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10/03/2022 | FRANCE | N°19LY03353

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 4ème chambre, 10 mars 2022, 19LY03353


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Eiffage Énergie Systèmes-Clemessy a demandé au tribunal administratif de Dijon de condamner la commune de Sens à lui verser la somme de 248 942,72 euros HT assortie des intérêts moratoires à compter du 19 mars 2015 et de leur capitalisation au titre du règlement financier du marché public conclu pour le lot n° 11 " Électricité courants forts et faibles " du chantier d'extension et de réhabilitation du complexe sportif omnisports de l'espace René-Binet et incluant l'indemnisation des préj

udices résultant de l'allongement du délai d'exécution des tranches conditionne...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Eiffage Énergie Systèmes-Clemessy a demandé au tribunal administratif de Dijon de condamner la commune de Sens à lui verser la somme de 248 942,72 euros HT assortie des intérêts moratoires à compter du 19 mars 2015 et de leur capitalisation au titre du règlement financier du marché public conclu pour le lot n° 11 " Électricité courants forts et faibles " du chantier d'extension et de réhabilitation du complexe sportif omnisports de l'espace René-Binet et incluant l'indemnisation des préjudices résultant de l'allongement du délai d'exécution des tranches conditionnelles.

Par des jugements n° 1700881 du 29 juin 2019 et du 30 avril 2021, ce tribunal a condamné la commune de Sens à verser à la société Eiffage Énergie Systèmes-Clemessy, d'une part, la somme de 32 114,06 euros TTC au titre des travaux réalisés de la tranche conditionnelle n° 2 et, d'autre part, après avoir ordonné une expertise en vue d'évaluer le montant des préjudices subis par l'entreprise du fait de l'allongement du délai d'exécution de cette tranche, la somme de 59 571 euros, en assortissant ces condamnations des intérêts moratoires au taux de 7,05 % à compter du 19 mars 2015 et de leur capitalisation à compter du 3 avril 2017.

Procédure devant la cour :

I. Par une requête enregistrée le 27 août 2019 sous le n° 19LY03353, la commune de Sens, représentée par Me Corneloup, demande à la cour :

1°) d'annuler les articles 2 à 8 du jugement du 29 juin 2019 ou, subsidiairement, son seul article 2 ;

2°) de rejeter les conclusions indemnitaires de la société Eiffage Énergie Systèmes-Clemessy au titre de l'allongement de la durée du chantier de la tranche conditionnelle n° 2 ou de limiter sa condamnation à ce titre et de condamner les sociétés membres du groupement de maîtrise d'œuvre et la société Bureau Veritas à la garantir de sa condamnation ;

3°) de mettre à la charge de la société Eiffage Énergie Systèmes-Clemessy la somme de 5 000 euros au titre des frais du litige.

Elle soutient que :

- l'allongement de la durée du chantier de la tranche conditionnelle n° 2 est en partie imputable à la société SV2A titulaire du lot n° 5 " Menuiserie Aluminium-Serrurerie ", à la société Plâtrerie Sénonaise titulaire du lot n° 7 " Plâtrerie/Cloison brique ", au groupement de maîtrise d'œuvre et à la société Bureau Veritas, contrôleur technique ;

- elle est donc fondée à appeler en garantie les sociétés membres du groupement de maîtrise d'œuvre et la société Bureau Veritas ;

- la société Eiffage Énergie Systèmes-Clemessy n'établit pas que l'allongement de la durée du chantier de la tranche conditionnelle n° 2 l'a contrainte à mobiliser des personnels de direction et d'encadrement de chantier pendant toute cette période et a causé des pertes de productivité et de couverture de ses frais généraux ; le tribunal était en mesure d'écarter ces deux postes de préjudices sans prescrire une expertise inutile.

Par un mémoire en défense enregistré le 1er février 2022, la société Eiffage Énergie Systèmes-Clemessy, représentée par Me Juffroy, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 2 000 euros soit mise à la charge de la commune de Sens au titre des frais du litige.

Elle fait valoir que :

- l'allongement de la durée du chantier de la tranche conditionnelle n° 2 est imputable à hauteur de 15 mois aux seules fautes commises par le maître d'ouvrage dans l'organisation du chantier, l'établissement du calendrier d'exécution des travaux et l'exercice de ses pouvoirs de direction et de contrôle du chantier ;

- l'expertise ordonnée par le tribunal, qui n'était pas en mesure de définir l'ampleur de ses préjudices, présentait un caractère utile.

Un mémoire enregistré le 4 février 2022 présenté pour la commune de Sens n'a pas été communiqué.

II. Par une requête et un mémoire enregistrés les 29 juin 2021 et 4 février 2022 sous le n° 21LY02141, la commune de Sens, représentée par Me Corneloup, demande à la cour :

1°) d'annuler les articles 1, 2, 3, 5 et 6 du jugement du 30 avril 2021 ;

2°) de déduire des pénalités de retard du solde relatif aux travaux exécutés, de rejeter les conclusions indemnitaires de la société Eiffage Énergie Systèmes-Clemessy ou de ramener sa condamnation à de plus justes proportions et de condamner les sociétés membres du groupement de maîtrise d'œuvre et la société Bureau Veritas à la garantir de sa condamnation ;

3°) de mettre à la charge de la société Eiffage Énergie Systèmes-Clemessy la somme de 5 000 euros au titre des frais du litige.

Elle soutient que :

- l'allongement de la durée du chantier de la tranche conditionnelle n° 2 est en partie imputable à la société SV2A titulaire du lot n° 5 " Menuiserie Aluminium-Serrurerie ", à la société Plâtrerie Sénonaise titulaire du lot n° 7 " Cloisons-Plâtrerie ", au groupement de maîtrise d'œuvre et à la société Bureau Veritas, contrôleur technique ;

- elle est donc fondée à appeler en garantie les sociétés membres du groupement de maîtrise d'œuvre et la société Bureau Veritas ;

- la société Eiffage Énergie Systèmes-Clemessy n'établit pas que l'allongement de la durée du chantier de la tranche conditionnelle n° 2 l'a contrainte à mobiliser des personnels de direction et d'encadrement de chantier pendant toute cette période et qu'elle a entraîné des pertes de productivité et de couverture des frais généraux ; le tribunal était en mesure d'écarter ces deux postes de préjudices sans prescrire une expertise inutile ;

- elle n'est pas forclose et est fondée à demander que des pénalités de retard soient déduites du solde du coût des travaux exécutés et dus à l'entreprise.

Par un mémoire en défense enregistré le 8 décembre 2021 la société Bureau Veritas, représentée par Me Faivre, conclut au rejet des conclusions d'appel en garantie dirigées à son encontre par la commune de Sens et à ce que la somme de 4 500 euros soit mise à la charge de la commune de Sens au titre des frais du litige.

Elle fait valoir que :

- les conclusions d'appel en garantie dirigées à son encontre par la commune de Sens, qui sont dépourvues de motivation et de fondement, l'allongement des délais du chantier ne lui étant pas imputable, sont manifestement irrecevables ;

- le caractère définitif du décompte de son marché fait obstacle à ce que la commune de Sens recherche sa responsabilité contractuelle.

Par un mémoire en défense enregistré le 3 février 2022, la société Eiffage Énergie Systèmes-Clemessy, représentée par Me Juffroy, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 3 000 euros soit mise à la charge de la commune de Sens au titre des frais du litige.

Elle fait valoir que :

- l'allongement de la durée du chantier de la tranche conditionnelle n° 2 est imputable à hauteur de 15 mois aux seules fautes commises par le maître d'ouvrage dans l'organisation du chantier, l'établissement du calendrier d'exécution des travaux et l'exercice de ses pouvoirs de direction et de contrôle du chantier ;

- l'expertise ordonnée par le tribunal, qui n'était pas en mesure de définir l'ampleur de ses préjudices, présentait un caractère utile ;

- le décompte de pénalités de retard sur lequel s'appuie la commune de Sens n'est pas signé de sorte qu'elle ne peut utilement s'en prévaloir et il est postérieur au jugement du 30 avril 2021 contesté ;

- en l'absence de notification du décompte général, la commune de Sens n'est pas fondée à se prévaloir, qui plus est pour la première fois en appel, de pénalités de retard ;

- en tout état de cause la créance de pénalités de retard est prescrite, plus de cinq ans s'étant écoulés depuis la réception avec réserves le 24 août 2014 des travaux de la tranche conditionnelle n° 2 ;

- la quasi-totalité des réserves a été levée le 21 novembre 2014 ;

- la commune de Sens n'établit pas que le tribunal a injustement évalué le montant de la réparation des préjudices ayant résulté pour elle de l'allongement du délai d'exécution de la tranche conditionnelle n° 2.

Un mémoire enregistré le 8 février 2022, après la clôture automatique de l'instruction, présenté pour la société Eiffage Énergie Systèmes-Clemessy, n'a pas été communiqué.

III. Par une requête enregistrée le 6 juillet 2021 sous le n° 21LY02286, la société Eiffage Énergie Systèmes-Clemessy, représentée par Me Juffroy, demande à la cour :

1°) de réformer les jugements des 29 juin 2019 et 30 avril 2021, en tant qu'ils limitent son indemnisation ;

2°) de condamner la commune de Sens à lui verser la somme de 37 510 euros HT assortie des intérêts moratoires au taux de 7,05 % à compter du 19 mars 2015 et leur capitalisation à compter du 3 avril 2017 en réparation des préjudices résultant de l'allongement du délai d'exécution de la tranche conditionnelle n° 1 ;

3°) de mettre à la charge de la commune de Sens la somme de 5 000 euros au titre des frais du litige.

Elle soutient que :

- l'allongement du délai d'exécution de la tranche conditionnelle n° 1 est imputable à hauteur de 150 jours à la carence du maître d'ouvrage dans l'exercice de ses pouvoirs de direction et de contrôle du chantier dès lors qu'il n'a pas demandé au groupement de maîtrise d'œuvre de prendre des mesures coercitives à l'égard de la société titulaire du lot n° 7 " Plâtrerie/Cloison brique ", aucune pénalité de retard ne lui ayant été infligées ;

- la circonstance que cette société ait achevé ses travaux n'est pas susceptible d'exonérer le maître d'ouvrage de sa responsabilité ;

- l'engagement de la responsabilité contractuelle du maître d'ouvrage n'est pas subordonné à la démonstration de l'efficience de ses pouvoirs de sanction ;

- elle évalue ses préjudices au titre de la mobilisation du personnel de direction et d'encadrement et au titre de la perte de productivité aux sommes de 10 560 euros HT et 26 950 euros HT.

Par un mémoire en défense enregistré le 4 février 2022 la commune de Sens, représentée par Me Corneloup, conclut au rejet de la requête ou à la réformation des jugements attaqués, à la condamnation des sociétés membres du groupement de maîtrise d'œuvre à la garantir de sa condamnation et à ce que la somme de 5 000 euros soit mise à la charge de la société Eiffage Énergie Systèmes-Clemessy au titre des frais du litige.

Elle fait valoir que ;

- l'allongement de la durée du chantier de la tranche conditionnelle n° 1 est imputable à la société titulaire du lot n° 7 et à la maîtrise d'œuvre ;

- elle est donc fondée à appeler en garantie les sociétés membres du groupement de maîtrise d'œuvre ;

- la société Eiffage Énergie Systèmes-Clemessy n'établit pas la réalité des préjudices invoqués.

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :

- le code civil ;

- le code des marchés publics ;

- le décret n° 76-87 du 21 janvier 1976 ;

- le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Michel,

- les conclusions de M. Savouré, rapporteur public,

- et les observations de Me Hortance pour la commune de Sens et celles de Me Juffroy pour la société Eiffage Énergie Systèmes-Clemessy.

Et avoir pris connaissance, d'une part, des notes en délibéré présentées dans chacune des affaires pour la commune de Sens enregistrées le 11 février 2022 et, d'autre part, de la note en délibéré présentée pour la société Eiffage Énergie Systèmes-Clemessy enregistrée le 14 février 2022 dans l'affaire n° 21LY02141.

Considérant ce qui suit :

1. Les requêtes visées ci-dessus présentées pour la commune de Sens et la société Eiffage Énergie Systèmes-Clémessy sont relatives à la même opération et ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt.

2. La commune de Sens a décidé d'agrandir et de réhabiliter le complexe sportif omnisports de l'espace René Binet. La maîtrise d'œuvre a été confiée à un groupement qui a désigné la société Archi-Tecture en qualité de mandataire. Par un acte d'engagement signé le 14 septembre 2009, la société Clemessy a été chargée de la réalisation du lot n° 11 correspondant aux travaux d'électricité. Le lot n° 5 " Menuiserie alu/Serrurerie " a été attribué à la société SV2A et le lot n° 7 " Plâterie/Cloison brique " à la société Plâtrerie Sénonaise. Le contrôle technique a été confié à la société Bureau Veritas. Le marché conclu à prix forfaitaire avec la société Clemessy comportait une tranche ferme et deux tranches conditionnelles. Par lettre du 12 mai 2014, la société Clemessy a refusé de signer le document présenté par la commune de Sens comme le décompte général relatif à la tranche conditionnelle n° 1, au motif qu'il ne tenait pas compte des conséquences financières de l'allongement du délai d'exécution des travaux de cette tranche n°1. Le 13 avril 2015, la société Clemessy a remis au maître d'œuvre le projet de décompte final de son lot en y intégrant une somme de 243 442,50 euros HT au titre des préjudices subis du fait de l'allongement du délai d'exécution des deux tranches conditionnelles. Par lettre du 14 avril 2015, elle a mis en demeure le maître d'ouvrage de lui notifier le décompte général de son marché. Après l'échec de cette mise en demeure et de discussions amiables, la société Clemessy a saisi le tribunal administratif de Dijon en lui demandant de condamner la commune de Sens à lui verser la somme de 248 942,72 euros HT assortie des intérêts moratoires et de leur capitalisation au titre des travaux exécutés de la tranche conditionnelle n° 2 et des difficultés matérielles rencontrées lors de l'exécution du marché. Par des jugements successifs du 29 juin 2019 et du 30 avril 2021, ce tribunal a partiellement fait droit à sa demande. Il a condamné la commune de Sens à verser à la société Eiffage Énergie Systèmes-Clemessy, venue aux droits de la société Clemessy, d'une part, la somme de 32 114,06 euros TTC assortie des intérêts moratoires et de leur capitalisation au titre des travaux exécutés de la tranche conditionnelle n° 2 et, d'autre part, après avoir ordonné une expertise en vue d'évaluer le montant des préjudices subis par l'entreprise du fait de l'allongement du délai d'exécution de la tranche conditionnelle n° 2, la somme de 59 571 euros, assortie des intérêts moratoires et de leur capitalisation. La commune de Sens relève appel de ces jugements en tant qu'ils l'ont condamnée. La société Eiffage Énergie Systèmes-Clemessy relève appel de ces jugements en tant que le tribunal a refusé de l'indemniser au titre de la tranche conditionnelle n° 1.

Sur la régularité du jugement du 29 juin 2019 :

3. Le tribunal a, avant d'ordonner la mesure d'expertise, estimé que la responsabilité pour faute contractuelle de la commune de Sens, à l'origine d'un allongement total de quinze mois du délai d'exécution des travaux de la tranche conditionnelle n° 2, était engagée. Il ressort des pièces du dossier que les premiers juges ne disposaient pas d'éléments suffisants pour évaluer les préjudices de la société Clemessy, et notamment les conséquences précises des mobilisations et démobilisations successives de son personnel pendant les périodes d'indemnisation retenues. Par suite, la commune de Sens n'est pas fondée à soutenir que l'expertise prescrite par le jugement du 29 juin 2019 aux fins d'évaluation des préjudices liés au retard qu'il lui a imputé était frustratoire et à demander, pour ce motif, l'annulation de ce jugement.

Sur le bien-fondé des jugements :

4. L'ensemble des opérations auxquelles donne lieu l'exécution d'un marché public est compris dans un compte dont aucun élément ne peut être isolé et dont seul le solde arrêté lors de l'établissement du décompte général et définitif détermine les droits et obligations définitifs des parties. Les indemnités dues aux entreprises afin de réparer le préjudice particulier résultant pour elles des perturbations survenues dans le déroulement du chantier, ainsi que le montant des pénalités de retard, constituent des éléments de ce compte et doivent, dès lors, en principe être rapportées au solde du marché.

En ce qui concerne l'indemnisation de l'allongement du délai d'exécution des travaux de la tranche conditionnelle n° 1 :

5. Les difficultés rencontrées dans l'exécution d'un marché à forfait ne peuvent ouvrir droit à indemnité au profit de l'entreprise titulaire du marché que dans la mesure où celle-ci justifie soit que ces difficultés trouvent leur origine dans des sujétions imprévues ayant eu pour effet de bouleverser l'économie du contrat, soit qu'elles sont imputables à une faute de la personne publique commise notamment dans l'exercice de ses pouvoirs de contrôle et de direction du marché, dans l'estimation de ses besoins, dans la conception même du marché ou dans sa mise en œuvre, en particulier dans le cas où plusieurs cocontractants participent à la réalisation de travaux publics.

6. Le cahier des clauses administratives particulières (CCAP) du marché rappelait au point 3.1 de son article 4 qu'en vertu de l'article 20 du cahier des clauses administratives générales (CCAG) applicables aux marchés publics de travaux approuvé par le décret du 21 janvier 1976 et alors opposable, les pénalités pour retard d'exécution étaient appliquées par le maître d'ouvrage sur simple constat du maître d'œuvre, précisé sur les situations de travaux et sans mise en demeure préalable.

7. Il résulte de l'ordre de service n° 2 de prolongation de délai du lot n° 11 " Électricité courants fort et faible " du 31 juillet 2012 que du fait des retards importants d'exécution imputables au titulaire du lot n° 7 " Plâtrerie/Cloison brique ", la société Clemessy a réalisé les travaux de son propre lot par phases intermittentes de février 2011 à juillet 2012, ce qui a retardé la fin des travaux de son lot d'un total de 150 jours. Il résulte de l'instruction, en particulier du compte rendu de chantier n° 63 du 20 mars 2012, que le maître d'ouvrage, au fait de la situation signalée à compter du compte rendu de chantier n° 42 du 11 octobre 2011, date à laquelle la société Plâtrerie piémontaise accumulait déjà 3 à 4 semaines de retard, a pris une mesure coercitive en décidant d'appliquer des pénalités de retard prévues à l'article 4 du CCAP. Aucune faute contractuelle n'est par conséquent imputable à la commune de Sens au regard de ses obligations de maître d'ouvrage.

8. Compte tenu de ce qui précède, la société Eiffage Énergie Systèmes-Clemessy n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par les jugements attaqués, le tribunal administratif de Dijon a rejeté les conclusions de sa demande tendant à la condamnation de la commune de Sens à l'indemniser des préjudices résultant de l'allongement du délai d'exécution de la tranche conditionnelle n° 1.

En ce qui concerne la somme due au titre de la rémunération de la tranche conditionnelle n° 2 :

9. La commune de Sens, qui était défendeur en première instance, est recevable à soulever pour la première fois en appel le moyen tiré de ce que des pénalités de retard de 300 euros par jour calendaire de retard dans la levée des réserves devraient être déduites du solde des travaux de la tranche conditionnelle n° 2 exécutés par la société Clemessy.

10. L'article 9.2.2 du CCAP stipulait que : " Dans le cas où le procès-verbal contiendrait des réserves, le maître d'œuvre délivre à l'entreprise un procès-verbal de réception avec réserves. Le maître d'œuvre fixera le délai dans lequel ces travaux devront être exécutés. Délai qui par dérogation au C.C.A.G. ne devra EN AUCUN CAS EXCEDER 2 MOIS. / Dans le cas où les réserves ne seraient pas levées dans le délai fixé au procès-verbal, le maître d'ouvrage se réserve le droit d'appliquer sans préavis une pénalité de 300 € (trois cent euros) HT par jour calendaire de retard. (...).".

11. Les travaux de la tranche conditionnelle n° 2 ont été réceptionnés le 3 septembre 2014 avec effet au 24 août 2014, avec treize réserves. Il résulte de l'instruction que l'absence de production par des sociétés tierces au lot électricité des procès-verbaux de mise en service de la vidéosurveillance et du système de gestion technique du bâtiment, qui a fait l'objet de réserves, n'était pas imputable à la société Clemessy. Les autres réserves ont été levées le 21 novembre 2014 à l'exception de deux, relatives aux connecteurs sur luminaires et aux luminaires des cages d'escalier, qui ont été levées le 9 mai 2016, après l'expiration du délai qui avait été imparti à la société Clemessy venu à terme le 16 septembre 2014, soit un retard de 600 jours.

12. Aux termes de l'article 2224 du code civil : " Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer ".

13. L'application des principes rappelés au point 4 en ce qui concerne l'établissement du solde du décompte d'un marché ne fait pas obstacle à ce que la société Eiffage Énergie Systèmes-Clemessy puisse se prévaloir de la prescription quinquennale prévue à l'article 2224 du code civil pour s'opposer à la prise en compte pour déterminer le solde de son lot de la créance de pénalités de retard de levée des réserves que la commune de Sens entend désormais lui opposer.

14. Le point de départ du délai de prescription prévu par l'article 2224 du code civil correspond à la date à laquelle la commune de Sens a eu connaissance de sa créance, à savoir la date à laquelle les dernières réserves ont été levées, le 9 mai 2016. La requête n° 21LY02141 de la commune ayant été enregistrée le 29 juin 2021, soit au-delà de l'échéance d'une période de cinq ans, les règles de prescription rappelée au point 12 font obstacle à que des pénalités de retard de levée de réserves puissent désormais être déduites du solde des travaux de la tranche conditionnelle n° 2 exécutés par l'entreprise. Par suite, la commune de Sens n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal l'a condamnée à verser à l'entreprise la somme de 32 114,06 euros au titre de la tranche conditionnelle n° 2.

En ce qui concerne l'indemnisation de l'allongement du délai d'exécution des travaux de la tranche conditionnelle n° 2 :

15. La commune de Sens ne conteste pas le principe de la responsabilité mise à sa charge par le jugement attaqué au titre de l'allongement de quinze mois de la durée des travaux de la tranche conditionnelle n° 2. Elle conteste le montant de l'indemnité qu'elle a été condamnée à verser à société Eiffage Énergie Systèmes-Clemessy au titre de la mobilisation du personnel de direction et d'encadrement et des pertes de productivité.

16. Le tribunal a retenu trois périodes d'allongement fautif des travaux. Une première période d'interruption de 292 jours résultant de l'indisponibilité des anciens vestiaires à démolir, une deuxième période d'interruption de 45 jours en raison d'un retard dans la mise en œuvre de mesures coercitives à l'égard de la société titulaire du lot n° 5 " Menuiserie alu/Serrurerie " et une troisième période de prolongation de 120 jours en raison de la mise à disposition tardive d'un autre bâtiment, dans lequel il a fallu de surcroît procéder à des travaux préalables de désamiantage non prévus.

17. Le tribunal a déclaré faire une juste appréciation en fixant à la somme de 16 170 euros HT l'indemnisation de la société Eiffage Énergie Systèmes-Clemessy au titre de la mobilisation du personnel de direction et d'encadrement. Il a retenu une moyenne de deux heures par semaine pour la première période d'interruption et de sept heures par semaine pour les deux autres périodes, pendant lesquelles les travaux étaient en cours, et un coût horaire moyen de 66 euros alors que l'expert judiciaire avait retenu un coût horaire moyen de 80 euros. La commune de Sens n'établit pas que le tribunal a injustement évalué le montant de la réparation due à l'entreprise au titre de ce chef de préjudice.

18. Le tribunal a alloué à société Eiffage Énergie Systèmes-Clemessy une indemnité de 40 167 euros au titre de la perte de productivité sur la base du rapport de l'expert, auquel il avait donné mission d'évaluer ce chef de préjudice en tenant compte notamment de la possibilité pour l'entreprise de redéployer son personnel sur d'autres chantiers. Le tribunal a retenu que seule la seconde période d'interruption de 45 jours avait entraîné une démobilisation du personnel. La commune de Sens, qui se borne à soutenir que l'entreprise n'établit pas avoir été dans l'impossibilité de mobiliser son personnel pendant toute la durée d'allongement du chantier de la tranche conditionnelle n° 2, ne critique pas efficacement sur ce point le jugement du 30 avril 2021.

En ce qui concerne les conclusions d'appel en garantie :

19. Les sommes mises à la charge de la commune de Sens au titre de l'allongement de la durée des travaux de la tranche conditionnelle n° 2 sont la conséquence de ses propres fautes et non de celles qu'auraient commises la maîtrise d'œuvre et la société Bureau Veritas. Par suite, les conclusions d'appel en garantie dirigées à leur encontre présentées par la commune de Sens ne peuvent qu'être rejetées.

20. Il résulte de tout ce qui précède que les requêtes de la commune de Sens et de la société Eiffage Énergie Systèmes-Clemessy doivent être rejetées.

Sur les frais du litige :

21. Il y a lieu, d'une part, de laisser à la charge de la commune de Sens et de la société Eiffage Énergie Systèmes-Clemessy les sommes demandées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et, d'autre part, de mettre à la charge de la commune de Sens la somme de 2 000 euros à verser à la société Bureau Veritas au titre des mêmes dispositions.

DÉCIDE :

Article 1er : Les requêtes et les conclusions présentées par la commune de Sens et la société Eiffage Énergie Systèmes-Clemessy au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 2 : La commune de Sens versera à la société Bureau Veritas la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la commune de Sens et aux sociétés Eiffage Énergie Systèmes-Clemessy, Archi-tecture, B2E, Beteb, BE Clément et Bureau Veritas et à MM. Gilles Bonino et Jacques Renon.

Délibéré après l'audience du 10 février 2022, à laquelle siégeaient :

M. d'Hervé, président,

Mme Michel, présidente assesseure,

Mme Duguit-Larcher, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 10 mars 2022.

2

N°s 19LY03353, 21LY02141, 21LY02286


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 19LY03353
Date de la décision : 10/03/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Marchés et contrats administratifs - Exécution financière du contrat - Rémunération du co-contractant - Indemnités.

Marchés et contrats administratifs - Exécution financière du contrat - Règlement des marchés.


Composition du Tribunal
Président : M. d'HERVE
Rapporteur ?: Mme Céline MICHEL
Rapporteur public ?: M. SAVOURE
Avocat(s) : JUFFROY

Origine de la décision
Date de l'import : 22/03/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2022-03-10;19ly03353 ?
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