Vu la procédure suivante :
Par une requête et un mémoire enregistrés les 19 décembre 2019 et 22 décembre 2020, la société Parc Éolien d'Argenteuil, représentée par Me Gelas, demande à la cour :
1°) d'annuler l'arrêté n° PREF-SAPPIE-BE-2019-0523 du 21 octobre 2019 par lequel le préfet de l'Yonne a rejeté sa demande d'autorisation d'exploiter un parc éolien composé de sept éoliennes et un poste de livraison sur le territoire de la commune d'Argenteuil-sur-Armançon ;
2°) de lui délivrer l'autorisation en l'assortissant, le cas échéant, des prescriptions nécessaires à la préservation des intérêts mentionnés à l'article L. 511-1 du code de l'environnement, à titre subsidiaire, d'enjoindre au préfet de l'Yonne, dans le délai d'un mois et sous astreinte de 500 euros par jour de retard, de lui délivrer ladite l'autorisation, à défaut de statuer de nouveau ;
3°) d'ordonner, en application de l'article L. 741-2 du code de justice administrative, la suppression des mentions injurieuses, outrageantes ou diffamatoires du mémoire en intervention enregistré le 27 novembre 2020 ;
4°) de mettre à la charge de l'État le versement de la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la requête en intervention est irrecevable en l'absence d'intérêt à intervenir ;
- le préfet de l'Yonne s'est estimé lié par les avis défavorables émis lors de l'enquête publique ;
- le préfet ne pouvait pas fonder le refus d'autorisation en litige sur une prétendue contestation sociale, laquelle ne concerne pas le projet en cause ;
- aucune atteinte aux paysages ne peut être retenue, la seule existence de visibilité ou de co-visibilité n'étant pas de nature à justifier une décision de refus ; le site d'implantation du projet ne présente pas d'intérêt particulier et le projet ne porte pas atteinte à l'intérêt des lieux avoisinants ; aucun effet de saturation ne peut être retenu au regard de parcs existants ou autorisés situés à plus de vingt kilomètres ; il n'est pas justifié de la nécessité des mesures ni de la raison pour laquelle l'adoption de telles mesures ne permettrait pas de prévenir les dangers ou inconvénients allégués.
Par mémoires enregistrés les 2 mars et 27 novembre 2020, l'association Paysages et Forêts de l'Armaçon (APFA 89), ayant pour avocat Me Echezar, intervient volontairement au soutien des conclusions présentées en défense par l'État.
Par mémoire enregistré le 30 novembre 2020, la ministre de la transition écologique conclut au rejet de la requête de la société Parc Éolien d'Argenteuil en soutenant qu'aucun des moyens invoqués n'est fondé.
Par une ordonnance du 1er décembre 2020, la clôture de l'instruction a été fixée au 30 décembre 2020.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de l'environnement ;
- le code de l'urbanisme ;
- l'ordonnance n° 2014-355 du 20 mars 2014 ;
- l'ordonnance n° 2017-80 du 26 janvier 2017 ;
- le décret n° 2014-450 du 2 mai 2014 ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Burnichon, première conseillère,
- les conclusions de M. Chassagne, rapporteur public,
- et les observations de Me Boudrot substituant Me Gelas, pour la société Parc Éolien d'Argenteuil, et de Me Echezar pour l'association Paysages et Forêts de l'Armaçon ;
Considérant ce qui suit :
Sur l'intervention de l'association Paysages et Forêts de l'Armaçon :
1. Compte tenu de son objet qui est " sur le territoire des communes de (...) Argenteuil, la préservation de l'environnement, notamment de la flore et de la faune, des paysages et du patrimoine culturel, du cadre de vie, de la santé et de la sécurité des hommes, contre toutes les atteintes qui pourraient lui être portées, notamment par l'implantation d'éoliennes et des équipements qui leur sont liés ", l'association Paysages et Forêts de l'Armaçon dispose d'un intérêt suffisant au maintien de l'arrêté en litige. En conséquence, son intervention doit être admise.
Sur la légalité de l'arrêté du 21 octobre 2019 :
2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 181-3 du code de l'environnement, dans sa rédaction applicable au litige : " I. - L'autorisation environnementale ne peut être accordée que si les mesures qu'elle comporte assurent la prévention des dangers ou inconvénients pour les intérêts mentionnés aux articles L. 211-1 et L. 511-1, selon les cas ". Aux termes de l'article L. 511-1 du même code : " Sont soumis aux dispositions du présent titre (...) les installations exploitées ou détenues par toute personne (...) qui peuvent présenter des dangers ou des inconvénients soit pour la commodité du voisinage, soit pour la santé, la sécurité, la salubrité publiques, soit pour l'agriculture, soit pour la protection de la nature, de l'environnement et des paysages, soit pour l'utilisation rationnelle de l'énergie, soit pour la conservation des sites et des monuments ainsi que des éléments du patrimoine archéologique ". Enfin, aux termes de l'article L. 512-1 du même code : " Sont soumises à autorisation préfectorale les installations qui présentent de graves dangers ou inconvénients pour les intérêts visés à l'article L. 511-1. / L'autorisation ne peut être accordée que si ces dangers ou inconvénients peuvent être prévenus par des mesures que spécifie l'arrêté préfectoral (...) ".
3. Il résulte de l'instruction que pour rejeter la demande d'autorisation sollicitée, le préfet de l'Yonne s'est notamment fondé sur la circonstance que lors de l'enquête publique, " les avis exprimés sont très majoritairement défavorables au projet " et que " le commissaire enquêteur a émis un avis défavorable, principalement justifié par le fait que les inconvénients identifiés, notamment la contestation sociale, l'emportent nettement sur les avantages ". Toutefois, ce motif, à le supposer matériellement établi, ne se rattache à aucun des intérêts mentionnés par les dispositions précitées de l'article L. 511-1 du code de l'environnement et est dès lors insusceptible de fonder le rejet d'une demande d'autorisation de construire et d'exploiter un parc éolien.
4. En deuxième lieu, l'ordonnance susvisée du 20 mars 2014 relative à l'expérimentation d'une autorisation unique en matière d'installations classées pour la protection de l'environnement a prévu qu'à titre expérimental et pour une durée de trois ans, plusieurs types de projets, notamment les projets d'installations de production d'électricité utilisant l'énergie mécanique du vent soumises à l'autorisation au titre des dispositions de l'article L. 512-1 du code de l'environnement, sont autorisés par un arrêté préfectoral unique, dénommé " autorisation unique ". Elle vaut autorisation au titre de l'article L. 512-1 du code de l'environnement et, le cas échéant, notamment permis de construire au titre de l'article L. 421-1 du code de l'urbanisme et autorisation d'exploiter au titre de l'article L. 311-1 du code de l'énergie.
5. Les dispositions de l'ordonnance susvisée du 26 janvier 2017, codifiées aux articles L. 181-1 et suivants du code de l'environnement, instituent une autorisation environnementale dont l'objet est de permettre qu'une décision unique tienne lieu de plusieurs décisions auparavant distinctes dans les conditions qu'elles précisent.
6. L'article 2 de l'ordonnance du 20 mars 2014 dispose que l'autorisation unique vaut permis de construire au titre de l'article L. 421-1 du code de l'urbanisme. En revanche, il résulte des dispositions de l'article L. 181-2 du code de l'environnement, issu de l'article 1er de l'ordonnance du 26 janvier 2017, que l'autorisation environnementale, contrairement à l'autorisation unique, ne tient pas lieu du permis de construire le cas échéant requis. Il en résulte que l'autorisation unique, alors même qu'elle doit être regardée comme une autorisation environnementale depuis le 1er mars 2017, continue également à produire ses effets en tant qu'elle vaut permis de construire. Le juge, saisi de moyens dirigés contre l'autorisation unique en tant qu'elle vaut permis de construire, statue alors comme juge de l'excès de pouvoir sur cette partie de l'autorisation.
7. Aux termes de l'article R. 111-27 du code de l'urbanisme : " Le projet peut être refusé ou n'être accepté que sous réserve de l'observation de prescriptions spéciales si les constructions, par leur situation, leur architecture, leurs dimensions ou l'aspect extérieur des bâtiments ou ouvrages à édifier ou à modifier, sont de nature à porter atteinte au caractère ou à l'intérêt des lieux avoisinants, aux sites, aux paysages naturels ou urbains ainsi qu'à la conservation des perspectives monumentales ". Il résulte de ces dispositions que, si les constructions projetées portent atteinte aux paysages naturels avoisinants, l'autorité administrative compétente peut refuser de délivrer le permis de construire sollicité ou l'assortir de prescriptions spéciales. Pour rechercher l'existence d'une atteinte à un paysage naturel de nature à fonder le refus de permis de construire ou les prescriptions spéciales accompagnant la délivrance de ce permis, il lui appartient d'apprécier, dans un premier temps, la qualité du site naturel sur lequel la construction est projetée et d'évaluer, dans un second temps, l'impact que cette construction, compte tenu de sa nature et de ses effets, pourrait avoir sur le site. Les dispositions de cet article excluent qu'il soit procédé dans le second temps du raisonnement, pour apprécier la légalité des permis de construire délivrés, à une balance d'intérêts divers en présence, autres que ceux visés à l'article R.111-27 précité.
8. L'arrêté en litige refuse la délivrance de l'autorisation d'implanter sept aérogénérateurs d'une hauteur de 180 mètres en bout de pale au motif que le projet emporterait une saturation du paysage compte tenu de la présence de plus de cent aérogénérateurs dans un rayon de vingt kilomètres et porterait atteinte au château d'Ancy-le-Franc, monument classé.
9. Il ressort des pièces du dossier que si le projet en litige est prévu au sein d'une zone de sensibilité de niveau 2 (niveau intermédiaire), zone d'attention patrimoniale définie autour de quatre sites emblématiques notamment la vallée de l'Armançon et le château d'Ancy-le-Franc situé à environ cinq kilomètres, le site d'implantation retenu se situe sur le plateau des Noyers, est bordé par les vallées de l'Armançon et du Serein et est composé d'une succession de grandes parcelles ouvertes de cultures céréalières ponctuées de boisements comprenant un habitat réparti en bourgs et fermes isolées. Compte tenu de ces éléments, le lieu d'implantation des éoliennes en litige ne dispose pas, dans l'aire d'étude immédiate, d'intérêt particulier.
10. Si de nombreux aérogénérateurs sont implantés dans un rayon de vingt kilomètres qui provoqueraient un effet barrière pour les bourgs de Moulins-en-Tonnerrois, Passilly, Sambourg et Ancy-le-Franc, l'étude d'impact produite au dossier précise l'absence d'autres parcs dans le périmètre immédiat de la zone d'implantation, la présence, dans le périmètre rapproché à environ deux kilomètres et demi, de deux parcs éoliens comprenant seulement seize éoliennes autorisées ou en cours d'instruction. Si trois autres parcs autorisés ou en cours d'instruction ont été répertoriés dans le périmètre intermédiaire et six parcs dans le périmètre éloigné, correspondant respectivement à des zones d'un rayon de dix et vingt kilomètres autour de l'aire d'implantation envisagée, le projet en litige entend s'inscrire dans le prolongement du parc de Moulins-en-Tonnerrois et la vue de ses éoliennes sera limitée depuis certains centres de villages compte tenu de la distance des parcs éoliens autorisés ou en cours d'instruction, des ondulations du relief et de la végétation et de l'influence du bâti s'agissant des vues depuis les bourgs de Moulins-en-Tonnerrois et d'Ancy-le-Franc. Il suit de là que la société requérante est fondée à soutenir que c'est à tort que le préfet de l'Yonne a refusé de lui délivrer l'autorisation unique sollicitée au regard de la saturation du paysage par d'autres projets de parcs éoliens.
11. Enfin, si le projet sera perceptible depuis certains points d'observation du parc et du château d'Ancy-le-Franc, distant d'environ cinq kilomètres, le critère de co-visibilité ne peut être invoqué pour caractériser, à lui seul, une atteinte contraire à l'article R. 111-27 du code de l'urbanisme qui prolongerait, hors du périmètre de protection de ces monuments, la servitude d'utilité publique instituée par l'article L. 621-31 du code du patrimoine. Par ailleurs, si l'étude d'impact précise que l'impact visuel du projet sera très limité en l'absence de visibilité depuis la grille ainsi que depuis le chemin entre la grille et la porte du château, la circonstance que les pales de deux éoliennes seront visibles entre la fontaine et le château sur la droite de ce dernier avec un impact limité, compte tenu de leur éloignement et des frondaisons du parc, n'est pas de nature à constituer une atteinte contraire aux dispositions précitées de l'article L. 511-1 du code de l'environnement.
12. Il résulte de ce qui précède que la société Parc Éolien d'Argenteuil est fondée à soutenir que le préfet de l'Yonne ne pouvait, sans méconnaître les dispositions précitées, refuser de délivrer l'autorisation unique sollicitée et que l'arrêté litigieux du 21 octobre 2019 doit être annulé.
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 741-2 du code de justice administrative :
13. Les assertions du mémoire de l'APFA 89 consistant à prêter au projet un but lucratif, ce qu'il vise effectivement dans le cadre de la légalité, et à dénoncer les atteintes à l'environnement qu'il porterait, ce qu'il est légitime de demander au juge d'examiner, ne peuvent être regardées comme injurieuses ou diffamatoires. Il n'y a pas lieu, par suite, de faire droit à la demande de la société Parc Éolien d'Argenteuil présentée sur le fondement de l'article L. 741-2 du code de justice administrative tendant à ce que leur suppression soit ordonnée.
Sur les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte :
14. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public (...) prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution (...) ".
15. Il ne résulte pas de l'instruction, et il n'est pas soutenu en défense, qu'une autre atteinte serait portée aux intérêts protégés par l'article L. 511-1 du code de l'environnement, dans des conditions qui feraient obstacle à l'implantation du parc éolien. En revanche, si le juge du plein contentieux peut délivrer l'autorisation, celle-ci ne pourrait être mise en œuvre qu'avec les prescriptions qu'appelleraient, le cas échéant, les avis recueillis par le service instructeur. Il suit de là que les conclusions en délivrance d'autorisation d'exploiter par la cour, présentées à titre principal, ne permettraient pas d'éviter qu'une injonction résiduelle soit adressée à l'administration. Ainsi, le présent arrêt implique nécessairement, au sens de l'article L. 911-1 précité, que le préfet de l'Yonne délivre l'autorisation d'exploiter sollicitée, le cas échéant, assortie des prescriptions indispensables à la protection des intérêts mentionnés par l'article L. 511-1 précité du code de l'environnement. Il y a lieu de lui impartir un délai de deux mois à compter de la notification de l'arrêt. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de prononcer d'astreinte.
Sur les frais du litige :
16. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DECIDE:
Article 1er : L'intervention de l'association Paysages et Forêts de l'Armaçon est admise.
Article 2 : L'arrêté n° PREF-SAPPIE-BE-2019-0523 du 21 octobre 2019 par lequel le préfet de l'Yonne a rejeté la demande présentée par la société Parc Éolien d'Argenteuil tendant à l'autorisation d'exploiter un parc éolien composé de sept éoliennes et un poste de livraison sur le territoire de la commune d'Argenteuil-sur-Armançon est annulé.
Article 3 : Il est enjoint au préfet de l'Yonne de délivrer à la société Parc Éolien d'Argenteuil une autorisation unique d'exploiter des installations de production d'électricité utilisant l'énergie mécanique du vent sur la commune d'Argenteuil-sur-Armançon, le cas échéant, assortie des prescriptions indispensables à la protection des intérêts mentionnés par l'article L. 511-1 précité du code de l'environnement, dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 4 : L'État versera à la société Parc Éolien d'Argenteuil la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à la société Parc Éolien d'Argenteuil, à la ministre de la transition écologique, au préfet de l'Yonne, et à l'association Paysages et Forêts de l'Armaçon.
Délibéré après l'audience du 21 octobre 2021 à laquelle siégeaient :
M. Arbarétaz, président de chambre,
M. Seillet, président assesseur,
Mme Burnichon, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 18 novembre 2021.
N° 19LY04659
ar