Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
La SASU Finalgro a demandé au tribunal administratif de Lyon de prononcer la décharge des retenues à la source auxquelles elle a été assujettie à raison des dividendes distribués à la société Euro Ethnic Foods au cours des exercices clos les 31 décembre 2014, 2015 et 2016, ainsi que des pénalités correspondantes.
Par un jugement n° 1802494 du 23 juillet 2019, le tribunal administratif de Lyon, après avoir déchargé la SASU Finalgro de la retenue à la source à laquelle elle a été assujettie au titre des dividendes distribués à la société Euro Ethnic Foods au cours des exercices clos les 31 décembre 2014 et 2015, ainsi que des pénalités correspondantes, a rejeté le surplus de sa demande.
Procédure devant la cour
Par une requête et un mémoire enregistrés les 23 septembre 2019 et 22 septembre 2020, la SASU Finalgro, représentée par Me Ravaine, avocat, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Lyon du 23 juillet 2019 en tant qu'il rejette le surplus de sa demande ;
2°) de prononcer la décharge des impositions et pénalités susmentionnées restant en litige ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- en faisant application d'office des dispositions de l'article 119 ter 3 du code général des impôts en vigueur depuis le 1er janvier 2016, le tribunal a entaché son jugement d'irrégularité ;
- la proposition de rectification du 22 juillet 2016 est insuffisamment motivée ;
- la clause anti-abus prévue par les dispositions de l'article 119 ter du code général des impôts, dans sa version en vigueur depuis le 1er janvier 2016, ne lui est pas applicable ; en effet, sa société mère, Euro Ethnic Foods exerce bien une activité de holding au Luxembourg où elle dispose d'une réelle implantation, bénéficiant de ses propres locaux, de personnels et d'équipements.
Par des mémoires enregistrés les 17 juin 2020 et 26 novembre 2020, le ministre de l'action et des comptes publics conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- la proposition de rectification du 22 juillet 2016 était suffisamment motivée pour permettre à la société requérante de formuler ses observations ou faire connaître son acceptation ;
- le tribunal n'a pas appliqué d'office les dispositions de l'article 119 ter du code général des impôts, dans sa version en vigueur depuis le 1er janvier 2016, qui ont été clairement citées par l'administration dans son mémoire en défense du 13 septembre 2018 ;
- l'objectif poursuivi en interposant la société Euro Ethnic Foods était principalement fiscal et entrait donc dans les prévisions de la clause anti-abus de l'article 119 ter 3 du code général des impôts dans sa rédaction applicable aux impositions contestées.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;
- la directive 90/435/CEE du Conseil du 23 juillet 1990 concernant le régime fiscal commun applicable aux sociétés mères et filiales d'États membres différents ;
- la directive 2011/96/UE du Conseil du 30 novembre 2011 concernant le régime fiscal commun applicable aux sociétés mères et filiales d'États membres différents ;
- la directive 2015/121 (UE) du Conseil du 27 janvier 2015 modifiant la directive 2011/96/UE ;
- l'arrêt C-6/16 du 7 septembre 2017 de la Cour de justice de l'Union européenne ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique le rapport de Mme Dèche, présidente assesseure et les conclusions de M. Vallecchia, rapporteur public ;
Considérant ce qui suit :
1. La SASU Finalgro dont le siège social est à Saint-Priest (Rhône) est détenue en totalité par la société de droit luxembourgeois Euro Ethnic Foods, laquelle est détenue à 92 % par deux personnes physiques résidentes suisses. Au cours des exercices clos les 31 décembre 2014, 2015 et 2016, la SASU Finalgro a versé à la société Euro Ethnic Foods, des dividendes pour des montants respectifs de 1 400 000 euros, 1 400 000 euros et 2 800 000 euros qui n'ont donné lieu à aucune retenue à la source. Par deux propositions de rectification du 22 juillet 2016, l'administration a estimé que ces distributions étaient passibles de la retenue à la source prévue par le 2 de l'article 119 bis du code général des impôts. Par un jugement du 23 juillet 2019, le tribunal administratif de Lyon, après avoir déchargé la SASU Finalgro de la retenue à la source à laquelle elle a été assujettie au titre des dividendes distribués à la société Euro Ethnic Foods au cours des exercices clos les 31 décembre 2014 et 2015, ainsi que des pénalités correspondantes, a rejeté le surplus de sa demande. La SASU Finalgro relève appel de ce jugement en tant qu'il a rejeté le surplus de sa demande.
2. D'une part, aux termes de l'article 49 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne : " (...) les restrictions à la liberté d'établissement des ressortissants d'un État membre dans le territoire d'un autre État membre sont interdites. Cette interdiction s'étend également aux restrictions à la création d'agences, de succursales ou de filiales, par les ressortissants d'un État membre établis sur le territoire d'un État membre ". L'article 1er de la directive 2011/96/UE du Conseil du 30 novembre 2011 concernant le régime fiscal commun applicable aux sociétés mères et filiales d'États membres différents prévoit que : " 1. Chaque État membre applique la présente directive : / a) aux distributions de bénéfices reçus par des sociétés de cet État membre et provenant de leurs filiales d'autres États membres ; / b) aux distributions de bénéfices effectuées par des sociétés de cet État membre à des sociétés d'autres États membres dont elles sont les filiales ; (...) / 2. La présente directive ne fait pas obstacle à l'application de dispositions nationales ou conventionnelles nécessaires afin d'éviter les fraudes et abus. ". L'article 5 de cette même directive précise que : " Les bénéfices distribués par une filiale à sa société mère sont exonérés de retenue à la source ". Ces articles 1er et 5 reprennent intégralement, dans les mêmes termes, les articles 1er et 5 de la directive 90/435/CEE du Conseil du 23 juillet 1990 abrogée par la directive 2011/96/UE.
3. D'autre part, les dispositions du 2 de l'article 119 bis du code général des impôts soumettent à l'application d'une retenue à la source les revenus distribués par des personnes morales françaises à des personnes qui n'ont pas leur domicile fiscal ou leur siège en France. L'article 119 ter du même code prévoit, sous certaines conditions, d'exonérer de cette retenue à la source la distribution de revenus à une personne morale qui justifie auprès du débiteur ou de la personne qui assure le paiement de ses revenus être le bénéficiaire effectif des dividendes et avoir son siège de direction effective dans un État membre de l'Union européenne sans être considérée, aux termes d'une convention en matière de double imposition conclue avec un État tiers, comme ayant sa résidence fiscale hors de l'Union. Le 3 de l'article 119 ter prévoyait, dans sa rédaction antérieure au 1er janvier 2016 que cette exonération ne s'applique pas " lorsque les dividendes distribués bénéficient à une personne morale contrôlée directement ou indirectement par un ou plusieurs résidents d'États qui ne sont pas membres de l'Union, sauf si cette personne morale justifie que la chaîne de participations n'a pas comme objet principal ou comme un de ses objets principaux de tirer avantage de l'exonération. "
4. Dans l'arrêt du 7 septembre 2017 par lequel elle s'est prononcée sur les questions dont le Conseil d'État, statuant au contentieux, l'avait saisie à titre préjudiciel, la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit, d'une part, que, dans la mesure où l'article 1er, paragraphe 2, de la directive 90/435/CEE du 23 juillet 1990, qui reconnaît uniquement aux États membres le pouvoir d'appliquer des dispositions nationales ou conventionnelles nécessaires afin d'éviter les fraudes et les abus, n'opère pas une harmonisation exhaustive, la législation nationale adoptée afin de mettre en œuvre ces dispositions peut également être appréciée au regard des dispositions du droit primaire et, d'autre part, que l'article 1er, paragraphe 2, de la directive 90/435/CEE et l'article 49 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne doivent être interprétés en ce sens qu'ils s'opposent à une législation fiscale nationale qui subordonne l'octroi de l'avantage fiscal prévu à l'article 5, paragraphe 1, de cette directive - à savoir l'exonération de retenue à la source des bénéfices distribués par une filiale résidente à une société mère non-résidente, lorsque cette société mère est contrôlée directement ou indirectement par un ou plusieurs résidents d'États tiers - à la condition que celle-ci établisse que la chaîne de participations n'a pas comme objet principal ou comme l'un de ses objets principaux de tirer avantage de cette exonération.
5. Enfin, aux termes du 3 de l'article 119 ter du code général des impôts, dans sa rédaction applicable à compter du 1er janvier 2016 : " Le 1 ne s'applique pas aux dividendes distribués dans le cadre d'un montage ou d'une série de montages qui, ayant été mis en place pour obtenir, à titre d'objectif principal ou au titre d'un des objectifs principaux, un avantage fiscal allant à l'encontre de l'objet ou de la finalité de ce même 1, n'est pas authentique compte tenu de l'ensemble des faits et circonstances pertinents. / Un montage peut comprendre plusieurs étapes ou parties. / Pour l'application du présent 3, un montage ou une série de montages est considéré comme non authentique dans la mesure où ce montage ou cette série de montages n'est pas mis en place pour des motifs commerciaux valables qui reflètent la réalité économique. ".
6. La rédaction de ces dispositions du code général des impôts applicable à compter du 1er janvier 2016 reprend les dispositions de l'article 1er de la directive 2011/96/UE telles que modifiées par l'article 1er de la directive 2015/121/UE du Conseil du 27 janvier 2015.
7. Il résulte de l'instruction et notamment des propositions de rectification du 22 juillet 2016 que l'administration fiscale a assujetti la SASU Finalgro à la retenue à la source prévue par les dispositions du 2 de l'article 119 bis du code général des impôts en raison des dividendes qu'elle a versés au cours des exercices clos les 31 décembre 2014, 2015 et 2016 à sa société mère de droit luxembourgeois Euro Ethnic Foods au motif que, cette société étant contrôlée directement par des résidents suisses, ces distributions entraient dans le champ d'application du 3 de l'article 119 ter et ne pouvaient bénéficier de l'exonération de retenue à la source prévue au 1 de ce même article, à défaut pour la SASU Finalgro d'avoir justifié que la chaîne de participations n'avait pas comme objet principal ou comme un de ses objets principaux de tirer avantage de cette exonération.
8. En appel, l'administration fait valoir que la rédaction du 3 de l'article 119 ter du code général des impôts applicable à compter du 1er janvier 2016 qui reprend les dispositions de l'article 1er de la directive 2011/96/UE telles que modifiées par l'article 1er de la directive 2015/121/UE du Conseil du 27 janvier 2015, peut légalement fonder la retenue à la source restant en litige au titre de l'exercice 2016.
9. Elle relève, à ce titre, que pour la période en litige, aucune raison économique, commerciale ou stratégique ne justifiait de l'implantation de la holding Euro Ethnic Foods au Luxembourg, que son activité concernait des magasins d'exploitation implantés quasiment exclusivement en France, ainsi que des filiales françaises ou des filiales dont l'activité consiste à exploiter des sociétés françaises, que les conventions de services conclues avec certaines de ses filiales ne lui procuraient que de faibles revenus au regard des dividendes perçus et distribués, qu'elle n'employait que peu de salariés, que ses immobilisations étaient peu nombreuses et que le montant de ses frais généraux n'était pas important. L'administration déduit de ces éléments que la création de la société Euro Ethnic Foods au Luxembourg et la chaîne de participations mise en place a comme objectif de permettre à la SASU Finalgro de bénéficier de l'exonération de la retenue à la source normalement due au titre des dividendes versés à sa société mère et que l'objectif poursuivi, principalement fiscal entre dans les prévisions de la clause anti-abus du 3 de l'article 119 ter du code général des impôts dans sa rédaction en vigueur pour l'imposition contestée.
10. Il résulte toutefois de l'instruction que la création de la société holding Euro Ethnic Foods a été motivée par la nécessité d'organiser juridiquement le groupe constitué par des sociétés opérationnelles existantes et à créer de nouvelles filiales intervenant dans des secteurs d'activités différents et permettant de promouvoir le développement international du groupe, lequel s'est traduit notamment par le développement du concept " Grand Frais " en Europe et l'ouverture d'un magasin à Messancy en Belgique début 2013, celle de deux magasins dans l'agglomération de Turin en 2016 et celle de trois magasins au Luxembourg en 2020 et 2021. Il résulte également de l'instruction que la société holding Euro Ethnic Foods a développé une activité de prestations de services administratifs et comptables à ses sous-filiales exploitantes des magasins sous l'enseigne " Grand Frais ", qu'elle dispose de ses propres locaux au Luxembourg dont la superficie s'est accrue de manière significative depuis sa création, qu'elle emploie plusieurs personnels chargés de réaliser les prestations rendues à ses filiales et qu'elle dispose de matériel de transport, de mobilier et de matériel de bureau informatique lui permettant de réaliser ses activités pour lesquels elle justifie de l'engagement de frais généraux. Dans ces conditions, l'administration n'apporte pas la preuve que la création de la société holding Euro Ethnic Foods constituerait un montage artificiel, dépourvu de réalité économique et destiné à permettre l'interposition de cette société au Luxembourg, afin de procurer à la requérante un avantage principalement fiscal.
11. Il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la régularité du jugement et sur les autres moyens de la requête, la SASU Finalgro est fondée à soutenir, que c'est à tort, que par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lyon a rejeté le surplus de sa demande.
Sur les frais liés à l'instance :
12. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat, la somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par la SASU Finalgro, et non compris dans les dépens.
DECIDE :
Article 1er : L'article 2 du jugement du 23 juillet 2019 du tribunal administratif de Lyon rejetant le surplus de la requête de la SASU Finalgro est annulé.
Article 2 : La SASU Finalgro est déchargée, en droits et pénalités, de la retenue à la source à laquelle elle a été assujettie au titre de l'exercice clos le 31 décembre 2016.
Article 3 : L'Etat versera à la SASU Finalgro la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la SASU Finalgro et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.
Délibéré après l'audience du 9 décembre 2021 à laquelle siégeaient :
M. Bourrachot, président de chambre,
Mme Dèche, présidente assesseure,
Mme Le Frapper, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 13 janvier 2022.
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N° 19LY03610