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21/06/2021 | FRANCE | N°19LY02865

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 6eme chambre - formation a 3, 21 juin 2021, 19LY02865


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme H... I...-M..., M. B... I... et Mme D... I... ont demandé au tribunal administratif de Dijon de condamner le centre hospitalier universitaire de Dijon à leur verser une somme globale de 42 572,50 euros au titre de l'action successorale, majorée des intérêts de droit à compter de la date de la première demande d'indemnisation, eux-mêmes capitalisés à compter de cette même date, et à verser à chacun des requérants une somme de 12 000 euros au titre de leurs préjudices personnels, majorée des inté

rêts de droit à compter de la date de la première demande d'indemnisation, eux-...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme H... I...-M..., M. B... I... et Mme D... I... ont demandé au tribunal administratif de Dijon de condamner le centre hospitalier universitaire de Dijon à leur verser une somme globale de 42 572,50 euros au titre de l'action successorale, majorée des intérêts de droit à compter de la date de la première demande d'indemnisation, eux-mêmes capitalisés à compter de cette même date, et à verser à chacun des requérants une somme de 12 000 euros au titre de leurs préjudices personnels, majorée des intérêts de droit à compter de la date de la première demande d'indemnisation, eux-mêmes capitalisés à compter de cette même date.

La caisse primaire d'assurance maladie de la Côte d'Or, appelée à l'instance, a demandé au tribunal administratif de Dijon de condamner le centre hospitalier universitaire de Dijon à lui verser la somme de 97 842,62 euros au titre des prestations servies à son assuré, somme assortie des intérêts au taux légal, et la somme de 1 066 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion.

Par un jugement n° 1800423 du 28 mai 2019, le tribunal administratif de Dijon a mis hors de cause l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales, a condamné le centre hospitalier universitaire de Dijon à verser à Mme H... I...-M..., M. B... I... et Mme D... I..., en leur qualité d'ayants droit de M. A... I..., une somme globale, au bénéfice de la succession, de 18 700 euros, somme augmentée des intérêts au taux légal à compter du 12 décembre 2017 et de la capitalisation des intérêts, à verser à Mme H... I...-M... une somme de 2 500 euros, somme augmentée des intérêts au taux légal à compter du 12 décembre 2017 et de la capitalisation des intérêts, à verser à M. B... I... et à Mme D... I... une somme de 1 000 euros chacun, sommes augmentées des intérêts au taux légal à compter du 12 décembre 2017 et de la capitalisation des intérêts, à verser à la caisse primaire d'assurance maladie de la Côte d'Or la somme de 97 842,62 euros augmentée des intérêts au taux légal à compter du 17 avril 2018 en remboursement de ses débours et la somme de 1 080 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion et a rejeté le surplus des conclusions des parties.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 19 juillet 2019, et des mémoires complémentaires, enregistrés le 2 octobre 2019 et le 5 mai 2020, le centre hospitalier universitaire de Dijon, représenté par Me K..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du 28 mai 2019 du tribunal administratif de Dijon ;

2°) de rejeter les demandes présentées par les consorts I... et la caisse primaire d'assurance maladie de la Côte d'Or devant le tribunal administratif de Dijon.

Il soutient que :

- le jugement est insuffisamment motivé ;

- c'est à tort que le tribunal administratif a retenu que sa responsabilité devait être engagée pour ne pas avoir réalisé de colostomie d'amont lors de l'intervention du 5 novembre 2014 et pour ne pas avoir sollicité l'avis d'un urologue dès le début de l'intervention du 29 septembre 2015 pour prévenir les blessures de l'uretère droit et du conduit iléal et ainsi éviter une iléostomie d'amont ; si le tribunal a retenu un défaut de précaution, selon les termes employés par les experts, ce défaut de précaution n'est pas constitutif d'une faute ; les expert font état " d'un geste chirurgical supplémentaire de précaution " démontrant ainsi que le geste en question n'était pas requis impérativement ; la réalisation d'une colostomie aurait nécessairement induit une réintervention ultérieure et une telle réintervention, compte tenu de l'état du patient, aurait été particulièrement compliquée ; le choix opéré se justifiait par l'espoir d'éviter une nouvelle intervention ; cette abstention calculée dans l'intérêt du patient ne peut être regardée comme constituant une faute médicale ; une colostomie aurait de toute façon imposé une réintervention sur un abdomen remanié ; un rapport critique du docteur Sbaï-Idrissi conteste le parti retenu par les experts missionnés par la commission régionale de conciliation et d'indemnisation et considère que la réalisation d'une colostomie en amont s'avère conforme aux données de la science médicale ; ce rapport critique est circonstancié et documenté sur le plan scientifique ;

- le tribunal administratif n'a pas précisé en quoi le fait de ne pas avoir procédé à la colostomie en amont serait à l'origine des préjudices de M. I... ; le décès de M. I... est en lien direct et certain avec le cancer de la vessie dont il était atteint et qui était à un stade avancé ; si la colostomie en amont avait été réalisée, elle aurait nécessairement impliqué une autre intervention, celle-là même qu'il a fallu réaliser ; M. I... n'a pas subi de conséquences autres que celles qu'il aurait de toute façon dû subir si la colostomie avait été réalisée ; la survenance de la plaie de l'uretère droit et de l'anse grêle de dérivation relevait d'un accident médical non fautif ainsi que les experts l'ont relevé ; le défaut de précaution n'a eu aucune conséquence sur la santé du patient ; quant au fait de ne pas avoir consulté un urologue dès le début de l'intervention du 29 septembre 2015 pour prévenir les blessures de l'uretère droit et du conduit iléal et ainsi éviter une iléostomie, il n'est pas certain, compte tenu de la cavité abdominale très modifiée par l'intervention initiale, que même avec un tel avis, ces complications auraient pu être évitées ; ce n'est qu'en cas d'accident qu'il est fait appel à un médecin urologue pour réparer les lésions urologiques ; à supposer qu'une faute soit retenue, il n'est pas établi que l'absence d'avis a fait perdre à M. I... une chance d'éviter les complications qui se sont réalisées ;

- le tribunal administratif a procédé à une évaluation excessive des préjudices subis ; les souffrances endurées étaient davantage en lien avec soit la pathologie initiale dont souffrait le patient soit les suites de l'intervention du 30 septembre 2015 et seront évaluées à 3,5 sur une échelle de 7 ; c'est à tort que les premiers juges ont alloué une somme de 2 000 euros au titre du préjudice esthétique temporaire dès lors que la faute retenue est de ne pas avoir pratiqué une colostomie ;

- c'est à tort qu'il a été condamné à rembourser la caisse primaire d'assurance maladie de la Côte d'Or des débours exposés en faveur de son assuré, de tels débours étant uniquement liés à l'état de santé initial de M. I... ; la caisse primaire d'assurance maladie ne donne pas le détail des débours exposés ; l'hospitalisation du 20 au 22 février 2015 n'est pas en lien avec un manquement fautif et a pour origine une pyélonéphrite aiguë et était justifiée par la présence d'escherichia coli dans les urines ; la caisse primaire d'assurance maladie n'est pas fondée à demander qu'il supporte les frais médicaux dès le 16 janvier 2015 ; il en va de même concernant les frais de transport ; seul le surcoût engendré par les manquements fautifs peut être mis à sa charge.

Par un mémoire, enregistré le 6 novembre 2019, la caisse primaire d'assurance maladie de Côte d'Or, représentée par Me F... L..., conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 2 500 euros soit mise à la charge du centre hospitalier universitaire de Dijon en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- il résulte du rapport d'expertise que, lors de l'intervention du 5 novembre 2014, le centre hospitalier universitaire de Dijon n'a pas réalisé de colostomie d'amont et que, lors de l'intervention du 29 septembre 2015 ayant pour objet le rétablissement de la continuité digestive, les médecins n'ont pas sollicité l'avis d'un urologue dès le début de l'intervention pour prévenir les blessures de l'uretère droit et du conduit iléal et ainsi éviter une iléostomie d'amont ; ces manquements sont constitutifs de fautes médicales de nature à engager la responsabilité du centre hospitalier ;

- les débours en lien avec la faute du centre hospitalier se sont élevés à la somme de 97 842,62 euros ; une attestation d'imputabilité établit le lien de causalité entre les fautes du centre hospitalier et ses débours ; les experts ont relevé que les dépenses de santé actuelles doivent correspondre aux hospitalisations du 5 janvier 2015 au 30 janvier 2016.

Par un mémoire, enregistré le 26 novembre 2019, Mme H... I...-M..., M. B... I..., Mme D... I..., représentés par Me J..., concluent, à titre principal, au rejet de la requête et, à titre subsidiaire, à la condamnation de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales à verser aux consorts I... les indemnités allouées par le tribunal administratif de Dijon et à ce que la somme de 2 000 euros et les entiers dépens soient mis à la charge du centre hospitalier universitaire de Dijon et, à défaut, de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- des fautes relevées par les experts ont été commises par le centre hospitalier universitaire de Dijon lors des opérations et du suivi post-opératoire ; si ces fautes n'ont pas causé le décès du patient, elles ont néanmoins altéré de manière importante sa qualité de vie durant plusieurs mois ; le rapport critique produit par le centre hospitalier n'a pas été soumis au principe du contradictoire et doit être écarté ; ce rapport critique est insuffisant pour venir contredire les conclusions du rapport d'expertise des docteurs Barnaud et Jarry ; s'agissant du défaut de précaution lié à l'absence de colostomie en amont de l'intervention du 5 novembre 2014, les experts ont souligné que l'anastomose colorectale lors de l'intervention devait absolument être protégée par une colostomie d'amont ; le geste supplémentaire de précaution était impératif de sorte qu'il ne s'agissait pas d'une simple option ; cette faute a eu des conséquences sur l'état de santé du patient puisqu'il a dû notamment supporter des douleurs aiguës supplémentaires ; s'agissant du fait de ne pas avoir sollicité l'avis d'un urologue dès le début de l'intervention du 29 septembre 2015, les experts retiennent l'existence d'une faute ;

- si la cour retenait l'existence d'un aléa thérapeutique et non de fautes médicales, l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales sera condamné à réparer les préjudices subis ;

- s'agissant des préjudices, les experts ont pris en compte la pathologie initiale de M. I... ; le préjudice esthétique évalué à 3 sur une échelle de 7 par les experts n'est pas dû uniquement à la colostomie mais aussi à l'iléostomie.

Par un mémoire, enregistré le 7 août 2020, l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales, représenté par Me G..., conclut à la confirmation du jugement en tant qu'il l'a mis hors de cause et au rejet de toute demande formulée à son encontre.

Il soutient que :

- les complications survenues avant le décès de M. I... sont en lien direct, certain et exclusif avec les fautes commises par le centre hospitalier ; l'entière responsabilité du centre hospitalier est engagée ; les accidents digestifs qui auraient pu être évités ont altéré la qualité de vie du patient selon les experts ; les experts ont retenu que l'anastomose colorectale lors de l'intervention du 5 novembre 2014 devait absolument être protégée par une colostomie d'amont ; ce geste aurait permis d'éviter le lâchage de suture et la ré-intervention ; lors de l'intervention du 30 septembre 2015, les experts relèvent qu'il aurait mieux valu demander l'assistance d'un urologue dès le début de cette intervention pour prévenir la blessure de l'uretère droit et de l'anse grêle de dérivation et ainsi éviter l'iléostomie d'amont ;

- en tout état de cause, les experts relèvent que si les complications digestives avaient pu être évitées, elles ne sont pas la cause du décès du patient ; par suite, le lien de causalité direct et certain n'est pas établi entre la prise en charge médicale du patient et son décès.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme C...,

- les conclusions de Mme Cottier, rapporteure publique ;

- et les observations de Me E..., substituant Me J..., représentant les consorts I....

Considérant ce qui suit :

1. En mai 2014, M. A... I..., né le 7 août 1951, a été hospitalisé à la clinique Sainte-Marie à Chalon-sur-Saône à la suite d'un épisode infectieux avec symptomatologie abdominale. Les examens pratiqués ont permis de diagnostiquer un cancer de la vessie associé à un adénocarcinome prostatique et à une sigmoïdite diverticulaire non compliquée. En juin 2014, une chimiothérapie a été mise en route. Le 23 octobre 2014, M. I... a consulté le service de chirurgie digestive du centre hospitalier universitaire de Dijon où il a subi, le 5 novembre 2014, une cystoprostatectomie et une dérivation trans-iléale type Bricker associée à une résection sigmoïdienne. Le 9 novembre 2014, M. I... a présenté un syndrome de détresse respiratoire aiguë avec fièvre et un scanner abdomino-pelvien a objectivé une péritonite sur lâchage de suture colique. Le 10 novembre 2014, une reprise chirurgicale a été réalisée avec dérivation digestive par colostomie au niveau de l'hypocondre gauche. Les suites opératoires ont été marquées par des épisodes infectieux douloureux nécessitant plusieurs hospitalisations. Le 30 septembre 2015, au décours de l'intervention chirurgicale permettant d'obtenir le rétablissement de la continuité digestive, est survenue une plaie de l'uretère droit et de l'anse grêle de dérivation nécessitant, avec l'intervention d'urologues, une iléostomie d'amont. Du 13 au 20 novembre 2015, M. I... a été hospitalisé en raison d'une insuffisance rénale aiguë et de plusieurs épisodes infectieux. Le 7 janvier 2016, il a été pratiqué une fermeture de l'iléostomie compte tenu des nombreux épisodes de déshydratation. A compter du mois de mars 2016, le cancer de la vessie dont souffrait M. I... s'est aggravé. Le 29 décembre 2016, M. I... est décédé dans le service de soins palliatifs.

2. Le 24 mars 2017, Mme H... I...-M..., son épouse, a saisi la commission de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales de Bourgogne d'une demande d'indemnisation des préjudices subis à la suite des interventions pratiquées au centre hospitalier universitaire de Dijon. La commission régionale a ordonné une expertise confiée au docteur Barnaud, spécialisé en urologie, et au docteur Jarry, spécialisé en chirurgie digestive. A la suite du dépôt du rapport d'expertise le 2 octobre 2017, la commission régionale de conciliation et d'indemnisation a rejeté, dans son avis du 6 novembre 2017, la demande d'indemnisation en retenant que le décès de M. I... était en lien direct et certain avec l'évolution du cancer de la vessie associé à un adénocarcinome prostatique et à une sigmoïdite diverticulaire non compliquée dont il souffrait. Le centre hospitalier universitaire de Clermont-Ferrand relève appel du jugement du 28 mai 2019 par lequel le tribunal administratif de Dijon l'a condamné à verser à Mme H... I...-M..., M. B... I... et Mme D... I..., en leur qualité d'ayants droit de M. A... I..., une somme globale, au bénéfice de la succession, de 18 700 euros, somme augmentée des intérêts au taux légal à compter du 12 décembre 2017 et de la capitalisation des intérêts, à verser à Mme H... I...-M... une somme de 2 500 euros, à verser respectivement à M. B... I... et à Mme D... I... une somme de 1 000 euros, sommes augmentées des intérêts au taux légal à compter du 12 décembre 2017 et de la capitalisation des intérêts, à verser à la caisse primaire d'assurance maladie de la Côte d'Or la somme de 97 842,62 euros, augmentée des intérêts au taux légal à compter du 17 avril 2018, en remboursement de ses débours et la somme de 1 080 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion.

Sur la régularité du jugement :

3. Si, dans sa requête sommaire, le centre hospitalier universitaire de Dijon soutient que le jugement attaqué serait insuffisamment motivé, il n'assortit ce moyen d'aucun élément permettant d'en apprécier le bien-fondé, alors, au demeurant, que le jugement comporte l'énoncé des motifs fondant son dispositif. Par suite, le moyen ne peut qu'être écarté.

Sur la responsabilité du centre hospitalier universitaire de Dijon :

En ce qui concerne les fautes :

4. Aux termes de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " I. - Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute. (...) ".

5. Il résulte de l'instruction et notamment du rapport d'expertise que, quatre jours après l'intervention du 5 novembre 2014 subie par M. I..., une ré-intervention s'est imposée dès le 10 novembre 2014 en raison d'un lâchage de suture nécessitant une intervention de Hartmann comportant une dérivation digestive par colostomie au niveau de l'hypocondre gauche. S'agissant de cette intervention du 5 novembre 2014, les experts relèvent que " l'anastomose colorectale lors de cette intervention devait absolument être protégée par une colostomie d'amont, car les conditions d'une cicatrisation per primam n'était pas réalisée : difficulté d'exérèse vésicale au niveau du rectum et colon inflammatoire en rapport avec la diverticulite. Ce geste aurait permis d'éviter le lâchage de suture et la ré-intervention " et concluent au " défaut de précaution en ne réalisant pas de colostomie d'amont ".

6. Si le centre hospitalier universitaire de Dijon fait valoir que ce défaut de précaution n'est pas constitutif d'une faute dès lors que le geste en question n'était pas requis impérativement et produit, au soutien de son argumentation, un rapport critique du docteur Sbaï-Idrissi, cancérologue, qui a été soumis au débat contradictoire dans le cadre de la présente instance contentieuse, et qui fait état de l'absence d'indication de protection de l'anastomose par une colostomie d'amont compte tenu de ce que l'intervention s'inscrivait dans un contexte " de chirurgie froide sans signes de péritonite " et qui poursuit en précisant que " du fait que les extrémités du colon et du haut rectum sont bien vascularisées, l'indication de la réalisation de l'anastomose dans de bonnes conditions sans traction est pleinement justifiée. Il faut rappeler qu'on est juste en dessous de la charnière recto sigmoïdienne et toutes les conditions sont favorables à la réalisation de l'anastomose. Il n'y a absolument aucune indication, ni justification à protéger cette anastomose même si une cysto-prostatectomie est réalisée dans le même temps. ". Le docteur Sbaï-Idrissi se réfère à une recommandation d'un article relatif au " traitement de la diverticulose colique : place et indications de la chirurgie " selon laquelle " la résection-anastomose en un temps (+-stomie) est faisable, surtout en cas de péritonite localisée " et en conclut que " de cet article de référence de la formation médicale continue, on note qu'on encourage à faire des anastomoses même en milieu septique avec péritonite purulente avec ou sans protection par une stomie. " Toutefois, cette recommandation issue de l'article précité et dont les conclusions indiquent que " l'actualisation des recommandations pour la pratique clinique portant sur les complications de la diverticulose colique a tenté de faire le point sur une pathologie dont la prise en charge reste soumise à controverses " fait bien état " d'une anastomose plus ou moins protégée par une stomie " et une synthèse, " Les 5 points forts ", précise qu' " en cas de péritonite, le traitement chirurgical de référence est l'intervention de Hartmann (sigmoïdectomie et colostomie iliaque gauche avec fermeture du moignon rectal). Mais du fait de la lourdeur du geste et du risque de ne jamais rétablir la continuité digestive, il est préférable, si les conditions locales le permettent, de proposer d'emblée une résection-anastomose avec stomie temporaire de protection ". Par suite, le centre hospitalier universitaire de Dijon ne peut se prévaloir de l'analyse du docteur Sbaï-Idrissi pour exclure la nécessité de recourir à une stomie de protection avant l'anastomose subi par M. I... et ce alors que les experts ont souligné que les conditions d'une cicatrisation per primam n'était pas réunies en raison d'une difficulté d'exérèse vésicale au niveau du rectum et d'un colon inflammatoire en rapport avec la diverticulite.

7. Le centre hospitalier fait également valoir que la colostomie aurait de toute façon imposé une réintervention sur un abdomen remanié, qu'une telle réintervention, compte tenu de l'état du patient, aurait été particulièrement compliquée et que le choix ainsi opéré se justifiait par l'espoir d'éviter cette nouvelle chirurgie. Toutefois, il n'est pas établi qu'après la colostomie de protection, l'anastomose, qui n'intervient que lorsque l'organe touché est guéri, aurait été plus difficile et ce alors que, lors de la consultation du 23 octobre 2014 préalable à l'intervention du 5 novembre 2014, le chirurgien a noté que " l'abdomen est souple, dépressible, indolore. M. I... est en bonne forme ". Par ailleurs, lors de cette consultation, l'hypothèse d'une stomie de protection en amont de l'intervention d'anastomose n'a pas été évoquée, le chirurgien du service de chirurgie digestive faisant uniquement état de la nécessité de résection colique pour raison carcinologique et des risques chirurgicaux, à savoir une fistule digestive avec risque de reprise chirurgicale et de stomie digestive.

8. Il s'ensuit que l'absence de colostomie de protection préalable à l'anastomose, dans un contexte d'exérèse vésicale au niveau du rectum délicat et du caractère inflammatoire du colon en rapport avec la diverticulite, constitue un manquement fautif de nature à engager la responsabilité du centre hospitalier universitaire de Dijon.

9. S'agissant de l'intervention du 30 septembre 2015, les experts soulignent " qu'avant d'opérer, un avis urologigue pour mettre en place au préalable des sondes dans les uretères par l'iléostomie s'imposait afin de bien contrôler ceux-ci dans un cavité abdominale très modifiée par l'intervention précédente et il aurait mieux valu demander l'assistance d'un urologue dès le début de cette intervention pour prévenir la blessure de l'uretère droit et de l'anse grêle de dérivation et ainsi éviter l'iléostomie d'amont, facteur de dénutrition, d'insuffisance rénale fonctionnelle et d'altération de l'état général du patient " et concluent que " lors du rétablissement de la continuité à la suite de l'opération d'Hartmann, manque de précaution de n'avoir pas demandé un avis urologique avant l'intervention pour monter au préalable des sondes urétérales par l'iléostomie afin de prévenir les blessures de l'uretère droit et du conduit iléal et éviter une iléostomie d'amont ".

10. En se bornant à soutenir que ce n'est qu'en cas d'accident qu'il est fait appel à un médecin urologue pour réparer les lésions urologiques, alors que le caractère très modifié de la cavité abdominale résultant de l'intervention précédente imposait selon les termes de l'expertise sollicitée par la commission de conciliation et d'indemnisation qui ne sont pas sérieusement contredits par le rapport critique faisant uniquement état " de ce que la montée des sondes urétérales n'est pas systématique lors du rétablissement post Hartman ", de solliciter un urologue pour contrôler, dans un tel contexte, les uretères, le centre hospitalier universitaire de Dijon n'établit pas que cette consultation n'était pas requise dans le cas de M. I.... Par suite, l'absence de consultation d'un urologue avant l'intervention chirurgicale du 30 septembre 2015 constitue un manquement fautif de nature à engager la responsabilité du centre hospitalier universitaire de Dijon.

En ce qui concerne le lien de causalité :

11. Le centre hospitalier universitaire de Dijon fait valoir que le décès de M. I... est uniquement en lien direct et certain avec le cancer de la vessie dont il était atteint et qu'il n'a pas subi de conséquences autres que celles qu'il aurait de toute façon dû subir si la colostomie avait été réalisée.

12. Si la colostomie en amont avait été réalisée, elle aurait nécessairement impliqué une autre intervention, l'anastomose. Toutefois, les experts notent que si la colostomie en amont avait été réalisée, ce geste aurait permis d'éviter les complications post-opératoires qui ont eu des conséquences anormales sur l'état de santé de M. I..., qui, au moment de l'intervention du 5 novembre 2014, était qualifié de bon, et ce bien qu'il présentait un cancer de la vessie à un stade localement avancé. Les experts relèvent encore que les suites de la réintervention du 10 novembre 2014 pour lâchage de suture nécessitant une intervention de Hartmann ont été marquées par plusieurs réhospitalisations du 26 au 5 décembre 2014 pour dénutrition et colite infectieuse, le 11 décembre 2014 pour constipation, du 13 au 17 décembre 2014 pour douleurs abdominales et hématome en fosse iliaque droite et du 20 au 22 février 2015 pour pyélonéphrite aiguë et présence d'escherichia coli dans les urines.

13. Compte tenu de ce qui a été dit au point 12, le centre hospitalier n'est pas fondé à faire valoir qu'il n'est pas certain, compte tenu de la cavité abdominale très modifiée par l'intervention initiale, même avec l'avis d'un urologue, que ces complications auraient pu être évitées et ce alors que la consultation d'un urologue aurait eu spécifiquement pour objet de contrôler les uretères.

14. Par suite, le centre hospitalier universitaire de Dijon n'est pas fondé à soutenir que les préjudices subis par M. I... et résultant uniquement de l'aggravation de son état de santé liée aux complications post-opératoires seraient sans lien direct et certain avec les interventions des 5 novembre 2014 et 30 septembre 2015.

En ce qui concerne la perte de chance :

15. Dans le cas où la faute commise lors de la prise en charge ou du traitement d'un patient dans un établissement public hospitalier a compromis ses chances d'obtenir une amélioration de son état de santé ou d'échapper à son aggravation, le préjudice résultant directement de la faute commise par l'établissement et qui doit être intégralement réparé n'est pas le dommage corporel constaté, mais la perte de chance d'éviter que ce dommage soit advenu. La réparation qui incombe à l'hôpital doit alors être évaluée à une fraction du dommage corporel déterminée en fonction de l'ampleur de la chance perdue.

16. Il résulte de l'instruction et notamment du rapport d'expertise que les experts ont relevé que la réalisation d'une colostomie d'amont " aurait permis d'éviter le lâchage de suture et la ré-intervention " et que la consultation d'un urologue au début de l'intervention du 30 septembre 2015 aurait permis d'éviter l'iléostomie d'amont. Par suite, et alors que l'état de santé de M. I... était qualifié de bon et ce bien qu'il présentait un cancer de la vessie à un stade localement avancé, les fautes commises par le centre hospitalier universitaire de Dijon doivent être regardées, dans les circonstances de l'espèce, comme ayant fait perdre à M. I... l'ensemble des chances d'échapper à une aggravation de son état de santé en lien uniquement avec les fautes retenues. Il s'ensuit que le centre hospitalier universitaire de Dijon doit être reconnu entièrement responsable des préjudices subis par M. I.... Par suite, l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales doit être mis hors de cause.

Sur l'évaluation des préjudices et des débours :

En ce qui concerne les préjudices de M. I... :

S'agissant des préjudices à caractère extrapatrimonial :

Quant aux préjudices temporaires :

17. Il ne résulte pas de l'instruction que les premiers juges ont procédé à une évaluation excessive du déficit fonctionnel temporaire total et partiel en l'évaluant à la somme de 2 200 euros.

18. Si le centre hospitalier universitaire de Dijon fait valoir que les souffrances endurées doivent être évaluées à 3,5 sur une échelle de 7 dès lors que ces souffrances étaient en lien avec soit la pathologie initiale soit l'intervention du 30 septembre 2015, il résulte de l'instruction que les experts ont évalué à 5 sur une échelle de 7 les souffrances endurées en ayant pris soin de distinguer les souffrances résultant du cancer de la vessie dont M. I... souffrait des souffrances physiques et morales provoquées par les fautes commises par le centre hospitalier universitaire de Dijon. Par suite, les premiers juges n'ont pas fait une appréciation excessive de ce chef de préjudice en l'évaluant à la somme de 3 500 euros.

19. Le centre hospitalier universitaire de Dijon fait également valoir que l'indemnité de 2 000 euros au titre du préjudice esthétique temporaire ne pouvait être allouée à M. I... dès lors que la faute retenue est celle de ne pas avoir pratiqué une colostomie. Il résulte de l'instruction que les experts ont retenu que le préjudice esthétique temporaire devait être évalué à 3 sur une échelle de 7 en retenant la colostomie et l'iléostomie. Toutefois, ainsi que le relève le centre hospitalier, les experts préconisaient la réalisation d'une colostomie d'amont pour prévenir le lâchage des sutures et il n'est pas établi que la colostomie réalisée le 10 novembre 2014 soit plus disgracieuse qu'une colostomie d'amont. Il s'ensuit qu'il sera fait une juste appréciation du préjudice esthétique temporaire résultant de l'iléostomie en l'évaluant à la somme de 1 000 euros.

Quant aux préjudices permanents :

20. Il ne résulte pas de l'instruction que les premiers juges ont procédé à une évaluation excessive du déficit fonctionnel permanent en l'évaluant à la somme de 500 euros.

S'agissant du préjudice à caractère patrimonial :

21. Il ne résulte pas de l'instruction qu'en évaluant le besoin d'assistance par une tierce personne à la somme de 10 500 euros, les premiers juges se serait livrés à une évaluation excessive de ce poste de préjudice.

En ce qui concerne les préjudices des victimes indirectes :

22. En évaluant le préjudice moral de Mme H... I... à la somme de 2 500 euros et celui des deux enfants du couple à la somme de 1 000 euros chacun, il n'est pas établi que les premiers juges se seraient livrés à une évaluation excessive de ces postes de préjudice.

En ce qui concerne les droits de la caisse primaire d'assurance maladie :

23. Il résulte de l'instruction et notamment du rapport d'expertise que, dans les suites de la réintervention du 10 novembre 2014, M. I... a subi plusieurs réhospitalisations : du 26 au 5 décembre 2014 pour dénutrition et colite infectieuse, le 11 décembre 2014 pour constipation, du 13 au 17 décembre 2014 pour douleurs abdominales et hématome en fosse iliaque droite, du 20 au 22 février 2015 pour pyélonéphrite aiguë et présence d'escherichia coli dans les urines. Dans les suites de l'intervention du 30 septembre 2015 de rétablissement de la continuité digestive, plusieurs hospitalisations ont été nécessaires : du 22 octobre au 4 novembre 2015 pour syndrome infectieux et insuffisance rénale fonctionnelle, du 13 au 20 novembre 2015 pour insuffisance rénale aiguë par hyperdébit de l'iléostomie, du 26 novembre au 5 décembre 2015 pour colite infectieuse, le 11 décembre 2015 pour constipation, du 13 au 17 décembre 2015 pour hématome pelvien et douleurs abdominales et du 6 au 11 janvier 2016 pour fermeture de l'iléostomie. Le rapport d'expertise indique qu'" au total, les complications digestives et urologiques, en rapport avec l'anastomose colorectale non protégée par une colostomie d'amont trouvent leur épilogue ou consolidation le 31 janvier 2016. Il en persistera des troubles du transit jusqu'au décès du malade le 29 décembre 2016. (...) A partir de cette date du 31 janvier 2016, les problèmes de santé de M. I... relèvent uniquement de l'évolution rapide de son cancer de vessie en dehors de ses troubles du transit évalués ci-dessus ".

24. Il résulte de l'instruction que, selon l'attestation détaillée du 10 octobre 2019 du médecin-conseil, la caisse primaire d'assurance maladie justifie avoir exposé pour le compte de son assuré les sommes de 96 414 euros au titre des frais hospitaliers correspondant aux hospitalisations du 20 au 22 février 2015, du 29 septembre au 21 octobre 2015, du 26 octobre au 4 novembre 2015, du 13 au 20 novembre 2015 et du 6 au 11 janvier 2016. Compte tenu des conclusions des experts qui précisent que " les complications digestives et urologiques, en rapport avec l'anastomose colorectale non protégée par une colostomie d'amont trouvent leur épilogue ou consolidation le 31 janvier 2016 ", il y a lieu de regarder la pyélonéphrite aiguë comme en lien avec la faute résultant de l'intervention du 5 novembre 2014. Les frais médicaux résultant des soins infirmiers ayant eu lieu entre le 16 janvier 2015 et le 31 janvier 2016 pour un montant de 1 018,82 euros doivent également être regardés comme étant en lien avec les fautes commises. Il en va de même concernant les frais de transport d'un montant de 439,80 euros qui correspondent à des hospitalisations. Par suite, il y a lieu de maintenir à la charge du centre hospitalier universitaire de Dijon la somme de 97 842,62 euros au titre des débours exposés.

25. Il résulte de ce qui précède que le centre hospitalier universitaire de Dijon est seulement fondé à demander que l'indemnité qu'il a été condamné à verser à Mme H... I...-M..., M. B... I... et Mme D... I..., au bénéfice de la succession, soit ramenée de 18 700 euros à la somme de 17 700 euros.

Sur les frais liés au litige :

26. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions des parties présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DECIDE :

Article 1er : La somme de 18 700 euros que le centre hospitalier universitaire de Dijon a été condamné à verser à Mme H... I...-M..., M. B... I... et Mme D... I..., au bénéfice de la succession est ramenée à la somme de 17 700 euros.

Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Dijon du 28 mai 2019 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 3 : Les conclusions des consorts I... et de la caisse primaire d'assurance maladie de Côte d'Or présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme H... I...-M..., à M. B... I..., à Mme D... I..., à la caisse primaire d'assurance maladie de la Côte d'Or, au centre hospitalier universitaire de Dijon et à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales.

Délibéré après l'audience du 27 mai 2021, à laquelle siégeaient :

M. Pourny, président de chambre,

M. Gayrard, président assesseur,

Mme C..., première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 21 juin 2021.

2

N° 19LY02865


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 6eme chambre - formation a 3
Numéro d'arrêt : 19LY02865
Date de la décision : 21/06/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-02-01-01 Responsabilité de la puissance publique. Responsabilité en raison des différentes activités des services publics. Service public de santé. Établissements publics d'hospitalisation.


Composition du Tribunal
Président : M. POURNY
Rapporteur ?: Mme Rozenn CARAES
Rapporteur public ?: Mme COTTIER
Avocat(s) : LE PRADO

Origine de la décision
Date de l'import : 29/06/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2021-06-21;19ly02865 ?
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