Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
Mme A... a demandé au tribunal administratif de Lyon de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2011 à 2013, et de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par un jugement n° 1802906 du 7 mars 2019, le tribunal administratif de Lyon a rejeté ses demandes.
Procédure devant la cour
Par une requête et des mémoires, enregistrés le 10 mai 2019, le 20 août 2020, le 27 septembre 2021 et le 21 octobre 2021, Mme A..., représentée par la Selarl Akthis, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2011 à 2013 ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement est insuffisamment motivé en réponse au moyen tiré de la méconnaissance de l'article L. 76B du livre des procédures fiscales et, par suite, irrégulier ;
- l'administration fiscale a méconnu l'obligation qui lui est faite par ces dispositions d'informer le contribuable de la teneur et de l'origine des renseignements et documents obtenus de tiers, qui implique nécessairement qu'elle indique la nature des pièces sur lesquelles elle fonde ses rectifications et détermine en particulier les bases d'imposition ;
- les propositions de rectification sont insuffisamment motivées au regard de l'article L. 57 du livre des procédures fiscales ;
- le délai spécial de reprise de l'alinéa 2 de l'article L. 169 du livre des procédures fiscales n'était pas applicable, dès lors que son activité illicite n'avait pas de caractère professionnel et n'était pas soumise à déclaration, de sorte que les propositions de rectification sont tardives pour ce qui concerne les années 2011 et 2012 ;
- le délai prévu à l'article L. 188 C du livre des procédures fiscales n'est pas davantage applicable, les faits n'ayant pas été révélés à l'administration fiscale par la procédure judiciaire ;
- la mise en œuvre de délais spéciaux, alors notamment que les droits en principal ont été assortis d'intérêts de retard qui auraient pu être liquidés près de trois années avant la date de la proposition de rectification, est constitutive d'un détournement de procédure ;
- le service ne pouvait, sans méconnaître les dispositions de l'article 12 du code général des impôts, taxer les détournements sur les seules années 2011 à 2013, alors qu'il résulte d'un rapport émanant de l'administration fiscale elle-même et des constats du juge pénal que les détournements litigieux ont été opérés sur les années 2010 à 2013, les pièces produites ne donnant pas le détail précis des dates et de la nature des montants détournés ;
- les revenus résultant d'une activité illicite doivent être regardés comme des revenus d'activité et de remplacement et ne peuvent dès lors être soumis aux contributions sociales assises sur les revenus du patrimoine en application de l'article L. 136-6 du code de la sécurité sociale.
Par des mémoires en défense, enregistrés le 8 novembre 2019 et le 4 octobre 2021, le ministre de l'économie, des finances et de la relance conclut au rejet de la requête.
Il soutient que, si le délai spécial de reprise de l'article L. 188C du livre des procédures fiscales n'est pas applicable, les autres moyens soulevés par Mme A... ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de la sécurité sociale ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Le Frapper, première conseillère,
- les conclusions de M. Vallecchia, rapporteur public,
- et les observations de Me Besson, représentant Mme A... ;
Considérant ce qui suit :
1. Par un jugement du tribunal correctionnel de Saint-Etienne du 19 février 2015, Mme A... a été condamnée à deux ans d'emprisonnement avec sursis pour avoir, entre le 1er novembre 2010 et le 31 mars 2013, détourné des fonds lui ayant été remis en chèques ou espèces en sa qualité d'adjointe administrative en charge d'une régie d'avances et de recettes de la ville de Saint-Etienne, pour un montant total s'élevant à 78 372,27 euros. Par des propositions de rectification du 30 août 2016 établies selon la procédure d'imposition d'office, après exercice de son droit de communication auprès de l'autorité judiciaire, l'administration fiscale a notifié, d'une part, des rehaussements dans la catégorie des bénéfices non commerciaux à Mme A..., et, d'autre part, des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales, assorties d'une pénalité de 80% pour activité occulte, à M. et Mme A.... Par un jugement du 7 mars 2019 dont Mme A... relève appel, le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande tendant à la décharge, en droits et pénalités, de ces impositions supplémentaires.
Sur la régularité du jugement :
2. Il ressort des termes mêmes du jugement que le tribunal a répondu au moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article L. 76B du livre des procédures fiscales. En retenant que l'obligation d'informer le contribuable de la teneur et de l'origine des renseignements obtenus de tiers n'imposait pas d'indiquer la nature même des pièces du dossier pénal obtenu du procureur de la République, les premiers juges ont suffisamment motivé la réponse à ce moyen. La circonstance qu'une telle motivation serait en contradiction avec la lettre des dispositions invoquées relève du bien-fondé du jugement et non de sa régularité. Le moyen tiré de ce que le jugement serait irrégulier doit, par suite, être écarté.
Sur la régularité de la procédure d'imposition :
3. En premier lieu, les impositions litigieuses n'ayant pas été établies selon la procédure contradictoire, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article L. 57 du livre des procédures fiscales est inopérant, seules étant applicables les dispositions de l'article L. 76 du même livre, aux termes desquelles : " Les bases ou éléments servant au calcul des impositions d'office et leurs modalités de détermination sont portées à la connaissance du contribuable trente jours au moins avant la mise en recouvrement des impositions ".
4. En l'espèce, les notifications adressées à Mme A... mentionnent le montant des bénéfices non commerciaux retenus par l'administration fiscale pour chacune des années en litige à partir notamment des pièces du dossier pénal transmis par le procureur de la République, ainsi que le détail du calcul permettant de déterminer le montant final des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu. L'administration n'était pas tenue d'énumérer la date et le montant de chaque somme détournée par la requérante, ni de faire état des références des comptes bancaires personnels utilisés par Mme A... à l'occasion de ses agissements délictueux. La circonstance que le service ait eu connaissance des faits avant l'intervention du jugement du tribunal correctionnel de Saint-Etienne est, par elle-même, sans incidence sur le caractère suffisant de la motivation des propositions de rectification en litige au regard des exigences de l'article L. 76 précité du livre des procédures fiscales. Ce moyen doit, par suite, être écarté.
5. En second lieu, aux termes de l'article L. 76B du livre des procédures fiscales : " L'administration est tenue d'informer le contribuable de la teneur et de l'origine des renseignements et documents obtenus de tiers sur lesquels elle s'est fondée pour établir l'imposition faisant l'objet de la proposition prévue au premier alinéa de l'article L. 57 ou de la notification prévue à l'article L. 76. Elle communique, avant la mise en recouvrement, une copie des documents susmentionnés au contribuable qui en fait la demande ".
6. Il résulte de ces dispositions qu'il incombe à l'administration, quelle que soit la procédure d'imposition mise en œuvre, et au plus tard avant la mise en recouvrement, d'informer le contribuable dont elle envisage soit de rehausser, soit d'arrêter d'office les bases d'imposition, de l'origine et de la teneur des documents et renseignements obtenus auprès de tiers, qu'elle a utilisés pour fonder les impositions, avec une précision suffisante pour mettre à même l'intéressé d'y avoir accès avant la mise en recouvrement des impositions qui en procèdent. Cette obligation a pour objet de permettre à celui-ci, notamment, de discuter utilement leur provenance ou de demander que les documents qui, le cas échéant, contiennent ces renseignements soient mis à sa disposition avant la mise en recouvrement des impositions qui en procèdent, afin qu'il puisse en vérifier l'authenticité et en discuter la teneur ou la portée.
7. En l'espèce, en indiquant à Mme A... qu'il résultait du jugement correctionnel du tribunal de grande instance de Saint-Etienne et des pièces du dossier pénal transmis par le procureur de la République de Saint-Etienne, après exercice de son droit de communication, qu'elle avait appréhendé une somme totale de 78 372,27 euros dans le cadre des fonctions qu'elle exerçait auprès de la mairie de Saint-Etienne, et que les sommes détournées sur ses comptes personnels s'élevaient à 37 797,48 euros au titre de l'année 2011, à 37 654,94 euros au titre de l'année 2012 et à 2 919,85 euros au titre de l'année 2013, la vérificatrice a informé Mme A... avec une précision suffisante de la teneur, c'est-à-dire du contenu, et de l'origine des renseignements lui ayant permis d'arrêter d'office ses nouvelles bases d'imposition. Mme A..., qui a comparu personnellement devant le tribunal correctionnel et, en sa qualité de prévenue, a eu accès au dossier de la procédure pénale, a ainsi été suffisamment mise à même d'accéder aux documents et renseignements fondant les impositions litigieuses afin d'en vérifier, le cas échéant, l'authenticité et la teneur ou la portée. Mme A... ne peut par ailleurs se prévaloir, sur le fondement de l'article L. 80A du livre des procédures fiscales, de documentations administratives qui, concernant seulement la procédure d'imposition, ne sont pas constitutives d'une interprétation de la loi fiscale. Le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article L. 76B du livre des procédures fiscales doit, par suite, être écarté.
Sur le bien-fondé de l'imposition :
8. En premier lieu, aux termes de l'article L. 169 du livre des procédures fiscales : " Pour l'impôt sur le revenu et l'impôt sur les sociétés, le droit de reprise de l'administration des impôts s'exerce jusqu'à la fin de la troisième année qui suit celle au titre de laquelle l'imposition est due. / Par exception aux dispositions du premier alinéa, le droit de reprise de l'administration s'exerce jusqu'à la fin de la dixième année qui suit celle au titre de laquelle l'imposition est due, lorsque le contribuable exerce une activité occulte. L'activité occulte est réputée exercée lorsque le contribuable n'a pas déposé dans le délai légal les déclarations qu'il était tenu de souscrire et soit n'a pas fait connaître son activité à un centre de formalités des entreprises ou au greffe du tribunal de commerce, soit s'est livré à une activité illicite. / Le droit de reprise mentionné au deuxième alinéa ne s'applique qu'aux seules catégories de revenus que le contribuable n'a pas fait figurer dans une quelconque des déclarations qu'il a déposées dans le délai légal. Il ne s'applique pas lorsque des revenus ou plus-values ont été déclarés dans une catégorie autre que celle dans laquelle ils doivent être imposés ".
9. Il ne résulte pas de l'instruction, et il n'est d'ailleurs pas allégué, que Mme A... aurait porté sur l'une quelconque des déclarations déposées dans le délai légal, et notamment sur sa déclaration de revenus, les profits non commerciaux retirés de l'activité illicite de détournement de fonds exercée au titre des années en litige. Il résulte ainsi des dispositions précitées, alors même que l'activité de détournement de fonds ne présenterait pas de caractère professionnel, qu'elle doit être réputée avoir exercé une activité occulte permettant la mise en œuvre du délai de reprise prévu au deuxième alinéa précité de l'article L. 169 du livre des procédures fiscales, qui n'était pas expiré à la date de notification des rectifications en litige, quand bien même l'administration avait eu connaissance des agissements de l'intéressée dès 2013. Mme A... ne peut par ailleurs se prévaloir, sur le fondement de l'article L. 80A du livre des procédures fiscales, de la documentation administrative publiée sous la référence BOI-CF-PGR-10-70 le 12 septembre 2012 qui, excluant explicitement du champ des activités concernées les seules activités salariées, ne fait pas une interprétation de la loi fiscale différente de celle dont il est fait application. Les moyens tirés du détournement de procédure et de la prescription du délai de reprise doivent, par suite, être écartés.
10. En deuxième lieu, s'il est constant que les faits litigieux reprochés à Mme A... n'ont pas été révélés à l'administration fiscale par l'autorité judiciaire mais lui étaient connus dès 2013, le moyen tiré de ce que le délai spécial de reprise prévu à l'article L. 188C du livre des procédures fiscales ne serait ainsi pas applicable est toutefois inopérant, dès lors que le délai spécial de reprise prévu à l'article L. 169 du livre des procédures fiscales pouvait être légalement mis en œuvre.
11. En troisième lieu, en application des articles L. 193 et R. 193-1 du livre des procédures fiscales, il incombe à Mme A..., imposée d'office, d'établir le caractère exagéré ou l'absence de bien-fondé des impositions supplémentaires auxquelles elle a été assujettie. En l'espèce, la requérante ne conteste pas utilement les pièces produites par l'administration fiscale pour justifier le montant des détournements retenus pour chacune des seules années 2011 à 2013, nonobstant la période de prévention légèrement plus longue retenue par le tribunal correctionnel. Elle n'apporte dès lors pas la preuve qui lui incombe du caractère exagéré des impositions en litige. Le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article 12 du code général des impôts doit ainsi être également écarté, en l'absence de méconnaissance du principe d'annualité de l'impôt, aucun détournement commis en 2010 n'étant avéré.
12. En dernier lieu, aux termes de l'article L. 136-1 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction applicable au litige : " Il est institué une contribution sociale sur les revenus d'activité et sur les revenus de remplacement à laquelle sont assujettis : / 1° Les personnes physiques qui sont à la fois considérées comme domiciliées en France pour l'établissement de l'impôt sur le revenu et à la charge, à quelque titre que ce soit, d'un régime obligatoire français d'assurance maladie (...) ". Aux termes de l'article L. 136-6 du même code, dans sa rédaction applicable aux années en litige : " I.- Les personnes physiques fiscalement domiciliées en France au sens de l'article 4 B du code général des impôts sont assujetties à une contribution sur les revenus du patrimoine assise sur le montant net retenu pour l'établissement de l'impôt sur le revenu (...) : / f) De tous revenus qui entrent dans la catégorie (...) des bénéfices non commerciaux (...), à l'exception de ceux qui sont assujettis à la contribution sur les revenus d'activité et de remplacement définie aux articles L. 136-1 à L. 136-5 (...) ".
13. Les revenus issus de détournement de fonds, imposés dans la catégorie des bénéfices non commerciaux, constituent des revenus du patrimoine au sens et pour l'application du f du I de l'article L. 136-6 du code de la sécurité sociale. Par suite, Mme A... n'est pas fondée à soutenir que les revenus détournés par elle constituaient des revenus d'activité et de remplacement et qu'elle ne pouvait ainsi être assujettie à des cotisations supplémentaires de contributions sociales assises sur les revenus du patrimoine. Ce moyen doit dès lors être écarté.
14. Il résulte de tout ce qui précède que Mme A... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lyon a rejeté ses demandes.
Sur les frais liés au litige :
15. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que l'Etat qui n'a pas, dans la présente instance, la qualité de partie perdante, verse à Mme A... la somme qu'elle demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de Mme B... C... épouse A... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... C... épouse A... et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.
Délibéré après l'audience du 10 novembre 2021, à laquelle siégeaient :
Mme Dèche, présidente assesseure,
Mme Le Frapper, première conseillère,
Mme Rémy-Néris, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 2 décembre 2021.
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N° 19LY01779
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