La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

10/06/2021 | FRANCE | N°19LY02686

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 5eme chambre - formation a 3, 10 juin 2021, 19LY02686


Vu la procédure suivante :

Procédure devant la cour

I- Par une requête enregistrée sous le n° 19LY02686 le 9 juillet 2019, des mémoires, et un mémoire récapitulatif produit après l'invitation prévue à l'article R. 611-8-1 du code de justice administrative, enregistré le 18 décembre 2020, la société civile IF Allondon, représentée par la Selarl Adden avocats, demande à la cour :

1°) d'annuler l'arrêté du 10 mai 2019 par lequel le maire de Thoiry a délivré à la SNC Eurocommercial Properties Taverny un permis de construire valant autorisation d'exploi

tation commerciale pour la construction d'un magasin de bricolage d'une surface de vente ...

Vu la procédure suivante :

Procédure devant la cour

I- Par une requête enregistrée sous le n° 19LY02686 le 9 juillet 2019, des mémoires, et un mémoire récapitulatif produit après l'invitation prévue à l'article R. 611-8-1 du code de justice administrative, enregistré le 18 décembre 2020, la société civile IF Allondon, représentée par la Selarl Adden avocats, demande à la cour :

1°) d'annuler l'arrêté du 10 mai 2019 par lequel le maire de Thoiry a délivré à la SNC Eurocommercial Properties Taverny un permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale pour la construction d'un magasin de bricolage d'une surface de vente de 10 550 m², la transformation d'un autre magasin existant et l'aménagement d'un parking en surface ;

2°) de mettre à la charge de la commune de Thoiry et de la société pétitionnaire la somme de 8 000 euros chacune au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la cour est matériellement et territorialement compétente ;

- la requête est recevable ;

- les moyens relatifs à l'incompatibilité du projet avec les orientations du schéma de cohérence territoriale du pays de Gex ainsi qu'à son insertion architecturale et paysagère sont recevables au regard de l'article L. 600-1-4 du code de l'urbanisme ;

- le dossier de demande d'autorisation d'exploitation commerciale est insuffisant s'agissant de ses effets en matière d'aménagement du territoire et de développement durable, eu égard aux lacunes et erreurs de l'étude de trafic, d'une part, et de la description des nuisances générées par le projet, d'autre part ;

- le projet n'a pas pris en compte les motifs de refus énoncés par la Commission nationale d'aménagement commercial le 12 octobre 2017, en méconnaissance de l'article L. 752-21 du code de commerce, en ce qui concerne tant le surdimensionnement de l'ensemble commercial que l'aggravation des difficultés de circulation et l'imperméabilisation des sols ;

- le projet méconnaît l'article L. 752-6 du code de commerce, dès lors que le projet aura des effets négatifs sur l'aménagement du territoire, compte tenu de sa localisation et de son défaut d'intégration urbaine, de sa consommation non économe d'espaces naturels et agricoles, de ses effets sur l'animation de la vie urbaine et les flux de transport, et qu'il aura également des effets négatifs en matière de développement durable, compte tenu de ses nuisances au détriment de l'environnement proche et de sa médiocre intégration architecturale et paysagère ;

- le projet n'est pas compatible avec les orientations du schéma de cohérence territoriale du pays de Gex relatives à la préservation des espaces naturels et à la réduction des déplacements motorisés ;

- l'avis de la Commission nationale d'aménagement commercial est dès lors entaché d'une erreur d'appréciation entraînant, par voie de conséquence, l'irrégularité de l'arrêté de permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale.

Par des mémoires en défense, et un mémoire récapitulatif produit après l'invitation prévue à l'article R. 611-8-1 du code de justice administrative, enregistré le 22 mars 2021, qui n'a pas été communiqué, la commune de Thoiry, représentée par la Selarl BLT Droit Public, conclut au rejet de la requête et demande à la cour de mettre à la charge de la société IF Allondon les dépens ainsi qu'une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les moyens tirés du défaut d'insertion architecturale et paysagère du projet ou de son incompatibilité avec le schéma de cohérence territoriale sont relatifs à la régularité du permis en tant qu'il vaut autorisation de construire et sont dès lors irrecevables en application de l'article L. 600-1-4 du code de l'urbanisme ;

- les autres moyens soulevés ne sont pas fondés.

Par des mémoires et un mémoire récapitulatif produit après l'invitation prévue à l'article R. 611-8-1 du code de justice administrative, enregistré le 1er février 2021, la SNC Eurocommercial Properties Taverny, représentée par Me E..., conclut au rejet de la requête et demande à la cour de mettre à la charge de la société IF Allondon une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés.

En application des articles R. 611-11-1 et R. 613-1 du code de justice administrative, la clôture de l'instruction est intervenue le 23 mars 2021 par ordonnance du même jour.

II- Par une requête enregistrée sous le n° 19LY02687 le 9 juillet 2019, des mémoires, et un mémoire récapitulatif produit après l'invitation prévue à l'article R. 611-8-1 du code de justice administrative, enregistré le 18 décembre 2020, la société civile IF Allondon, représentée par la Selarl Adden avocats, demande à la cour :

1°) d'annuler l'arrêté du 10 mai 2019 par lequel le maire de Thoiry a délivré à la SNC Eurocommercial Properties Taverny un permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale pour l'extension d'une galerie marchande et l'aménagement de parkings ;

2°) de mettre à la charge de la commune de Thoiry et de la société pétitionnaire la somme de 8 000 euros chacune au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la cour est matériellement et territorialement compétente ;

- la requête est recevable ;

- le dossier de demande d'autorisation d'exploitation commerciale est insuffisant s'agissant de ses effets en matière d'aménagement du territoire, de développement durable et de protection des consommateurs, eu égard aux lacunes et erreurs de l'étude de trafic, d'une part, de la description des nuisances générées par le projet, d'autre part, et enfin de la description de la montée en gamme alléguée de l'offre commerciale ;

- le projet n'a pas pris en compte les motifs de refus énoncés par la Commission nationale d'aménagement commercial le 12 octobre 2017, en méconnaissance de l'article L. 752-21 du code de commerce, en ce qui concerne tant le surdimensionnement de l'ensemble commercial que l'aggravation des difficultés de circulation ;

- le projet méconnaît l'article L. 752-6 du code de commerce, dès lors que le projet aura des effets négatifs sur l'aménagement du territoire, compte tenu de sa localisation et de son défaut d'intégration urbaine, ainsi que de ses effets sur l'animation de la vie urbaine et les flux de transport, et qu'il aura également des effets négatifs en matière de développement durable et de protection des consommateurs, compte tenu de sa médiocre intégration architecturale et paysagère et de son défaut d'accessibilité ainsi que de l'absence de diversification qualitative de l'offre commerciale ;

- l'avis de la Commission nationale d'aménagement commercial est dès lors entaché d'une erreur d'appréciation entraînant, par voie de conséquence, l'irrégularité de l'arrêté de permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale.

Par un mémoire en défense, enregistré le 10 avril 2020, la commune de Thoiry, représentée par la Selarl BLT Droit Public, conclut au rejet de la requête et demande à la cour de mettre à la charge de la société IF Allondon les dépens ainsi qu'une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés.

Par des mémoires et un mémoire récapitulatif produit après l'invitation prévue à l'article R. 611-8-1 du code de justice administrative, enregistré le 2 février 2021, la SNC Eurocommercial Properties Taverny, représentée par Me E..., conclut au rejet de la requête et demande à la cour de mettre à la charge de la société IF Allondon une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés.

En application des articles R. 611-11-1 et R. 613-1 du code de justice administrative, la clôture de l'instruction est intervenue le 8 avril 2021 par ordonnance du même jour.

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :

- le code de commerce ;

- le code de l'urbanisme ;

- le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme D..., première conseillère,

- les conclusions de M. Vallecchia, rapporteur public,

- et les observations de Me C..., représentant la société IF Allondon, de Me A..., représentant la commune de Thoiry, et de Me B..., représentant la SNC Eurocommercial Properties Taverny ;

Considérant ce qui suit :

1. Par deux arrêtés du 10 mai 2019, après avis favorable de la Commission nationale d'aménagement commercial du 7 février 2019 rendu sur recours de la société IF Allondon, le maire de Thoiry (Ain) a délivré à la SNC Eurocommercial Properties Taverny exploitant le centre commercial dénommé " Val Thoiry ", d'une part, un permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale pour la construction d'un magasin de bricolage à l'enseigne " Leroy Merlin ", la transformation d'un magasin à l'enseigne " Gemo " et l'aménagement d'un parking en surface de 395 places, et, d'autre part, un permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale pour la déconstruction partielle du magasin de bricolage existant à l'enseigne " Leroy Merlin ", l'extension de la galerie marchande du centre commercial, la création d'un parking en sous-sol de 794 places et la création d'un parking silo de 584 places. La société civile IF Allondon, bénéficiaire d'une autorisation d'exploitation commerciale pour un projet concurrent à Saint-Genis-Pouilly, demande à la cour d'annuler ces deux permis de construire.

2. Les deux requêtes présentées par la société IF Allondon présentent à juger des questions semblables et ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt.

Sur la composition des dossiers de demande :

3. Aux termes de l'article R. 752-6 du code de commerce, dans sa rédaction applicable au litige, la demande d'autorisation d'exploitation commerciale : " est accompagnée d'un dossier comportant les éléments suivants : / (...) 4° Effets du projet en matière d'aménagement du territoire. / Le dossier comprend une présentation des effets du projet sur l'aménagement du territoire, incluant les éléments suivants : / (...) c) Evaluation des flux journaliers de circulation des véhicules générés par le projet sur les principaux axes de desserte du site, ainsi que des capacités résiduelles d'accueil des infrastructures de transport existantes ; / d) Evaluation des flux journaliers de circulation des véhicules de livraison générés par le projet et description des accès au projet pour ces véhicules ; / e) Indication de la distance du projet par rapport aux arrêts des moyens de transports collectifs, de la fréquence et de l'amplitude horaire de la desserte de ces arrêts ; / f) Analyse prévisionnelle des flux de déplacement dans la zone de chalandise, tous modes de transport confondus, selon les catégories de clients ; / g) En cas d'aménagements envisagés de la desserte du projet : tous documents garantissant leur financement et leur réalisation effective à la date d'ouverture de l'équipement commercial ; / 5° Effets du projet en matière de développement durable. / Le dossier comprend une présentation des effets du projet en matière de développement durable, incluant les éléments suivants : / (...) d) Description des mesures propres à limiter l'imperméabilisation des sols ; / e) Description des mesures propres à limiter les pollutions associées à l'activité, notamment en matière de gestion des eaux pluviales et de traitement des déchets ; / (...) g) Le cas échéant, si le projet n'est pas soumis à étude d'impact, description des zones de protection de la faune et de la flore sur le site du projet et des mesures de compensation envisagées ; / 6° Effets du projet en matière de protection des consommateurs. / Le dossier comprend une présentation des effets du projet en matière de protection des consommateurs, incluant les éléments suivants : / (...) b) Le cas échéant, contribution du projet à l'amélioration du confort d'achat, notamment par un gain de temps et de praticité et une adaptation à l'évolution des modes de consommation (...) ".

4. La circonstance que le dossier de demande d'autorisation ne comporterait pas l'ensemble des éléments exigés par les dispositions précitées, ou que les documents produits seraient insuffisants, imprécis ou comporteraient des inexactitudes, n'est susceptible d'entacher d'illégalité l'autorisation qui a été accordée que dans le cas où les omissions, inexactitudes ou insuffisances entachant le dossier ont été de nature à fausser l'appréciation portée par l'autorité administrative sur la conformité du projet à la réglementation applicable.

En ce qui concerne l'étude de trafic :

5. En premier lieu, il ressort de l'ensemble des comptages de trafic, et notamment de ceux réalisés en dernier lieu par la société Citec à la demande de l'établissement public de coopération intercommunale, y compris sur la route départementale 884, que l'heure de pointe de fréquentation de l'ensemble commercial s'établit le samedi entre 16 heures et 18 heures. La circonstance qu'il existe un trafic pendulaire en semaine et que le trafic soit plus faible le samedi sur une portion de voie au nord de la rue de la gare, tout en restant modéré le vendredi, n'est pas de nature à remettre en cause cette conclusion issue des comptages, qui n'est pas discutée de manière circonstanciée par le bureau d'études mandaté par la requérante pour émettre un avis technique sur l'étude de trafic réalisée au soutien des deux demandes. Par suite, le choix de l'heure de pointe étudiée par cette étude ne souffre d'aucune inexactitude.

6. En deuxième lieu, ni les services en charge de l'instruction des demandes d'autorisation d'exploitation commerciale ni le bureau d'études mandaté par la communauté de communes du pays de Gex, devenue communauté d'agglomération du pays de Gex, n'ont remis en cause la pertinence des principaux axes de desserte du site étudiés par la société Oneworks, missionnée par le pétitionnaire, et en particulier l'absence d'étude des conséquences du projet d'extension du centre commercial existant sur le giratoire " Porte de France " situé à 4 km de " Val Thoiry ". Si l'avis technique produit par la requérante conclut à une saturation des réserves de capacité d'une branche de ce giratoire après réalisation du projet en litige, il ressort des termes de cet avis que cette conclusion tient également compte des effets du projet porté par la société requérante, autorisé mais non encore réalisé. Dans ces conditions, il ne ressort pas des pièces du dossier que l'étude de trafic réalisée au soutien des demandes d'autorisation, en s'abstenant d'étudier les conséquences du projet sur des infrastructures routières situées à plusieurs kilomètres du site d'implantation du projet, serait entachée d'insuffisance ou d'omissions.

7. En troisième lieu, si seuls les flux de circulation sur la rue de la gare, et non les capacités résiduelles d'accueil, ont été analysés par l'étude de trafic établie pour la société Eurocommercial Properties Taverny, il ressort de cette étude que les réserves de capacité des deux giratoires situés à chaque extrémité de la section litigieuse ont été analysés, tant par le pétitionnaire que par le bureau d'études missionné par la communauté de communes du pays de Gex, lequel conclut par ailleurs au caractère suffisant notamment de l'aménagement consistant à doubler les voies sur cette section afin d'absorber le trafic supplémentaire induit par le projet. Il s'ensuit que cette omission n'a pas été de nature à fausser l'appréciation de la Commission nationale d'aménagement commercial.

8. En dernier lieu, si les dossiers de demande d'autorisation établis en juillet 2018 font état d'un projet, ultérieurement abandonné, de réaménagement de la voie de sortie de la RD884 destiné à résorber les difficultés de circulation susceptibles d'être induites par le projet et figurant dans une convention de projet urbain partenarial du 1er mars 2017, il ressort des termes mêmes de l'avis de la Commission nationale d'aménagement commercial qu'elle a statué au vu de la nouvelle convention de projet urbain partenarial du 3 octobre 2018 et de l'étude commandée par la communauté de communes afin d'évaluer la pertinence des autres aménagements routiers prévus. Elle a en conséquence été suffisamment informée tant de l'abandon de ce projet d'aménagement que de son incidence sur le trafic routier. Les mentions devenues erronées figurant dans les dossiers de demande d'autorisation n'ont, par suite, pas été de nature à fausser son appréciation.

En ce qui concerne les effets du projet en matière de développement durable :

9. En premier lieu, si les dossiers de demande omettent de faire état de la présence sur le site du projet de la pie grièche écorcheur, espèce protégée dont l'étude d'impact confirme qu'elle a été observée, et ne précisent pas explicitement que cette espèce est concernée par la replantation prévue, sur la partie non constructible de la parcelle supportant le nouveau magasin de bricolage, des haies constituant leur habitat qui seront détruites par le projet, il ne ressort pas des pièces du dossier que cette omission aurait été de nature à influer sur le sens de l'avis de la commission, dès lors que l'étude d'impact conclut à un effet positif de la mesure de reconstitution du linéaire de haies détruites.

10. En second lieu, l'étude d'impact réalisée pour le pétitionnaire conclut à un impact résiduel positif du projet sur le complexe de zone humide situé à 150 mètres compte tenu des mesures proposées. Dans ces conditions, la circonstance que les dossiers de demande aient reproduit un tableau de l'étude d'impact qualifiant de " moyen " l'enjeu environnemental relatif à cette zone humide, plutôt qu'un second tableau de synthèse qualifiant " d'enjeu fort " le degré de sensibilité de cette même zone n'a pu que demeurer sans influence sur le sens de l'avis.

En ce qui concerne l'effet du projet d'extension de la galerie marchande du centre commercial existant sur la protection des consommateurs :

11. Le dossier de demande d'autorisation ayant donné lieu au permis contesté dans l'instance n° 19LY02687 a suffisamment répondu aux exigences du b) précité du 6° de l'article R. 752-6 du code de commerce, en faisant état de l'amélioration des accès, de l'accessibilité aux personnes handicapées, ainsi que de la modernisation des magasins existants et des services proposés, alors même qu'il ne détaille pas la montée en gamme des commerces, qui n'est d'ailleurs pas revendiquée par le pétitionnaire mais seulement présentée comme une attente de la clientèle.

12. Il résulte de tout ce qui précède que les moyens tirés des insuffisances des dossiers de demande doivent être écartés.

Sur le moyen tiré de la méconnaissance de l'article L. 752-21 du code de commerce :

13. Aux termes de l'article L. 752-21 du code de commerce : " Un pétitionnaire dont le projet a été rejeté pour un motif de fond par la Commission nationale d'aménagement commercial ne peut déposer une nouvelle demande d'autorisation sur un même terrain, à moins d'avoir pris en compte les motivations de la décision ou de l'avis de la commission nationale ". Le I de l'article L. 752-3 du même code dispose que : " Sont regardés comme faisant partie d'un même ensemble commercial, qu'ils soient ou non situés dans des bâtiments distincts et qu'une même personne en soit ou non le propriétaire ou l'exploitant, les magasins qui sont réunis sur un même site et qui : / 1° Soit ont été conçus dans le cadre d'une même opération d'aménagement foncier, que celle-ci soit réalisée en une ou en plusieurs tranches ; / 2° Soit bénéficient d'aménagements conçus pour permettre à une même clientèle l'accès des divers établissements (...) ". En vertu du 4° de l'article L. 752-1 du code de commerce, la création d'un tel ensemble commercial est soumise à autorisation d'exploitation commerciale et doit faire l'objet d'une appréciation globale, même en présence de demandes fractionnées.

14. Il ressort des pièces du dossier que deux premières demandes soumises par la société Eurocommercial Properties Taverny portant sur la création d'un magasin de bricolage " Leroy Merlin " d'une surface de vente de 10 550m², l'extension de 18 418m² de la galerie marchande et l'aménagement de parkings avaient donné lieu à un unique avis défavorable de la Commission nationale d'aménagement commercial du 2 octobre 2017, aux motifs que le projet semblait surdimensionné et de nature à nuire aux équilibres commerciaux du territoire, que le surplus de fréquentation par une clientèle essentiellement motorisée était de nature à accentuer les difficultés de circulation aux abords du site, et que la réalisation du magasin de bricolage sur une parcelle vierge conduisait à une importante imperméabilisation des sols.

15. Les deux nouvelles demandes soumises par le même pétitionnaire portent, pour l'essentiel, sur le déplacement d'un magasin de bricolage actuellement situé dans le prolongement du centre commercial Val Thoiry, et sur l'extension de la galerie marchande du centre commercial sur une partie de l'espace ainsi libéré. Le nouveau magasin de bricolage et le centre commercial étendu sont situés à proximité l'un de l'autre, des deux côtés d'une voie publique ne constituant pas un obstacle à la circulation des clients entre les magasins, compte tenu des aménagements prévus pour permettre à une même clientèle l'accès aux divers établissements. Les deux demandes portent en conséquence sur un même ensemble commercial et la prise en compte des motifs du précédent avis défavorable doit ainsi faire l'objet d'une appréciation globale.

16. En l'espèce, en réduisant à 10 842m² l'extension de la galerie marchande, notamment par la réduction des nouvelles surfaces de boutiques, en augmentant le nombre de places de stationnement dédiées au covoiturage, aux véhicules électriques et aux cycles, en complétant les nouveaux cheminements destinés aux modes doux, en augmentant la surface des toitures végétalisées ainsi que le nombre et la surface des emplacements de stationnement perméables, la société pétitionnaire a suffisamment pris en compte les motifs de l'avis défavorable rendu sur ses premières demandes, même en l'absence de réduction de la surface du nouveau magasin de bricolage et de nouvel aménagement routier notable. Les conséquences des modifications apportées aux projets sur leur conformité aux objectifs fixés à l'article L. 752-6 du code de commerce relèvent du seul bien-fondé de l'avis. Le moyen tiré de la méconnaissance de l'article L. 752-21 du code de commerce doit, en conséquence, être écarté.

Sur le moyen tiré de la méconnaissance de l'article L. 752-6 du code de commerce :

17. Selon l'article L. 750-1 du code de commerce : " Les implantations, extensions, transferts d'activités existantes et changements de secteur d'activité d'entreprises commerciales et artisanales doivent répondre aux exigences d'aménagement du territoire, de la protection de l'environnement et de la qualité de l'urbanisme. Ils doivent en particulier contribuer au maintien des activités dans les zones rurales et de montagne ainsi qu'au rééquilibrage des agglomérations par le développement des activités en centre-ville et dans les zones de dynamisation urbaine. / Dans le cadre d'une concurrence loyale, ils doivent également contribuer à la modernisation des équipements commerciaux, à leur adaptation à l'évolution des modes de consommation et des techniques de commercialisation, au confort d'achat du consommateur et à l'amélioration des conditions de travail des salariés ". Aux termes de l'article L. 752-6 du même code, dans sa rédaction applicable au litige : " La commission départementale d'aménagement commercial prend en considération : / 1° En matière d'aménagement du territoire : / a) La localisation du projet et son intégration urbaine ; / b) La consommation économe de l'espace, notamment en termes de stationnement ; / c) L'effet sur l'animation de la vie urbaine, rurale et dans les zones de montagne et du littoral ; / d) L'effet du projet sur les flux de transports et son accessibilité par les transports collectifs et les modes de déplacement les plus économes en émission de dioxyde de carbone ; / 2° En matière de développement durable : / (...) b) L'insertion paysagère et architecturale du projet, notamment par l'utilisation de matériaux caractéristiques des filières de production locales ; / c) Les nuisances de toute nature que le projet est susceptible de générer au détriment de son environnement proche. (...) 3° En matière de protection des consommateurs : / a) L'accessibilité, en termes, notamment, de proximité de l'offre par rapport aux lieux de vie ; / b) La contribution du projet à la revitalisation du tissu commercial, notamment par la modernisation des équipements commerciaux existants et la préservation des centres urbains ; / c) La variété de l'offre proposée par le projet, notamment par le développement de concepts novateurs et la valorisation de filières de production locales (...) ".

18. En application des dispositions précitées, l'autorisation d'aménagement commercial ne peut être refusée que si, eu égard à ses effets, le projet contesté compromet la réalisation des objectifs énoncés par la loi, et il appartient aux commissions d'aménagement commercial, lorsqu'elles statuent sur les dossiers de demande d'autorisation, d'apprécier la conformité du projet à ces objectifs, au vu des critères d'évaluation mentionnés à l'article L. 752-6 du code de commerce.

En ce qui concerne l'aménagement du territoire :

19. En premier lieu, le projet d'extension de la galerie marchande occupe un emplacement libéré par le déplacement et l'agrandissement du magasin de bricolage existant sur une parcelle située dans la continuité immédiate des zones commerciales " Val Thoiry " et " Pré Fontaine ", elles-mêmes prolongées par une zone artisanale située de l'autre côté de la RD884. Dans ces conditions, même si le nouveau magasin de bricolage s'implante en lisière d'une vaste zone agricole, si les accès au site seront essentiellement motorisés et si les premières zones d'habitation se trouvent à environ 1,5 km des projets en litige, ces derniers ne compromettent pas l'objectif d'intégration urbaine.

20. En deuxième lieu, il ressort des pièces du dossier et des écritures des parties que le projet de déplacement du magasin de bricolage " Leroy Merlin " et de retournement du magasin à l'enseigne " Gemo " entraînera l'imperméabilisation de plus de la moitié de la surface classée en zone constructible des parcelles d'implantation des bâtiments, soit un peu plus de 20 000m². La société pétitionnaire a toutefois prévu de végétaliser 7 410m² de toitures du nouveau magasin de bricolage ainsi que les emplacements de stationnement, pour l'essentiel perméables, et une partie des toitures du magasin " Gemo ". Elle prévoit en outre, après étude d'impact, la mise en oeuvre de dispositifs de gestion des eaux pluviales dont ni la pertinence ni l'efficacité ne sont remises en cause de manière suffisamment circonstanciée. Dans ces conditions, malgré l'ampleur du projet et si les conventions conclues avec des agriculteurs à titre de mesures compensatoires des incidences du projet sur la faune demeurent sans influence sur les surfaces imperméabilisées, le projet contesté dans l'instance n° 19LY02686 ne compromet pas l'objectif de consommation économe de l'espace.

21. En troisième lieu, la requérante ne conteste pas la forte dynamique commerciale du secteur du pays de Gex et n'apporte aucun élément circonstancié de nature à faire présumer que les commerces de centre-ville de Thoiry, de Saint-Genis-Pouilly ou d'une autre commune de la zone de chalandise seraient en situation de fragilité. Par suite, alors en outre que le projet limite à 2 205m² la surface de vente des nouvelles boutiques à créer dans la galerie marchande, il ne ressort pas des pièces du dossier que les projets en litige compromettraient l'animation de la vie urbaine des communes concernées.

22. En dernier lieu, il ressort de l'étude non critiquée établie à la demande de l'établissement public de coopération intercommunale par la société Citec, qui avait pour mission d'expertiser l'étude de trafic, de mettre à jour les données de comptage, et d'identifier le trafic généré par le projet ainsi que les aménagements de voirie nécessaires, que les aménagements prévus par la société pétitionnaire sont suffisants, combinés à une modification du jalonnement de la RD884, pour pallier l'augmentation du trafic générée par le projet, malgré l'abandon du projet de réaménagement de la voie de sortie de la RD884. Par ailleurs, il n'est ni démontré, ni même allégué que les cheminements piétons, qui seront complétés, depuis les arrêts de bus existants de la ligne 33 de transports en commun, dont l'emplacement n'est pas modifié, seraient particulièrement accidentogènes. En outre, contrairement à ce que soutient la requérante, le projet prévoit de compléter un cheminement actuellement discontinu pour les modes de déplacement doux au nord du site en direction de Thoiry. Ainsi, et même si les cheminements dédiés aux modes de déplacement doux ne sont pas larges et ne prévoient pas une séparation claire des piétons et des cycles, les projets ne compromettent pas les objectifs prévus par la loi quant aux flux de transport.

En ce qui concerne les effets en matière de développement durable :

23. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier, et notamment de l'étude d'impact, que le projet de construction d'un nouveau magasin de bricolage, contesté dans l'instance n° 19LY02686, s'accompagne de travaux d'aménagement d'un ruisseau situé rue de la gare, de la mise en place d'un cuvelage afin d'éviter l'assèchement de la nappe et de mesures de gestion des eaux pluviales notamment par la mise en oeuvre de noues paysagères, avec des effets résiduels attendus positifs sur le complexe des zones humides. La société requérante ne démontre ni que ces mesures seraient insuffisantes ou imprécises ni que les mesures prévues en phase chantier afin d'éviter un hypothétique impact indirect par pollution des eaux souterraines ou des eaux de ruissellement ou par assèchement de la nappe seraient inadéquates. Il n'est en outre pas sérieusement contesté que les petites pluies présentent un enjeu plus important au regard du risque de pollution des eaux de ruissellement que les grosses pluies, alors que le dispositif de filtration par la mise en place de noues paysagères ne fait pas l'objet d'une critique suffisamment circonstanciée. Par ailleurs, en se bornant à faire état d'un hypothétique risque de non renouvellement du bail des exploitants ayant conclu, à titre de mesures compensatoires, des conventions de trente ans avec la société pétitionnaire, et du risque de caducité en découlant, la requérante ne remet pas sérieusement en cause la pérennité des mesures compensatoires prévues. Enfin, contrairement à ce que soutient la requérante, il ressort des pièces du dossier et notamment de l'étude d'impact que la replantation de haies et la mise en place de deux gîtes à hérisson constituent des mesures suffisantes en vue de compenser les effets du projet sur la pie grièche écorcheur et le hérisson. Par suite, le projet de magasin de bricolage ne compromet pas les objectifs fixés par la loi en matière de développement durable.

24. En deuxième lieu, les nouveaux bâtiments projetés en extension de la zone commerciale existante s'insèrent dans une zone d'activités plus vaste aux formes architecturales rectangulaires auxquelles s'intègrent les projets. Il ressort par ailleurs des pièces du dossier que les façades des magasins " Leroy Merlin " et " Gemo " présentent une cohérence de style, que le dégradé de vert de la façade du magasin de bricolage entend faire écho à l'environnement paysager du projet, et que les façades de l'extension de la galerie marchande s'inscrivent dans la continuité des façades existantes du centre commercial, de style plus minéral. La société requérante ne conteste pas, par ailleurs, l'insertion paysagère du projet par la mise en oeuvre d'une lisière boisée au nord du projet, en limite avec les terres agricoles, et la plantation d'arbres dans les zones de stationnement. Dans ces conditions, le moyen, qui est recevable, tiré de la méconnaissance des objectifs fixés au b) précité du 2° de l'article L. 752-6 du code de commerce, doit être écarté.

En ce qui concerne les effets du projet d'extension de la galerie marchande sur la protection des consommateurs :

25. Il ressort des pièces du dossier que la zone primaire de chalandise du projet, lequel consiste en une extension d'un centre commercial existant, regroupe des communes situées à moins de 10 minutes en voiture et comptant au total environ 58 000 habitants, en progression démographique d'environ 37% depuis 1999. Ainsi, malgré son relatif éloignement des lieux de vie, le projet, qui sera par ailleurs suffisamment desservi en semaine par les transports en commun et est accessible à vélo depuis la commune de Thoiry, ne compromet pas les objectifs fixés par la loi en matière d'accessibilité de l'offre. Dans ces conditions, si la requérante démontre par ailleurs que le projet ne contribuera pas à la variété de l'offre et ne développe pas de services et concepts novateurs, ceux présentés comme tels étant pour l'essentiel déjà présents sur le site, cette seule circonstance ne suffit pas à démontrer que les projets seraient de nature à compromettre les différents objectifs prévus par les dispositions de l'article L. 752-6 du code de commerce.

26. Il résulte de ce qui précède que le moyen tiré de la méconnaissance de ces dispositions doit être écarté.

Sur le moyen tiré de l'incompatibilité du projet de magasin de bricolage avec le schéma de cohérence territoriale du pays de Gex :

27. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 752-6 du code de commerce, dans sa rédaction applicable au litige : " I.- L'autorisation d'exploitation commerciale mentionnée à l'article L. 752-1 est compatible avec le document d'orientation et d'objectifs des schémas de cohérence territoriale (...) ". Il appartient aux commissions d'aménagement commercial, non de vérifier la conformité des projets d'exploitation commerciale qui leur sont soumis aux énonciations des schémas de cohérence territoriale (SCOT), mais d'apprécier la compatibilité de ces projets avec les orientations générales et les objectifs qu'ils définissent pris dans leur ensemble.

28. En l'espèce, si le document d'orientations générales du SCOT du pays de Gex approuvé en juillet 2017 entend préserver les espaces naturels et agricoles et rééquilibrer les implantations d'activités économiques sur le territoire afin, notamment, de réduire les déplacements motorisés, il ressort toutefois de la partie de ce même document consacrée à l'implantation des activités commerciales que les implantations d'entreprises de plus de 1 500 m² de surface de vente ne sont autorisées que dans les pôles urbains et dans les deux zones d'activités existantes à rayonnement territorial, dont " Val Thoiry " fait partie. Par suite, le moyen, qui est recevable, tiré de ce que le projet de déplacement du magasin " Leroy Merlin ", d'une surface de vente de 10 550m², ne serait pas compatible avec les objectifs du SCOT du pays de Gex ne peut qu'être écarté.

29. Il résulte de tout ce qui précède que la société IF Allondon n'est pas fondée à demander l'annulation des arrêtés du 10 mai 2019 par lesquels le maire de Thoiry a délivré à la SNC Eurocommercial Properties Taverny deux permis de construire valant autorisations d'exploitation commerciale.

Sur les frais liés au litige :

30. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que la commune de Thoiry et la SNC Eurocommercial Properties Taverny, qui n'ont pas, dans la présente instance, la qualité de parties perdantes, versent à la société IF Allondon la somme demandée au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il y a lieu en revanche, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société IF Allondon le versement à la commune de Thoiry, d'une part, et à la SNC Eurocommercial Properties Taverny, d'autre part, une somme de 3 000 euros chacune à ce titre. En l'absence de dépens, la demande formée au titre de l'article R. 761-1 du code de justice administrative doit être rejetée.

DÉCIDE :

Article 1er : Les requêtes de la société IF Allondon sont rejetées.

Article 2 : La société civile IF Allondon versera une somme de 3 000 euros à la commune de Thoiry, d'une part, et à la SNC Eurocommercial Properties Taverny, d'autre part, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société IF Allondon, à la commune de Thoiry, et à la SNC Eurocommercial Properties Taverny.

Copie en sera adressée au président de la Commission nationale d'aménagement commercial.

Délibéré après l'audience du 12 mai 2021, à laquelle siégeaient :

M. Bourrachot, président de chambre,

Mme Dèche, présidente assesseure,

Mme D..., première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 10 juin 2021.

2

N° 19LY02686, 19LY02687

ar


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 5eme chambre - formation a 3
Numéro d'arrêt : 19LY02686
Date de la décision : 10/06/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Exces de pouvoir

Analyses

14-02-01-05 Commerce, industrie, intervention économique de la puissance publique. Réglementation des activités économiques. Activités soumises à réglementation. Aménagement commercial.


Composition du Tribunal
Président : M. BOURRACHOT
Rapporteur ?: Mme Mathilde LE FRAPPER
Rapporteur public ?: M. VALLECCHIA
Avocat(s) : ADDEN AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 22/06/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2021-06-10;19ly02686 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award