernier niveau pour l'accès au toit, et à un réagencement complet des quatre niveaux supérieurs de l'immeuble dès lors que les huit chambres existantes et leurs annexes ont été remplacées par trois appartements dont un en duplex, et à une augmentation de la surface habitable de 13,70 m2. De tels travaux, qui ont permis la surélévation de l'immeuble et ont rendu à l'état neuf, pour une proportion au moins égale à deux tiers, l'ensemble des éléments de second œuvre visés à l'article 245 A de l'annexe II au code général des impôts, doivent être regardés comme ayant conduit à la construction d'un immeuble neuf au sens du 2° du 2 du I de l'article 257 du code général des impôts.
9. Il est constant que la société a affecté les appartements qu'elle a fait construire au sein de l'immeuble de Saint-Cloud et qu'elle n'a pas revendu dans le délai de deux ans à compter de leur achèvement, à son activité de location à titre onéreux de locaux nus à usage d'habitation, à partir du mois de juillet 2014. Il résulte de l'instruction que les travaux de construction en cause, compte tenu de leur durée, de l'ampleur des moyens mis en œuvre et de la circonstance qu'ils ont permis à la SCI de réaliser un chiffre d'affaires non négligeable, d'un montant de 23 036 euros et 33 671 euros aux troisième et quatrième trimestres 2014, ne sauraient être regardés comme se rapportant à une opération patrimoniale privée. Se livrant à l'exploitation de biens immobiliers en vue d'en tirer des recettes ayant un caractère de permanence, la société exerce de ce fait une activité économique et a, dès lors, la qualité d'assujettie au sens de l'article 256 A du code général des impôts quand bien même elle est constituée sous la forme d'une société civile immobilière dont les associés sont des personnes physiques et relève de l'article 8 du code général des impôts pour l'imposition de ses résultats. L'activité de location de logements nus à usage d'habitation exercée par la société requérante, laquelle, en tant que réalisation de prestations de service, entre dans le champ de la taxe sur la valeur ajoutée, est néanmoins exonérée de taxe sur la valeur ajoutée en vertu du 2° de l'article 260 D du code général des impôts. Ainsi, la société n'aurait eu aucun droit à déduction de la taxe grevant les dépenses effectuées en vue de la construction de l'immeuble si elle avait acquis le même bien déjà transformé auprès d'un tiers. Si elle a acquitté auprès de ses fournisseurs la taxe sur la valeur ajoutée grevant les travaux immobiliers qui lui ont été facturés, elle a néanmoins déduit intégralement cette taxe, qui s'élève à 51 433 euros, selon l'évaluation non contestée du service. Dans ces conditions, c'est à bon droit que l'administration a considéré que l'affectation des biens immobiliers construits par la société à une activité de location exonérée était constitutive d'une livraison à soi-même imposable à la taxe sur la valeur ajoutée sur le fondement du 2° du 1 du II de l'article 257 du code général des impôts, et a rappelé la taxe acquittée ayant grevé les travaux de construction.
10. Il résulte de ce qui précède que la SCI Solyfroid n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions tendant au bénéfice de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête présentée par la SCI Solyfroid est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la SCI Solyfroid et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.
Délibéré après l'audience du 14 avril 2022, à laquelle siégeaient :
M. Pruvost, président de chambre,
Mme Evrard, présidente-assesseure,
Mme Caraës, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 18 mai 2022.
La rapporteure,
A. Evrard,
Le président,
D. PruvostLa greffière,
M.-Th. Pillet
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la relance en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
La greffière,
2
N° 20LY01315