La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

02/03/2022 | FRANCE | N°19LY02936

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 3ème chambre, 02 mars 2022, 19LY02936


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

La société Domaine de Bayanne a demandé au tribunal administratif de Grenoble :

1°) d'annuler le titre de recette du 21 novembre 2016 émis à son encontre par le directeur général de l'Établissement national des produits de l'agriculture et de la mer (FranceAgriMer) et réclamant le versement d'une somme de 125 690,68 euros correspondant au remboursement des aides " plans de campagne " ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat et de FranceAgriMer la somme de 3 500 euros au titre de l'article L.

761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1701495 du 4 juillet 2019...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

La société Domaine de Bayanne a demandé au tribunal administratif de Grenoble :

1°) d'annuler le titre de recette du 21 novembre 2016 émis à son encontre par le directeur général de l'Établissement national des produits de l'agriculture et de la mer (FranceAgriMer) et réclamant le versement d'une somme de 125 690,68 euros correspondant au remboursement des aides " plans de campagne " ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat et de FranceAgriMer la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1701495 du 4 juillet 2019, le tribunal administratif de Grenoble a annulé le titre de recette du 21 novembre 2016 de FranceAgriMer en tant qu'il porte sur des créances relatives à l'année 2000.

Procédure devant la cour

Par une requête enregistrée le 26 juillet 2019, la société Domaine de Bayanne, représenté par Me Rigoulot, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1701495 du 4 juillet 2019 du tribunal administratif de Grenoble en tant qu'il n'a pas fait droit à la demande d'annulation totale du titre de recette en date du 21 novembre 2016 notifié par courrier du 14 janvier 2017, mettant à la charge de la SARL Domaine de Bayanne la somme de 125 690,68 euros ;

2°) d'annuler le titre de recette en date du 21 novembre 2016 ;

3°) de soumettre, à titre préjudiciel, à la Cour de justice de l'Union européenne la question portant sur la prescription applicable aux procédures de restitution d'aides d'Etat par des mécanismes de droit national ;

4°) de mettre à la charge de FranceAgriMer une somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la créance réclamée est prescrite ;

- FranceAgriMer est incompétent pour assurer le recouvrement des aides " plans de campagne ;

- le titre de recette ne comporte pas les bases de liquidation ;

- elle n'a pas la qualité de bénéficiaire effectif ;

- le montant de la créance n'est pas déterminé.

Par un mémoire en défense enregistré le 18 juin 2021, FranceAgriMer représenté par Me Alibert :

1°) conclut au rejet de la requête ;

2°) et demande qu'une somme de 3 000 euros soit mise à la charge de la société Domaine de Bayanne sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il fait valoir que

- lorsque l'administration est tenue de prendre une décision dans un sens déterminé, elle se trouve en situation de compétence liée, de sorte que la plupart des moyens invoqués dans la requête sont inopérants ;

- les moyens présentés par la requérante ne sont pas fondés.

Par ordonnance du 19 mai 2021, la clôture d'instruction a été fixée au 21 juin 2021.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

- le règlement n° 659/1999 du Conseil de l'Union européenne du 22 mars 1999 portant modalités d'application de l'article 93 du traité CE ;

- le règlement n° 2200/96 du Conseil de l'Union européenne du 28 octobre 1996 portant organisation commune des marchés ;

- la décision n° C 2009/402/CE de la Commission des Communautés européennes du 28 janvier 2009 concernant les " plans de campagne " dans le secteur des fruits et légumes mis à exécution par la France ;

- le code civil ;

- le code rural et de la pêche maritime ;

- le décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience.

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Fédi, président-assesseur,

- les conclusions de Mme Corvellec, rapporteur public,

- et les observations de Me Rigoulot, représentant la SARL Domaine de Bayanne et celles de Me Capdebos, représentant l'établissement public national des produits de l'agriculture et de la mer (France AgriMer).

Considérant ce qui suit :

1. A compter de l'année 1992, les autorités françaises ont instauré un dispositif dénommé " plans de campagne " tendant à octroyer des aides de l'Etat dans le secteur des fruits et légumes pour la réalisation d'actions de soutien du marché concerné. Ces actions ont été en partie financées par des fonds publics de l'Office national interprofessionnel des fruits, des légumes et de l'horticulture (ONIFLHOR) aux droits duquel vient l'établissement public national des produits de l'agriculture et de la mer (France AgriMer). Dans ce cadre, l'ONIFLHOR a procédé au versement de fonds publics à des comités économiques agricoles qui les ont, par la suite, répartis entre les organisations de producteurs, celles-ci ayant en charge leur distribution aux producteurs membres de ces organisations et qui se sont avérés être, en principe, les destinataires finaux des aides ainsi accordées. Par une décision du 28 janvier 2009 n° 2009/402/CE, publiée au journal officiel de l'Union européenne du 26 mai 2009, la Commission des Communautés européennes a déclaré le dispositif d'aides d'Etat " plans de campagne " incompatible avec le marché commun. L'article 2 de cette même décision, laquelle a été confirmée par un arrêt du tribunal de l'Union européenne en date du 27 septembre 2012 dans l'affaire T-139/09, fait obligation à la France de prendre les mesures nécessaires pour récupérer les aides ainsi accordées auprès de leurs bénéficiaires. Par une décision du 12 février 2015, la Cour de justice de l'Union européenne a constaté que la France avait manqué à ses obligations en ne récupérant pas les aides d'Etat illégales dans le délai imparti par la décision du 28 janvier 2009 précitée auprès des bénéficiaires finaux (CJUE, 12 février 2015, Commission européenne c/ République française, aff.C-37/14). Pour l'exécution des obligations pesant sur l'Etat en application de l'article 2 de la décision susmentionnée du 28 janvier 2009, le directeur général de FranceAgriMer a, en vertu d'un titre de recette du 21 novembre 2016, mis à la charge de la société Domaine de Bayanne un montant total de 125 690,68 euros correspondant, d'une part, au montant des aides versées entre 1998 et 2000 au titre des " plans de campagne " dans le secteur des fruits et légumes (63 112,52 euros) d'autre part, au montant des intérêts (62 578,16 euros). La société Domaine de Bayanne relève appel du jugement rendu le 4 juillet 2019 par lequel le tribunal administratif de Grenoble n'a annulé le titre de recette du 21 novembre 2016 de FranceAgriMer qu'en tant qu'il porte sur des créances relatives à l'année 2000.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

2. Aux termes de l'article 15 du règlement (CE) n° 659/1999 du 22 mars 1999, repris par l'article 17 du règlement (UE) n° 2015/1589 susvisé : " 1. Les pouvoirs de la Commission en matière de récupération de l'aide sont soumis à un délai de prescription de dix ans. / 2. Le délai de prescription commence le jour où l'aide illégale est accordée au bénéficiaire, à titre d'aide individuelle ou dans le cadre d'un régime d'aide. Toute mesure prise par la Commission ou un État membre, agissant à la demande de la Commission, à l'égard de l'aide illégale interrompt le délai de prescription. Chaque interruption fait courir de nouveau le délai. Le délai de prescription est suspendu aussi longtemps que la décision de la Commission fait l'objet d'une procédure devant la Cour de justice des Communautés européennes. (...) ". Aux termes de l'article 2224 du code civil : " Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaitre les faits permettant de l'exercer ". Il résulte de ces dispositions que le régime de récupération des aides d'Etat est entièrement régi par le règlement du 13 juillet 2015 notamment en matière de détermination des délais de prescription. Le moyen tiré de ce que la créance détenue par FranceAgriMer serait prescrite en application de l'article 2224 du code civil est donc inopérant.

3. Lorsque la Commission européenne a constaté qu'une irrégularité a été commise dans l'utilisation des fonds structurels et qu'elle décide de mettre en œuvre l'action en répétition de l'indu dont elle dispose, l'autorité nationale compétente, saisie par la Commission européenne, est tenue de procéder à la récupération des fonds concernés sans avoir à porter une appréciation sur la violation constatée. En vertu de la décision de la Commission du 26 mai 2009, dont la validité n'a pas été contestée devant les juridictions de l'Union européenne dans les conditions prévues par l'article 230 du traité instituant la Communauté européenne, devenu article 263 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, et qui n'a pas été déclarée illégale en raison du présent arrêt, les autorités nationales étaient tenues de récupérer auprès des contribuables, dans les conditions prévues par le droit national, les aides dont ils avaient irrégulièrement bénéficié. Par suite, les moyens tirés de ce que FranceAgriMer est incompétent pour assurer le recouvrement des aides " plans de campagne, que le titre de recette ne comporte pas les bases de liquidation, que l'appelante n'a pas la qualité de bénéficiaire effectif et que le montant de la créance n'est pas déterminé, sont inopérants et doivent, par suite, être écartés.

4. Au surplus, et en tout état de cause, aux termes de l'article L. 621-3 du code rural et de la pêche maritime : " Les missions de [FranceAgriMer] sont les suivantes : / 1° Assurer la connaissance des marchés ; / 2° Améliorer le fonctionnement des marchés de façon à assurer, en conformité avec les intérêts des consommateurs, une juste rémunération du travail des professionnels et des conditions normales d'activité aux différents opérateurs des filières (...) / 4° Mettre en œuvre les mesures communautaires afférentes à ses missions (...) ". Les aides d'Etat accordées dans le cadre du dispositif " plans de campagne " ont été en partie financées par des fonds publics de l'ONIFLHOR aux droits duquel vient, en dernier lieu, FranceAgriMer en vertu de l'ordonnance du 25 mars 2009 relative à la création de l'Agence de services et de paiement et de l'Etablissement national des produits de l'agriculture et de la mer. La Commission des communautés européennes a, par sa décision du 28 janvier 2009, ordonné le reversement de ces aides. Le directeur général de FranceAgriMer était donc seul compétent pour prendre le titre exécutoire litigieux tendant à la répétition des aides accordées à la société Domaine de Bayanne, en application des dispositions précitées.

5. Aux termes de l'alinéa 2 de l'article 24 du décret du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable publique : " Toute créance liquide faisant l'objet d'une déclaration ou d'un ordre de recouvrer indique les bases de la liquidation. (...) ". L'Etat ne peut mettre en recouvrement une créance sans indiquer, soit dans le titre de perception lui-même, soit par une référence précise à un document joint à ce titre ou précédemment adressé au débiteur, les bases et les éléments de calcul sur lesquels il s'est fondé pour déterminer le montant de la créance. La société Domaine de Bayanne réitère en appel, sans l'assortir d'éléments nouveaux, son moyen tiré de ce que le titre de recettes litigieux ne comporte pas les bases de liquidation. Il y a lieu d'écarter ce moyen par adoption des motifs retenus à bon droit par les premiers juges.

6. Aux termes du point 48 de la décision du 28 janvier 2009 de la Commission européenne : " Cependant il résulte aussi des explications données par le FEDECOM et non contestées par les autorités françaises que les fonds utilisés dans le cadre des plans de campagne ont été dans un premier temps répartis par les comités économiques agricoles entre les organisations de producteurs, qui avaient adhéré à l'initiative des plans de campagne et payé les parts professionnelles, le bénéfice de ces aides étant transféré ensuite aux producteurs par les organisations professionnelles. ". Aux termes du point 84 de cette même décision : " L'aide doit être récupérée auprès des bénéficiaires de l'aide. Comme indiqué plus haut, les bénéficiaires finaux de l'aide sont en principe les producteurs membres des organisations professionnelles qui ont participé aux plans de campagne. Toutefois, dans des cas exceptionnels, il est possible que le bénéfice de l'aide ne leur ait pas été transféré par l'organisation de producteurs. La récupération de l'aide doit donc s'effectuer auprès des producteurs, sauf lorsque l'État membre pourra démontrer que l'aide ne leur a pas été transférée par l'organisation de producteurs, auquel cas la récupération s'effectuera auprès de cette dernière. ". Par suite, le producteur membre d'une organisation de producteurs ayant reçu des aides " plans de campagne " est présumé en être le bénéficiaire. La société Domaine de Bayanne soutient d'une part, que le comité économique agricole Rhône-Méditerranée n'est pas visé par le système d'aide décrit au point 15 de la décision de la commission du 28 janvier 2009, que FranceAgriMer ne fait état d'aucun versement de ce comité au groupement Valrhofruit et qu'il serait inconcevable qu'elle soit " désignée comme bénéficiaire d'une aide d'Etat illégale à l'appui de simples allégations ", d'autre part, que FranceAgriMer entend répercuter une enveloppe globale par organisation de producteurs et demeure incapable de déterminer les quotes-parts réellement distribués aux producteurs, et, ce faisant, manque aux obligations pesant sur l'Etat français quant à la détermination des bénéficiaires effectifs de l'aide. Toutefois, il est constant que la société appelante a été sur la période de 1998 à 2002, membre du groupement VALRHOFRUITS, ayant lui-même perçu, de la part du comité économique Rhône-Méditerranée, des fonds publics au titre des " plans de campagne ", alors même que ce comité était bien visé dans la décision de la Commission du 28 janvier 2009, contrairement à ce qui est soutenu. L'intéressée n'établit, ni même n'allègue d'une part, ne pas avoir été membre de l'organisation de producteurs Valrhofruit au cours des années 1998 et 1999 d'autre part, que ses activités professionnelles ne relevaient pas de celles lui permettant le bénéfice des aides plans de campagne. En outre il ne résulte pas de l'instruction que la société Domaine de Bayanne n'a pas perçu les aides litigieuses et dont les montants ont été déterminés à la suite d'une expertise contradictoire conduite par les services du ministère de l'agriculture. Dans ces conditions, en sa qualité de membre d'une organisation professionnelle ayant participé aux " plans de campagne ", et conformément aux principes définis par la Commission européenne, la SARL Domaine de Bayanne doit être regardée comme bénéficiaire effectif de l'aide.

7. Si la société Domaine de Bayanne soutient que les comptes annuels ont été produits et ne font pas état des montants déterminés, que les aides en question n'auraient pas été perçues dans les proportions alléguées par FranceAgriMer et que les montants retenus, qui résulteraient d'une instruction unilatérale des services de la DDT, ne seraient pas justifiés, elle se borne toutefois à énoncer des considérations générales qui ne remettent pas utilement en cause, ni la somme réclamée, ni la méthode de calcul utilisée, ni les résultats de l'estimation qui a été opérée selon les modalités décrites ci-dessus. Par suite, le moyen tiré du caractère indéterminé du montant de l'aide dont le reversement lui est demandé doit être écarté.

8. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de soumettre, à titre préjudiciel, à la Cour de justice de l'Union européenne la question portant sur la prescription applicable aux procédures de restitution d'aides d'Etat par des mécanismes de droit national, que la société Domaine de Bayanne n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble n'a annulé le titre de recette du 21 novembre 2016 de FranceAgriMer qu'en tant qu'il porte sur des créances relatives à l'année 2000.

Sur les frais liés au litige :

9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la commune de FranceAgriMer, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, une somme au titre des frais exposés par la société Domaine de Bayanne. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Domaine de Bayanne une somme de 1 000 euros à verser à FranceAgriMer, au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DECIDE :

Article 1er : La requête de la société Domaine de Bayanne est rejetée.

Article 2 : La société Domaine de Bayanne versera à FranceAgriMer une somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société Domaine de Bayanne et à FranceAgriMer.

Délibéré après l'audience du 8 février 2022, à laquelle siégeaient :

M. Jean-Yves Tallec, président de chambre,

M. Gilles Fédi, président-assesseur,

Mme Bénédicte Lordonné, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 2 mars 2022.

2

N° 19LY02936


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 19LY02936
Date de la décision : 02/03/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Agriculture et forêts - Exploitations agricoles - Aides à l'exploitation.

Communautés européennes et Union européenne - Application du droit de l’Union européenne par le juge administratif français.


Composition du Tribunal
Président : M. TALLEC
Rapporteur ?: M. Gilles FEDI
Rapporteur public ?: Mme CORVELLEC
Avocat(s) : CABINET GOUTAL et ALIBERT

Origine de la décision
Date de l'import : 15/03/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2022-03-02;19ly02936 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award