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16/12/2021 | FRANCE | N°19LY04653

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 6ème chambre, 16 décembre 2021, 19LY04653


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

L'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) a demandé au tribunal administratif de Grenoble de condamner solidairement le centre hospitalier Annecy Genevois et son assureur à lui verser les sommes de 586 226,04, 1 400 et 87 933,06 euros, assorties des intérêts au taux légal à compter du 2 mai 2017 et de mettre à leur charge une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

La caiss

e primaire d'assurance maladie (CPAM) de la Loire a demandé au tribunal admin...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

L'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) a demandé au tribunal administratif de Grenoble de condamner solidairement le centre hospitalier Annecy Genevois et son assureur à lui verser les sommes de 586 226,04, 1 400 et 87 933,06 euros, assorties des intérêts au taux légal à compter du 2 mai 2017 et de mettre à leur charge une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

La caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de la Loire a demandé au tribunal administratif de Grenoble que le centre hospitalier soit condamné à lui verser la somme de 356 698,49 euros assortie des intérêts légaux à compter du jugement ainsi que l'indemnité forfaitaire de gestion de 1 080 euros.

Par un jugement n° 1704412 du 29 octobre 2019, le tribunal administratif de Grenoble a condamné solidairement le centre hospitalier Annecy Genevois et la société AGRM à verser à I'ONIAM les sommes de 586 226,04, 1 400 et 29 311 euros et le seul centre hospitalier d'Annecy Genevois à verser à la CPAM de la Loire la somme de 268 603 euros.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 19 décembre 2019, et deux mémoires complémentaires enregistrés les 19 et 21 janvier 2021, le centre hospitalier d'Annecy Genevois, représenté par Me Fabre, demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :

1°) d'annuler le jugement n° 1704412 du 29 octobre 2019 du tribunal administratif de Grenoble ;

2°) de rejeter la requête de l'ONIAM et les conclusions de la CPAM de la Loire et d'enjoindre à l'ONIAM de restituer à son assureur AMTRUST les sommes versées en exécution du jugement attaqué ;

3°) à titre subsidiaire, d'ordonner une nouvelle expertise et de réduire les condamnations prononcées ;

4°) de condamner l'ONIAM à lui verser la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- c'est à tort que le tribunal administratif de Grenoble a retenu un manquement fautif dans la prise en charge de M. B... au vu des positions contraires des deux experts mandatés par la CRCI, des avis de spécialistes et de la littérature médicale qu'il produit, de la date erronée quant à l'apparition de la cécité, de la caractérisation d'une urgence dans l'opération de changement de la valve et de la prise en compte de l'état antérieur de la victime ;

- le taux de perte de chance retenu est excessif et injustifié ; une nouvelle expertise parait nécessaire ;

- c'est à tort que le tribunal administratif de Grenoble a retenu la responsabilité de la société AGRM qui n'était que le représentant de son assureur, la société Amtrust international ;

- certains préjudices doivent être écartés ou réduits à de plus justes proportions : dépenses de santé, assistance par tierce personne, perte de gains professionnels, préjudice d'établissement et préjudice d'agrément.

Par un mémoire, enregistré le 21 janvier 2021, la compagnie Amtrust international underwriters, représentée par Me Fabre, conclut aux mêmes fins que le centre hospitalier d'Annecy Genevois par les mêmes moyens.

Par trois mémoires enregistrés le 20 décembre 2020, le 6 janvier 2021 et le 8 février 2021, l'office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM), représenté par Me Welsch, conclut au rejet de la requête et demande à la cour de réformer le jugement attaqué en tant qu'il n'a pas fait entièrement droit à sa demande de condamnation au titre de l'indemnité prévue à l'article L. 1142-15 du code de la santé publique pour un montant de 87 933,06 euros et de mettre à la charge du centre hospitalier d'Annecy Genevois et de son assureur, la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il fait valoir que les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés.

Un mémoire, enregistré le 15 novembre 2021, présenté pour la CPAM de la Loire n'a pas été communiqué en application de l'article R. 611-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de la sécurité sociale ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Gayrard, président assesseur,

- les conclusions de Mme Cottier, rapporteure publique,

- et les observations de Me Aubert, représentant le centre hospitalier d'Annecy Genevois et la compagnie Amtrust international underwriters.

Considérant ce qui suit :

1. M. C... B... est né le 17 février 1992 avec une hydrocéphalie triventriculaire traitée par une dérivation ou valve ventriculo-péritonéale. Le 14 septembre 2012, il a été admis aux urgences du centre hospitalier de la région d'Annecy, aux droits duquel vient le centre hospitalier d'Annecy Genevois, en raison d'un trouble visuel puis le lendemain pour la persistance de maux de tête, de dos et de ventre. Au cours de son séjour hospitalier, l'état de santé de M. B... s'est aggravé avec notamment la mise en évidence d'un œdème papillaire bilatéral le 16 septembre 2012. Une intervention chirurgicale a eu lieu le 2 octobre 2012 pour changer la valve mais M. B... est resté atteint de cécité. Le 23 mai 2013, M. B... a saisi la commission régionale de conciliation et d'indemnisation (CRCI) de Rhône-Alpes qui a diligenté une expertise confiée à un neurochirurgien, le Pr. Vallée, et un ophtalmologiste, le Dr A..., qui ont remis leur rapport le 30 septembre 2013. Suite au refus d'indemnisation de la société AGRM, représentant d'AMTRUST International, assureur du centre hospitalier, l'office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) a indemnisé M. B... selon trois protocoles de transaction des 8 août 2014, 3 juin 2016 et 17 septembre 2016 pour un montant global de 586 226,04 euros. Après avoir vainement présenté une réclamation préalable au centre hospitalier d'Annecy Genevois le 2 mai 2017, l'ONIAM a saisi le tribunal administratif de Grenoble d'une demande tendant à la condamnation de l'hôpital et de son assureur à lui verser la somme précitée ainsi que celle de 1 400 euros au titre des frais d'expertise et enfin celle de 87 933,06 euros au titre de l'indemnité prévue au cinquième alinéa de l'article L. 1142-15 du code de la sante publique. La caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de la Loire, agissant pour le compte de la CPAM de la Haute-Savoie, a demandé le paiement de ses débours pour un montant de 356 698,49 euros. Par jugement du 29 octobre 2019, le tribunal administratif de Grenoble a condamné solidairement le centre hospitalier Annecy Genevois et la société AGRM à verser à I'ONIAM les sommes de 586 226,04, 1 400 et 29 311 euros et le seul centre hospitalier d'Annecy Genevois à verser à la CPAM de la Loire la somme de 268 603 euros. Le centre hospitalier d'Annecy Genevois relève appel de ce jugement et demande à la cour de rejeter les conclusions indemnitaires de l'ONIAM et de la CPAM de la Loire, sinon d'ordonner une nouvelle expertise. L'ONIAM présente des conclusions incidentes tendant à majorer la condamnation au titre de l'indemnité prévue à l'article L. 1142-15 du code de la santé publique à un montant de 87 933,06 euros.

Sur la responsabilité :

2. L'article L. 1142-1 du code de la santé publique prévoit que les conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins sont réparées par le professionnel ou l'établissement de santé dont la responsabilité est engagée. Les articles L. 1142-4 à L. 1142-8 et R. 1142-13 à R. 1142-18 de ce code organisent une procédure de règlement amiable confiée aux commissions régionales de conciliation et d'indemnisation (CRCI). En vertu des dispositions de l'article L. 1142-14, si la CRCI, saisie par la victime ou ses ayants droit, estime que la responsabilité du professionnel ou de l'établissement de santé est engagée, l'assureur qui garantit la responsabilité civile de celui-ci adresse aux intéressés une offre d'indemnisation. Aux termes de l'article L. 1142-15 du même code : " En cas de silence ou de refus explicite de la part de l'assureur de faire une offre, (...) l'office institué à l'article L. 1142-22 [l'ONIAM] est substitué à l'assureur. (...) L'acceptation de l'offre de l'office vaut transaction au sens de l'article 2044 du code civil. (...) L'office est subrogé, à concurrence des sommes versées, dans les droits de la victime contre la personne responsable du dommage ou, le cas échéant, son assureur ou le fonds institué à l'article L. 426-1 [du code des assurances] (...). Il peut en outre obtenir remboursement des frais d'expertise. En cas de silence ou de refus explicite de la part de l'assureur de faire une offre, ou lorsque le responsable des dommages n'est pas assuré, le juge, saisi dans le cadre de la subrogation, condamne, le cas échéant, l'assureur ou le responsable à verser à l'office une somme au plus égale à 15 % de l'indemnité qu'il alloue. Lorsque l'office transige avec la victime, ou ses ayants droit, en application du présent article, cette transaction est opposable à l'assureur ou, le cas échéant, au fonds institué au même article L. 426-1 du code des assurances ou au responsable des dommages sauf le droit pour ceux-ci de contester devant le juge le principe de la responsabilité ou le montant des sommes réclamées. Quelle que soit la décision du juge, le montant des indemnités allouées à la victime lui reste acquis. ".

3. En premier lieu, le centre hospitalier d'Annecy Genevois fait valoir la discordance des conclusions entre MM. A... et Vallée, experts désignés par la CRCI de Rhône-Alpes quant à l'existence d'une faute de sa part. L'hôpital se prévaut des conclusions du Dr A..., ophtalmologiste, selon lequel le diagnostic d'hypertension intracrânienne n'était pas évident au vu des oscillations entre hypo et hyper tension générées par le dysfonctionnement de la valve, des signes cliniques peu clairs, notamment en l'absence de vomissements et de douleurs atypiques irradiant le thorax et l'abdomen, et d'une perte de vision attestée seulement à partir du 26 septembre 2012, cet expert faisant part d'un certain attentisme chirurgical justifié par l'appréciation du bilan bénéfice / risque de procéder au changement de la valve qui ne lui parait pas fautif et ajoute qu'il n'est pas certain qu'une intervention plus précoce aurait empêché l'évolution vers la cécité. Toutefois, comme l'ont retenu la CRCI de Rhône-Alpes et le tribunal administratif de Lyon, se fondant sur les conclusions de l'autre expert, le Pr. Vallée, neurochirurgien, le diagnostic d'une hypertension intracrânienne aurait dû être posé dès le 16 septembre 2012 en raison des symptômes présentés par M. B..., avec d'importantes céphalées, des troubles visuels, des nausées et, contrairement à ce qu'a indiqué le Dr A..., des vomissements, mais également du fait d'une hypothèse établie précocement d'un dysfonctionnement de la valve mise en place justement pour éviter des phénomènes d'hypertension intracrânienne du fait de l'hydrocéphalie, et enfin du constat d'un œdème papillaire bilatéral suite à un fond de l'œil effectué le 16 septembre 2012, alors même que le dysfonctionnement de la valve pouvait occasionner des épisodes d'hypotension.

4. En deuxième lieu, le centre hospitalier d'Annecy Genevois conteste la date d'apparition de la cécité chez M. B..., celui-ci ayant indiqué lors de l'accédit la date du 19 septembre 2012 alors que son dossier mentionne une cécité médicalement constatée seulement le 26 septembre. Toutefois, une telle discordance est sans incidence sur les conclusions de l'expert selon lesquelles le diagnostic d'une hypertension intracrânienne ayant de graves répercussions sur la vision de la victime pouvait être posée dès le 16 septembre. Ainsi, dans son avis du 30 juin 2014 produit par l'hôpital, le Pr. Ligeon-Ligeonnet, ophtalmologiste, indique que : " la nécessité d'une intervention rapide est plus évidente en présence d'un œdème papillaire de stase et d'une baisse d'acuité visuelle ". Le constat d'un œdème papillaire bilatéral de stase rapidement suivi d'une cécité attestait de la gravité des conséquences de l'hypertension intracrânienne dont souffrait M. B... et constituait un nouveau signal fort de l'urgence de traiter chirurgicalement cette dernière.

5. En troisième lieu, le centre hospitalier d'Annecy Genevois conteste l'avis de l'expert Vallée selon lequel le constat d'une hypertension intracrânienne présentant des conséquences ophtalmiques devait conduire à la réalisation en urgence d'un changement de la valve implantée en 1995. D'abord, contrairement à ce que tend à soutenir l'hôpital, l'expert Vallée attache l'urgence du changement de valve, non à la seule détérioration de la vision de la victime, mais aussi aux autres conséquences délétères liées à l'hypertension intracrânienne, notamment neurologiques. Ensuite, nonobstant les avis produits par l'hôpital, celui du Pr. Ligeon-Ligeonnet déjà cité et celui du Pr. Fischer en date du 19 novembre 2013, neurochirurgien, la littérature médicale citée par l'expert ainsi que celle produite par l'ONIAM attestent du risque grave d'altération définitive de la vision lorsqu'est constaté un œdème papillaire bilatéral consécutif à une hypertension intracrânienne. Contrairement à ce que soutient l'hôpital, se fondant sur l'avis du Pr. Fischer, le changement de valve effectué le 2 octobre 2012 a permis de mettre fin à l'hypertension intracrânienne. Dès lors, le retard de traitement de l'hypertension intracrânienne par le changement de la valve doit être regardé comme un manquement fautif engageant la responsabilité de l'hôpital, ainsi que celle de son assureur.

6. En quatrième lieu, le centre hospitalier d'Annecy Genevois conteste le taux de perte de chance retenu par le tribunal administratif de Grenoble de 75 %, conforme à celui retenu par l'expert Vallée et par la CRCI de Rhône-Alpes. Toutefois, l'avis du 24 mars 2020 du Pr Mertens, neurochirurgien, produit en cause d'appel par l'hôpital, n'apporte aucun élément de nature à remettre en cause ce taux, alors même qu'à défaut de littérature médicale idoine, il a été fixé par l'expert au vu des circonstances de l'espèce et notamment du délai conséquent qui s'est écoulé entre le 16 septembre 2012, date à laquelle le diagnostic d'une hypertension intracrânienne, lié à un dysfonctionnement de la valve et ayant une incidence grave sur la vision de M. B..., aurait dû être posé et le 2 octobre, date de réalisation du changement de la valve défectueuse. Contrairement à ce que soutient l'hôpital, s'appuyant sur l'avis du Pr. Ligeon-Ligeonnet, aucun élément médical issu du dossier de l'intéressé ou provenant de la littérature médicale n'établit que l'œdème papillaire bilatéral préexistait à l'admission au centre hospitalier ou que l'état antérieur de M. B..., marqué par son hydrocéphalie congénitale, rendait probable la cécité survenue au décours de son hospitalisation quand bien même il aurait été procédé rapidement à l'opération de changement de la valve. Il découle de tout ce qui précède que le centre hospitalier d'Annecy Genevois a commis un manquement fautif tenant à un retard de prise en charge de l'hypertension intracrânienne dont souffrait M. B... du fait d'un dysfonctionnement de sa valve ventriculo-péritonéale à l'origine d'une perte de chance estimée à 75 % d'en éviter les séquelles, et notamment la cécité.

7. En dernier lieu, le centre hospitalier d'Annecy Genevois fait valoir que c'est à tort que le tribunal administratif de Grenoble a condamné la société AGRM comme étant son assureur. Il résulte de l'instruction que cette société n'était que le représentant en France de la société Amtrust international, véritable assureur de l'hôpital. Il y a lieu, par suite, d'annuler le jugement attaqué sur ce point et, sans qu'il soit besoin d'ordonner une nouvelle expertise, de déclarer le centre hospitalier d'Annecy Genevois et son assureur, la société Amtrust international, solidairement responsables des conséquences dommageables survenues du fait du manquement fautif indiqué aux points précédents.

Sur les préjudices :

8. En application des dispositions citées au point 2, il incombe au juge, saisi d'une action de l'ONIAM subrogé, à l'issue d'une transaction, dans les droits d'une victime à concurrence des sommes qu'il lui a versées, de déterminer si la responsabilité du professionnel ou de l'établissement de santé est engagée et, dans l'affirmative, d'évaluer les préjudices subis afin de fixer le montant des indemnités dues à l'office. Lorsqu'il procède à cette évaluation, le juge n'est pas lié par le contenu de la transaction intervenue entre l'ONIAM et la victime.

En ce qui concerne les préjudices patrimoniaux :

9. S'agissant des dépenses de santé, l'ONIAM n'a indemnisé la victime d'aucun reste à charge. La CPAM de la Loire a présenté des débours exposés pour M. B... pour un montant de 356 698,49 euros selon un relevé établi le 1er avril 2019. Contrairement à ce que soutient le centre hospitalier d'Annecy Genevois, le tribunal administratif de Grenoble a appliqué à ce montant le taux de perte de chance de 75 % et ainsi condamné l'hôpital et son assureur à lui verser la somme de 267 523 euros, outre l'indemnité forfaitaire de gestion de 1 080 euros. En revanche, le requérant est fondé à faire valoir que, nonobstant l'attestation d'imputabilité du médecin conseil de la caisse du 15 septembre 2012 faisant état de frais futurs consistant en deux consultations spécialisées par an et des frais de transport en taxi chaque année, de tels frais ne sont pas justifiés en l'absence d'indication de tels frais dans l'expertise et l'avis de la CRCI et dès lors que l'on ne constate aucune évolution des frais médicaux ou de transport entre le relevé du 1er avril 2019 et un précédent relevé établi le 5 octobre 2017. Il s'ensuit que les débours de la CPAM doivent être diminués de la somme de 21 406,07 correspondant aux sommes réclamées par la CPAM au titre des frais futurs et ainsi fixés à la somme de 335 292,42 euros. La créance de la CPAM doit ainsi être ramenée, après application du taux de perte de chance, à un montant de 251 469,32 euros.

10. S'agissant des frais d'assistance par tierce personne, le juge administratif détermine le montant de l'indemnité réparant ce préjudice en fonction des besoins de la victime et des dépenses nécessaires pour y pourvoir. Il doit à cette fin se fonder sur un taux horaire permettant, dans les circonstances de l'espèce, le recours à l'aide professionnelle d'une tierce personne d'un niveau de qualification adéquat, sans être lié par les débours effectifs dont la victime peut justifier. Il n'appartient notamment pas au juge, pour déterminer cette indemnisation, de tenir compte de la circonstance que l'aide a été ou pourrait être apportée par un membre de la famille ou un proche de la victime. Il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise présenté devant la CRCI, que le besoin de M. B... a été fixé à deux heures par jour de façon viagère. Si l'hôpital conteste l'application de 412 jours pour déterminer le coût annuel de ces frais en l'absence de démonstration que M. B... est employeur d'une aide à domicile, le taux horaire applicable est en principe le salaire minimum interprofessionnel de croissance augmenté des cotisations sociales dues par l'employeur et prenant en compte les majorations de rémunération dues les dimanches et jours fériés, ainsi que des congés payés. Si l'hôpital fait également reproche au tribunal administratif de Grenoble de ne pas avoir vérifié que la victime bénéficiait de l'allocation pour adulte handicapé, il résulte de l'instruction que, le 28 janvier 2016, M. B... a attesté sur l'honneur ne percevoir aucune aide de cette nature. Par suite, en retenant les sommes de 9 948,95 euros au titre de frais d'assistance par tierce personne temporaire et de 290 348,09 euros au titre des mêmes frais à titre permanent, correspondant exactement, après application du taux de perte de chance de 75 %, aux indemnités versées à ce titre par l'ONIAM à M. B..., le tribunal administratif de Grenoble n'a pas procédé à une évaluation excessive ou insuffisante de ce chef de préjudice.

11. S'agissant des pertes de gains professionnels, le tribunal administratif de Grenoble a entendu reprendre les modalités de calcul de l'ONIAM fondées sur un revenu annuel net de référence de 15 958 euros, non contesté par les parties, la soustraction de salaires perçus par M. B... de septembre 2013 à février 2016 pour un montant de 13 434,64 euros, des indemnités journalières pour un montant de 20 531 euros, des arrérages de pension d'invalidité pour également 20 531 euros, un capital invalidité évalué à 238 948,53 euros et enfin une rente contractuelle annuelle, capitalisée à l'euro de rente de 22,115, soit 131 939,86 euros. L'hôpital n'est pas fondé à contester les droits de la caisse concernant les indemnités journalières versées du 23 septembre 2012 au 13 septembre 2013 pour un montant de 10 441,48 euros en faisant valoir que ne sont pas décomptés les jours d'arrêt de travail exposés même en l'absence de complications, dès lors qu'il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise, que le déficit fonctionnel temporaire de la victime imputable aux séquelles subies a bien commencé à compter du 23 septembre 2012. Les différences pointées par l'hôpital sur le montant de la pension d'invalidité entre les relevés de la caisse du 5 octobre 2017 et 1er avril 2019 correspondent à la différence de capitalisation entre les deux dates. Toutefois, il convient de procéder à l'évaluation de ce préjudice en appliquant le barème de capitalisation issu de la Gazette du Palais 2020 et conformément aux pièces produites au dossier. Dès lors, les revenus attendus par la victime s'établissent à 15 958 euros multiplié par un euro de rente de 39,695 correspondant à un homme de 21 ans ayant une durée prévisionnelle de travail jusqu'à l'âge légal de la retraite fixé à 62 ans, soit la somme de 633 452,81 euros. Il convient ensuite de retrancher les salaires perçus déjà indiqués pour 14 285,94 euros au vu des bulletins de salaire produits devant les premiers juges, des indemnités journalières d'un montant de 31 881,71 euros, des arrérages de pension pour 31 197,83 euros, un capital invalidité évalué à 246 956,53 euros, comme l'indique le relevé de la CPAM de la Loire du 1er avril 2019, et enfin une rente d'invalidité pour un montant annuel de 5 918,73 euros multiplié par un euro de rente de 36,763 correspondant à un homme âgé de 24 ans ayant une durée prévisionnelle de versement jusqu'à l'âge légal de la retraite, soit la somme de 212 843,45 euros. Il s'ensuit que la perte de gains professionnels globale supportée par la victime s'établit à la somme de 633 452,81 euros moins 541 912,28 euros, soit 91 540,53 euros.

En ce qui concerne les préjudices extrapatrimoniaux :

12. S'agissant du déficit fonctionnel temporaire, des souffrances endurées, du déficit fonctionnel permanent, du préjudice esthétique et du préjudice sexuel, évalués à respectivement 4 575, 5 500, 340 429, 1 200 et 10 000 euros, selon les indemnités versées à ce titre par l'ONIAM à M. B..., le tribunal administratif de Grenoble a procédé à une juste appréciation, non contestée par les parties.

13. S'agissant du préjudice d'établissement, comme l'ONIAM l'oppose, si le rapport d'expertise considère que ce préjudice est établi, il n'indique pas en quoi les séquelles, notamment la cécité, subies par la victime ont été de nature à compromettre son projet de vie. Ce chef de préjudice sera donc écarté.

14. S'agissant du préjudice d'agrément, en suivant le montant fixé par l'ONIAM à 54 000 euros, le tribunal administratif de Grenoble a procédé à une évaluation excessive de ce chef de préjudice. Il sera fait une juste appréciation de ce chef de préjudice, compte tenu de la cécité subie et du jeune âge de la victime, en le fixant à 20 000 euros.

Sur les droits de l'ONIAM :

15. Il découle des points à 10 à 14 que les préjudices subis par M. B..., hors dépenses de santé, s'établissent à la somme de 773 542,43 euros. Il s'ensuit que le centre hospitalier d'Annecy Genevois, et son assureur, la société Amtrust international, doivent être déclarés responsables, après application du taux de perte de chance de 75 %, à hauteur de la somme de 580 156,82 euros. L'ONIAM, subrogé aux droits de la victime à hauteur de la somme de 586 226,04 euros, est en droit de réclamer la somme 580 156,82 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 5 mai 2017, date de sa réclamation préalable.

16. Le centre hospitalier d'Annecy Genevois ne conteste pas devoir à l'ONIAM la somme de 1 400 euros au titre des frais d'expertise. Il y a lieu, dès lors, de condamner le centre hospitalier d'Annecy Genevois et son assureur, la société Amtrust international, à verser la somme de 1 400 euros à l'ONIAM.

17. Il découle des dispositions de l'article L. 1142-15 du code de la santé publique cité au point 2 que le juge peut condamner l'assureur de l'hôpital, ou ce dernier s'il n'est pas assuré, n'ayant pas fait d'offre d'indemnisation à la victime à verser à l'ONIAM une pénalité au taux maximal de 15 % de l'indemnité allouée. Si le centre hospitalier d'Annecy Genevois conteste le principe même de la pénalité compte tenu de sa contestation sérieuse des conclusions de l'expertise, la seule divergence d'opinion des deux experts mandatés par la CRCI de Rhône-Alpes opposée par le représentant de l'assureur ne pouvait à elle seule justifier le refus d'offre d'indemnisation de sa part. Si l'ONIAM présente des conclusions incidentes tendant à l'application du taux maximum, il sera fait une juste appréciation du montant de la pénalité prononcée en la fixant à la somme de 29 007,84 euros par application d'un taux de 5 % à l'indemnité allouée à l'ONIAM au point 15. Par suite, il y a lieu de condamner la société Amtrust international à verser à l'ONIAM la somme de 29 007,84 euros.

18. Enfin, le centre hospitalier d'Annecy Genevois et son assureur ne justifient pas avoir exécuté le jugement qu'ils contestent, par suite, les conclusions à fin d'injonction présentées par l'hôpital et son assureur, tendant à ce que l'ONIAM leur restitue les sommes versées en exécution du jugement attaqué, doivent être rejetées.

Sur les droits de la CPAM de la Loire :

19. Il découle du point 9 que les débours de la sécurité sociale s'établissent à la somme de 335 292,42 euros. Il s'ensuit que le centre hospitalier d'Annecy Genevois doit être déclaré responsable, après application du taux de perte de chance de 75 %, à hauteur de la somme de 251 469,31 euros. Il y a lieu, dès lors, de condamner le centre hospitalier d'Annecy Genevois à verser à la CPAM de la Loire la somme précitée. Ce montant étant inférieur à celui qu'avaient accordé les premiers juges, le montant de l'indemnité forfaitaire de gestion de 1 080 euros qu'ils avaient mis à la charge du centre hospitalier d'Annecy Genevois ne peut être augmenté par le présent arrêt.

Sur les frais liés au litige :

20. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge du centre hospitalier d'Annecy Genevois et de son assureur, qui ne sont pas les parties perdantes dans la présente instance, une somme au titre des frais exposés par l'ONIAM et non compris dans ses dépens. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées pour le centre hospitalier d'Annecy Genevois et son assureur sur le même fondement.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1704412 du 29 octobre 2019 du tribunal administratif de Grenoble est annulé en tant qu'il condamne le centre hospitalier d'Annecy Genevois et la société AGRM au profit de l'ONIAM et réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt en tant qu'il condamne le centre hospitalier d'Annecy Genevois à verser une somme de 268 603 euros à la caisse primaire d'assurance maladie de la Loire.

Article 2 : Le centre hospitalier d'Annecy Genevois et son assureur, la société Amtrust international, sont solidairement condamnés à verser à l'ONIAM la somme de 580 156,82 euros assortie des intérêts au taux légal à compter du 5 mai 2017.

Article 3 : Le centre hospitalier d'Annecy Genevois et son assureur, la société Amtrust international, sont solidairement condamnés à verser à l'ONIAM la somme de 1 400 euros au titre des frais d'expertise.

Article 4 : La société Amtrust international est condamnée à verser à l'ONIAM la somme de 29 007,84 euros en application de l'article L. 1142-15 du code de la santé publique.

Article 5 : Le centre hospitalier d'Annecy Genevois est condamné à verser à la caisse primaire d'assurances maladie de la Loire la somme de 251 469,31 euros, outre une somme de 1 080 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion.

Article 6 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 7 : Le présent arrêt sera notifié au centre hospitalier Annecy Genevois, à la société Amtrust international, à l'office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales, à la caisse primaire d'assurance maladie de la Loire, à la société Allianz et à la Macif-Mutualité.

Délibéré après l'audience du 25 novembre 2021, à laquelle siégeaient :

M. Pourny, président de chambre,

M. Gayrard, président assesseur,

M. Pin, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 16 décembre 2021.

N° 19LY04653 7


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 19LY04653
Date de la décision : 16/12/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-02-01 Responsabilité de la puissance publique. - Responsabilité en raison des différentes activités des services publics. - Service public de santé.


Composition du Tribunal
Président : M. POURNY
Rapporteur ?: M. Jean-Philippe GAYRARD
Rapporteur public ?: Mme COTTIER
Avocat(s) : UGGC et ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 28/12/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2021-12-16;19ly04653 ?
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