La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

18/11/2021 | FRANCE | N°20LY03779

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 3ème chambre, 18 novembre 2021, 20LY03779


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

Par une demande attribuée au tribunal administratif de Lyon par une ordonnance du président de la section du contentieux du Conseil d'Etat du 12 juin 2019, M. C... D... a demandé l'annulation de la décision du 6 décembre 2018 par laquelle la commission départementale de l'Isère a prononcé sa radiation de la liste d'aptitude aux fonctions de commissaire-enquêteur ; d'enjoindre à cette commission de le réinscrire sur la liste des commissaires-enquêteurs dans un délai de quinze jours, sous astreinte de 300

euros par jour de retard ; de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 00...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

Par une demande attribuée au tribunal administratif de Lyon par une ordonnance du président de la section du contentieux du Conseil d'Etat du 12 juin 2019, M. C... D... a demandé l'annulation de la décision du 6 décembre 2018 par laquelle la commission départementale de l'Isère a prononcé sa radiation de la liste d'aptitude aux fonctions de commissaire-enquêteur ; d'enjoindre à cette commission de le réinscrire sur la liste des commissaires-enquêteurs dans un délai de quinze jours, sous astreinte de 300 euros par jour de retard ; de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1904890 du 3 novembre 2020, le tribunal administratif de Lyon a rejeté cette demande.

Procédure devant la cour

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 23 décembre 2020 et 30 septembre 2021, M. D..., représenté par Me Chareyre, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Lyon du 3 novembre 2020 ;

2°) d'annuler la décision du 6 décembre 2018, formalisée le 21 décembre 2018, par laquelle la commission départementale de l'Isère chargée d'établir la liste d'aptitude aux fonctions de commissaire enquêteur a prononcé sa radiation ;

3°) d'enjoindre à la commission départementale de l'Isère chargée d'établir la liste d'aptitude aux fonctions de commissaire enquêteur de le réinscrire sur cette liste dans un délai de 15 jours à compter de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 300 euros par jour de retard ;

4°) de mettre une somme de 3 000 euros à la charge de l'Etat au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- c'est à tort que le tribunal a procédé à une substitution de motifs : la substitution de motifs n'a pas été sollicitée par l'auteur de la décision attaquée ; le tribunal a dénaturé les faits en estimant qu'un motif tiré du manquement d'objectivité était invoqué par le préfet ; il doit ainsi être regardé comme ayant procédé d'office, donc irrégulièrement, à une substitution de motifs ; le manque de " réserve, de courtoisie, de sérénité et de considération ", obligations tirées du code de déontologie, ne pouvait légalement justifier la radiation ; les faits retenus par le tribunal pour procéder à la substitution de motif ne peuvent en aucun cas caractériser un manque d'objectivité ; en toute hypothèse, la commission n'aurait pas pris la même décision si elle s'était fondée sur le seul motif tiré du comportement inadapté vis-à-vis des services de l'Etat ;

- c'est à tort que le tribunal a écarté le moyen tiré du défaut d'impartialité de la commission départementale de l'Isère ; l'applicabilité des stipulations de l'article 6 § 1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dépend uniquement de la satisfaction d'un critère matériel, tiré de l'objet de la contestation ; une sanction emportant l'interdiction d'une activité professionnelle doit être considérée comme portant atteinte à " un droit de caractère civil " au sens de l'article 6 § 1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; le critère organique est quoi qu'il en soit satisfait, s'agissant d'une autorité administrative qui est investie d'un pouvoir de sanction, statue au terme d'une procédure collégiale et présente un certain degré d'indépendance ;

- c'est à tort que le tribunal a écarté le moyen tiré de la méconnaissance du principe d'impartialité tel qu'il résulte du droit interne ; en premier lieu, eu égard à la composition de la commission : d'une part, la commission a irrégulièrement cumulé les fonctions de poursuite et de jugement puisque le préfet de l'Isère a disposé d'une voix délibérative au sein de l'autorité de sanction ; le préfet de l'Isère a sollicité sa radiation sur la demande de M. F... B..., qui disposait également d'une voix délibérative en sa qualité de représentant du conseil départemental de l'Isère ; d'autre part, le principe d'impartialité faisait obstacle à ce que siège M. E... A..., lequel préside la société publique locale Isère Aménagement qui avait saisi le tribunal administratif de Grenoble d'un litige relatif au montant des frais et vacations alloué en raison de ses fonctions de président de la commission d'enquête ; enfin, alors que le principe d'impartialité interdit l'existence de rapports hiérarchiques entre les membres de l'organe de décision, siégeaient à la commission qui a prononcé sa radiation trois représentants de l'Etat sur lesquels le préfet de l'Isère, qui était l'autorité de poursuite, a l'autorité hiérarchique directe et le directeur de CAUE de l'Isère, dont le président est M. E... A... ; en deuxième lieu, l'affaire a donné lieu à un pré-jugement ; en troisième lieu, M. E... A... et le secrétaire général de la préfecture de l'Isère ont manifesté une animosité personnelle à son encontre ;

- c'est à tort que le tribunal a considéré que la sanction n'était pas disproportionnée ; dans l'hypothèse même où le motif tiré du comportement inadapté vis-à-vis des services de l'Etat pourrait fonder la décision, les faits qui le sous-tendent, qui n'ont donné lieu à aucune remarque ni aucun reproche du préfet de l'Isère et de ses services, ne pourraient justifier une radiation ;

- la décision de radiation méconnaît l'article 8 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen : les courriels sur lesquels s'est fondé le tribunal pour procéder à la substitution de motifs ont été dans leur ensemble élaborés de manière collégiale par la commission d'enquête ce qui est contraire au principe de responsabilité personnelle ; en méconnaissance du principe d'individualisation des peines, la commission ne dispose pas d'une échelle de sanction et ne peut prononcer qu'une radiation.

Par un mémoire distinct, enregistré le 12 juillet 2021, M. D..., représenté par Me Chareyre, demande à la cour de transmettre au Conseil d'Etat, aux fins de renvoi au Conseil constitutionnel, la question prioritaire de constitutionnalité portant sur la contrariété du premier alinéa de l'article L. 123-4 du code de l'environnement aux principes constitutionnels d'impartialité et d'indépendance découlant de l'article 16 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen et aux principes de proportionnalité et d'individualisation des peines découlant de l'article 8 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen.

Il soutient que :

- le texte contesté est applicable au litige ;

- il n'a pas déjà été déclaré conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel ;

- la question n'est pas dépourvue de caractère sérieux : l'article L. 123-4 du code de l'environnement ne prévoit pas les garanties appropriées de nature à satisfaire au principe constitutionnel d'indépendance ; ni le premier alinéa de l'article L. 123-4 du code de l'environnement, ni aucune autre disposition ne font obstacle à ce que, d'une part, des membres intéressés au projet dans le cadre duquel ont eu lieu les faits reprochés au commissaire-enquêteur siègent au sein de la commission de radiation, d'autre part, l'autorité de poursuite siège au sein de l'autorité de sanction ; le premier alinéa de l'article L. 123-4 du code de l'environnement prévoit une seule et unique sanction, la radiation, qui ne peut être ni adaptée ni modulée.

La ministre de la transition écologique et solidaire à laquelle la requête a été communiquée et qui a été mise en demeure de produire en application de l'article R. 612-3 du code de justice administrative, n'a pas présenté d'observations.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution du 4 octobre 1958 ;

- la déclaration des droits de l'homme et du citoyen ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;

- le code de l'environnement ;

- le code de justice administrative.

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Bénédicte Lordonné, première conseillère ;

- les conclusions de M. Samuel Deliancourt, rapporteur public ;

- et les observations de Me Chareyre pour M. D....

Considérant ce qui suit :

1. M. C... D... a demandé l'annulation de la décision du 6 décembre 2018 par laquelle la commission départementale de l'Isère a prononcé sa radiation de la liste d'aptitude aux fonctions de commissaire enquêteur. Il relève appel du jugement du 3 novembre 2020 par lequel le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande et, à l'occasion de cet appel, présente une question prioritaire de constitutionnalité.

Sur la question prioritaire de constitutionalité :

2. Aux termes de l'article 61-1 de la Constitution : " Lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'État ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé. / Une loi organique détermine les conditions d'application du présent article. ". Aux termes de l'article L. 771-1 du code de justice administrative : " La transmission par une juridiction administrative d'une question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'Etat obéit aux règles définies par les articles 23-1 à 23-3 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel. ". Aux termes de l'article 23-1 de cette ordonnance : " Devant les juridictions relevant du Conseil d'Etat ou de la Cour de cassation, le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est, à peine d'irrecevabilité, présenté dans un écrit distinct et motivé. Un tel moyen peut être soulevé pour la première fois en cause d'appel. Il ne peut être relevé d'office. (...) ". Aux termes de l'article 23-2 de cette loi organique : " La juridiction statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'Etat ou à la Cour de cassation. Il est procédé à cette transmission si les conditions suivantes sont remplies : / 1° La disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites ; / 2° Elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances ; / 3° La question n'est pas dépourvue de caractère sérieux. (...) ".

3. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 123-4 du code de l'environnement : " Dans chaque département, une commission présidée par le président du tribunal administratif ou le conseiller qu'il délègue établit une liste d'aptitude des commissaires enquêteurs. Cette liste est rendue publique et fait l'objet d'au moins une révision annuelle. Peut être radié de cette liste tout commissaire enquêteur ayant manqué aux obligations définies à l'article L. 123-15 ".

4. M. D... soutient que le premier alinéa de l'article L. 123-4 du code de l'environnement porte atteinte aux principes constitutionnels d'impartialité et d'indépendance découlant de l'article 16 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen et aux principes de proportionnalité et d'individualisation des peines découlant de l'article 8 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen.

5. En premier lieu, le premier alinéa précité de l'article L. 123-4 du code de l'environnement est applicable au présent litige au sens et pour l'application des dispositions précitées de l'ordonnance du 7 novembre 1958.

6. En deuxième lieu, ces dispositions n'ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution par le Conseil constitutionnel dans les motifs et le dispositif d'une de ses décisions.

7. En troisième lieu, M. D... soutient que le premier alinéa de l'article L. 123-4 du code de l'environnement ne prévoit pas les garanties appropriées permettant de satisfaire aux principes d'impartialité et d'indépendance découlant de l'article 16 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789. Ce moyen pose une question qui n'est pas dépourvue de caractère sérieux.

8. En quatrième lieu, M. D... soutient que le premier alinéa de l'article L. 123-4 du code de l'environnement en tant qu'il ne prévoit que l'unique sanction la plus grave de la radiation, est contraire aux principes de proportionnalité et d'individualisation des peines découlant de l'article 8 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789. Ce moyen pose une question qui n'est pas dépourvue de caractère sérieux.

9. Il résulte de ce qui précède qu'il y a lieu de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité invoquée.

D E C I D E :

Article 1er : La question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions critiquées du premier alinéa précité de l'article L. 123-4 du code de l'environnement est transmise au Conseil d'Etat.

Article 2 : Il est sursis à statuer sur la requête de M. D... jusqu'à la réception de la décision du Conseil d'Etat ou, s'il a été saisi, jusqu'à ce que le Conseil constitutionnel ait tranché la question de constitutionnalité ainsi soulevée.

Article 3 : Tous droits et moyens des parties sur lesquels il n'a pas été expressément statué par le présent arrêt sont réservés jusqu'à la fin de l'instance.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... et à la ministre de la transition écologique et solidaire.

Délibéré après l'audience du 2 novembre 2021 à laquelle siégeaient :

M. Jean-Yves Tallec, président,

M. Gilles Fédi, président-assesseur,

Mme Bénédicte Lordonné, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 18 novembre 2021.

3

N° 20LY03779


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 20LY03779
Date de la décision : 18/11/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

54-10 Procédure.


Composition du Tribunal
Président : M. TALLEC
Rapporteur ?: Mme Bénédicte LORDONNE
Rapporteur public ?: M. DELIANCOURT
Avocat(s) : CHAREYRE

Origine de la décision
Date de l'import : 30/11/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2021-11-18;20ly03779 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award