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21/07/2021 | FRANCE | N°19LY02909

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 4ème chambre, 21 juillet 2021, 19LY02909


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

La commune de Saint-Agrève a demandé au tribunal administratif de Lyon de condamner la société Cler Ingénierie à lui verser la somme de 168 696 euros en réparation du préjudice qu'elle a subi du fait des malfaçons affectant la chaufferie communale et de condamner in solidum la société Cler Ingénierie, la société Thermaflex et la société Cegelec à lui verser la somme totale de 572 192,73 euros en réparation des préjudices de toute nature qu'elle a subis du fait des malfaçons affectant le réseau d

e chaleur communal.

Par un jugement n° 1708538 du 13 juin 2019, le tribunal a enti...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

La commune de Saint-Agrève a demandé au tribunal administratif de Lyon de condamner la société Cler Ingénierie à lui verser la somme de 168 696 euros en réparation du préjudice qu'elle a subi du fait des malfaçons affectant la chaufferie communale et de condamner in solidum la société Cler Ingénierie, la société Thermaflex et la société Cegelec à lui verser la somme totale de 572 192,73 euros en réparation des préjudices de toute nature qu'elle a subis du fait des malfaçons affectant le réseau de chaleur communal.

Par un jugement n° 1708538 du 13 juin 2019, le tribunal a entièrement fait droit à sa demande relative à la réparation du préjudice subi du fait des malfaçons affectant la chaufferie communale en condamnant la société Cler Ingénierie à lui verser la somme de 168 696 euros et a partiellement fait droit à sa demande relative à la réparation des préjudices de toute nature subis du fait des malfaçons affectant le réseau de chaleur communal en condamnant in solidum la société Cler Ingénierie, la société Cegelec et la société Thermaflex à lui verser la somme de 309 256,20 euros. Le tribunal a condamné la société Cegelec et la société Thermaflex à garantir la société Cler Ingénierie de cette dernière condamnation à hauteur, respectivement, de 40 % et 20 %.

Procédures devant la cour

I- Par une requête et un mémoire enregistrés sous le n° 19LY02909 le 25 juillet 2019 et le 24 juin 2021, ce dernier non communiqué, la société Cler Ingénierie, représentée par la SCP Reffay et associés, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement en tant qu'il l'a condamnée à verser ces sommes à la commune et qu'il a rejeté ses conclusions reconventionnelles tendant au règlement du solde du marché ;

2°) à titre principal, de rejeter la demande de la commune de Saint-Agrève et de prononcer la réception judiciaire des travaux à compter du 27 juin 2014 ;

3°) à titre subsidiaire, de condamner la société Sallée à la garantir entièrement des condamnations prononcées à son encontre au titre des préjudices liés à la chaudière en bois et les sociétés Cegelec Réseaux Centre Est et Thermaflex à la garantir intégralement et in solidum au titre des préjudices liés au réseau de distribution ;

4°) à titre reconventionnel, de condamner la commune de Saint-Agrève à lui verser la somme de 11 660,28 euros TTC au titre du règlement du solde de son marché ;

5°) de mettre à la charge de la commune de Saint-Agrève les frais d'expertise ;

6°) de mettre à la charge de la commune de Saint-Agrève, ou de toute autre partie, la somme de 10 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les conclusions d'appel la société Thermaflex sont tardives ;

- la commune ne démontre pas la réalité du dommage qu'elle affirme subir à raison du dimensionnement de la chaudière en bois ;

- la commune ne démontre pas l'existence d'un manquement qui lui serait imputable et en lien avec ce dommage ;

- la cour doit prononcer la réception des travaux ;

- les conditions d'exploitation de la chaudière par un personnel non formé sont à l'origine des éventuels dysfonctionnements ;

- rien ne justifie le remplacement complet de la chaudière, qui constitue une amélioration de l'ouvrage au regard des prescriptions contractuelles, par une autre de puissance supérieure ;

- la commune ne peut réclamer à la fois une indemnisation pour perte de subvention et le coût de remplacement de la chaudière ;

- la commune n'a subi aucun préjudice de surconsommation ;

- la société Sallée, en charge de la réalisation des travaux, à laquelle incombaient notamment l'effectivité et la conformité des réglages et de la mise au point de l'installation et en charge d'un devoir de conseil, doit la garantir intégralement des éventuelles condamnations prononcées à son encontre à ce titre ;

- la commune n'établit l'existence d'aucun dysfonctionnement du réseau de distribution ;

- elle n'a commis aucune faute sur ce réseau ;

- les sociétés Cegelec Réseaux Centre Est et Thermaflex doivent la garantir intégralement des éventuelles condamnations prononcées à son encontre au titre du réseau de distribution ;

- rien ne justifie le défaut de règlement des factures n° 1407020 et 1502017 d'un montant de 11 660,28 euros correspondant au solde du marché.

Par un mémoire en défense, enregistré le 11 septembre 2019, la société Sallée, représentée par la SELARL Retex avocats, conclut au rejet de l'appel en garantie formé par la société Cler Ingénierie à son encontre et demande à la cour de mettre à la charge de cette dernière une somme de 1 500 euros pour l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- la requête de la société Cler Ingénierie, qui n'a apporté aucune précision quant aux raisons pour lesquelles le jugement attaqué devrait être annulé, est irrecevable ;

- elle n'est responsable d'aucun défaut d'exécution des travaux.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 14 février 2020, le 19 février 2020, le 20 novembre 2020, le 16 juin 2021 et le 18 juin 2021, la commune de Saint-Agrève, représentée par la SELARL Cabinet Champauzac, avocats, conclut au rejet de la requête et des conclusions de la société Thermaflex et demande à la cour, par la voie de l'appel incident :

1°) de réformer le jugement ;

2°) de condamner les sociétés Cler Ingénierie et Cegelec à lui verser les sommes de 44 974,95 euros au titre de la perte du bénéfice des subventions et 10 000 euros au titre de la surconsommation de fioul, assorties des intérêts au taux légal et de leur capitalisation ;

3°) de mettre à la charge des sociétés Cler Ingénierie et Cegelec une somme de 5 000 euros pour l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de les condamner solidairement à supporter les entiers dépens.

Elle fait valoir que :

- le mémoire en défense produit par la société Thermaflex le 29 janvier 2021, qui ne constitue ni un appel provoqué, ni un appel incident, est un appel principal tardif ;

- le juge administratif était compétent pour statuer sur sa demande de condamnation sur le fondement de la responsabilité quasi délictuelle de la société Thermaflex qui a participé à la conception de l'ouvrage ;

- les moyens présentés par la société Cler Ingénierie et la société Thermaflex ne sont pas fondés ;

- elle justifie de la réalité et du lien de causalité entre les préjudices que le tribunal a refusé d'indemniser et les fautes commises par les sociétés Cler Ingénierie et Cegelec.

Par des mémoires, enregistrés le 29 janvier 2021 et le 25 juin 2021, les deux mémoires enregistrés à cette date n'ayant pas été communiqués, la société Thermaflex France, représentée par la SELARL Ratheaux, avocats, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement en tant qu'il l'a condamnée in solidum avec les sociétés Cler Ingénierie et Cegelec à verser une somme à la commune de Saint-Agrève, qu'il l'a condamnée à garantir la société Cler Ingénierie d'une partie des condamnations prononcées à son encontre, qu'il a mis in solidum à sa charge et à la charge des sociétés Cler Ingénierie et Cegelec les frais d'expertise et qu'il l'a condamnée à verser 1 200 euros au titre des frais d'instance ;

2°) à titre principal, de rejeter les demandes des sociétés Cler Ingénierie et Cegelec et de la commune de Saint-Agrève ;

3°) à titre subsidiaire, rejeter la demande d'appel en garantie de la société Cler Ingénierie ;

4°) de mettre à la charge de la commune de Saint-Agrève, ou de toute autre partie, la somme de 10 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- sa demande est recevable ;

- la juridiction administrative n'est pas compétente pour statuer sur les demandes formées à son encontre par la commune de Saint-Agrève ;

- cette demande n'est pas fondée ;

- la juridiction administrative n'est pas compétente pour statuer sur l'appel en garantie de la société Cler Ingénierie ;

- cette demande n'est pas fondée.

Les parties ont été informées, par courrier en date du 10 juin 2021, conformément à l'article R. 611-7 du code de justice administrative de ce que l'arrêt de la cour était susceptible d'être fondé sur le moyen, relevé d'office, tiré de l'irrecevabilité des conclusions de la société Cler Ingénierie relatives à la réception judiciaire des travaux qui sont nouvelles en appel.

II- Par une requête et des mémoires enregistrés sous le n° 19LY03352, le 26 août 2019, le 8 avril 2020 et le 24 juin 2021, ce dernier mémoire n'ayant pas été communiqué, la société Cegelec Réseaux Auvergne Drôme Ardèche, venant aux droits de la société Cegelec Centre Est, représentée par la SELARL LLC et associés, avocats, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1708538 du 13 juin 2019 en tant qu'il l'a condamnée in solidum avec les sociétés Cler Ingénierie et Thermaflex à verser 309 256, 20 euros à la commune de Saint-Agrève, qu'il l'a condamnée à garantir la société Cler Ingénierie à hauteur de 40 % de cette somme, qu'il a mis in solidum à sa charge et à celle des sociétés Cler Ingénierie et Thermaflex les frais d'expertise et qu'il l'a condamnée à verser 1 200 euros au titre des frais d'instance ;

2°) de rejeter les demandes de la commune de Saint-Agrève dirigées contre elle ;

3°) de mettre in solidum à la charge de la commune de Saint-Agrève et des sociétés Cler Ingénierie et Thermaflex la somme de 4 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le juge administratif était compétent pour se prononcer sur la demande dirigé contre la société Thermaflex ;

- contrairement à ce qu'a jugé le tribunal en se fondant sur le rapport d'expertise, le dimensionnement du réseau de chaleur n'était pas inadapté ;

- les débats techniques intervenus au stade de l'expertise ont été incomplets ;

- les imputabilités envisagées par l'expert et reprises par le tribunal reposent sur un débat technique incomplet ;

- l'expert a outrepassé sa mission de sorte qu'il ne peut être tenu compte des conclusions de l'expertise ;

- la commune n'a subi aucun préjudice lié au dimensionnement du réseau de chaleur ; les préjudices invoqués ne sont pas établis ;

- la commune, qui avait connaissance du dimensionnement des tubes posés, ne s'est jamais opposée aux travaux ;

- il appartient à la cour de prononcer la réception judiciaire de l'ouvrage.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 14 février 2020, le 19 février 2020, le 20 novembre 2020, le 16 juin 2021 et le 18 juin 2021, la commune de Saint-Agrève, représentée par la SELARL Cabinet Champauzac, avocats, conclut au rejet de la requête et des conclusions de la société Thermaflex et demande à la cour, par la voie de l'appel incident :

1°) de réformer le jugement ;

2°) de condamner les sociétés Cler Ingénierie et Cegelec à lui verser les sommes de 44 974,95 euros au titre de la perte du bénéfice des subventions et 10 000 euros au titre de la surconsommation de fioul, assorties des intérêts au taux légal et de leur capitalisation ;

3°) de mettre à la charge des sociétés Cler Ingénierie et Cegelec une somme de 5 000 euros pour l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de les condamner solidairement à supporter les entiers dépens.

Elle fait valoir que :

- le mémoire en défense produit par la société Thermaflex le 29 janvier 2021, qui ne constitue ni un appel provoqué, ni un appel incident, est un appel principal tardif ;

- le juge administratif était compétent pour statuer sur sa demande de condamnation sur le fondement de la responsabilité quasi délictuelle de la société Thermaflex qui a participé à la conception de l'ouvrage ;

- les moyens présentés par la société Cegelec et la société Thermaflex ne sont pas fondés ;

- elle justifie de la réalité et du lien de causalité entre les préjudices que le tribunal a refusé d'indemniser et les fautes commises par les sociétés Cler Ingénierie et Cegelec.

Par des mémoires, enregistrés le 29 janvier 2021 et le 25 juin 2021, les deux mémoires communiqués à cette date n'ayant pas été communiqués, la société Thermaflex France, représentée par la SELARL Ratheaux, avocats, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement en tant qu'il l'a condamnée in solidum avec les sociétés Cler Ingénierie et Cegelec à verser une somme à la commune de Saint-Agrève, qu'il l'a condamnée à garantir la société Cler Ingénierie d'une partie des condamnations prononcées à son encontre, qu'il a mis in solidum à sa charge et à la charge des sociétés Cler Ingénierie et Cegelec les frais d'expertise et qu'il l'a condamnée à verser 1 200 euros au titre des frais d'instance ;

2°) de rejeter les demandes des sociétés Cler Ingénierie et Cegelec et de la commune de Saint-Agrève ;

3°) de mettre à la charge de la commune de Saint-Agrève, ou de toute autre partie, la somme de 10 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- sa demande est recevable ;

- la juridiction administrative n'est pas compétente pour statuer sur les demandes formées à son encontre par la commune de Saint-Agrève ;

- cette demande n'est pas fondée.

Par un mémoire enregistré le 24 juin 2019, non communiqué, la société Cler Ingénierie, représentée par la SCP Reffay et associés, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement en tant qu'il l'a condamnée à verser ces sommes à la commune et qu'il a rejeté ses conclusions reconventionnelles tendant au règlement du solde du marché ;

2°) à titre principal, de rejeter la demande de la commune de Saint-Agrève et de prononcer la réception judiciaire des travaux à compter du 27 juin 2014 ;

3°) à titre subsidiaire, de condamner la société Sallée à la garantir entièrement des condamnations prononcées à son encontre au titre des préjudices liés à la chaudière bois et les sociétés Cegelec Réseaux Centre Est et Thermaflex à la garantir intégralement et in solidum au titre des préjudices liés au réseau de distribution ;

4°) à titre reconventionnel, de condamner la commune de Saint-Agrève à lui verser la somme de 11 660,28 euros TTC au titre du règlement du solde de son marché ;

5°) de mettre à la charge de la commune de Saint-Agrève les frais d'expertise ;

6°) de mettre à la charge de la commune de Saint-Agrève, ou de toute autre partie, la somme de 10 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

La société Cler Ingénierie qui présente ce mémoire comme un mémoire récapitulatif de ses précédentes écritures, soutient que les conclusions d'appel de la société Thermaflex sont tardives et reprend, pour le surplus, les moyens qu'elle a présentés au soutien de sa requête enregistrée sous le n° 19LY02909.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code des marchés publics alors en vigueur ;

- le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme B...,

- les conclusions de M. Savouré, rapporteur public,

- et les observations de Me A..., pour la commune de Saint-Agrève et celles de Me C... pour la société Cegelec Réseaux Auvergne Drôme Ardèche.

Considérant ce qui suit :

1. A la suite d'une pré-étude de faisabilité réalisée par le bureau d'études Inddigo, la commune de Saint-Agrève a confié, selon acte d'engagement du 11 juillet 2011, la maîtrise d'œuvre des travaux nécessaires à la création d'un chauffage urbain, composé d'une chaufferie, d'un réseau de chaleur urbain et de sous-stations, à un groupement dont la société Cler Ingénierie était le mandataire. La réalisation des chaudières au bois et au fioul et des sous-stations a été confiée à la société Sallée selon acte d'engagement du 2 avril 2013. La société Cegelec a, en vertu d'un acte d'engagement du 6 mars 2013, assuré la fourniture et la pose du réseau urbain. Elle a, pour les besoins de cette prestation, fait appel à la société Thermaflex, pour la fourniture des tubes pré-isolés de canalisations.

2. Après le constat de dysfonctionnements à l'occasion des premiers essais en février 2014, l'ouvrage n'a pas été réceptionné et la commune de Saint-Agrève a saisi le président du tribunal administratif de Lyon d'une demande d'expertise. L'expert désigné le 26 décembre 2014 a remis son rapport le 6 octobre 2017.

3. Par un jugement du 13 juin 2019, dont la société Cler Ingénierie et la société Cegelec Réseaux Auvergne Drôme Ardèche relèvent respectivement appel sous les numéros 19LY02909 et 19LY03352, le tribunal administratif de Lyon a, d'une part, entièrement fait droit à la demande de la commune et condamné sur le fondement de la responsabilité contractuelle la société Cler Ingénierie à lui verser la somme de 168 696 euros en réparation du préjudice subi du fait des malfaçons affectant la chaufferie communale et, d'autre part, a partiellement accueilli sa demande relative à la réparation, également sur le fondement de la responsabilité contractuelle, de ses préjudices subis du fait des malfaçons affectant le réseau de chaleur communal en condamnant in solidum la société Cler Ingénierie, la société Cegelec et la société Thermaflex à lui verser la somme de 309 256,20 euros. Le tribunal a condamné la société Cegelec et la société Thermaflex à garantir la société Cler Ingénierie de cette dernière condamnation à hauteur, respectivement, de 40 % et 20 %. Il a rejeté la demande de la société Cler Ingénierie, présentée à titre reconventionnel, de condamner la commune de Saint-Agrève à lui payer la somme de 11 660,28 euros toutes taxes comprises en règlement du solde de son marché.

4. Les requêtes nos 19LY02909 et 19LY03352 étant dirigées contre le même jugement et ayant fait l'objet d'une instruction commune, il y a lieu de les joindre pour y statuer par un seul arrêt.

Sur les appels principaux des sociétés Cler Ingénierie et Cegelec :

En ce qui concerne la recevabilité des conclusions de la société Cler Ingénierie :

5. La requête d'appel de la société Cler Ingénierie, qui ne se borne pas à reproduire intégralement et exclusivement le contenu du mémoire de première instance, satisfait aux prescriptions de l'article R. 411-1 du code de justice administrative qui impose que la requête doit, à peine d'irrecevabilité, contenir l'exposé des faits et moyens, ainsi que l'énoncé des conclusions soumises au juge. Par suite, la fin de non-recevoir opposée par la société Sallée, tirée de l'insuffisante motivation de la requête de la société Cler Ingénierie dans le délai d'appel, doit être écartée.

6. Toutefois, devant le tribunal, la société Cler Ingénierie n'avait pas demandé que ce dernier prononce la réception judiciaire des travaux. Ces conclusions, nouvelles en appel, sont par suite irrecevables.

En ce qui concerne les conclusions de la société Cler Ingénierie relatives au règlement du solde de son marché :

7. Si la société Cler Ingénierie demande le règlement du solde de son marché, correspondant au montant des factures 1407020 du 31 juillet 2014 et 1502017 du 27 juillet 2015, il ne résulte pas de l'instruction qu'elle a réalisé les prestations correspondantes.

En ce qui concerne la demande de la société CEGELEC relative à la réception judiciaire des ouvrages :

8. A supposer que la société CEGELEC, qui n'a pas mentionné cette demande dans les conclusions reprises en fin de sa requête, ait entendu demander à la cour de réformer le jugement en tant qu'il n'a pas fait droit à sa demande de réception judiciaire des ouvrages, ainsi que jugé le tribunal, l'importance des malfaçons affectant l'ouvrage s'oppose à une telle réception.

En ce qui concerne le principe de responsabilité contractuelle des sociétés Cler Ingénierie et Cegelec :

9. Il résulte du rapport d'expertise que des dysfonctionnements, imputés à un problème de dimensionnement de la chaudière bois et du réseau de distribution, sont apparus le 25 février 2014 dès la mise en activité de la chaudière bois et que la commune n'a dans ces circonstances pas prononcé la réception des travaux.

10. En ce qui concerne le problème de dimensionnement de la chaudière bois, il résulte du rapport d'expertise que si le chauffage est bien assuré dans les locaux, ce défaut conduit à ce que la chaudière au fioul prenne le relais de la chaudière bois lorsque la puissance demandée est supérieure à 250 KW. Le taux de couverture effectif des besoins par la chaudière bois, qui devait s'établir à 85 % d'après l'étude réalisée par le bureau d'études Inddigo, incluse dans les documents contractuels, et à 86,3 % selon l'offre du maître d'œuvre, est compris, selon les calculs de l'expert, entre 80 et 82 %. Le taux de couverture contractuellement prévu avait été déterminé à partir du " degré jour unifié " (DJU) de la commune. En conséquence, le fait que le taux de couverture réel de la chaudière bois se soit élevé à 92 % durant la période du 1er décembre 2015 au 29 mai 2017 au cours de laquelle le DJU mesuré a été bien inférieur au DJU théorique, ne permet pas, ainsi que l'a indiqué et suffisamment justifié l'expert, de démontrer que ce taux de couverture attendu a été respecté.

11. D'après le rapport d'expertise, ce dysfonctionnement provient des disproportions de puissance entre le bilan thermique et la puissance des chaudières, la société Cler Ingénierie ayant commis des erreurs dans le choix des données à prendre en considération et fait des calculs optimistes. Il s'agit d'un manquement aux règles de l'art en matière de dimensionnement des installations de chauffage, et d'un vice de conception traduit dans le descriptif des études techniques. Rien ne permet d'établir que la chaufferie n'a pas été utilisée conformément aux préconisations faites par le maître d'œuvre. Si la diminution des différentiels de réglage de température dans les locaux entre le jour et la nuit a permis d'atténuer ce dysfonctionnement, il n'a pas pour autant permis d'atteindre le taux de couverture de 86,3 %. Ainsi, il ne résulte pas de l'instruction que les conditions d'exploitation de la chaufferie seraient à l'origine des dysfonctionnements. Par suite, ainsi que l'a jugé le tribunal, la commune est fondée à rechercher la responsabilité de la société Cler Ingénierie à raison de ces dysfonctionnements.

12. S'agissant du dimensionnement du réseau de distribution, les investigations de l'expert ont mis en évidence non seulement que les tubes de type Flexalen en polybutène, fournis par la société Thermaflex et mis en place par la société Cegelec, se sont révélés inadaptés à l'usage qui en était attendu compte tenu des températures d'utilisation, non conformes à un avis technique du centre scientifique et technique du bâtiment (CSTBT) n° 14/12-1783, mais encore que leurs diamètres sont inférieurs à ceux demandés, ce qui a pour effet d'augmenter la perte de charge du réseau de distribution et d'augmenter les vitesses de circulation dans les tubes, qui excèdent les préconisations du constructeur. Il ne résulte pas de l'instruction que l'expert, qui n'a pas outrepassé ses missions, serait parvenu à ces constatations au terme d'un débat technique incomplet. Il n'a pas non plus, en analysant comme il l'a fait l'avis technique du CSTBT, donné à cet avis des conséquences, notamment sur la durée de garantie des produits, excédant sa seule portée. Si aucune altération des propriétés mécaniques globales des tubes n'a été constatée, l'expertise établit, sur la base de l'étude ECam, que ces malfaçons de conception ont conduit à une amorce de dégradation du tube, par oxydation, sur une profondeur d'un millimètre. Par ailleurs, à supposer que l'augmentation de la vitesse de circulation dans les tubes ne conduise pas à leur abrasion, elle entraîne une perte de charge affectant l'optimisation énergétique du réseau.

13. La société Cler Ingénierie a géré techniquement l'ensemble du projet et avait consulté au préalable la société Thermaflex sur son projet de recourir à ce type de tubes. La société Cegelec a réalisé un réseau ne correspondant pas aux préconisations données par la société Cler Ingénierie et ne pouvait ignorer que les conditions de fonctionnement auxquelles serait soumis le réseau de chauffage ne seraient pas compatibles avec l'avis CSTB n°14/12-1783. Dans ces conditions, et alors qu'il ne résulte pas de l'instruction que la commune aurait pour sa part commis une faute en ne s'opposant pas à la pose de ces canalisations, les sociétés Cler Ingénierie et Cegelec ne sont pas fondées à soutenir que c'est à tort que le tribunal les a condamnées in solidum à réparer le préjudice subi par la commune du fait de ces désordres.

En ce qui concerne les préjudices :

14. Le tribunal a condamné la société Cler Ingénierie à verser à la commune de Saint-Agrève, en réparation du désordre lié au dimensionnement en puissance de la chaudière, la somme de 168 696 euros TTC correspondant au coût des travaux de reprise des malfaçons, nécessitant la réalisation d'une chaufferie d'une puissance de 500 KW. Il a condamné les sociétés Cler Ingénierie, Cegelec et Thermaflex, pour les malfaçons du réseau de chaleur, à lui verser la somme de 309 256,20 euros TTC correspondant au remplacement du réseau en flexalen par un réseau pré-isolé en acier. Les sociétés Cler Ingénierie et Cegelec ne contestent pas le montant du coût de ces travaux. Elles font valoir, sans le justifier, qu'ils ne sont pas utiles. Toutefois, et ainsi que le soutient la société Cler Ingénierie, le remplacement de la chaudière au bois de 250 KW, telle que prévue par le marché, par une chaudière au bois d'une puissance de 500 KW, constitue une amélioration de l'ouvrage initialement prévu. La plus-value correspondante, dont le montant s'établit, au vue des pièces du dossier, à la somme de 75 000 euros TTC, doit être déduite de la réparation due par la société Cler Ingénierie à la commune de Saint-Agrève, ce qui a pour effet de ramener le montant de cette condamnation de 168 696 euros TTC à 93 696 euros TTC. En revanche, le remplacement du réseau de tubes " Flexalen " par un réseau en acier pré-isolé conformément au cahier des clauses techniques particulières n'apporte pas une amélioration à l'ouvrage.

15. La commune demande, par la voie de l'appel incident, à être indemnisée par les sociétés Cler Ingénierie et Cegelec d'une somme de 10 000 euros et d'une somme de 44 974,95 euros correspondant respectivement aux surcoûts engendrés par la surconsommation de fioul et à la part de la subvention qui lui a été attribuée par la région Rhône-Alpes pour la réalisation de ces travaux dont elle n'a pu obtenir le versement en raison de la caducité de la subvention.

16. D'une part, la commune ne justifie pas, en se bornant à affirmer qu'elle a été confrontée à des surconsommation de fioul, du montant du préjudice dont elle demande la réparation à ce titre.

17. D'autre part, s'agissant de la perte d'une partie de la subvention accordée par la région, elle fait valoir que c'est le défaut d'achèvement des travaux dans les délais qui en est la cause. Toutefois, il ne résulte pas de l'instruction que, eu égard aux conditions dans lesquelles cette subvention est versée, l'absence d'achèvement des travaux serait la cause directe de la perte de l'ensemble du reliquat de cette subvention.

En ce qui concerne les appels en garantie :

18. Le tribunal administratif a rejeté l'appel en garantie formé par la société Cler Ingénierie à l'encontre de la société Sallée concernant la condamnation relative à la chaudière au bois. En revanche, s'agissant des désordres affectant le réseau de chaleur, il a condamné les sociétés Cegelec et Thermaflex à garantir la société Cler Ingénierie à hauteur de respectivement 40 % et 20 % des condamnations prononcées à son encontre.

19. La société Cler Ingénierie demande, par la voie de l'appel principal, de condamner la société Sallée à la garantir entièrement de la condamnation prononcée à son encontre au titre des préjudices liés à la chaudière au bois et les sociétés Cegelec Réseaux Centre Est et Thermaflex à la garantir intégralement et in solidum de la condamnation prononcée au titre des préjudices liés au réseau de distribution. La société Cegelec, par la voie de l'appel principal, et la société Thermaflex, par la voie de l'appel incident, demandent à la cour de réformer le jugement en tant qu'il les a condamnées à garantir la société Cler Ingénierie à hauteur de respectivement 40 et 20 % de la condamnation prononcée au titre des préjudices liés au réseau de distribution.

S'agissant de l'appel en garantie de la société Sallée :

20. Ainsi que l'a jugé le tribunal, la société Cler Ingénierie, qui est seule à l'origine des désordres affectant la chaudière au bois, n'est pas fondée à appeler en garantie la société Sallée qui a répondu à l'appel d'offre sans connaître le taux de couverture que devait atteindre cette chaudière.

S'agissant de l'appel en garantie de la société Cegelec :

21. Compte tenu de leurs rôles respectifs dans la survenue des désordres, rappelés ci-dessus, il y a lieu de maintenir la condamnation de la société Cegelec Réseaux Centre Est à garantir la société Cler Ingénierie à hauteur de 40 % des condamnations prononcées à son encontre concernant les désordres affectant le réseau de chaleur.

S'agissant de l'appel en garantie de la société Thermaflex :

22. L'appel incident de la société Thermaflex tendant à la réformation du jugement en tant qu'il l'a condamnée à garantir la société Cler Ingénierie ne soulève pas un litige distinct de l'appel principal de cette dernière tendant à la réformation du jugement en tant qu'il n'a pas fait droit à sa demande d'être entièrement garantie par la société Thermaflex. Par suite, la fin de non-recevoir tirée de la tardiveté des conclusions présentées à ce titre par la société Thermaflex doit être écartée.

23. Le litige né de l'exécution d'un marché de travaux publics et opposant des participants à l'exécution de ces travaux relève de la compétence de la juridiction administrative, quel que soit le fondement de l'action engagée, sauf si les parties en cause sont unies par un contrat de droit privé.

24. Il résulte de l'instruction que la société Thermaflex a, antérieurement à la rédaction par la société Cler Ingénierie du dossier de consultation des entreprises pour le lot n° 5, été consultée par cette dernière pour qu'elle lui adresse un devis et des caractéristiques techniques de matériaux à utiliser pour la réalisation du réseau de chaleur. La société Thermaflex ne saurait, au seul motif qu'elle a adressé le devis qui lui était demandé à la société Cler Ingénierie, où figurent les caractéristiques techniques des éléments dont elle proposait l'utilisation, être regardée comme étant ainsi intervenue dans la conception des travaux à la demande du maître d'œuvre, alors, au demeurant, que le maître d'œuvre n'a pas repris dans le dossier de consultation des entreprises certaines des caractéristiques techniques figurant dans ce devis, tel que les températures de circulation dans les tubes. Dans ces conditions il n'appartient pas au juge administratif de statuer sur l'appel en garantie de la société Cler Ingénierie en tant qu'il se fonde sur les fautes qui auraient été commises par la société Thermaflex lors de la conception des travaux.

25. Par ailleurs, et ainsi que l'a indiqué le tribunal, la société Cegelec a conclu un contrat de droit privé pour la fourniture de tubes pré-isolés dans le cadre de l'exécution du lot n° 5 du marché avec la société Thermaflex, sans que celle-ci ne soit liée par aucun contrat avec la commune. Dès lors que les tubes livrés n'ont pas été spécialement conçus pour les besoins de la réalisation des ouvrages et qu'elle s'est limitée à proposer les tubes qui lui semblaient adaptés, elle n'a pas participé en qualité de constructeur à l'exécution des travaux. Le fait qu'elle a, postérieurement à l'exécution des travaux, été sollicitée par la société Cegelec pour étudier le dimensionnement du réseau, ne lui donne pas davantage cette qualité. Il n'appartient ainsi pas au juge administratif de statuer sur l'appel en garantie de la société Cler Ingénierie en tant qu'il se fonde sur les fautes commises par la société Thermaflex lors de la fourniture des tubes.

26. Par suite, dès lors que le tribunal administratif n'était pas compétent pour statuer sur l'appel en garantie formé par la société Cler Ingénierie contre la société Thermaflex, il y a lieu pour la cour d'annuler, dans cette mesure, le jugement et, statuant par la voie de l'évocation, de rejeter la demande de la société Cler Ingénierie dirigée contre la société Thermaflex comme portée devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaître.

En ce qui concerne les frais d'expertise :

27. Les sociétés Cegelec et Thermaflex, condamnées in solidum à supporter les frais d'expertise, ne sont pas fondées à demander que ces frais soient supportés par la commune.

Sur l'appel provoqué de la société Thermaflex :

28. Le présent arrêt n'a pas pour effet d'aggraver la situation de la société Thermaflex telle qu'elle a été fixée par le jugement attaqué du tribunal administratif de Lyon. Par suite, ses conclusions présentées au-delà du délai d'appel dirigées contre la commune de Saint-Agrève et tendant à ce que le jugement soit réformé en tant qu'il l'a condamnée in solidum avec les sociétés Cler Ingénierie et Cegelec à indemniser la commune de Saint-Agrève au titre des préjudices liés au réseau de distribution et qu'il a mis à sa charge in solidum avec ces sociétés les frais d'expertise sont irrecevables et doivent être rejetées comme telles.

Sur les frais liés au litige :

29. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Cler Ingénierie une somme de 2 000 euros à verser à la société Sallée en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. En revanche, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions des autres parties présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : La condamnation prononcée à l'encontre de la société Cler Ingénierie à l'article 1er du jugement n° 1708538 est ramenée de 168 696 euros TTC à 93 696 euros TTC.

Article 2 : L'article 3 du jugement n° 1708538 est annulé en tant qu'il condamne la société Thermaflex à garantir la société Cler Ingénierie de la condamnation visée à l'article 2 de ce même jugement à hauteur de 20 %.

Article 3 : L'appel en garantie présenté par la société Cler Ingénierie contre la société Thermaflex est rejeté comme porté devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaître.

Article 4 : La société Cler Ingénierie versera une somme de 2 000 euros à la société Sallée en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le surplus des requêtes des sociétés Cler Ingénierie et Cegelec Réseaux Auvergne Drôme Ardèche et des conclusions de la commune de Saint-Agrève et de la société Thermaflex sont rejetés.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à la société Cler Ingénierie, à la société Cegelec Réseau Centre Est, à la commune de Saint-Agrève, à la société Sallée et à la société Thermaflex.

Délibéré après l'audience du 1er juillet 2021, à laquelle siégeaient :

M. d'Hervé, président,

Mme Michel, présidente assesseure,

Mme B..., première conseillère.

Lu en audience publique le 21 juillet 2021.

2

N° 19LY02909, 19LY03352


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 19LY02909
Date de la décision : 21/07/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

39-06-01-02 Marchés et contrats administratifs. - Rapports entre l'architecte, l'entrepreneur et le maître de l'ouvrage. - Responsabilité des constructeurs à l'égard du maître de l'ouvrage. - Responsabilité contractuelle.


Composition du Tribunal
Président : M. d'HERVE
Rapporteur ?: Mme Agathe DUGUIT-LARCHER
Rapporteur public ?: M. SAVOURE
Avocat(s) : SELARL CABINET CHAMPAUZAC ; SELARL CABINET CHAMPAUZAC ; LLC ET ASSOCIES - BUREAU DE PARIS

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2021-07-21;19ly02909 ?
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