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30/03/2022 | FRANCE | N°19LY03231

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 3ème chambre, 30 mars 2022, 19LY03231


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

L'association syndicale autorisée (ASA) du canal de Ventavon - Saint-Tropez a demandé au tribunal administratif de Lyon :

1°) d'annuler le titre de recettes n° 2017/0016517 émis à son encontre le 30 octobre 2017 par l'agence de l'eau Rhône-Méditerranée-Corse ;

2°) de la décharger de l'obligation de payer la somme de 107 044 euros mise à sa charge par ce titre ;

3°) de mettre à la charge de l'agence de l'eau Rhône-Méditerranée-Corse la somme de 2 000 euros en application de l'art

icle L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1805726 du 20 juin 2019, le...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

L'association syndicale autorisée (ASA) du canal de Ventavon - Saint-Tropez a demandé au tribunal administratif de Lyon :

1°) d'annuler le titre de recettes n° 2017/0016517 émis à son encontre le 30 octobre 2017 par l'agence de l'eau Rhône-Méditerranée-Corse ;

2°) de la décharger de l'obligation de payer la somme de 107 044 euros mise à sa charge par ce titre ;

3°) de mettre à la charge de l'agence de l'eau Rhône-Méditerranée-Corse la somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1805726 du 20 juin 2019, le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour

Par une requête enregistrée le 15 août 2019, l'ASA du canal de Ventavon - Saint-Tropez, représentée par Me Berguet, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Lyon du 20 juin 2019 ;

2°) d'annuler le titre de recettes émis à son encontre le 30 octobre 2017 par l'agence de l'eau Rhône-Méditerranée-Corse et de la décharger de l'obligation de payer la somme de 107 044 euros mise à sa charge par ce titre ;

3°) de mettre à la charge de l'agence de l'eau Rhône-Méditerranée-Corse une somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

L'ASA du canal de Ventavon - Saint-Tropez soutient que :

()sur la régularité du jugement :

- le tribunal administratif n'a pas répondu au moyen selon lequel les dispositions du IV de l'article R. 213-48-14 du code de l'environnement seraient inapplicables aux associations syndicales de droit public ;

- le tribunal administratif n'a pas répondu à un moyen sur l'absence de justification des bases de calcul de la redevance ;

()sur le bien-fondé du jugement :

- elle ne devrait être redevable que des prélèvements d'eau dont l'usage est destiné à l'alimentation du canal, et non de ceux prélevés dans le canal mais utilisés pour l'irrigation ;

- l'article R. 213-48-14 du code de l'environnement est illégal, dès lors que le pouvoir réglementaire a institué le gestionnaire de canal en redevable légal des redevances dues au titre des prélèvements effectués par ses usagers ;

- les dispositions du IV de ce même article ne peuvent s'appliquer aux associations de droit public, qui n'ont pas la possibilité juridique de répercuter le montant de cette redevance sur les usagers du canal ; en assimilant les usagers de l'eau du canal aux adhérents de l'association, le tribunal administratif a entaché son jugement d'une erreur de droit ;

- la pratique consistant à appeler auprès de l'ASA, en sa qualité de gestionnaire " transparente " du canal, l'ensemble des redevances pour " prélèvement sur la ressource en eau " dues par les différents usagers, est donc irrégulière ;

- s'agissant du calcul de l'assiette des redevances " irrigation " mises à sa charge, dès lors qu'il est prévu un volume d'eau au-dessous duquel la redevance n'est pas due, ce seuil devrait s'appliquer au volume d'eau utilisé par chaque usager et non au volume global prélevé par l'ASA ; cette pratique procède d'une atteinte au principe d'égalité ; la surface de 80 ha pour 820 jardins ne correspond à aucune réalité objective ;

- s'agissant de la critique des taux appliqués pour la redevance " irrigation ", la différence, prévue à l'article L. 213-10-9 du code de l'environnement, entre les taux pour l'irrigation et celui pour l'irrigation gravitaire n'est pas conforme aux dispositions de l'article 9-1 de la directive 2000/60/CE du 23 octobre 2000 ; c'est à tort que l'agence de l'eau a qualifié l'activité d'arrosage des jardins comme ne relevant pas de l'irrigation mais des autres usages économiques de l'eau.

Par un mémoire en défense enregistré le 10 septembre 2020, l'agence de l'eau Rhône-Méditerranée-Corse, représentée par Me Léron :

1°) conclut au rejet de la requête ;

2°) et demande qu'une somme de 3 000 euros soit mise à la charge de l'ASA du canal de Ventavon - Saint-Tropez sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que les moyens présentés par la requérante ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la directive 2000/60/CE du 23 octobre 2000 établissant un cadre pour une politique communautaire dans le domaine de l'eau ;

- le code de l'environnement ;

- l'ordonnance n° 2004-632 du 1er juillet 2004 relative aux associations syndicales de propriétaires ;

- le décret n° 2006-504 du 3 mai 2006 portant application de l'ordonnance n° 2004-632 du 1er juillet 2004 relative aux associations syndicales de propriétaires ;

- l'avis relatif à la délibération n° 2012-17 du 14 septembre 2012 de l'Agence de l'eau Rhône-Méditerranée et Corse sur les taux des redevances pour les années 2013 à 2018 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience.

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Fédi, président-assesseur,

- et les conclusions de M. Deliancourt, rapporteur public ;

Considérant ce qui suit :

1. Le 30 octobre 2017, l'agence de l'eau Rhône-Méditerranée-Corse a émis à l'encontre de l'ASA du canal de Ventavon - Saint-Tropez un titre de recettes correspondant à la redevance pour l'utilisation de la ressource en eau au titre de l'année 2016. Par un courrier du 14 février 2018, l'association syndicale autorisée a formé une réclamation préalable tendant à l'annulation de ce titre. Cette réclamation a été rejetée le 24 avril 2018. L'ASA du canal de Ventavon-Saint-Tropez relève appel du jugement rendu le 20 juin 2019 par lequel le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande de décharge de l'obligation de payer la somme de 107 044 euros mise à sa charge par ce titre.

Sur la régularité du jugement :

2. Devant le tribunal administratif de Lyon, l'ASA du canal de Ventavon - Saint-Tropez a soutenu d'une part, que rien ne permet de justifier les bases de calcul retenues pour évaluer la consommation des usages non agricoles, lesquelles sont fixées de manière forfaitaire sur la base de 10.000 m3 par hectare pour les " autres usages économiques ", d'autre part, sur l'existence de 820 jardins représentant une surface de 80 ha soumis au tarif autres usages économiques, qu'un tel chiffrage ne repose sur aucune donnée sérieuse faute de connaître le nombre de jardins effectivement arrosés par l'eau du canal et à quel usage est affectée l'eau transitant par ses ouvrages. Les premiers juges n'ont pas répondu à ce moyen. Par suite, ils ont entaché leur jugement d'une omission à statuer. Il y a donc lieu d'annuler ce jugement et de statuer immédiatement par la voie de l'évocation sur la demande présentée par l'ASA du canal de Ventavon - Saint-Tropez devant le tribunal administratif de Lyon.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

3. Aux termes de l'article L. 213-10 du code de l'environnement, dans sa version alors applicable : " En application du principe de prévention et du principe de réparation des dommages à l'environnement, l'agence de l'eau établit et perçoit auprès des personnes publiques ou privées des redevances pour pollution de l'eau, pour modernisation des réseaux de collecte, pour pollutions diffuses, pour prélèvement sur la ressource en eau, pour stockage d'eau en période d'étiage, pour obstacle sur les cours d'eau et pour protection du milieu aquatique. ". Aux termes de l'article L. 213-10-9 de ce même code : " I.- Toute personne dont les activités entraînent un prélèvement sur la ressource en eau est assujettie à une redevance pour prélèvement sur la ressource en eau. (...) / III. - La redevance est assise sur le volume d'eau prélevé au cours d'une année. (...) / IV. - L'agence de l'eau fixe les montants de volume prélevé au-dessous desquels la redevance n'est pas due. Ces montants ne peuvent être supérieurs à 10 000 mètres cubes par an pour les prélèvements dans des ressources de catégorie 1 et à 7 000 mètres cubes par an pour les prélèvements dans des ressources de catégorie 2. / V. - Pour la fixation du tarif de la redevance, les ressources en eau de chaque bassin sont classées en catégorie 1 lorsqu'elles sont situées hors des zones de répartition des eaux définies en application du 2° du II de l'article L. 211-2 ou en catégorie 2 dans le cas contraire. / Le tarif de la redevance est fixé par l'agence de l'eau en centimes d'euros par mètre cube, dans la limite des plafonds suivants, en fonction des différents usages auxquels donnent lieu les prélèvements : / [tableau des tarifs par usage] / L'agence de l'eau fixe, dans la limite des plafonds ci-dessus, un taux par unité géographique cohérente définie en tenant compte des objectifs fixés par le schéma directeur d'aménagement et de gestion des eaux et le schéma d'aménagement et de gestion des eaux s'il existe, notamment lorsqu'ils exigent la mise en place d'un programme d'intervention et de concours financiers spécifiques, ainsi que des conditions hydrologiques. / (...) L'assiette des prélèvements destinés à l'irrigation gravitaire est fixée forfaitairement à 10 000 mètres cubes d'eau par hectare irrigué. (...). VI. - Des modalités spécifiques de calcul de la redevance sont applicables dans les cas suivants : 1° Lorsque le prélèvement est destiné à plusieurs usages, la redevance est calculée au prorata des volumes utilisés pour chaque usage ; 2° Lorsque le prélèvement est destiné à l'alimentation d'un canal, la redevance est assise sur le volume d'eau de ce prélèvement, déduction faite des volumes prélevés dans le canal et soumis à la présente redevance. Les volumes prélevés pour alimenter un canal en vue de la préservation d'écosystèmes aquatiques ou de sites et de zones humides sont déduits de l'assiette de la redevance. ". Aux termes de l'article L. 213-11 de ce code : " Les personnes susceptibles d'être assujetties aux redevances mentionnées aux articles L. 213-10-2, L. 213-10-5, L. 213-10-8, L. 213-10-9, L. 213-10-10 et L. 213-10-11 et les personnes qui facturent ou collectent les redevances mentionnées aux articles L. 213-10-3, L. 213-10-6 et L. 213-10-12 déclarent à l'agence de l'eau les éléments nécessaires au calcul des redevances mentionnées à l'article L. 213-10 avant le 1er avril de l'année suivant celle au titre de laquelle ces redevances sont dues. Ces personnes sont les contribuables mentionnés aux articles L. 213-11-1 à L. 213-11-13. (...) ". L'article R. 213-48-14 de ce code dispose que : " (...) II. L'assiette de la redevance pour prélèvement sur la ressource en eau est, en ce qui concerne l'alimentation en eau potable, le volume prélevé par les services d'eau potable au sens du I de l'article L. 2224-7 du code général des collectivités territoriales. / Les usages pour l'irrigation mentionnés au tableau du V de l'article L. 213-10-9 sont ceux réalisés par des exploitants agricoles pour l'irrigation des cultures. / III. L'organisme unique mentionné au 6° du II de l'article L. 211-3 peut être assujetti à sa demande dans son périmètre aux redevances pour prélèvement sur la ressource en eau pour les usages liés à l'irrigation définis par l'article L. 213-10-9. Dans ce cas, les redevances sont récupérées par l'organisme unique auprès de chaque bénéficiaire des répartitions de prélèvements. (...) / IV. En application du 1° du VI de l'article L. 213-10-9, la redevance due pour un prélèvement d'eau destiné à l'alimentation d'un canal est calculée au prorata des volumes utilisés pour chaque usage mentionné au tableau du V du même article, après déduction, d'une part, des volumes turbinés par une ou plusieurs installations hydroélectriques et rejetés à l'extérieur du canal et, d'autre part, des volumes destinés, en application d'un acte administratif, à alimenter en eau des cours d'eau ou à la préservation d'écosystèmes aquatiques ou de sites et de zones humides. / Les volumes prélevés par le canal, déduction faite des volumes mentionnés à l'alinéa précédent, sont soumis au tarif correspondant à leur usage. L'agence notifie au gestionnaire le montant des redevances dues en application du tableau du V de l'article L. 213-10-9, le gestionnaire en répercutant le montant sur les usagers du canal. / (...) ". Enfin, selon l'article R. 213-48-29 de ce code : " Dans le cas d'un prélèvement pour l'alimentation d'un canal, l'exploitant du canal déclare le volume d'eau prélevé pour alimenter le canal et, pour chaque usage mentionné au tableau du V de l'article L. 213-10-9, les volumes d'eau prélevés dans le canal ainsi que les volumes d'eau turbinés par des usines hydroélectriques et rejetés à l'extérieur du canal. Il indique également les volumes destinés à alimenter en eau des cours d'eau ou à la préservation d'écosystèmes aquatiques ou de sites et de zones humides ".

4. L'ASA du canal de Ventavon - Saint-Tropez soutient qu'elle ne devrait être redevable que des seuls prélèvements d'eau dont l'usage est destiné à l'alimentation du canal, et non pour ceux prélevés dans le canal et utilisés pour l'irrigation par les usagers du canal. Toutefois, il résulte des dispositions précitées que l'assujetti au paiement d'une redevance pour prélèvement sur la ressource en eau est la personne dont les activités entraînent un prélèvement sur cette ressource et que les usages de cette ressource déterminent le montant de la redevance. Lorsque le prélèvement est destiné à plusieurs usages, la redevance est calculée au prorata des volumes utilisés pour chaque usage. L'agence de l'eau notifie cette redevance au gestionnaire du canal qui est le seul destinataire de la notification du montant des redevances dues et qui doit en répercuter le montant sur les usagers du canal. En l'espèce, il n'est pas sérieusement contesté que le prélèvement d'eau litigieux est destiné, d'une part, à l'usage " alimentation du canal ", d'autre part, à l'usage des besoins de l'irrigation et autres usages économiques, dont l'arrosage des jardins utilisés par les usagers du canal, sans que l'appelante ne puisse utilement se prévaloir de la circonstance, qu'eu égard à ses statuts, elle n'utilise pas d'eau pour l'irrigation. Par suite, l'agence de l'eau Rhône-Méditerranée-Corse a pu légalement décider que le titre exécutoire en litige correspondait à deux usages distincts comprenant des volumes prélevés soumis au tarif correspondant à chacun de ces usages.

5. En outre, si l'ASA du canal de Ventavon - Saint-Tropez soutient que le pouvoir réglementaire a, d'une part, institué le gestionnaire de canal en redevable légal des redevances dues au titre des prélèvements effectués par ses usagers, d'autre part, a empiété sur les compétences du pouvoir législatif en modifiant l'assiette de cette imposition et en déterminant lui-même un redevable " alternatif ", elle ne l'établit pas. De même, puisqu'il résulte des dispositions de l'article L. 213-11 du code de l'environnement que ce sont les seules personnes susceptibles d'être assujetties aux redevances qui déclarent à l'agence de l'eau les éléments nécessaires au calcul des redevances, c'est bien l'appelante, exploitante et gestionnaire du canal, qui doit être regardée comme l'assujettie au sens de ces dispositions au regard de ses activités, qui consistent notamment à prélever l'eau afin de la distribuer à ses adhérents et qui entraînent le prélèvement sur la ressource en eau. La circonstance, à la supposer même établie, que l'appelante ait la qualité de gestionnaire " transparente " de canal est sans incidence sur la demande de décharge.

6. Le moyen, tiré de ce que les dispositions du IV de l'article R. 213-48-14 du code de l'environnement ne peuvent s'appliquer aux associations de droit public, qui n'ont pas la possibilité juridique de répercuter le montant de cette redevance sur les usagers du canal, est sans influence sur la solution du litige, dès lors, d'une part, que cet article, qui permet au gestionnaire assujetti au paiement de la redevance de répercuter le montant de celle-ci sur les usagers du canal, est applicable, quelle que soit la personnalité juridique de droit privé ou de droit public du gestionnaire, d'autre part, que cette possibilité de répercussion ne constitue pas une condition juridique entrainant l'assujettissement du gestionnaire à la redevance. En outre, comme en application de l'article 29 des statuts de l'ASA du canal de Ventavon - Saint-Tropez, un adhérent ne peut pas revendre ou céder gratuitement la dotation en eau qui lui est attribuée à un tiers, sauf dispositions contraires fixées par une convention avec l'association syndicale, la circonstance que l'eau soit au final utilisée par des locataires de terres est également sans effet sur l'action de l'association, qui reste entièrement réalisée au bénéfice des propriétaires de terres, qui sont les seuls usagers du canal et qui peuvent d'ailleurs répercuter les montants acquittés à ce titre sur leurs locataires. Par suite, l'appelante n'est pas fondée à soutenir qu'en assimilant les usagers de l'eau du canal aux adhérents de l'association, le tribunal administratif a entaché son jugement d'une erreur de droit.

7. S'agissant du calcul de l'assiette des redevances " irrigation " mises à sa charge, l'appelante ne peut utilement se prévaloir du bénéfice des dispositions de l'article L. 213-10-9 IV du code de l'environnement, lequel prévoit un volume d'eau au-dessous duquel la redevance n'est pas due, pour faire application de ce seuil au volume d'eau utilisé par chaque usager, dès lors que c'est l'ASA qui doit être considérée comme assujettie aux redevances en litige, en fonction du volume global qu'elle prélève, lequel ne peut être qualifié de prélèvements " à usage domestique " au sens de l'article L. 214-1 et 2 du code de l'environnement. De même, le moyen tiré de l'atteinte au principe d'égalité doit être écarté puisque, d'une part, les membres de l'association syndicale ne sont pas dans la même situation que les redevables situés hors du périmètre de l'association, d'autre part, que tous les membres de l'association syndicale sont susceptibles de se voir répercuter par cette dernière les redevances mises à sa charge par l'agence de l'eau en fonction de leur spécificité. Enfin, s'il est soutenu que la surface de 80 hectares pour 820 jardins ne correspondrait à aucune base d'évaluation objective de la part de l'agence de l'eau Rhône-Méditerranée-Corse, toutefois, il ressort des pièces du dossier qu'à la suite d'une visite de contrôle, le rapport consécutif, établi par l'agence le 15 octobre 2015 et transmis à l'ASA, précisait que le périmètre irrigué comprend des exploitations agricoles pour une superficie de 280 hectares et 820 jardins particuliers pour une surface de 80 hectares. Ce même rapport faisait également mention des modalités de calcul du volume d'eau destiné à l'arrosage des jardins en indiquant qu'il est à assimiler à " autres usages économiques ", et que l'évaluation forfaitaire est fixée à 10.000 m3 par hectare et que, par conséquent, en raison des 80 ha de jardin constatés, le volume est estimé à 800.000 m3 par an. Au surplus, ni en première instance, ni en appel, l'ASA n'apporte le moindre élément permettant d'indiquer que cette surface aurait été surévaluée.

8. Aux termes de l'article 9 de la directive du 23 octobre 2000 visée plus haut : " Récupération des coûts des services liés à l'utilisation de l'eau/ 1. Les États membres tiennent compte du principe de la récupération des coûts des services liés à l'utilisation de l'eau, y compris les coûts pour l'environnement et les ressources, eu égard à l'analyse économique effectuée conformément à l'annexe III et conformément, en particulier, au principe du pollueur-payeur./Les États membres veillent, d'ici à 2010, à ce que:/- la politique de tarification de l'eau incite les usagers à utiliser les ressources de façon efficace et contribue ainsi à la réalisation des objectifs environnementaux de la présente directive,/ - les différents secteurs économiques, décomposés en distinguant au moins le secteur industriel, le secteur des ménages et le secteur agricole, contribuent de manière appropriée à la récupération des coûts des services de l'eau, sur la base de l'analyse économique réalisée conformément à l'annexe III et compte tenu du principe du pollueur-payeur. Ce faisant, les États membres peuvent tenir compte des effets sociaux, environnementaux et économiques de la récupération ainsi que des conditions géographiques et climatiques de la région ou des régions concernées. (...) / 4. Les États membres ne commettent pas d'infraction à la présente directive lorsqu'ils décident, conformément à des pratiques établies, de ne pas appliquer les dispositions prévues au paragraphe 1, deuxième phrase, et, à cet effet, les dispositions pertinentes du paragraphe 2, pour une activité d'utilisation de l'eau donnée, dans la mesure où cela ne remet pas en question les buts de la présente directive et ne compromet pas la réalisation de ses objectifs. (...) ".

9. S'agissant de la critique relative aux taux appliqués pour la redevance " irrigation ", l'appelante soutient tout d'abord que la différence, prévue à l'article L. 213-10-9 du code de l'environnement, entre les taux pour l'irrigation et celui pour l'irrigation gravitaire n'est pas conforme aux dispositions de l'article 9-1 de la directive 2000/60/CE du 23 octobre 2000 et que la pratique tarifaire de l'agence concernant l'irrigation sous pression, plus économe en eau, qui est facturée quatre fois plus cher que l'irrigation gravitaire, contrevient directement aux principes posés par la directive. Toutefois, alors que la directive du 23 octobre 2000 se borne à établir un simple cadre pour une politique communautaire dans le domaine de l'eau, en distinguant le secteur industriel, le secteur des ménages et le secteur agricole et que les Etats membres doivent, pour assurer la transposition de la directive, mettre en place une politique de tarification incitative pour contribuer à une utilisation efficace de la ressource en eau, avec la possibilité de tenir compte des effets sociaux, environnementaux et économiques de cette tarification, l'article L. 213-10-9 du code de l'environnement en imposant, d'une part, une redevance " pollution ", fondée sur la quantité d'eau utilisée, en différenciant, d'autre part, les tarifs en fonction des usages de la ressource en eau et des effets économiques de la tarification, répond aux objectifs fixés par la directive. Au surplus, les modalités particulières retenues pour le calcul de la redevance, qui distinguent l'irrigation sous pression et l'irrigation gravitaire, ne font pas obstacle à ce que soient prévenues les atteintes que les personnes susceptibles d'être assujetties aux redevances litigieuses sont susceptibles de porter à l'environnement.

10. Six usages de la ressource en eau sont prévus par le tableau tarifaire mentionné au V de l'article L. 213-10-9 du code de l'environnement lequel, au titre des différents usages auxquels donnent lieu les prélèvements, identifie : l'irrigation (sauf irrigation gravitaire), l'irrigation gravitaire, l'alimentation en eau potable, le refroidissement industriel conduisant à une restitution supérieure à 99 %, l'alimentation d'un canal et les autres usages économiques. Le II de l'article R. 213-48-14 de ce code précise que les usages pour l'irrigation sont ceux réalisés par des exploitants agricoles pour l'irrigation des cultures. Par conséquent, l'arrosage des jardins d'agrément doit être rangé dans la catégorie tarifaire " autres usages économiques " dès lors qu'une telle utilisation de la ressource en eau, qui, il est vrai, ne correspond pas strictement à un usage professionnel et comporte des seuils supérieurs aux besoins d'un jardin d'agrément, doit faire l'objet d'une imposition pour les prélèvements liés à cet usage, en application des dispositions de l'article L. 213-10-9 I du code de l'environnement qui prévoit que " toute personne dont les activités entraînent un prélèvement sur la ressource en eau est assujettie à une redevance pour prélèvement sur la ressource en eau ". Par suite, l'agence de l'eau Rhône-Méditerranée-Corse a pu légalement qualifier l'activité d'arrosage des jardins comme relevant des " autres usages économiques de l'eau ".

11. Il résulte de tout ce qui précède que l'ASA du canal de Ventavon - Saint-Tropez n'est pas fondée à demander la décharge de l'obligation de payer la somme de 107 044 euros mise à sa charge par le titre de recettes correspondant à la redevance pour l'utilisation de la ressource en eau au titre de l'année 2016.

Sur les frais liés au litige :

12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'agence de l'eau Rhône-Méditerranée-Corse, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, une somme au titre des frais exposés par l'ASA du canal de Ventavon - Saint-Tropez. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'ASA du canal de Ventavon - Saint-Tropez une somme de 500 euros à verser à l'agence de l'eau Rhône-Méditerranée-Corse, au titre de ces mêmes dispositions.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Lyon en date du 20 juin 2019 est annulé.

Article 2 : La demande présentée par l'ASA du canal de Ventavon - Saint-Tropez devant le tribunal administratif de Lyon est rejetée.

Article 3 : L'ASA du canal de Ventavon - Saint-Tropez versera à l'agence de l'eau Rhône-Méditerranée-Corse une somme de 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à l'ASA du canal de Ventavon - Saint-Tropez et à l'agence de l'eau Rhône-Méditerranée-Corse.

Délibéré après l'audience du 15 mars 2022, à laquelle siégeaient :

M. Jean-Yves Tallec, président de chambre,

M. Gilles Fédi, président-assesseur,

Mme Sophie Corvellec, première conseillère,

Rendu public par mise à disposition au greffe le 30 mars 2022.

Le rapporteur,

Gilles FédiLe président,

Jean-Yves TallecLa greffière,

Sandra Bertrand

La République mande et ordonne à la ministre de la transition écologique en ce qui la concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition,

La greffière,

2

N° 19LY03231


Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

27-05-02 Eaux. - Gestion de la ressource en eau. - Redevances.


Références :

Publications
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Composition du Tribunal
Président : M. TALLEC
Rapporteur ?: M. Gilles FEDI
Rapporteur public ?: M. DELIANCOURT
Avocat(s) : SCP LESAGE - BERGUET - GOUARD-ROBERT

Origine de la décision
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 3ème chambre
Date de la décision : 30/03/2022
Date de l'import : 05/04/2022

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 19LY03231
Numéro NOR : CETATEXT000045455144 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2022-03-30;19ly03231 ?
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