Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
La société Pavimenti Speciali a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler la décision du 26 décembre 2018 par laquelle le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (Direccte) Auvergne - Rhône-Alpes lui a infligé des amendes de 59 400 euros, subsidiairement, d'en diminuer le montant.
Par jugement n° 1902884 lu le 15 septembre 2020, le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa requête.
Procédure devant la cour
Par une requête enregistrée le 2 novembre 2020, la société Pavimenti Speciali, représentée par Me Sevino, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement et la décision du 26 décembre 2018, subsidiairement, de diminuer le montant des amendes infligées ;
2°) de mettre à la charge de l'État le versement d'une somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la désignation de son représentant en France était complète et seule une production tardive de ce document peut lui être reprochée ; l'absence de désignation n'a pas eu d'influence en l'espèce ;
- l'amende infligée est disproportionnée quant aux faits reprochés alors qu'elle a fait preuve de bonne foi dans le cadre de la procédure ;
- s'agissant du manquement relatif à l'obligation de désignation du représentant de l'entreprise en France, elle a bien fourni la désignation par écrit de son représentant comportant les mentions de l'article R. 1263-2-1 du code du travail ; la seule absence de la mention concernant le lieu de conservation sur le territoire national et les modalités permettant d'y avoir accès n'a emporté aucun préjudice pour les salariés ou pour l'administration qui peut avoir connaissance des éléments d'informations utiles par la production même du document réclamé ;
- l'administration a méconnu les dispositions de l'article L. 8115-4 du code du travail et l'amende infligée est disproportionnée alors que le document a été transmis ;
- s'agissant du manquement à l'obligation de présenter sans délai à l'inspection du travail des documents traduits en français, l'amende prononcée est disproportionnée dès lors que la société a remis les documents traduits en langue française dès la demande de l'administration ;
- elle a fait preuve de bonne foi lors des opérations de contrôle ;
- à titre subsidiaire, le montant des amendes prononcées devra être réduit compte tenu des manquements reprochés et de son comportement.
Par mémoire enregistré le 16 juin 2021, la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion conclut au rejet de la requête en soutenant que les moyens invoqués ne sont pas fondés.
Par ordonnance du 17 juin 2021, la clôture de l'instruction a été fixée au 8 juillet 2021.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code du travail ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Burnichon, première conseillère ;
- les conclusions de M. Chassagne, rapporteur public ;
- et les observations de Me Benmani substituant Me Sevino pour la société Pavimenti Speciali.
Considérant ce qui suit :
1. La société Pavimenti Speciali, société italienne, est intervenue pour un chantier de réfection des sols de la surface de vente du magasin Décathlon Bron. Suite à un contrôle des services de l'inspection du travail réalisé le 11 novembre 2017, lui a été infligée, par une décision n°AA047/2018 du 26 décembre 2018 une première amende administrative liquidée au tarif unitaire de 1 500 euros pour manquement à son obligation de désignation du représentant de l'entreprise en France pour un montant total, eu égard au nombre de salariés détachés soit 22, de 33 000 euros. Cette même décision a prononcé à son encontre une autre amende d'un tarif unitaire de 1 200 euros par salarié détaché pour manquement à l'obligation de présentation sans délai à l'inspection du travail des documents obligatoires traduits en français emportant un montant total de 26 400 euros. La société Pavimenti Speciali relève appel du jugement lu le 15 septembre 2020 par lequel le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande tendant à l'annulation ou à la réduction de ces sanctions.
En ce qui concerne les obligations en matière de détachement de salariés en France :
2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 1264-1 du code du travail : " La méconnaissance par l'employeur qui détache un ou plusieurs salariés d'une des obligations mentionnées à l'article L. 1262-2-1 est passible d'une amende administrative, dans les conditions prévues à l'article L. 1264-3 ". Aux termes de l'article L. 1262-2-1 du même code, dans sa rédaction alors en vigueur : " I. L'employeur qui détache un ou plusieurs salariés (...) adresse une déclaration, préalablement au détachement, à l'inspection du travail du lieu où débute la prestation. II. L'employeur (...) désigne un représentant de l'entreprise sur le territoire national, chargé d'assurer la liaison avec les agents mentionnés à l'article L. 8271-1-2 [l'inspection du travail] pendant la durée de la prestation (...)". Aux termes de l'article R. 1263-2-1 du même code, dans sa rédaction alors en vigueur : " Le représentant de l'entreprise sur le territoire national mentionné au II de l'article L. 1262-2-1 accomplit au nom de l'employeur les obligations qui lui incombent en application de l'article R.1263-1. / La désignation de ce représentant est effectuée par écrit par l'employeur. Elle comporte les nom, prénoms, date et lieu de naissance, adresse électronique et postale en France, le cas échéant la raison sociale, ainsi que les coordonnées téléphoniques du représentant. Elle indique l'acceptation par l'intéressé de sa désignation ainsi que la date d'effet et la durée de la désignation, qui ne peut excéder la période de détachement. / Elle est traduite en langue française. / Elle indique pour les documents prévus à l'article R. 1263-1 soit le lieu de conservation sur le territoire national, soit les modalités permettant d'y avoir accès et de les consulter depuis le territoire national. ".
3. Il résulte de l'instruction, particulièrement des constatations réalisées lors du contrôle sur site, le 11 novembre 2017, que pour répondre à la demande de communication des pièces de désignation de son représentant en France, la société Pavimenti Speciali a communiqué à l'agent de contrôle un document portant désignation d'un mandataire " en matière de taxe sur la valeur ajoutée intervenant exclusivement en directive 2006/112/CE du 28 novembre 2006 " à durée indéterminée ayant pris effet au 29 février 2016 alors que la prestation a débuté le 8 septembre 2017. L'objet et de la date d'effet de ce document font obstacle à ce qu'il puisse être regardé comme constitutif de la désignation d'un représentant unique au sens des dispositions citées au point 2. La circonstance que suite à deux demandes expresses de l'inspection du travail et un déplacement sur site, la société Pavimenti Speciali a produit, le 15 novembre 2017, une désignation d'un représentant unique datée du 16 novembre 2017, postérieure à la réalisation du chantier, et qui ne comprenait toujours pas, en méconnaissance de l'article R. 1263-2-1 du code du travail, soit les indications relatives au lieu de conservation des documents sur le territoire national soit les modalités permettant d'y avoir accès et la possibilité de les consulter depuis le territoire national, ne peut avoir d'incidence sur le principe de l'amende administrative en litige qui, ainsi que le prévoient les dispositions précitées, repose sur le manquement constaté dès le début de la prestation.
4. En deuxième lieu, les dispositions de l'article L. 8115-4 du code du travail, dans sa rédaction alors en vigueur, faisant obligation à l'autorité administrative de moduler le tarif unitaire de l'amende en fonction du comportement de l'auteur du manquement, de ses ressources et de ses charges s'appliquent aux sanctions relatives à la méconnaissance de la durée du travail, des temps de repos, de la détermination du salaire minimum de croissance, des règles d'hygiène, de restauration et d'hébergement. Elles ne peuvent dès lors être utilement invoquées par la société appelante, sanctionnée pour un manquement étranger à l'une de ces normes.
5. En dernier lieu, aux termes de l'article L. 1264-3 du code du travail dans sa rédaction en vigueur lors du contrôle : " (...) / (...)Le montant de l'amende est d'au plus 2 000 € par salarié détaché et d'au plus 4 000 € en cas de réitération dans un délai d'un an à compter du jour de la notification de la première amende. Le montant total de l'amende ne peut être supérieur à 500 000 €. / Pour fixer le montant de l'amende, l'autorité administrative prend en compte les circonstances et la gravité du manquement, le comportement de son auteur ainsi que ses ressources et ses charges (....) ".
6. Contrairement à ce qu'elle soutient, la société Pavimenti Speciali a, lors des opérations de contrôle, tout d'abord présenté à l'inspection une désignation d'un représentant qui ne concernait pas le détachement des salariés. Ce n'est qu'après plusieurs demandes de l'inspection du travail qu'elle a produit une désignation de son représentant au titre du détachement de ses salariés, désignation incomplète et postérieure à l'exécution du chantier. Ces manquements ont été de nature, par leur importance, à entraver l'efficacité du contrôle. Compte tenu de la nature et de la gravité des manquements ainsi relevés et alors que la société Pavimenti Speciali n'apporte aucun élément quant à ses ressources et ses charges, et en l'absence de circonstances particulières quant à sa situation financière, l'administration, qui a pris en compte les critères prévus par l'article L.1264-3 du code de travail, n'a pas entaché sa sanction de disproportion en fixant à 1 500 euros par salarié le taux de l'amende à infliger.
En ce qui concerne les obligations de l'entreprise lors des opérations de contrôle :
7. Aux termes de l'article L. 1263-7 du code du travail : " L'employeur détachant temporairement des salariés sur le territoire national, ou son représentant mentionné au II de l'article L. 1262-2-1, présente sur le lieu de réalisation de la prestation à l'inspection du travail des documents traduits en langue française permettant de vérifier le respect des dispositions du présent titre. ". Aux termes de l'article R. 1263-1 du même code, dans sa rédaction applicable : " I.- L'employeur établi hors de France conserve sur le lieu de travail du salarié détaché sur le territoire national ou (...) dans tout autre lieu accessible à son représentant (...) et présente sans délai, à la demande de l'inspection du travail du lieu où est accomplie la prestation, les documents mentionnés au présent article. II.- Les documents requis aux fins de vérifier les informations relatives aux salariés détachés sont les suivants : 1° (...) l'autorisation de travail (...) 2° Le cas échéant, le document attestant d'un examen médical (...) 3° Lorsque la durée du détachement est supérieure ou égale à un mois, les bulletins de paie de chaque salarié détaché ou tout document équivalent attestant de la rémunération (...) III.- Les documents requis aux fins de s'assurer de l'exercice d'une activité réelle et substantielle de cet employeur dans son pays d'établissement sont les suivants : (...) 2° Lorsqu'il fait l'objet d'un écrit, le contrat de travail ou tout document équivalent attestant notamment du lieu de recrutement du salarié (...) 4° Tout document attestant du nombre de contrats exécutés et du montant du chiffre d'affaires réalisé par l'employeur dans son pays d'établissement et sur le territoire national ". Aux termes de l'article R. 1263-2 du même code : " Les documents mentionnés à l'article R. 1263-1 sont traduits en langue française (...) ".
8. En premier lieu, il résulte du rapport de contrôle que l'inspecteur du travail a sollicité le 13 novembre 2017, la communication de différents documents mentionnés à l'article L. 1263-1 du code du travail. En l'absence de présentation de ces pièces, l'inspecteur a sollicité une deuxième fois l'entreprise afin d'obtenir cette communication, laquelle lui a répondu qu'elle transmettrait les documents demandés au maximum le 24 novembre 2017 et le 15 décembre pour les bulletins de paie, nécessitant une nouvelle demande de l'agent de contrôle à laquelle il a été répondu par la transmission d'un lien de téléchargement le 14 novembre 2017. Toutefois, l'examen des documents produits a démontré l'absence de relevés d'heures d'octobre 2017 au 11 novembre 2017 pour l'ensemble des salariés détachés et ceux concernant un salarié pour la période de septembre 2017 au 11 novembre 2017, l'absence de document attestant du nombre de contrats exécutés et du montant du chiffre d'affaires réalisé par la société en Italie et en France en 2016 et du 1er janvier au 31 octobre 2017 et l'absence de traduction en français des fiches médicales et de différentes rubriques des bulletins de salaires. Malgré une dernière demande de l'inspection du travail aucune pièce n'a été communiquée alors, et ainsi que le fait valoir la ministre en défense, les documents demandés et notamment le nombre de contrats exécutés et le montant du chiffre d'affaires réalisé par l'entreprise en Italie et en France sont indispensables au contrôle de la régularité du détachement dès lors qu'ils permettent de vérifier que l'entreprise a bien une activité habituelle, réelle et continue à l'étranger. Compte tenu de ces éléments, la société Pavimenti Spéciali n'est pas fondée à soutenir que le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi Auvergne-Rhône-Alpes ne pouvait pas lui infliger une amende consécutivement au manquement à l'obligation de présentation sans délai des documents obligatoires mentionnés aux articles L.1263-7 et R.1263-1 du code du travail.
9. En second lieu, compte tenu du comportement de la société lors des opérations de contrôle, qui a, malgré plusieurs demandes de l'inspection du travail, refusé de produire les documents exigés par les dispositions précitées du code du travail, et alors que cette dernière, qui se borne à invoquer sa bonne foi, n'apporte aucun élément quant à ses ressources et ses charges, elle n'est pas fondée à soutenir que l'amende liquidée au tarif unitaire de 1 200 euros pour ce manquement est disproportionnée, ni à solliciter la réduction de l'amende en litige.
10. Il résulte de ce qui précède que la société Pavimenti Speciali n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, le tribunal a rejeté ses conclusions tendant à l'annulation ou, à titre subsidiaire, la réformation de la décision du 26 décembre 2018 par laquelle le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi Auvergne-Rhône-Alpes a prononcé à son encontre des amendes pour un montant total de 59 400 euros.
Sur les frais du litige :
11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que l'État, qui n'a pas la qualité de partie perdante dans la présente instance, verse une somme à la société Pavimenti Speciali au titre des frais liés au litige.
DECIDE:
Article 1er : La requête de la société Pavimenti Speciali est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société Pavimenti Speciali et à la ministre du travail de l'emploi et de l'insertion.
Délibéré après l'audience du 21 octobre 2021 à laquelle siégeaient :
M. Arbarétaz, président de chambre,
M. Seillet, président assesseur,
Mme Burnichon, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 18 novembre 2021.
N° 20LY03177