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16/02/2022 | FRANCE | N°21LY00956

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 2ème chambre, 16 février 2022, 21LY00956


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler l'arrêté du 6 janvier 2021 par lequel le préfet de la Haute-Savoie lui a fait obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a prononcé une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an.

Par un jugement n° 2100745 du 12 mars 2021, le magistrat désigné du tribunal administratif de Grenoble a annulé la décision contenue dans l'arrêté du 6 janvier 2021 du préfet de la Ha

ute-Savoie portant interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler l'arrêté du 6 janvier 2021 par lequel le préfet de la Haute-Savoie lui a fait obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a prononcé une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an.

Par un jugement n° 2100745 du 12 mars 2021, le magistrat désigné du tribunal administratif de Grenoble a annulé la décision contenue dans l'arrêté du 6 janvier 2021 du préfet de la Haute-Savoie portant interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an et a rejeté le surplus des conclusions de la demande.

Procédure devant la cour

I°) Par une requête, enregistrée le 29 mars 2021 sous le n° 21LY00956, le préfet de la Haute-Savoie demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement en tant qu'il annule la décision portant interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an, contenue dans son arrêté du 6 janvier 2021 ;

2°) de rejeter les conclusions de la demande de première instance de Mme B... dirigées contre cette décision

Il soutient que la circonstance que Mme B... ne présente pas une menace pour l'ordre public et qu'elle n'a fait l'objet d'aucune mesure d'éloignement antérieure ne fait pas obstacle au prononcé à son encontre d'une interdiction de retour sur le territoire français.

Par un mémoire, enregistré le 9 juin 2021, Mme B..., représentée par Me Diouf, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 1 500 euros, à verser à son conseil, soit mise à la charge de l'Etat sur le fondement des dispositions combinées des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- c'est à bon droit que le premier juge a annulé la décision du préfet de la Haute-Savoie portant interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an compte tenu de sa situation personnelle ;

- elle justifie de circonstances humanitaires faisant obstacle au prononcé de cette décision ;

- l'exécution de cette décision entraînera des conséquences manifestement excessives sur sa situation familiale, contraires aux articles 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.

La demande d'admission au bénéfice de l'aide juridictionnelle présentée par Mme B... a été classée sans suite par décision du 4 février 2022.

II°) Par une requête, enregistrée le 6 avril 2021 sous le n° 21LY01100, Mme B..., représentée par Me Diouf, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement en tant qu'il rejette ses conclusions dirigées contre la décision du préfet de la Haute-Savoie portant obligation de quitter le territoire français contenue dans l'arrêté du 6 janvier 2021 ;

2°) d'annuler cette décision ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros, à verser à son conseil, sur le fondement des dispositions combinées des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que la décision portant obligation de quitter le territoire français méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.

Mme B... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 28 avril 2021.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative ;

La présidente de la formation de jugement ayant dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Le rapport de Mme Lesieux, première conseillère, ayant été entendu au cours de l'audience publique ;

Considérant ce qui suit :

1. Mme A... B..., ressortissante turque née en 1996, est entrée en France le 6 décembre 2018 selon ses déclarations. En conséquence du rejet définitif de sa demande d'asile par la Cour nationale du droit d'asile, le préfet de la Haute-Savoie l'a, le 6 janvier 2021, sur le fondement du 6° du I de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile alors en vigueur, obligée à quitter le territoire français dans le délai de trente jours. Il a par ailleurs, par le même arrêté, fixé le pays de destination et prononcé une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an. Le préfet de la Haute-Savoie relève appel du jugement du 12 mars 2021 du magistrat désigné du tribunal administratif de Grenoble en tant qu'il annule sa décision portant interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an. Mme B... relève appel de ce même jugement en tant qu'il rejette ses conclusions dirigées contre la décision portant obligation de quitter le territoire français.

2. Ces requêtes étant dirigées contre le même jugement, il y a lieu de les joindre pour y statuer par un seul arrêt.

Sur l'obligation de quitter le territoire français :

3. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ". Aux termes du paragraphe 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ".

4. Mme B... fait valoir qu'elle vit en France avec son compagnon, de nationalité turque, titulaire d'une carte de résident, embauché en contrat à durée indéterminée en qualité de carreleur depuis 2017 et avec lequel elle a eu un enfant le 14 août 2019. Toutefois, l'intéressée, entrée récemment sur le territoire national à la date de la décision contestée, ne démontre pas d'intégration particulière en France et n'est pas dépourvue d'attaches familiales dans son pays d'origine. Elle ne démontre par ailleurs l'existence d'aucun obstacle à la reconstitution en Turquie de la cellule familiale qu'elle compose avec son compagnon et son enfant, de même nationalité qu'elle, et ce alors qu'il ressort des énonciations de la décision en litige que son compagnon a obtenu la délivrance d'une carte de résident en qualité de conjoint de Français. Par suite, en l'obligeant à quitter le territoire français, le préfet de la Haute-Savoie n'a pas porté au respect de son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée par rapport aux buts en vue desquels cette décision a été prise. Il n'a pas davantage méconnu l'intérêt supérieur de son enfant. Les moyens tirés de la méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et du paragraphe 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant doivent donc être écartés.

Sur l'interdiction de retour sur le territoire français :

5. Aux termes du III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, alors en vigueur : " L'autorité administrative, par une décision motivée, assortit l'obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français, d'une durée maximale de trois ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français, lorsque aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger. / Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative ne prononce pas d'interdiction de retour. (...) Lorsqu'elle ne se trouve pas en présence du cas prévu au premier alinéa du présent III, l'autorité administrative peut, par une décision motivée, assortir l'obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée maximale de deux ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français. (...) La durée de l'interdiction de retour mentionnée aux premier, sixième et septième alinéas du présent III ainsi que le prononcé et la durée de l'interdiction de retour mentionnée au quatrième alinéa sont décidés par l'autorité administrative en tenant compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français (...) ".

6. Pour annuler pour erreur d'appréciation l'interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an prononcée à l'encontre de Mme B..., le magistrat désigné du tribunal administratif de Grenoble a retenu que l'intéressée n'a jamais fait l'objet d'une mesure d'éloignement et qu'elle ne représente pas une menace à l'ordre public. Toutefois, si le préfet doit tenir compte pour prononcer, à l'encontre d'un étranger soumis à une obligation de quitter le territoire français, une interdiction de retour sur le territoire français et en fixer sa durée, des quatre critères énumérés au III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa version en vigueur à la date de la décision en litige, ces mêmes dispositions ne font pas obstacle à ce qu'une telle mesure soit décidée quand bien même l'ensemble de ces critères ne serait pas satisfait. En l'espèce, Mme B..., dont la situation telle que rappelée au point 4 du présent arrêt ne relève pas des circonstances humanitaires au sens des dispositions précitées, est entrée récemment en France et ne démontre pas l'existence d'obstacle à ce que son compagnon et sa fille, de même nationalité qu'elle, l'accompagnent en Turquie. Dans ces conditions, bien qu'elle n'a pas fait l'objet d'une précédente mesure d'éloignement et qu'elle ne représente pas une menace pour l'ordre public, le préfet de la Haute-Savoie n'a pas commis d'erreur d'appréciation en lui opposant une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an.

7. Il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par Mme B... devant le tribunal administratif de Grenoble et devant la cour.

8. Mme B... soutient que la décision en litige entrainera des conséquences manifestement excessives sur sa situation personnelle et familiale en méconnaissance des articles 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant, dès lors qu'elle devra attendre un an pour solliciter un visa auprès des autorités compétentes pour rejoindre sa famille restée en France. Ces moyens doivent être écartés pour les mêmes motifs que ceux énoncés aux points 4 et 6 du présent arrêt.

9. Il résulte de tout ce qui précède d'une part, que Mme B... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné du tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande dirigée contre la décision portant obligation de quitter le territoire français contenue dans l'arrêté du 6 janvier 2021 du préfet de la Haute-Savoie, et d'autre part, que le préfet de la Haute-Savoie est fondé à soutenir que c'est à tort que par ce même jugement, le magistrat désigné du tribunal administratif de Grenoble a annulé sa décision portant interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an contenue dans le même arrêté.

Sur les frais liés au litige :

10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que l'Etat qui n'a pas, dans la présente instance, la qualité de partie perdante, verse à Mme B... la somme qu'elle réclame au titre des frais du litige.

DÉCIDE :

Article 1er : L'article 2 du jugement n° 2100745 du 12 mars 2021 est annulé.

Article 2 : Les conclusions de la demande présentée par Mme B... devant le tribunal administratif de Grenoble dirigées contre la décision portant interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an contenue dans l'arrêté du 6 janvier 2021 du préfet de la Haute-Savoie ainsi que le surplus des conclusions de sa requête d'appel sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B... et au ministre de l'intérieur. Copie en sera adressée au préfet de la Haute-Savoie.

Délibéré après l'audience du 27 janvier 2022 à laquelle siégeaient :

Mme Evrard, présidente de la formation de jugement,

Mme Caraës, première conseillère,

Mme Lesieux, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 16 février 2022.

2

Nos 21LY00956, 21LY01100


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 21LY00956
Date de la décision : 16/02/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Étrangers - Séjour des étrangers - Refus de séjour.

Étrangers - Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : Mme EVRARD
Rapporteur ?: Mme Sophie LESIEUX
Rapporteur public ?: Mme VINET
Avocat(s) : DIOUF-GARIN

Origine de la décision
Date de l'import : 01/03/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2022-02-16;21ly00956 ?
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