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01/06/2021 | FRANCE | N°19LY00906

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 1ere chambre - formation a 3, 01 juin 2021, 19LY00906


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

Par une première demande, la SCI La Belle Grange à Gourand a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler l'arrêté du 3 mai 2016 par lequel le maire de Passy a refusé de lui délivrer un permis d'aménager ainsi que les décisions des 7 juillet 2016 du préfet de la Haute-Savoie et du 22 août 2016 du maire de Passy rejetant son recours gracieux contre le refus de permis.

Par une seconde demande, la SCI La Belle Grange à Gourand a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler l'arr

êté du 10 juin 2016 par lequel le maire de Passy a refusé de lui délivrer un seco...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

Par une première demande, la SCI La Belle Grange à Gourand a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler l'arrêté du 3 mai 2016 par lequel le maire de Passy a refusé de lui délivrer un permis d'aménager ainsi que les décisions des 7 juillet 2016 du préfet de la Haute-Savoie et du 22 août 2016 du maire de Passy rejetant son recours gracieux contre le refus de permis.

Par une seconde demande, la SCI La Belle Grange à Gourand a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler l'arrêté du 10 juin 2016 par lequel le maire de Passy a refusé de lui délivrer un second permis d'aménager.

Par un jugement n° 1605277, 1605874 du 31 décembre 2018, le tribunal administratif de Grenoble a, après les avoir jointes, rejeté ces demandes.

Procédure devant la cour

I- Par une requête et un mémoire complémentaire enregistrés sous le n° 19LY00906, le 7 mars 2019 et le 7 décembre 2020, la SCI La Belle Grange à Gourand, représentée par Me A..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1605874 du tribunal administratif de Grenoble du 31 décembre 2018 ainsi que le refus de permis d'aménager du 10 juin 2016 ;

2°) d'enjoindre au maire de Passy de délivrer le permis d'aménager dans le délai de deux mois à compter de l'arrêt à intervenir ;

3°) de mettre à la charge de la commune de Passy la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement est irrégulier ; il a été rendu en méconnaissance des article L. 5 et R. 611-1 du code de justice administrative ; pour rejeter sa demande, le tribunal s'est fondé sur des éléments matériels figurant dans le dernier mémoire enregistré au greffe du tribunal le 28 septembre 2018 et qui ne lui ont pas été communiqués ;

- l'arrêté du 10 juin 2016 méconnaît l'article L. 600-2 du code de l'urbanisme ; le maire s'est fondé sur des dispositions postérieures à la date du sursis à statuer du 20 mars 2013 pour refuser le permis en s'appropriant l'avis de l'architecte des bâtiments de France, lequel fait référence au PLU devant être approuvé le 24 mars 2017 ;

- le maire ne pouvait se fonder sur l'article L. 145-3 pour refuser l'autorisation demandée le 16 novembre 2012, dès lors qu'à cette date, la commune était dotée d'un plan d'occupation des sols qui faisait écran à l'application de la loi Montagne ;

- le motif de refus tiré de la méconnaissance du III de l'article L. 145-3 du code de l'urbanisme n'est pas fondé ; le projet s'inscrit dans la continuité de l'urbanisation existante, laquelle est très étalée à l'échelle du territoire communal ;

- le motif de refus tiré de la méconnaissance du I de l'article L. 145-3 du code de l'urbanisme n'est pas fondé ; les terrains d'assiette ne sont pas le siège d'une exploitation agricole et ne sont ni situés à proximité d'une telle exploitation ni ne jouent de rôle spécifique dans un système d'exploitation locale ;

- le projet ne porte pas atteinte au site inscrit du plateau de Passy et reste conforme à l'article R. 111-21 du code de l'urbanisme.

Par deux mémoires en défense enregistrés les 4 novembre et 22 décembre 2020, ce dernier n'ayant pas été communiqué, la commune de Passy, représentée par la société Adamas Affaires publiques, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 3 000 euros soit mise à la charge de la société requérante en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- le jugement est régulier dès lors que le mémoire de la commune n'ayant pas été versé aux débats en première instance ne contenait aucun élément nouveau et que les premiers juges ne se sont pas fondés sur ce mémoire pour statuer ;

- l'article L. 600-2 du code de l'urbanisme n'a pas été méconnu ; le refus de permis n'est pas fondé sur la non-conformité au POS ni sur celle du PLU mais sur la méconnaissance des dispositions des articles L. 145-3 et R. 111-21 du code de l'urbanisme ;

- les motifs tirés de la méconnaissance des articles L. 122-5 et L. 122-10 du code de l'urbanisme sont fondés ;

- le projet, par son ampleur, les constructions projetées et les remblais qu'il induit, porte atteinte au site du plateau de Passy inscrit et identifié au titre de l'inventaire du patrimoine naturel communal.

La clôture de l'instruction a été fixée en dernier lieu au 23 décembre 2020 par une ordonnance du 9 décembre précédent en application de l'article R. 613-1 du code de justice administrative.

II- Par une requête et un mémoire complémentaire enregistrés sous le n° 19LY00907, le 7 mars 2019 et le 7 décembre 2020, la SCI La Belle Grange à Gourand, représentée par Me A..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1605277 du tribunal administratif de Grenoble du 31 décembre 2018 ainsi que le refus de permis d'aménager du 3 mai 2016 ;

2°) d'enjoindre au maire de Passy de délivrer le permis d'aménager dans le délai de deux mois à compter de la décision à intervenir ou subsidiairement, de statuer à nouveau sur sa demande dans le respect des prescriptions de l'article L. 600-2 du code de l'urbanisme ;

3°) de mettre à la charge de la commune de Passy la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement est irrégulier ; pour rejeter sa demande, le tribunal s'est fondé sur des éléments matériels figurant dans le dernier mémoire enregistré au greffe du tribunal le 28 septembre 2018 et qui ne lui ont pas été communiqués ;

- le refus de permis en litige est illégal du fait de l'illégalité de l'avis de l'architecte des bâtiments de France du 21 mars 2016 ; cet avis est entaché d'un défaut d'examen particulier du projet ;

- le motif de refus tiré de la méconnaissance de l'article L. 122-5 du code de l'urbanisme n'est pas fondé ; le projet s'inscrit dans la continuité de l'urbanisation existante ;

- le motif de refus tiré de la méconnaissance de l'article L. 122-10 du code de l'urbanisme n'est pas fondé ; les terrains d'assiette ne sont pas le siège d'une exploitation agricole, ne sont pas situés à proximité d'une telle exploitation ni ne jouent de rôle spécifique dans un système d'exploitation locale ;

- le projet ne porte pas atteinte au site inscrit du plateau de Passy et reste conforme à l'article R. 111-27 du code de l'urbanisme.

Par deux mémoires en défense enregistrés les 4 novembre et 22 décembre 2020, ce dernier n'ayant pas été communiqué, la commune de Passy, représentée par la société Adamas Affaires publiques, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 3 000 euros soit mise à la charge de la société requérante en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- le jugement est régulier dès lors que le mémoire de la commune n'ayant pas été versé aux débats en première instance ne contenait aucun élément nouveau et que les premiers juges ne se sont pas fondés sur ce mémoire pour statuer ;

- l'avis de l'architecte des Bâtiments de France est un avis simple qui n'est pas le fondement du refus de permis ; cet avis a été pris au terme d'un examen particulier de la demande de permis ;

- les motifs tirés de la méconnaissance par le projet des articles L. 122-5 et L. 122-10 du code de l'urbanisme sont fondés ;

- le projet, par son ampleur, les constructions projetées et les remblais qu'il induit, porte atteinte au site du plateau de Passy inscrit et identifié au titre de l'inventaire du patrimoine naturel communal.

La clôture de l'instruction a été fixée en dernier lieu au 23 décembre 2020 par une ordonnance du 9 décembre précédent en application de l'article R. 613-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de l'urbanisme ;

- le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme D... C..., première conseillère,

- les conclusions de Mme Bénédicte Lordonné, rapporteure publique,

- les observations de Me E... pour la SCI La Belle Grange à Gourand ainsi que celles de Me B... pour la commune de Passy ;

Considérant ce qui suit :

1. La SCI La Belle Grange à Gourand est propriétaire des parcelles cadastrées section J n° 1931,1933 et 759, d'une surface de 7 581 m², dans le site du Plateau d'Assy à Passy en Haute-Savoie lequel est un site naturel inscrit et ZNIEFF de type I. A la suite de l'annulation du plan local d'urbanisme de la commune, la société La Belle Grange à Gourand a déposé, le 16 novembre 2012, une demande de permis d'aménager auquel le maire a opposé un sursis à statuer par deux arrêtés du 20 mars et 28 mai 2013. Saisi de ces sursis, le tribunal administratif de Grenoble a, par jugement du 29 avril 2016, annulé ces deux arrêtés et enjoint au maire de Passy de statuer à nouveau sur la demande de la société. Cette dernière a, par courrier du 23 mai 2016 confirmé sa demande et sollicité que la nouvelle instruction de sa demande se fasse au visa des dispositions d'urbanisme en vigueur à la date du sursis à statuer conformément à l'article L. 600-2 du code de l'urbanisme. Par arrêté du 10 juin 2016, la maire de Passy a refusé de délivrer à la société La Belle Grange à Gourand un permis d'aménager. En parallèle, la société La Belle Grange à Gourand avait déposé le 23 novembre 2015 une seconde demande de permis d'aménager, laquelle a donné lieu à un autre refus du maire de Passy par arrêté du 3 mai 2016. La société La Belle Grange à Gourand fait appel du jugement du 31 décembre 2018 par lequel le tribunal administratif de Grenoble a, après les avoir jointes, rejeté ses demandes tendant à l'annulation des arrêtés des 3 mai et 10 juin 2016 portant refus de permis d'aménager.

2. Les requêtes susvisées n° 19LY00906 et n° 19LY00907, présentées par la SCI La Belle Grange à Gourand, présentent à juger des questions semblables. Il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt.

Sur la régularité du jugement :

3. L'article L. 5 du code de justice administrative dispose que " L'instruction des affaires est contradictoire ". L'article R. 611-1 du même code dispose que " La requête et les mémoires, ainsi que les pièces produites par les parties, sont déposés ou adressés au greffe. / La requête, le mémoire complémentaire annoncé dans la requête et le premier mémoire de chaque défendeur sont communiqués aux parties avec les pièces jointes dans les conditions prévues aux articles R. 611-2 à R. 611-6. / Les répliques, autres mémoires et pièces sont communiqués s'ils contiennent des éléments nouveaux. ".

4. La société requérante soutient, dans chacune des requêtes, que le dernier mémoire en défense enregistré au greffe du tribunal administratif de Grenoble le 28 septembre 2018 ne lui a pas été communiqué dans chacune des instances, alors qu'il contenait des éléments matériels, notamment un extrait du registre parcellaire graphique du site géoportail, sur lesquels se sont fondés les juges de première instance pour rejeter les conclusions dont ils étaient saisis et, plus précisément, pour écarter le moyen tiré de l'erreur d'appréciation dont serait entaché l'un des motifs de refus, tiré de la méconnaissance par le projet du I de l'article L. 145-3 du code de l'urbanisme repris dorénavant à l'article L. 122-10 du même code. Toutefois, il ressort des termes du jugement que le tribunal ne s'est fondé qu'à titre surabondant sur la circonstance que les parcelles d'assiette du projet étaient inscrites au registre parcellaire graphiques du site géoportail en tant que prairies permanentes pour écarter ces moyens. Dans ces conditions, la société requérante n'est pas fondée à soutenir que le jugement a été rendu en méconnaissance du caractère contradictoire de l'instruction et, partant, à en demander l'annulation.

Sur la légalité du refus de permis d'aménager du 10 juin 2016 :

En ce qui concerne l'article L. 600-2 du code de l'urbanisme :

5. Aux termes de l'article L. 600-2 du code de l'urbanisme : " Lorsqu'un refus opposé à une demande d'autorisation d'occuper ou d'utiliser le sol ou l'opposition à une déclaration de travaux régies par le présent code a fait l'objet d'une annulation juridictionnelle, la demande d'autorisation ou la déclaration confirmée par l'intéressé ne peut faire l'objet d'un nouveau refus ou être assortie de prescriptions spéciales sur le fondement de dispositions d'urbanisme intervenues postérieurement à la date d'intervention de la décision annulée sous réserve que l'annulation soit devenue définitive et que la confirmation de la demande ou de la déclaration soit effectuée dans les six mois suivant la notification de l'annulation au pétitionnaire. ".

6. Il ressort des pièces du dossier que, pour refuser le permis d'aménager en litige, le maire de Passy s'est fondé, exclusivement sur les dispositions des articles L. 145-3 et R.111-21 du code de l'urbanisme dans leur version alors en vigueur à la date des sursis à statuer opposés à la société en mai 2013 et comme l'exigeaient les dispositions précitées au point 5, sans faire mention dans ce refus de la procédure d'élaboration alors en cours du futur plan local d'urbanisme de la commune. Dès lors, la société requérante n'est pas fondée à soutenir que le maire se serait fondé sur des circonstances de fait et de droit postérieures à la date des sursis, d'autant que l'avis de l'architecte des bâtiments de France du 21 mars 2016 qu'elle invoque, s'il mentionne effectivement cette procédure d'élaboration du PLU, a toutefois été émis au cours de l'instruction concernant la seconde demande de permis d'aménager dont la délivrance a été refusée par arrêté du 3 mai 2016. Dans ces conditions, le moyen tiré de la violation de l'article L. 600-2 du code de l'urbanisme doit être écarté.

En ce qui concerne l'article L. 145-3 du code de l'urbanisme :

7. Aux termes de l'article L. 145-3 du code de l'urbanisme alors en vigueur : " I. - Les terres nécessaires au maintien et au développement des activités agricoles, pastorales et forestières sont préservées. La nécessité de préserver ces terres s'apprécie au regard de leur rôle et de leur place dans les systèmes d'exploitation locaux. Sont également pris en compte leur situation par rapport au siège de l'exploitation, leur relief, leur pente et leur exposition. Les constructions nécessaires à ces activités ainsi que les équipements sportifs liés notamment à la pratique du ski et de la randonnée peuvent y être autorisés. / (...) / III. - Sous réserve de l'adaptation, du changement de destination, de la réfection ou de l'extension limitée des constructions existantes et de la réalisation d'installations ou d'équipements publics incompatibles avec le voisinage des zones habitées, l'urbanisation doit se réaliser en continuité avec les bourgs, villages, hameaux, groupes de constructions traditionnelles ou d'habitations existants. / Lorsque la commune est dotée d'un plan local d'urbanisme ou d'une carte communale, ce document peut délimiter les hameaux et groupes de constructions traditionnelles ou d'habitations existants en continuité desquels il prévoit une extension de l'urbanisation, en prenant en compte les caractéristiques traditionnelles de l'habitat, les constructions implantées et l'existence de voies et réseaux. / (...) Les dispositions du premier alinéa ne s'appliquent pas dans les cas suivants : a) Lorsque le schéma de cohérence territoriale ou le plan local d'urbanisme comporte une étude justifiant, en fonction des spécificités locales, qu'une urbanisation qui n'est pas située en continuité de l'urbanisation existante est compatible avec le respect des objectifs de protection des terres agricoles, pastorales et forestières et avec la préservation des paysages et milieux caractéristiques du patrimoine naturel prévus aux I et II ainsi qu'avec la protection contre les risques naturels ; l'étude est soumise, avant l'arrêt du projet de schéma ou de plan, à la commission départementale compétente en matière de nature, de paysages et de sites dont l'avis est joint au dossier de l'enquête publique ; le plan local d'urbanisme ou la carte communale délimite alors les zones à urbaniser dans le respect des conclusions de cette étude ; / b) En l'absence d'une telle étude, le plan local d'urbanisme ou la carte communale peut délimiter des hameaux et des groupes d'habitations nouveaux intégrés à l'environnement ou, à titre exceptionnel et après accord de la chambre d'agriculture et de la commission départementale compétente en matière de nature, de paysages et de sites, des zones d'urbanisation future de taille et de capacité d'accueil limitées, si le respect des dispositions prévues aux I et II ou la protection contre les risques naturels imposent une urbanisation qui n'est pas située en continuité de l'urbanisation existante ; (...) ".

8. En premier lieu, contrairement à ce que soutient la société requérante, la circonstance que la commune de Passy était dotée d'un plan d'occupation des sols à la date des sursis à statuer des 20 mars et 28 mai 2013, dates auxquelles devait se placer le maire pour statuer à nouveau sur sa demande de permis, ne fait pas écran à l'application sur son territoire de la loi n° 85-30 du 9 janvier 1985 dont sont issues les dispositions précitées au point 7. En outre, il n'est pas démontré, ni même soutenu que le POS alors en vigueur de Passy avait autorisé le projet suivant les exceptions mentionnées au a) ou b) du III de l'article L. 145-3 du code de l'urbanisme. Ainsi, quand bien même le POS alors en vigueur avait classé les parcelles d'assiette du projet en zone Nad où les lotissements étaient autorisés, le maire pouvait légalement fonder son refus de permis sur le motif tiré de la non-conformité du projet aux dispositions de l'article L. 145-3 du code de l'urbanisme, lesquelles sont d'application directe aux autorisations d'urbanisme.

9. En deuxième lieu, il résulte des dispositions du III de l'article L. 145-3 du code de l'urbanisme, éclairées par les travaux préparatoires de la loi n° 2003-590 du 2 juillet 2003 qui les a modifiées, que l'urbanisation en zone de montagne, sans être autorisée en zone d'urbanisation diffuse, peut être réalisée non seulement en continuité avec les bourgs, villages et hameaux existants, mais également en continuité avec les "groupes de constructions traditionnelles ou d'habitations existants" et qu'est ainsi possible l'édification de constructions nouvelles en continuité d'un groupe de constructions traditionnelles ou d'un groupe d'habitations qui, ne s'inscrivant pas dans les traditions locales, ne pourrait être regardé comme un hameau. L'existence d'un tel groupe suppose plusieurs constructions qui, eu égard notamment à leurs caractéristiques, à leur implantation les unes par rapport aux autres et à l'existence de voies et de réseaux, peuvent être perçues comme appartenant à un même ensemble.

10. Il ressort des pièces du dossier que les terrains d'assiette du projet présentent une surface totale de 7 581 m² et ne peuvent de ce fait être qualifiés de dent creuse alors que, comme l'admet la société requérante, l'urbanisation de la commune sur le Plateau d'Assy présente un caractère diffus le long des voies de communication et alors que plusieurs centralités urbanisées (Chef-lieu, Marlioz et Chedde) sont situées à plus grande distance du site d'implantation. De plus, ces parcelles herbues s'ouvrent sur un vaste espace naturel et agricole et sont séparées par un chemin communal dit " Chemin de Curalla " des constructions éparses implantées à l'Ouest qui, du fait de leur caractère non homogène et de leur implantation étalée le long de cette voie, ne peuvent être considérées comme un groupe de constructions au sens des dispositions précitées au point 7. Si la requérante se prévaut de ce que le projet s'inscrit en continuité de l'urbanisation implantée au Sud et à l'Est des parcelles d'assiette, toutefois, une ripisylve à l'Est et la route départementale n° 43 au Sud marquent une rupture entre les terrains d'assiette et les rares constructions immédiatement voisines des parcelles d'assiette. Dans ces conditions, c'est par une exacte application des dispositions du III de l'article L. 145-3 précité du code de l'urbanisme que le maire de Passy a opposé le motif tiré de ce que le projet ne s'inscrivait pas dans la continuité des bourgs villages hameaux groupes de constructions traditionnelles ou d'habitations existants.

11. En troisième lieu, pour refuser le permis en litige, le maire de Passy s'est fondé sur les dispositions précitées au point 7 du I de l'article L. 145-3 du code de l'urbanisme et sur la circonstance que " les parcelles d'assiette du projet sont déclarées au registre parcellaire graphique de Haute-Savoie comme appartenant à un grand tènement agricole exploité comme prairie naturelle permanente pour pâture, qu'elles sont repérées par la chambre d'agriculture comme étant des terres de très bonne qualité à enjeux forts pour la préservation des terres agricoles et le développement de l'agriculture.".

12. Pour contester cette appréciation, la société requérante se borne à se prévaloir d'une part, du classement en zone Na dans le POS qui est applicable à sa demande et, d'autre part, à verser aux débats une attestation du 6 décembre 2020 de l'agriculteur identifié par la commune dans ses écritures comme l'exploitant des parcelles d'assiette et précisant que ces parcelles, trop éloignées de son exploitation, ne sont pas exploitées. Elle se borne aussi à faire état de l'importance des surfaces déjà dédiées à la pâture au sein du territoire communal. Toutefois ces éléments ne permettent pas d'infirmer l'appréciation portée par la commune, laquelle pouvait, contrairement à ce que soutient la requérante, sans méconnaître l'article L. 600-2 du code de l'urbanisme, se prévaloir de la circonstance que le diagnostic agricole établi à l'occasion de l'élaboration du futur PLU, a identifié ces parcelles comme étant à enjeux fort, dès lors que cette identification reposait sur les caractéristiques intrinsèques des parcelles, lesquelles n'ont guère évolué entre 2013 et la date où ce diagnostic a été établi. Par suite, la société requérante n'est pas fondée à soutenir que les parcelles d'assiette ne sont pas nécessaires au maintien et au développement des activités agricoles. Ainsi, le maire a pu, sans entacher sa décision d'erreur d'appréciation, se fonder sur la méconnaissance des dispositions précitées du I de l'article L. 145-3 du code de l'urbanisme pour refuser le permis d'aménager en litige.

En ce qui concerne l'article R. 111-21 du code de l'urbanisme :

13. Aux termes de l'article R. 111-21 du code de l'urbanisme, dans sa version applicable au litige : " Le projet peut être refusé ou n'être accepté que sous réserve de l'observation de prescriptions spéciales si les constructions, par leur situation, leur architecture, leurs dimensions ou l'aspect extérieur des bâtiments ou ouvrages à édifier ou à modifier, sont de nature à porter atteinte au caractère ou à l'intérêt des lieux avoisinants, aux sites, aux paysages naturels ou urbains ainsi qu'à la conservation des perspectives monumentales. ". Il résulte de ces dispositions que, si les constructions projetées portent atteinte aux paysages naturels avoisinants, l'autorité administrative compétente peut refuser de délivrer le permis sollicité ou l'assortir de prescriptions spéciales. Pour rechercher l'existence d'une atteinte à un paysage naturel de nature à fonder le refus de permis de construire ou les prescriptions spéciales accompagnant la délivrance de ce permis, il lui appartient d'apprécier, dans un premier temps, la qualité du site naturel sur lequel la construction est projetée et d'évaluer, dans un second temps, l'impact que cette construction, compte tenu de sa nature et de ses effets, pourrait avoir sur le site.

14. Il est constant que le terrain d'assiette du projet, d'une surface de 7 581 m², d'une pente de 12 %, vierge de constructions, est situé dans un site inscrit identifié au titre de l'inventaire du patrimoine naturel de la commune. Il ressort des pièces du dossier que le projet, qui implique d'importants déblais et remblais du fait de la déclivité du terrain, tend à la réalisation de deux lots, subdivisibles en sept lots, comprenant des constructions à usage d'habitations collectives, la réalisation de parking, d'équipements de sport et de loisirs, d'une voie de retournement, d'un mur de soutènement d'une hauteur allant jusqu'à trois mètres vingt et l'aménagement d'une chaussée et d'un trottoir. De par ses caractéristiques et son ampleur, et en dépit du fait qu'existe au sud, en contrebas du terrain, un ensemble immobilier conséquent, le projet de la société pétitionnaire porte atteinte au site dans lequel il a vocation à s'implanter. Dans ces conditions, et alors, en outre que l'avis défavorable de l'architecte des bâtiments de France du 27 décembre 2012 indique que " le règlement du lotissement ne contient aucune prescription architecturale et paysagère de nature à assurer aux futures constructions une certaine harmonie entre chacun des lots avec le bâtiment remarquable de la maison de santé en vis-à-vis et ainsi mettre en valeur le site inscrit ", c'est par une exacte application des dispositions de l'article R. 111-21 du code de l'urbanisme que le maire a refusé le permis en litige.

Sur la légalité du refus de permis d'aménager du 3 mai 2016 :

15. En premier lieu, en vertu de l'article R. 425-30 du code de l'urbanisme, l'avis que l'architecte des bâtiments de France émet lorsqu'un projet est implanté dans un site inscrit au sens et pour l'application de l'article L. 341-1 du code de l'environnement, ne lie pas l'autorité compétente pour délivrer ce permis. Dans ces conditions, la société requérante ne peut utilement exciper de l'illégalité de l'avis rendu par l'architecte des bâtiments de France le 21 mars 2016 à l'encontre du permis d'aménager en litige.

16. En deuxième lieu, au soutien de ses moyens tirés de la violation des articles L. 122-5 et L. 122-10 du code de l'urbanisme développés à l'encontre du refus de permis litigieux, la société requérante fait état des mêmes circonstances de fait que celles développées au soutien des moyens tirés de la violation des articles L. 145-3 III et L. 145-3 I développés à l'encontre du refus de permis d'aménager du 10 juin 2016. Pour les mêmes motifs que ceux énoncés respectivement aux points 10 et 12 de l'arrêt, ces moyens doivent être écartés.

17. En troisième et dernier lieu, la société requérante fait valoir que sa demande de permis déposée le 23 novembre 2015 prévoit, pour tenir compte de l'avis de l'architecte des bâtiments de France émis le 27 décembre 2012 et dont la teneur est rappelée au point 14, une meilleure insertion du projet dans le site du plateau d'Assy, notamment vis-à-vis de l'immeuble implanté en contrebas en insérant dans le cahier des charges du lotissement un article relatif aux règles architecturales prescrivant notamment que l'aspect extérieur des constructions projetées devra avoir " une inspiration générale proche des bâtiments médicaux traditionnels et de leurs annexes tels qu'existants en plusieurs endroits du plateau d'Assy ".

18. Il ressort des pièces du dossier que le refus litigieux concerne un projet identique à celui qui a fait l'objet du refus de permis du 10 juin 2016, la différence entre les deux projets se résumant à l'intégration de règles architecturales complémentaires au sein du cahier des charges du lotissement joint à la demande de permis du 23 novembre 2015. Toutefois, l'ajout de ces prescriptions ne permet pas d'infirmer l'appréciation portée par le maire, qui s'est d'ailleurs référé à l'avis défavorable de l'architecte des bâtiments de France du 21 mars 2016 en rappelant que la parcelle d'assiette est un " espace d'intérêt paysager à valeur exceptionnelle " et offre des " panoramas exceptionnels et sans équivalents vers les massifs du Mont-Blanc et Aravis ". Eu égards aux caractéristiques et à l'ampleur du projet rappelées au point 14, c'est par une exacte application des dispositions de l'article R. 111-27 du code de l'urbanisme, lequel reprend les mêmes dispositions que l'ancien article R.111-21 cité au point 13, que le maire a refusé le permis en litige.

19. Il résulte de ce qui précède que la société La Belle Grange à Gourand n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté ses demandes.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

20. Le présent arrêt qui rejette les requêtes de la société La Belle Grange à Gourand n'appelle aucune mesure d'exécution. Les conclusions présentées par la requérante sur le fondement des articles L. 900-1 et L. 900-2 du code de justice administrative doivent, par voie de conséquence, être rejetées.

Sur les frais liés au litige :

21. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que la somme que demande la SCI La Belle Grange à Gourand au titre des frais qu'elle a exposés soit mise à la charge de la commune de Passy, qui n'est pas partie perdante en appel. Il y a en revanche lieu de faire application de ces mêmes dispositions à l'encontre de la SCI La Belle Grange à Gourand et de mettre à sa charge la somme de 2 000 euros à verser à la commune de Passy.

DECIDE :

Article 1er : Les requêtes n° 19LY00906 et n° 19LY00907 de la SCI La Belle Grange à Gourand sont rejetées.

Article 2 : La SCI La Belle Grange à Gourand versera à la commune de Passy la somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la SCI La Belle Grange à Gourand, à la commune de Passy et au ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales.

Délibéré après l'audience du 11 mai 2021 à laquelle siégeaient :

Mme Danièle Déal, présidente ;

M. Thierry Besse, président-assesseur ;

Mme D... C..., première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 1er juin 2021.

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N° 19LY00906-19LY00907


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 1ere chambre - formation a 3
Numéro d'arrêt : 19LY00906
Date de la décision : 01/06/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Exces de pouvoir

Analyses

68-03 Urbanisme et aménagement du territoire. Permis de construire.


Composition du Tribunal
Président : Mme DEAL
Rapporteur ?: Mme Christine PSILAKIS
Rapporteur public ?: M. LAVAL
Avocat(s) : SELARL ADALTYS (ADAMAS AFFAIRES PUBLIQUES)

Origine de la décision
Date de l'import : 22/06/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2021-06-01;19ly00906 ?
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