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06/01/2022 | FRANCE | N°20LY00461

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 6ème chambre, 06 janvier 2022, 20LY00461


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Grenoble de condamner l'Etat à lui verser la somme de 10 269 euros et celle de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1705548 du 3 décembre 2019, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 3 février 2020, Mme B... A..., représentée par Me Gobert et Me Morabito, demande à la cour :

1°) d'annul

er le jugement n° 1705548 du 3 décembre 2019 du tribunal administratif de Grenoble ;

2°) de condam...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Grenoble de condamner l'Etat à lui verser la somme de 10 269 euros et celle de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1705548 du 3 décembre 2019, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 3 février 2020, Mme B... A..., représentée par Me Gobert et Me Morabito, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1705548 du 3 décembre 2019 du tribunal administratif de Grenoble ;

2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 10 269 euros au titre de ses préjudices ;

3°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- divers rapports officiels ont souligné des insuffisances dans le système français de matériovigilance ;

- l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) disposait depuis 2001 d'informations suffisantes et concordantes propres à établir un soupçon sur la fabrication des implants mammaires PIP ;

- la mission de l'organisme certificateur allemand (TÜV), chargé de contrôler la conception du produit de santé en application de la règlementation européenne ne constitue pas une cause exonératoire ;

- la fraude organisée par la société PIP était grossière et décelable ;

- l'ANSM a commis une carence fautive dans le suivi de la société PIP entre 2001 et 2009 et a méconnu le principe de précaution ;

- la condamnation prononcée le 10 décembre 2013 par le tribunal correctionnel de Marseille porte sur un préjudice distinct de celui résultant de la carence fautive de l'ANSM et n'a aucune autorité de chose jugée ;

- elle a subi les préjudices suivants :

o déficit fonctionnel 79,50 euros

o souffrances endurées 3 783,50 euros

o préjudice moral 3 000 euros

o préjudice esthétique 406 euros

o préjudice sexuel 3 000 euros.

Par un mémoire, enregistré le 2 juillet 2020, l'agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, représentée par Me Munier-Apaire, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 3 500 euros soit mise à la charge de Mme A... au titre des frais irrépétibles.

Elle soutient que :

- les conclusions indemnitaires sont partiellement irrecevables car le juge pénal a accordé une indemnisation de 7 600 euros portant sur le préjudice d'anxiété, le préjudice moral et le coût de l'opération d'explantation ;

- aucune carence fautive ne saurait lui être reprochée au vu des diligences effectuées en 2001 avant la mise sur le marché, compte tenu du contrôle effectué par l'organisme certificateur de 2002 à 2009 et eu égard à l'absence de signalements inquiétants avant 2009 ;

- le principe de précaution ne peut être utilement invoqué s'agissant d'un risque ;

- les préjudices allégués ne sont pas justifiés.

Par un mémoire, enregistré le 28 janvier 2021, le ministre des solidarités et de la santé conclut au rejet de la requête :

Il soutient que :

- le préjudice subi est exclusivement dû à une fraude organisée de la société PIP ;

- face à cette fraude, l'ANSM n'a commis aucune carence fautive.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la charte de l'environnement ;

- la directive 93/42/CEE du Conseil, du 14 juin 1993, relative aux dispositifs médicaux ;

- le code de la santé publique ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Gayrard, président assesseur,

- les conclusions de Mme Cottier, rapporteure publique,

- et les observations de Me Debruyne, représentant l'ANSM.

Considérant ce qui suit :

1. Mme B... A..., née le 6 juillet 1966, a été opérée le 23 janvier 2006 pour une implantation de deux prothèses mammaires de la marque Poly Implant Prothèse (PIP). Suite à une inspection menée par l'Agence française de sécurité sanitaire des produits des santé (AFSSAPS) le 17 mars 2010, il a été révélé que la société PIP utilisait frauduleusement un gel de silicone différent de celui pour lequel elle avait obtenu un certificat de conformité pour la fabrication d'implants mammaires, qui entrainait une détérioration plus rapide de ces dispositifs médicaux de classe III selon la directive 93/42/CEE du Conseil du 14 juin 1993. Par décision du 29 mars 2010, le directeur général de l'AFSSAPS a prononcé le retrait de l'autorisation d'utilisation de tous les implants mammaires de marque PIP. Le 21 février 2012, une IRM pratiquée sur Mme A... a montré une rupture intracapsulaire de sa prothèse mammaire droite nécessitant une explantation le 27 février suivant. Par jugement du tribunal correctionnel de Marseille du 10 décembre 2013, confirmé par arrêt de la cour d'appel d'Aix-en-Provence du 2 mai 2016, le dirigeant de la société PIP a été condamné à lui verser la somme de 7 600 euros en réparation de ses préjudices. Par ordonnance du 15 mars 2016, le juge des référés du tribunal administratif de Grenoble a ordonné une expertise dont le rapport a été déposé le 12 octobre suivant. Par jugement du 3 décembre 2019, dont Mme A... relève appel, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 10 269 euros pour carence fautive de l'AFSSAPS devenue Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM).

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

2. Eu égard tant à la nature des pouvoirs conférés à l'AFSSAPS puis de l'ANSM, agissant au nom de l'Etat, en matière de police sanitaire relative aux dispositifs médicaux, qu'aux buts en vue desquels ces pouvoirs lui ont été attribués, la responsabilité de l'Etat peut être engagée par toute faute commise dans l'exercice de ces attributions, pour autant qu'il en soit résulté un préjudice direct et certain. En application des articles L. 5311-1 et suivants du code de la santé publique applicables au présent litige, l'AFSSAPS avait notamment pour mission de mettre en œuvre un dispositif de matériovigilance permettant de recenser et d'évaluer, de façon centralisée, les dysfonctionnements et altérations des caractéristiques ou des performances d'un dispositif susceptibles d'entraîner le décès ou une grave détérioration de l'état de santé d'un patient ou d'un utilisateur et, d'autre part, de prendre, au vu des informations ainsi recueillies ou dont elle aurait connaissance par d'autres moyens, toute mesure provisoire nécessaire à la protection de la santé ou de la sécurité des patients ou d'autres personnes.

3. En premier lieu, Mme A... fait valoir que l'AFSSAPS disposait, dès le début de l'année 2001, d'informations suffisantes et concordantes qui auraient dû l'alerter et lui permettre, par la mise en œuvre des pouvoirs de contrôle et de surveillance qu'elle tire des dispositions citées au point précédent, de déceler la dangerosité des prothèses mammaires commercialisées par la société PIP avant l'opération qu'elle a subie le 23 janvier 2006.

4. D'abord, s'agissant de la période antérieure à 2001, il n'est pas contesté que la société PIP, à l'instar d'autres fabricants d'implants mammaires remplis d'un produit autre que du sérum physiologique, faisait l'objet d'un moratoire depuis le 24 janvier 1992, puis d'une suspension générale prononcée par arrêté du 10 mai 1995, mesure reconduite jusqu'au 9 décembre 2000. Si la requérante fait valoir que la société PIP avait déjà fait l'objet d'une dénonciation en 1996 et des signalements d'incidents de la part de chirurgiens, ceux-ci ne portaient donc pas sur les implants mammaires remplis au gel de silicone en cause. Il résulte de l'instruction, et notamment des divers rapports officiels produits à l'occasion du scandale révélé en 2010, que la société PIP a fait l'objet de plusieurs demandes d'information complémentaire pour obtenir son autorisation de mise sur le marché de ses implants mammaires remplis au gel de silicone le 18 avril 2001, suivies d'une inspection de contrôle sur site les 5 et 6 juin 2001 donnant lieu à une mise en demeure de répondre à certains manquements relevés, qui a été levée au vu des réponses fournies. Si la requérante fait valoir que, dès cette date, la société PIP utilisait déjà un produit autre que le gel certifié, il ne saurait être reproché à l'AFSSAPS de ne pas avoir pu déceler une telle fraude organisée.

5. Ensuite, pour la période de 2001 à 2009, la société PIP a été régulièrement contrôlée par l'organisme notifié pour la délivrance des certificats de conformité (l'organisme de droit allemand TÜV Rheinland) qui a procédé à des audits de suivi et a successivement renouvelé les certifications sans transmettre le moindre élément de suspicion à l'AFSSAPS. En relevant ce point, le tribunal administratif de Grenoble n'a pas opposé une cause exonératoire à la responsabilité de l'Etat comme la requérante tend à le soutenir. Si la requérante fait valoir divers éléments issus de rapports officiels tendant à critiquer le système de matériovigilance sur lequel s'appuyait alors l'AFSSAPS pour assurer sa mission de contrôle, il résulte de l'instruction que, nonobstant le phénomène de sous-déclaration des évènements indésirables par les correspondants de matériovigilance, les données issues de ce dispositif à partir de 2001 ne révélaient aucune anomalie ou discordance dans le niveau et l'évolution du nombre de ruptures d'implants par rapport à d'autres fabricants, compte tenu de leurs chiffres d'affaires respectifs, et demeurés stables et cohérents avec le risque statistique inhérent au dispositif médical en cause jusqu'en 2007, avant que les données pour l'année 2008, exploitables vers la mi-2009, n'indiquent un décrochage flagrant concernant les signalements concernant les implants mammaires PIP. Dans ces conditions, au regard des informations connues de l'agence, la requérante ne démontre pas que l'AFSSAPS disposait d'éléments qui auraient dû lui faire soupçonner la fraude ou bien que les contrôles par cette agence auraient été insuffisants à la date de son opération d'implantation de prothèses mammaires de marque PIP le 23 janvier 2006.

6. Enfin, la requérante ne peut utilement soutenir que l'inspection du 17 mars 2010 ayant révélé la fraude serait tardive au regard des signes recueillis depuis 2009, notamment l'accroissement des signalements d'incidents ou encore d'explantations, ou une alerte spécifique d'un chirurgien ainsi qu'une délation anonyme. Elle ne peut davantage utilement faire valoir qu'un autre fabricant de prothèses mammaires, la société Eurosilicone aurait fait l'objet de quatre inspections pendant la période 2001-2009 pour établir une carence de la part de l'AFSSAPS alors que la société PIP avait mis en place une fraude organisée qui n'a été découverte que fortuitement à l'occasion de l'inspection conduite le 17 mars 2010.

7. En deuxième lieu, vu l'absence de dommage susceptible d'affecter l'environnement au sens de l'article 5 de la Charte de l'environnement, à laquelle le Préambule de la Constitution fait référence, le moyen tiré de la méconnaissance de ses dispositions est inopérant. Il convient de l'écarter pour ce motif, qui doit être substitué au motif retenu par les juges du fond.

8. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir opposée par l'ANSM, que Mme A... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'Etat au titre d'une carence fautive de l'ANSM dans ses pouvoirs de police sanitaire ou d'une méconnaissance du principe de précaution.

Sur les frais liés à l'instance :

9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative s'opposent à ce que l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, soit condamné à verser à Mme A... la somme que celle-ci demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par l'ANSM au titre des mêmes dispositions.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de Mme A... est rejetée.

Article 2 : Les conclusions de l'ANSM présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... A..., à l'agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, au ministre des solidarités et de la santé, à la caisse primaire d'assurance maladie de la Savoie et à la caisse primaire d'assurance maladie du Puy-de-Dôme.

Délibéré après l'audience du 9 décembre 2021, à laquelle siégeaient :

M. Pourny, président de chambre,

M. Gayrard, président assesseur,

M. Pin, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 6 janvier 2022.

N° 20LY00461 4


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 20LY00461
Date de la décision : 06/01/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-02-01 Responsabilité de la puissance publique. - Responsabilité en raison des différentes activités des services publics. - Service public de santé.


Composition du Tribunal
Président : M. POURNY
Rapporteur ?: M. Jean-Philippe GAYRARD
Rapporteur public ?: Mme COTTIER
Avocat(s) : GOBERT et ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 18/01/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2022-01-06;20ly00461 ?
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