Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. I... D..., Mme F... D..., Mme G... C... et M. E... D... ont demandé au tribunal administratif de Grenoble de condamner la société ERDF à leur verser respectivement les sommes de 100 000, 20 000, 15 000 et 15 000 euros au titre de leurs préjudices, et de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
La Mutualité sociale agricole des Alpes du nord a demandé au tribunal administratif de Grenoble de condamner la société Enedis à lui verser la somme de 398 192,89 euros au titre de ses débours.
La société " Au bonheur des arbres " a demandé au tribunal administratif de Grenoble de condamner la société Enedis à lui verser les sommes de 131 354,66 et 9 077,31 euros ainsi que la moitié des dépens exposés devant le juge judiciaire.
Par un jugement n° 1306991 du 19 décembre 2019, le tribunal administratif de Grenoble a condamné la société Enedis à verser à Mme F... D... la somme de 6 000 euros et à Mme C... et à M. E... D... la somme de 3 000 euros chacun ainsi qu'une somme globale de 3 000 euros au titre de leur préjudice financier, a condamné la société " Au bonheur des arbres " à garantir la société Enedis à hauteur de 4 500 euros, a condamné la société Enedis à verser à la société " Au bonheur des arbres " une somme de 13 650 euros assortie des intérêts au taux légal à compter du 5 août 2019 et a rejeté le surplus des conclusions des parties.
Procédure devant la Cour :
I - Par une requête et deux mémoires complémentaires, enregistrés le 13 février 2020, le 16 octobre 2020 et le 7 janvier 2021, sous le n° 20LY00644, la Mutualité sociale agricole (MSA) des Alpes du nord, représentée par Me Dumoulin, demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :
1°) de réformer le jugement n° 1306991 du 19 décembre 2019 du tribunal administratif de Grenoble ;
2°) de condamner la société Enedis à lui verser une somme de 398 192,89 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter de la date de paiement des prestations et leur capitalisation ;
3°) de condamner la société Enedis à lui verser la somme de 1 098 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion ;
4°) de condamner la société Enedis à lui verser la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
* c'est à tort que le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande en opposant sa faculté d'obtenir le remboursement des débours par l'employeur auteur d'une faute inexcusable ;
* en effet, les sommes demandées devant le tribunal des affaires de sécurité sociale et devant la juridiction administrative ne sont pas les mêmes ; elles dépassent les prestations dues au titre du livre IV du code de la sécurité sociale ;
* le tribunal administratif a confondu le recours à l'encontre de l'employeur au titre de la faute inexcusable prévu à l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale et le recours contre le tiers coresponsable au titre de l'article L. 454-1 du même code ;
* la société Enedis sera donc condamnée à lui rembourser une partie de sa créance de 398 482,59 euros correspondant à sa part de responsabilité dans l'accident ;
* elle est également en droit d'obtenir l'indemnité forfaitaire de gestion qui n'est pas versée par le tribunal des affaires de sécurité sociale.
Par deux mémoires, enregistrés le 6 août 2020 et le 23 octobre 2021, la société " Au bonheur des arbres ", représentée par Me Roudil, demande à la cour :
1°) de réformer le jugement n° 1306991 du 19 décembre 2019 du tribunal administratif de Grenoble ;
2°) de condamner la société Enedis à lui verser les sommes de 140 354 et 9 077,31 euros au titre de l'indemnisation de M. I... D... ;
3°) de condamner la société Enedis à lui rembourser la moitié des dépens exposés devant le juge civil ;
4°) de mettre à la charge de la société Enedis une somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
* la société " Au bonheur des arbres " est intervenue dans le cadre d'un marché de travaux publics passé avec la société Enedis, justifiant la compétence de la juridiction administrative à connaître de son appel en garantie ;
* la faute de la société Enedis a été reconnue par le juge répressif pour réalisation de travaux par une entreprise extérieure sans inspection commune préalable ; elle est donc tenue solidairement des dommages et intérêts en application de l'article 480-1 du code de procédure pénale ;
* la part de responsabilité de la société Enedis devra être fixée à 50 % et non 30 % comme l'a retenu le tribunal administratif de Grenoble ;
* la cour d'appel de Grenoble l'a condamnée à verser la somme de 280 709,33 euros : la société Enedis devra donc lui rembourser la somme de 140 354 euros ; la Mutualité sociale agricole lui a demandé le remboursement de l'indemnité forfaitaire spécifique d'un montant de 18 154,62 euros ; la société Enedis devra donc prendre en charge la somme de 9 077,31 euros ; enfin, la société Enedis devra lui rembourser la moitié des sommes qu'elle a dû verser au titre de l'article 700 du code de procédure civile devant le tribunal des affaires de sécurité sociale et la cour d'appel de Grenoble ainsi que les frais d'expertise.
Par un mémoire, enregistré le 28 décembre 2020, M. I... D..., Mme F... D... née H..., Mme G... C... et M. E... D..., représentés par Me Mladenova, demandent à la cour de condamner la société Enedis à leur verser la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils déclarent que la cour statuera ce que de droit sur les appels interjetés par la Mutualité sociale agricole et par la société " Au bonheur des arbres ".
Par un mémoire, enregistré le 11 décembre 2020, la société Enedis, représentée par Me Brassart, conclut au rejet de la requête et demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Grenoble ;
2°) de rejeter les demandes de la Mutualité sociale agricole des Apes du nord et de la société " Au bonheur des arbres " ; à titre subsidiaire de limiter l'indemnisation de cette dernière à la somme de 7 000 euros ;
3°) de condamner la société " Au bonheur des arbres " à la garantir à hauteur de 12 000 euros au titre des indemnisations des consorts D... ;
4°) de mettre à la charge de la Mutualité sociale agricole des Alpes du nord et de la société " Au bonheur des arbres " la somme de 2 000 euros chacune au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
* la demande de la Mutualité sociale agricole est irrecevable dès lors que, comme l'a justement retenu le tribunal administratif de Grenoble, elle ne remplit pas les conditions de l'article L. 454-1 du code de la sécurité sociale ; il faut notamment que les indemnités dues par elle dépassent celles réparant l'atteinte à l'intégrité physique de la victime qui auraient été mises à la charge de l'employeur en vertu du droit commun ;
* le tribunal des affaires de sécurité sociale a indiqué que c'est la société " Au bonheur des arbres " qui doit rembourser les sommes avancées par la Mutualité sociale agricole en application de l'article L. 452-3 du code précité ; la Mutualité sociale agricole obtiendrait sinon une double indemnisation ;
* en tout état de cause, elle ne devrait le remboursement des débours qu'à hauteur de sa part de responsabilité ; de même les décomptes produits par la Mutualité sociale agricole ne sont accompagnés d'aucun justificatif ; enfin, elle ne saurait obtenir de condamnation au titre de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale en matière d'indemnisation d'accidents du travail ;
* le juge répressif a considéré qu'elle avait commis une faute consistant à avoir fait exécuter des travaux d'élagage à proximité d'une ligne électrique à haute tension sans inspection commune préalable ; sa part de responsabilité devrait être limitée à 20 %, le restant (80 %) incombant à la société " Au bonheur des arbres " ;
* la société " Au bonheur des arbres " ne justifie pas de la totalité de son préjudice en produisant seulement un historique de dépôt de chèques pour un montant de 45 500 euros et un relevé CARPA d'un montant de 35 000 euros, au surplus exposé par la compagnie Groupama.
Par un mémoire en intervention, enregistré le 23 octobre 2021, la société Groupama Rhône-Alpes-Auvergne, représentée par Me Roudil, conclut aux mêmes fins que la société " Au bonheur des arbres " avec les mêmes moyens.
La clôture d'instruction a été fixée au 10 novembre 2021 par une ordonnance du 11 octobre 2021 ;
Par lettre du 13 janvier 2022, les parties ont été informées, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de l'incompétence de la juridiction administrative pour connaître des conclusions de la société " Au bonheur des arbres " dirigées contre la société Enedis et réciproquement dès lors qu'elles sont fondées sur l'exécution d'un contrat de droit privé.
La société " Au bonheur des arbres " et la société Groupama ont produit un mémoire, enregistré le 17 janvier 2022, en réponse à ce moyen d'ordre public.
Un mémoire présenté par la société Enedis, enregistré le 28 janvier 2022, postérieurement à la clôture de l'instruction, n'a pas été communiqué.
II - Par une requête et deux mémoires complémentaires, enregistrés le 18 février 2020, le 7 août 2020 et le 23 octobre 2020, sous le n° 20LY00680, la société " Au bonheur des arbres " (ABDA), représentée par Me Roudil, demande à la cour dans le dernier état de ses écritures :
1°) de condamner la société Enedis à lui verser les sommes de 140 354 et de 9 077,31 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 2 août 2019 ;
2°) de condamner la société Enedis à lui verser la moitié des dépens versés devant le juge civil, assorties des intérêts légaux à compter du 2 août 2019 ;
3°) de mettre à la charge de la société Enedis la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
* la juridiction administrative est compétente pour connaître de son action fondée sur le marché de travaux publics passé le 18 février 2008 avec la société ERDF et tenant à la faute reconnue par le juge pénal d'absence d'inspection commune préalable ;
* la société Enedis doit supporter la moitié des condamnations qu'elle a dû verser à la victime suite aux jugements du juge répressif, en application de l'article 480-1 du code de procédure pénale ; le tribunal administratif a commis une erreur d'appréciation en retenant une part de responsabilité de la société Enedis de seulement 30 % ;
* la société Enedis devra donc prendre en charge la moitié de l'indemnité versée à M. D..., soit la somme de 131 354,66 euros, la moitié de l'indemnité forfaitaire spécifique versée par la MSA, soit 9 077,31 euros et la moitié des dépens exposés devant le juge civil dont 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Par deux mémoires, enregistrés le 16 octobre 2020 et le 7 janvier 2021, la Mutualité sociale agricole des Alpes du nord, représentée par Me Dumoulin, demande à la cour :
1°) de réformer le jugement n° 1306991 du 19 décembre 2019 du tribunal administratif de Grenoble ;
2°) de condamner la société Enedis à lui verser une somme de 398 192,89 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter de la date de paiement des prestations et leur capitalisation ;
3°) de condamner la société Enedis à lui verser la somme de 1 098 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion ;
4°) de condamner la société Enedis à lui verser la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle reprend ses écritures présentées dans l'affaire n° 20LY00644.
Par un mémoire, enregistré le 28 décembre 2020, M. I... D..., Mme F... D... née H..., Mme G... C... et M. E... D..., représentés par Me Mladenova, demandent à la cour de condamner la société Enedis à leur verser la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils déclarent que la cour statuera ce que de droit sur les appels interjetés par la Mutualité sociale agricole et par la société " Au bonheur des arbres ".
Par un mémoire en intervention, enregistré le 23 octobre 2021, la société Groupama Rhône-Alpes-Auvergne, représentée par Me Roudil, conclut aux mêmes fins que la société " Au bonheur des arbres " avec les mêmes moyens.
Par lettre du 13 janvier 2022, les parties ont été informées, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de l'incompétence de la juridiction administrative pour connaître des conclusions de la société " Au bonheur des arbres " dirigées contre la société Enedis et réciproquement dès lors qu'elles sont fondées sur l'exécution d'un contrat de droit privé.
La société " Au bonheur des arbres " et la société Groupama ont produit un mémoire, enregistré le 17 janvier 2022, en réponse à ce moyen d'ordre public.
Vu les autres pièces de ces deux dossiers.
Vu :
* le code civil ;
* le code de la sécurité sociale ;
* le code du travail ;
* l'arrêté du 14 décembre 2021 relatif aux montants minimal et maximal de l'indemnité forfaitaire de gestion prévue aux articles L. 376-1 et L. 454-1 du code de la sécurité sociale pour l'année 2022 ;
* le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
* le rapport de M. Gayrard, président assesseur ;
* les conclusions de Mme Cottier, rapporteure publique ;
* les observations de Me Alvinerie, représentant la MSA des Alpes du nord ;
* les observations de Me Camus, représentant la société Enedis ;
* les observations de Me Mladenova, représentant les consorts D... ;
* et les observations de Me Roudil, représentant les sociétés " Au bonheur des arbres " et Groupama.
Considérant ce qui suit :
1. Le 21 juillet 2009, M. I... D..., salarié de la société " Au bonheur des arbres " (ABDA), a été victime d'un grave accident du travail sur le territoire de la commune de Malleval-en-Vercors : alors qu'il procédait, dans le cadre de l'exécution d'un contrat d'entretien passé par son employeur avec la société ERDF, devenue société Enedis, à l'élagage d'un sapin au moyen d'une perche télescopique surmontée d'une scie, celle-ci a touché une ligne électrique à haute tension, provoquant son électrocution et sa chute depuis une échelle métallique, à l'origine de diverses séquelles. Par jugement du 11 décembre 2012, le tribunal correctionnel de Grenoble a reconnu la société ABDA coupable de divers faits délictueux. Par arrêt du 26 janvier 2015, la cour d'appel de Grenoble a infirmé ce jugement en condamnant également la société ERDF et le gérant de la société ABDA, M. A... B.... Par jugement du 10 juin 2016, le tribunal des affaires de sécurité sociale de Grenoble a jugé que l'accident de M. D... était imputable à une faute inexcusable de l'employeur et a ordonné une expertise judiciaire dont le rapport a été remis le 3 juillet 2017. Par jugement du 14 juin 2018, le même tribunal a condamné la société ABDA à verser à M. D... diverses sommes au titre de ses préjudices. Par arrêt du 16 mars 2021, la cour d'appel de Grenoble a réformé ce jugement quant à certains postes de préjudice portant le montant global de l'indemnisation de la victime à la somme de 280 709,33 euros. Parallèlement, M. I... D... ainsi que son épouse, Mme F... D... née H..., et ses parents, Mme G... C... et M. E... D..., ont saisi le tribunal administratif de Grenoble d'une demande tendant à la condamnation de la société ERDF à leur verser diverses sommes au titre de leurs préjudices. La Mutualité sociale agricole des Alpes du nord, à laquelle était affiliéM. D..., a demandé au même tribunal la condamnation de la société Enedis à lui verser la somme de 398 192,89 euros au titre de ses débours. La société ABDA a également demandé aux premiers juges de condamner la société Enedis à lui verser les sommes de 131 354,66 et 9 077,31 euros au titre des condamnations prononcées à son encontre par le juge civil ainsi que la moitié des dépens exposés devant celui-ci. Par jugement du 19 décembre 2019, le tribunal administratif de Grenoble a condamné la société Enedis à payer à Mme F... D... la somme de 6 000 euros, à Mme C... et à M. E... D..., la somme de 3 000 euros chacun ainsi qu'une somme globale de 3 000 euros, a condamné la société Enedis à payer à la société ABDA une somme de 13 650 euros assortie des intérêts au taux légal à compter du 5 août 2019, a condamné la société ABDA à garantir la société Enedis à hauteur de 4 500 euros, et a rejeté le surplus des conclusions des parties. Par requête n° 20LY00644, la Mutualité sociale agricole des Alpes du nord demande à la cour de condamner la société Enedis à lui verser une somme de 398 192,89 euros au titre des débours exposés pour M. D.... Par requête n° 20LY00680, la société ABDA demande à la cour de condamner la société Enedis à lui verser les sommes de 140 354 et 9 077,31 euros au titre des condamnations prononcées par le juge civil ainsi que la moitié des dépens devant ce juge. La société Enedis présente des conclusions incidentes dans la première affaire tendant au rejet des demandes des consorts D..., de la MSA des Alpes du nord et de la société " Au bonheur des arbres ". Ces deux affaires présentant à juger les mêmes questions, il y a lieu de les joindre pour y statuer en un seul arrêt.
Sur la responsabilité :
2. D'une part, les dommages causés par la présence, la construction ou l'entretien des lignes de distribution d'énergie électrique comprises dans une concession ont le caractère de dommages de travaux publics. Le salarié d'une entreprise chargée par le concessionnaire de procéder à l'élagage et l'abattage d'arbres situés à proximité des lignes électriques n'est pas un tiers par rapport à cet ouvrage public mais un participant à l'exécution de travaux publics. La responsabilité du maître de l'ouvrage n'est dès lors engagée que sur le terrain de la faute.
3. D'autre part, aux termes de l'article R. 4512-2 du code du travail : " il est procédé, préalablement à l'exécution de l'opération réalisée par une entreprise extérieure, à une inspection commune [avec l'entreprise utilisatrice] des lieux de travail, des installations qui s'y trouvent et des matériels éventuellement mis à disposition des entreprises extérieures ".
4. La société Enedis ne conteste pas sa responsabilité pour faute, également reconnue par le juge pénal selon un arrêt de la cour d'appel de Grenoble du 26 janvier 2015, fondée sur la méconnaissance des dispositions précitées de l'article R. 4512-2 du code du travail dès lors qu'il est constant qu'elle n'a pas procédé avec la société ABDA à une inspection préalable du chantier confié à cette dernière et qu'un tel manquement a contribué à l'accident survenu à M. D..., salarié de l'entreprise précitée.
5. Le tribunal administratif de Grenoble a jugé que la faute commise par la société Enedis avait concouru aux préjudices subis par M. D... à hauteur de 30 %. Si la société Enedis demande que sa part de responsabilité soit ramenée à 20 %, elle n'oppose que le montant de l'amende qui lui a été infligée par le juge répressif mais ne conteste pas sérieusement la gravité de la faute reprochée. La société ABDA ne peut utilement se prévaloir des dispositions de l'article 480-1 du code de procédure pénale instituant une solidarité entre les personnes condamnées pour un même délit en matière de dommages et intérêts qui n'est applicable qu'au procès pénal. Si la société ABDA fait également valoir la faiblesse de ses effectifs et de ses moyens au regard de ceux de la société Enedis, il résulte de l'instruction, et notamment du jugement du tribunal correctionnel de Grenoble du 11 décembre 2012, que cette entreprise a commis de nombreux manquements graves tenant au non-respect des règles minimales de distance de sécurité par rapport à des installations électriques ou l'absence de demande de mise hors tension de la ligne haute tension, à l'absence d'accompagnement de son salarié seul sur le chantier et enfin au défaut de formation de M. D..., salarié depuis le 13 mars 2008, au risque électrique. Il s'ensuit qu'en retenant une part de responsabilité de la société Enedis à hauteur de 30 % des conséquences dommageables subies par M. D..., le tribunal administratif de Grenoble n'a pas commis d'erreur d'appréciation.
Sur les conclusions de la Mutualité sociale agricole des Alpes du nord :
6. L'article L. 454-1 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction applicable, dispose que : " Si la lésion dont est atteint l'assuré social est imputable à une personne autre que l'employeur ou ses préposés, la victime ou ses ayants droit conserve contre l'auteur de l'accident le droit de demander la réparation du préjudice causé, conformément aux règles de droit commun, dans la mesure où ce préjudice n'est pas réparé par application du présent livre. / Les caisses primaires d'assurance maladie sont tenues de servir à la victime ou à ses ayants droit les prestations et indemnités prévues par le présent livre, sauf recours de leur part contre l'auteur responsable de l'accident, dans les conditions ci-après ; (...) / Si la responsabilité du tiers auteur de l'accident est entière ou si elle est partagée avec la victime, la caisse est admise à poursuivre le remboursement des prestations mises à sa charge à due concurrence de la part d'indemnité mise à la charge du tiers qui répare l'atteinte à l'intégrité physique de la victime, à l'exclusion de la part d'indemnité, de caractère personnel, correspondant aux souffrances physiques ou morales par elle endurées et au préjudice esthétique et d'agrément. (...) / Si la responsabilité du tiers est partagée avec l'employeur, la caisse ne peut poursuivre un remboursement que dans la mesure où les indemnités dues par elle en vertu du présent livre dépassent celles qui auraient été mises à la charge de l'employeur en vertu du droit commun (...) ".
7. Il résulte de ces dispositions que lorsque la responsabilité d'un accident du travail est partagée entre l'employeur et un tiers, la caisse n'est admise à demander à ce tiers le remboursement des prestations à sa charge, au titre des dépenses passées comme des dépenses futures, que pour une somme représentant la différence entre le montant total des prestations dues à l'assuré et le montant de la part d'indemnité, correspondant à sa part de responsabilité dans l'accident, qu'aurait supportée l'employeur selon les règles du droit commun. La somme correspondant à cette différence ne peut elle-même être imputée que sur la part d'indemnité, appréciée par postes de préjudice, mise à la charge du tiers responsable qui répare l'atteinte à l'intégrité physique de la victime.
8. En jugeant que l'action de la Mutualité sociale agricole des Alpes du nord était irrecevable dès lors que les dépenses dont elle demande le remboursement relèveraient de l'intégrité physique et non de l'indemnisation spécifique, le tribunal administratif de Grenoble a inexactement appliqué les dispositions précitées de l'article L. 454-1 du code de la sécurité sociale. Par suite, la Mutualité sociale agricole des Alpes du nord est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté comme irrecevables ses conclusions tendant à obtenir le remboursement des prestations servies à la victime, au titre des dépenses de santé et d'indemnités journalières, de la part de la société Enedis, tiers coresponsable de l'accident survenu à M. D....
9. Contrairement à ce que soutient la société Enedis, le droit ouvert à la caisse à l'encontre du tiers coresponsable n'est pas limité par le montant global des sommes versées à la victime pour le seul chef de préjudice du déficit fonctionnel temporaire. Il résulte de l'instruction, et notamment des relevés des débours établis les 1er et 4 mars 2019 et le 11 avril 2019, lesquels doivent être regardés, compte tenu de l'attestation d'imputabilité du médecin conseil établi le 16 décembre 2020, comme visant des prestations en lien direct et certain avec les conséquences dommageables subies par M. D..., que la Mutualité sociale agricole des Alpes du nord a exposé des débours concernant des frais d'hospitalisation et médicaux d'un montant de 346 482,59 euros, des frais pharmaceutiques d'un montant de 588,79 euros et des indemnités journalières d'un montant de 50 532,72 euros, soit une somme globale de 397 604,10 euros. Il résulte de l'instruction, et notamment de l'arrêt de la cour d'appel de Grenoble du 16 mars 2021 que M. D... n'a pas été indemnisé par son employeur pour des restes à charge concernant des dépenses de santé ou subi une perte de gains professionnels. Eu égard au partage de responsabilité indiqué au point 5, il aurait été mis à la charge de la société ABDA une somme de 278 322,87 euros. Il s'ensuit que la société Enedis doit être condamnée à verser à la Mutualité sociale agricole des Alpes du nord la somme de 119 281,23 euros. Cette somme sera assortie des intérêts au taux légal à compter du premier mémoire devant le tribunal administratif de Grenoble en demandant le bénéfice, soit le 14 mai 2019, et non à compter de la date de paiement des prestations. La Mutualité sociale agricole des Alpes du nord a demandé la capitalisation des intérêts à compter de cette même date. Cette demande prend effet à compter du 14 mai 2020, date à laquelle les intérêts étaient dus pour une année entière. Il y a lieu, par suite, en application de l'article 1154 du code civil, d'ordonner la capitalisation des intérêts à compter de cette date, puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date.
10. En application de l'article L. 454-1 du code de la sécurité sociale et de l'arrêté du 14 décembre 2021, il y a lieu de condamner la société Enedis à verser la somme de 1 114 euros à la Mutualité sociale agricole des Alpes du nord au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion.
Sur les conclusions de la société " Au bonheur des arbres " :
11. D'une part, lorsqu'une personne privée, chargée par une personne publique d'exploiter un ouvrage public, conclut avec d'autres entreprises un contrat en vue de la réalisation de travaux sur cet ouvrage, elle ne peut être regardée, en l'absence de conditions particulières, comme agissant pour le compte de la personne publique propriétaire de l'ouvrage. D'autre part, le litige né de l'exécution d'un marché de travaux publics et opposant des participants à l'exécution de ces travaux relève de la compétence de la juridiction administrative, sauf si les parties sont unies par un contrat de droit privé.
12. Le contrat par lequel la société Enedis, personne privée, a confié à la société " Au bonheur des arbres " un marché portant sur la réalisation de travaux sur un ouvrage public concédé constitue un contrat de droit privé. Il s'ensuit que l'action que la société ABDA entend expressément fonder sur l'exécution d'un marché de travaux publics passé avec la société Enedis ne relève pas de la compétence de la juridiction administrative mais de celle de la juridiction judiciaire. Par suite, c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble s'est reconnu compétent pour connaître du litige opposant la société " Au bonheur des arbres " et la société Enedis. Il y a lieu d'annuler les articles 3 et 4 du jugement attaqué, et statuant par la voie de l'évocation, de rejeter la demande de la société " Au bonheur des arbres " tendant à la condamnation de la société Enedis à lui verser la moitié des condamnations prononcées par le juge civil et la demande de la société Enedis tendant à être garantie par la société " Au bonheur des arbres " des condamnations prononcées contre elle, comme portées devant une juridiction incompétente pour en connaître.
13. Eu égard à ce qui précède, l'intervention de la société Groupama, assureur de la société ABDA, au soutien de conclusions portées devant une juridiction incompétente pour en connaître, est irrecevable et ne peut être admise.
Sur les frais liés à l'instance :
14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de la Mutualité sociale agricole des Alpes du nord, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions des consorts D... et de la société " Au bonheur des arbres ", présentées sur le même fondement. Il y a lieu, en revanche, de mettre à la charge de la société Enedis une somme de 1 500 euros à verser à la Mutualité sociale agricole Alpes du nord en application des dispositions précitées.
DÉCIDE :
Article 1er : L'intervention de la société Groupama n'est pas admise.
Article 2 : Les articles 3 et 4 du jugement n° 1306991 du 19 décembre 2019 du tribunal administratif de Grenoble sont annulés.
Article 3 : Les conclusions présentées par la société " Au bonheur des arbres " et dirigées contre la société Enedis, et les conclusions présentées par la société Enedis et dirigées contre la société " Au bonheur des arbres " sont rejetées comme ayant été portées devant une juridiction incompétente pour en connaître.
Article 4 : La société Enedis est condamnée à verser à la Mutualité sociale agricole des Alpes du nord la somme de 119 281,23 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 14 mai 2019. Les intérêts échus à la date du 14 mai 2020 puis à chaque échéance ultérieure produiront eux-mêmes intérêts.
Article 5 : La société Enedis versera à la Mutualité sociale agricole des Alpes du nord la somme de 1 114 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion.
Article 6 : La société Enedis versera à la Mutualité sociale agricole des Alpes du nord une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 7 : Le jugement n° 1306991 du 19 décembre 2019 du tribunal administratif de Grenoble est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 8 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 9 : Le présent arrêt sera notifié à la Mutualité sociale agricole des Alpes du nord, à la société " Au bonheur des arbres ", à M. J... A... B..., à la société Groupama, à la société Enedis, à M. I... D..., à Mme F... H... épouse D..., à Mme G... C... et à M. E... D....
Délibéré après l'audience du 3 février 2022, à laquelle siégeaient :
* M. Pourny, président de chambre,
* M. Gayrard, président assesseur,
* Mme Conesa-Terrade, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 2 mars 2022.
Nos 20LY00644 - 20LY00680 2