Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
I - Par une requête, enregistrée au greffe du tribunal administratif de Grenoble sous le n° 1604813, M. H... B..., la société B... Rhodanien et la société Helvetia " Compagnie suisse d'assurances " ont demandé au tribunal administratif de Grenoble de condamner in solidum la Compagnie nationale du Rhône (CNR) et l'établissement public Voies navigables de France (VNF) à payer à la société Helvetia " Compagnie suisse d'assurances " les sommes de 931 197,66 euros outre intérêts légaux à compter du dépôt de la requête qui devront être capitalisés conformément à 1'article 1154 du code civil, de 17 681,29 euros au titre des frais d'expertise amiable et de 20 490,29 euros au titre des frais d'expertise judiciaire, de condamner in solidum la Compagnie nationale du Rhône et Voies navigables de France à payer à M. H... B... la somme de 415,50 euros outre intérêts légaux à compter du dépôt de la requête et capitalisation des intérêts conformément à 1'article 1154 du code civil, de condamner in solidum la Compagnie nationale du Rhône et Voies navigables de France à payer à la société B... Rhodanien la somme de 221 781 euros outre intérêts légaux à compter du dépôt de la requête et capitalisation des intérêts et, dans l'hypothèse où le tribunal de commerce de Marseille viendrait à déclarer responsable la société B... Rhodanien de la perte et des avaries de la cargaison de charbon que le bateau " La Tour " transportait le 13 avril 2013, de condamner in solidum la Compagnie nationale du Rhône et Voies navigables de France à garantir cette société de toutes condamnations qui pourraient être mises à sa charge.
II - Par une requête, enregistrée au greffe du tribunal administratif de Grenoble sous le n° 1704512, la société Uniper France Power, la société MMA Iard venant aux droits de Covea Fleet, la société MMA Iard Assurances Mutuelles, venant aux droits de Covea Fleet, la société Allianz Global Corporate et Speciality SE et la société Helvetia, venant tant en son nom personnel qu'aux droits de Groupama Transport, ont demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler la décision par laquelle l'établissement public Voies navigables de France (VNF) a implicitement rejeté leur réclamation indemnitaire du 5 avril 2017, de condamner in solidum Voies navigables de France et la Compagnie nationale du Rhône (CNR) à payer les sommes de 59 202,80 euros au titre des préjudices indemnisés, de 6 107,73 euros au titre des frais d'expertise avancés par les sociétés MMA Iard SA et MMA Iard Assurances Mutuelles, Allianz Global Corporate et Speciality SE et Helvetia et de 1 868,72 euros au titre du solde du préjudice subi par la société Uniper France Power, sommes assorties des intérêts légaux et de la capitalisation des intérêts et, à titre subsidiaire, de surseoir à statuer sur toutes demandes jusqu'au prononcé de l'arrêt de la cour d'appel d'Aix en Provence à intervenir.
Par un jugement n° 1604813 et 1704512 du 21 mars 2019, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté leurs demandes.
Procédure devant la cour :
I - Par une requête, enregistrée le 10 mai 2019 sous le n° 19LY01931, et des mémoires complémentaires, enregistrés les 16 mars, 19 mai, 15 et 18 juin 2020, M. H... B..., la société B... Rhodanien et la société Helvetia " Compagnie suisse d'assurances ", représentés par Me F..., demandent à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 21 mars 2019 du tribunal administratif de Grenoble ;
2°) de condamner in solidum la Compagnie nationale du Rhône (CNR) et l'établissement public Voies navigables de France (VNF) à payer à la société Helvetia " Compagnie suisse d'assurances " les sommes de 931 197,66 euros outre intérêts légaux à compter du dépôt de la requête et capitalisation des intérêts conformément à 1'article 1154 du code civil, 17 681,29 euros au titre des frais d'expertise amiable et 20 490,29 euros au titre des frais d'expertise judiciaire ;
3°) de condamner in solidum la Compagnie nationale du Rhône et Voies navigables de France à payer à M. H... B... la somme de 415,50 euros outre intérêts légaux à compter du dépôt de la requête et capitalisation des intérêts conformément à 1'article 1154 du code civil ;
4°) de condamner in solidum la Compagnie nationale du Rhône et Voies navigables de France à payer à la société B... Rhodanien la somme de 221 781 euros outre intérêts légaux à compter du dépôt de la requête et capitalisation des intérêts ;
5°) dans l'hypothèse où la cour d'appel d'Aix-en-Provence viendrait à déclarer responsable la société B... Rhodanien de la perte et des avaries de la cargaison de charbon que le bateau " La Tour " transportait le 13 avril 2013, de condamner in solidum la Compagnie nationale du Rhône et Voies navigables de France à garantir cette société et son assureur de toutes condamnations qui pourraient être mises à leur charge ;
6°) d'entendre l'expert désigné par le président du tribunal de commerce de Lyon en application des dispositions de l'article R. 621-10 du code de justice administrative ;
7°) de mettre la somme de 25 000 euros à la charge solidaire de Voies navigables de France et de la Compagnie nationale du Rhône en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- la copie du jugement a été joint à la requête d'appel ;
- les conclusions tendant à l'audition de l'expert sont recevables ;
- il résulte de la concession que la Compagnie nationale du Rhône est chargée de l'entretien du chenal navigable et des ouvrages publics tels que les quais lorsqu'ils servent de postes d'amarrage ; dans les zones munies de quais ou d'appontement destinés au stationnement, il n'est pas nécessaire de matérialiser la largeur du chenal navigable et il s'arrête au droit du quai où viennent s'amarrer les bateaux ; dans ces zones, la Compagnie nationale du Rhône est tenue de respecter une profondeur minimale de 3 mètres jusqu'au pied du quai ; la Compagnie nationale du Rhône était parfaitement au courant de la présence d'un rideau de quarante palplanches métalliques installées pour renforcer le quai et a manqué à son obligation de sécurité en ne faisant pas retirer ces palplanches saillantes qui constituaient un danger pour la navigation ou en ne procédant pas à la signalisation du danger ; la Compagnie nationale du Rhône n'a pas été en mesure de veiller à ce que le mouillage de 3 mètres soit assuré le long du quai de stationnement et au-delà sur plusieurs mètres ; la présence des palplanches et l'absence de signalisation constituent un défaut d'entretien de l'ouvrage public de la part de la Compagnie nationale du Rhône ;
- il résulte de la concession que la Compagnie nationale du Rhône n'est pas seulement chargée de l'entretien du chenal navigable mais des ouvrages publics tels que les quais lorsqu'ils servent de poste d'amarrage ; l'accident s'est produit dans la zone de concession ; le quai étant un poste de stationnement autorisé, il fait partie du chenal navigable ;
- la signalisation est une compétence partagée entre la Compagnie nationale du Rhône et Voies navigables de France ; il appartenait à la Compagnie nationale du Rhône de signaler à Voies navigables de France la présence du danger constitué par les palplanches ; il y avait nécessité de signaler ce danger ou de procéder à un balisage ;
- Voies navigables de France a manqué à son obligation d'installer une signalisation correcte et visible pour les navigants ; cet établissement public conserve la police de la signalisation fluviale, la Compagnie nationale du Rhône en assurant la mise en place sous le contrôle du Service de navigation Rhône-Saône ;
- pour sa manoeuvre, le nez du bateau a dépassé momentanément le panneau de fin de stationnement d'approximativement cinq mètres selon l'expert ; le bateau " La Tour " mesure 87,50 mètres de longueur et un dépassement de cinq mètres correspond à 4,37% de la taille du bateau ; l'avancement du nez du bateau au-delà du panneau est donc très faible ;
- le panneau fixé sur le tablier du pont est un panneau d'interdiction de franchissement ; compte tenu de la force du courant, le batelier a choisi de s'arrêter immédiatement afin d'éviter un incident moteur majeur pouvant rendre son bateau non manoeuvrant ; son intention était d'accoster le long du quai et non de franchir le pont ; par suite, il a parfaitement respecté le panneau d'interdiction de franchissement ; la manoeuvre d'accostage a été réalisée dans des conditions parfaitement normales ; le panneau rectangulaire d'interdiction de stationner, couvert par un tag, comportant une bande rouge barrant un P avec une flèche et le chiffre 30 était invisible du chenal pour une unité venant de l'aval et désirant accoster puisqu'il était placé contre le mur de soubassement du quai parallèlement au sens du chenal et non pas perpendiculairement ; le dépassement provisoire de quelques mètres de la zone de fin de stationnement n'est pas fautif ;
- le panneau de fin de stationnement se situe à 4,30 mètres sous le tablier du pont ; les palplanches se situent au droit du panneau de stationnement à 22,30 mètres de l'échelle de marée ;
- le panneau figurant sur le tablier de l'arche latérale droite du pont est un panneau d'interdiction de franchissement qui réduit le chenal navigable à l'arche centrale du pont ; ce panneau était parfaitement visible et le chenal navigable est également indiqué par une balise striée de vert et de blanc ; il n'a jamais été dans l'intention du batelier de franchir le pont ou de naviguer sous cette arche ; la zone de stationnement prend fin sous le tablier du pont (4,30 mètres en amont), ce que le batelier a découvert en apercevant au dernier moment le panneau de fin de stationnement ; compte tenu de la contrainte hydrologique et hydrodynamique, une manoeuvre ne peut pas être plus précise ; la dérive naturelle du bateau et le fort courant ont empêché la pointe de l'étrave avant du bateau de s'arrêter exactement au droit du panneau de stationnement situé légèrement sous le tablier du pont ;
- il n'est pas possible pour l'expert de réaliser des investigations supplémentaires portant sur l'origine de la panne moteur à l'intérieur d'un bateau qui a sombré et passé huit mois dans l'eau ; la panne moteur constitue une urgence mécanique ;
- par un arrêt du 28 mai 2020, la cour d'appel d'Aix-en-Provence a infirmé le jugement du tribunal de commerce et a déclaré la SARL B... Rhodanien responsable de la perte et des avaries de la cargaison de charbon et l'a condamnée in solidum avec son assureur Helvetia à payer les sommes de 59 502,80 euros avec intérêts légaux, de 6 107,73 euros au titre des frais d'expertise amiable et 7 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 700 du code de procédure civile.
Par un mémoire, enregistré le 10 septembre et régularisé le 27 septembre 2019, l'établissement public " Voies navigables de France ", représenté par Me I..., conclut, à titre principal, au rejet de la requête et, à titre subsidiaire, dans l'hypothèse où une responsabilité serait retenue au titre de la présence de palplanches, à la condamnation de la Compagnie nationale du Rhône, en sa qualité de concessionnaire du domaine public fluvial, sauf à envisager un partage de responsabilité entre les appelants et la Compagnie nationale du Rhône et à ce que la somme de 15 000 euros soit mise à la charge solidaire de M. B..., de la société B... Rhodanien et de la société Helvetia " Compagnie suisse d'assurances " ou à défaut la Compagnie nationale du Rhône en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- les conclusions du rapport d'expertise selon lesquelles le naufrage du navire aurait résulté du seul défaut de signalisation des palplanches sont inexactes ; M. B... est délibérément sorti du chenal de navigation ; il a emprunté une trajectoire qui ne peut être suivie qu'en enfreignant le code de navigation ; la trajectoire suivie, qui vise uniquement à accoster à un endroit interdit, implique nécessairement de se diriger sous l'arche d'un pont lui-même interdit à la navigation ; un gestionnaire n'est pas tenu de signaler un danger situé sur une trajectoire qui n'est pas destinée à la navigation ; le gestionnaire n'est pas tenu d'entretenir des ouvrages qui ne servent pas pour les besoins de la navigation ; le gestionnaire a rempli ses obligations en positionnant le panneau d'interdiction d'accoster au droit du début des obstructions ;
- M. B... a commis une faute d'imprudence en décidant d'accoster sa péniche à un quai alors que c'était expressément interdit, choisissant délibérément de sortir du chenal de navigation alors que le mouillage n'est garanti que dans le chenal de navigation ; contrairement à ce qui a pu être apprécié par l'expert judiciaire, il résulte du panneau avec un P barré et du règlement général de police qu'outre le stationnement, sont également interdits l'ancrage et l'amarrage ; M. B... ne peut reprocher au gestionnaire du domaine public fluvial une absence de signalisation du danger alors qu'il n'aurait jamais dû prendre la décision de s'amarrer à cet endroit et que les dommages résultent de sa seule faute ;
- l'expert ne caractérise pas la réalité du danger évoqué ni l'urgence qu'il y avait pour le bateau à s'arrêter ;
- dans l'hypothèse où une responsabilité serait retenue, celle-ci ne pourrait qu'incomber à la Compagnie nationale du Rhône en sa qualité de concessionnaire du domaine public fluvial ; le Rhône fait exception au principe de délégation générale du domaine public fluvial à Voies navigables de France puisque l'Etat en a concédé l'aménagement, qui inclut l'entretien des berges et la signalisation des ouvrages publics, à la Compagnie nationale du Rhône par la convention de concession du 20 décembre 1933 ; aux termes de l'article R. 4311-1 du code des transports, Voies navigables de France gère le domaine public confié par l'Etat sous réserve des missions attribuées à la Compagnie nationale du Rhône ; la Compagnie nationale du Rhône est le gestionnaire du tronçon de la confluence entre le Rhône et la Saône jusqu'à la diffluence du Petit Rhône et du Grand Rhône à Arles/Fourques ; par suite, le lieu de l'accident se situe au niveau du tronçon confié à la Compagnie nationale du Rhône ;
- le point PK 110 (quai de Valence) était sous la responsabilité de la Compagnie nationale du Rhône ainsi qu'il résulte notamment de l'avis du ministère de l'équipement, du logement, de l'aménagement du territoire et des transports ; les palplanches ont été installées dans les années 1980 afin de pallier aux dégradations du mur du quai de Valence ; la Compagnie nationale du Rhône reconnaît être en charge de la gestion du quai litigieux ; la gestion du quai litigieux par la Compagnie nationale du Rhône résulte encore de la convention cadre de superposition d'affectation pour la Via Rhôna du Léman à la Méditerranée ;
- l'action de la société EON France POWER et de ses assureurs tendant à engager la responsabilité de Voies navigables de France et de la Compagnie nationale du Rhône est contradictoire avec l'action engagée par la même société à l'encontre de M. B... ;
- la demande en garantie formulée par la SARL B... Rhodanien ne pourra qu'être rejetée.
Par des mémoires enregistrés le 21 novembre 2019 et les 9 et 11 juin 2020, la Compagnie nationale du Rhône, représentée par Me E..., conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 10 000 euros soit mise à la charge solidaire de M. B..., de la société B... Rhodanien et de la société Helvetia " Compagnie suisse d'assurances " en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la requête d'appel est irrecevable en raison du défaut de production d'une copie du jugement attaqué ;
- les conclusions tendant à ce que l'expert, M. J..., soit auditionné sont irrecevable dès lors qu'aux termes de l'article R. 121-10 du code de justice administrative, l'audition d'un expert relève de l'initiative et du pouvoir souverain de la juridiction de jugement, que l'audition ne peut intervenir qu'après l'examen de l'affaire à l'audience si des explications complémentaires utiles sont nécessaires ; les requérants ne justifient pas de l'utilité de l'audition de l'expert ;
- l'accident s'est produit sous le tablier de la partie latérale du pont Frédéric Mistral située en rive gauche dans une zone interdite à la navigation par le décret du 20 septembre 1973 approuvant le règlement général de police de la navigation intérieure dont l'établissement public Voies navigables de France est chargé de l'application ; le pilote de la péniche a commis une faute, qui est la cause déterminante de l'accident, consistant à introduire l'avant de la péniche dans une zone interdite à la navigation, 9,30 mètres à l'intérieur de la tombée aval du tablier en rive gauche du pont correspondant à la zone d'interdiction de la navigation rappelée par un panneau A7 fixé à ce tablier et 5 mètres au-delà du panneau mural matérialisant la zone d'interdiction de stationnement positionné à l'extrémité Nord du quai de l'ancien port de Valence ; l'explication donnée par M. B..., pilote expérimenté et connaissant le quai de Valence, de sa faute de navigation et tirée de l'absence d'une place suffisante pour l'accostage de son bateau sur le quai ne le libère pas de sa responsabilité exclusive dans la survenance du naufrage de la péniche ;
- cet accident ne saurait engager sa responsabilité au titre de ses obligations de concessionnaire du chenal de navigation du Rhône en ce que non seulement le naufrage s'est produit en dehors de ce chenal mais le heurt des palplanches par la coque de la péniche est exclusivement imputable à une faute de navigation de son pilote ; le quai de l'ancien port de Valence est extérieur au périmètre de la concession en ce qu'il est situé en dehors du chenal de navigation du Rhône ; par ailleurs, les palplanches heurtées par la péniche étant situées dans le domaine public autoroutier pour avoir été mises en place afin d'assurer le soutènement du remblai de l'autoroute A7 qui empiète sur le quai de l'ancien port de Valence, sa responsabilité ne saurait être recherchée ; le contrat de concession de la Compagnie nationale du Rhône met à sa charge, outre le creusement du chenal de navigation et la construction des écluses, l'obligation d'assurer le maintien des caractéristiques géométriques du chenal de navigation du Rhône et le fonctionnement de ses écluses ; contrairement à la Compagnie nationale du Rhône, l'établissement public Voies navigables de France, en sa qualité d'exploitant exclusif du service de la navigation du Rhône, perçoit à son seul profit la redevance due par les transporteurs de marchandises dont les navires empruntent le chenal de navigation du Rhône ; Uniper France Power, M. B... et la société B... Rhodanien étaient à la fois les usagers payants du service de la navigation sur le chenal de navigation du Rhône dont l'exploitation et l'entretien sont assurés par Voies navigables de France et les usagers à titre gratuit du chenal de navigation pour lesquels son obligation se limite à garantir le tirant d'eau de ce chenal et le bon fonctionnement des écluses ; par suite, elle ne saurait être mise en cause ;
- l'accident s'est produit en dehors du domaine de la concession peu important les échanges intervenus entre le service de la navigation Rhône-Saône et la Compagnie nationale du Rhône et la convention-cadre de superposition d'affectation de la Via Rhôna ;
- les requérants soutenant devant la juridiction judiciaire que l'accident est imputable à un cas de force majeure exonératoire de responsabilité, elle est fondée à demander le rejet des conclusions indemnitaires dirigées contre elle.
II - Par une requête, enregistrée le 28 mai 2019 sous le n° 19LY02095, la société Gazel Energie Génération, anciennement dénommée Uniper France Power, la société MMA Iard venant aux droits de Covea Fleet, la société MMA Iard Assurances Mutuelles venant aux droits de Covea Fleet, la société Allianz Global Corporate et Speciality SE, la société Helvetia Compagnie suisse d'assurances et la société Helvetia assurances SA, représentées par Me D..., demandent à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 21 mars 2019 du tribunal administratif de Grenoble ;
2°) de condamner in solidum l'établissement public " Voies navigables de France " et la Compagnie nationale du Rhône à leur verser les sommes de 59 202,80 euros au titre des préjudices indemnisés et de 6 107,73 euros au titre des frais d'expertise et à Uniper France Power la somme de 1 868,72 euros assorties des intérêts au taux légal à compter soit de l'évènement soit du recours de plein contentieux et de la capitalisation des intérêts ;
3°) de mettre à la charge de Voies navigables de France et de la Compagnie nationale du Rhône la somme de 20 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elles soutiennent que :
- les dispositions de l'article R. 421-1 du code de justice administrative ne sont pas applicables à l'égard de la Compagnie nationale du Rhône ; dans tous les cas, une demande préalable a été adressée à Voies navigables de France ;
- sur la responsabilité sans faute, Voies navigables de France est en charge de l'entretien de la voie navigable, en application de l'article R. 4311-1 du code des transports, à l'égard de laquelle la société Uniper France Power est un tiers ; les palplanches mal positionnées n'étaient ni signalées ni indiquées, il en résulte que la responsabilité de Voies navigables de France ou de son délégué, la Compagnie nationale du Rhône, est engagée ;
- sur la responsabilité pour faute, les dommages sont survenus lors d'une manoeuvre effectuée dans une zone doublement interdite à la navigation et au stationnement des bateaux parfaitement et visiblement matérialisée, en tout état de cause connue ; il n'y avait aucune urgence ; s'il y a eu une faute de navigation doublée d'une imprudence manifeste, Voies navigables de France a manqué à son obligation de signalisation et la Compagnie nationale du Rhône n'a pas entrepris des travaux de déplacement des palplanches ; Voies navigables de France et la Compagnie nationale du Rhône sont responsables du défaut de surveillance et de signalisation de l'obstacle sous-marin ayant entrainé le naufrage ;
- il y a rupture d'égalité devant les charges publiques à analyser différemment la responsabilité au titre du préjudice économique du batelier de celle résultant du préjudice subi par le propriétaire de la marchandise ;
- le préjudice total de la société Uniper France Power est fixé à la somme de 61 371,52 euros sur laquelle les assureurs sont subrogés à hauteur de la somme versée, soit 59 202,80 euros outre les frais d'expertise et les intérêts légaux.
Par un mémoire, enregistré le 27 septembre 2019, l'établissement public " Voies navigables de France, représentés par Me I..., conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 15 000 euros soit mise à la charge solidaire de la société UNIPER France POWER et de ses assureurs.
Il soutient que :
- la société et ses assureurs n'hésitent pas à solliciter l'indemnisation d'un même prétendu préjudice à la fois devant la juridiction administrative et devant la juridiction judiciaire ;
- sur la responsabilité sans faute, sa responsabilité ne peut pas être engagée en raison de la faute de navigation de M. B... ; M. B... a commis une faute d'imprudence en décidant d'accoster sa péniche à un quai alors que c'était expressément interdit, choisissant délibérément de sortir du chenal de navigation alors que le mouillage n'est garanti que dans le chenal de navigation ; contrairement à ce qui a pu être apprécié par l'expert judiciaire, il résulte du panneau avec un P barré et du règlement général de police qu'outre le stationnement, sont également interdits l'ancrage et l'amarrage ; M. B... ne peut reprocher au gestionnaire du domaine public fluvial une absence de signalisation du danger alors qu'il n'aurait jamais dû prendre la décision de s'amarrer à cet endroit et que les dommages résultent de sa seule faute ; l'urgence à accoster n'est pas établie ;
- dans l'hypothèse où une responsabilité serait retenue, celle-ci ne pourrait qu'incomber à la Compagnie nationale du Rhône en sa qualité de concessionnaire du domaine public fluvial ; le Rhône fait exception au principe de délégation générale du domaine public fluvial à Voies navigables de France puisque l'Etat en a concédé l'aménagement à la Compagnie nationale du Rhône par la convention de concession du 20 décembre 1933 en lui confiant notamment la navigation ; aux termes de l'article R. 4311-1 du code des transports, Voies navigables de France gère le domaine public confié par l'Etat sous réserve des missions attribuées à la Compagnie nationale du Rhône ; la Compagnie nationale du Rhône est le gestionnaire du tronçon de la confluence entre le Rhône et la Saône jusqu'à la diffluence du Petit Rhône et du Grand Rhône à Arles/Fourques ; par suite, le lieu de l'accident se situe au niveau du tronçon confié à la Compagnie nationale du Rhône ; selon la convention de concession du 20 décembre 1933, la Compagnie nationale du Rhône s'est vue confier l'aménagement du Rhône, ce qui inclut l'entretien des berges et la signalisation des ouvrages publics ;
- le point PK 110 (quai de Valence) était sous la responsabilité de la Compagnie nationale du Rhône ainsi qu'il résulte notamment de l'avis du ministère de l'équipement, du logement, de l'aménagement du territoire et des transports ; les palplanches ont été installées dans les années 1980 afin de pallier les dégradations du mur du quai de Valence ; la Compagnie nationale du Rhône reconnaît être en charge de la gestion du quai litigieux ; la gestion du quai litigieux par la Compagnie nationale du Rhône résulte encore de la convention cadre de superposition d'affectation pour la Via Rhôna du Léman à la Méditerranée.
Par des mémoires, enregistrés les 25 novembre 2019, 9 et 11 juin 2020, la Compagnie nationale du Rhône, représentée par Me E..., conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 10 000 euros soit mise à la charge solidaire des sociétés Helvetia, Uniper France Power, MMA IARD, MMA Assurances Mutuelles, Allianz Corporate et Speciality SE en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la requête d'appel est irrecevable en raison du défaut de production d'une copie du jugement attaqué ;
- les conclusions tendant à ce que l'expert, M. J..., soit auditionné sont irrecevables dès lors qu'aux termes de l'article R. 121-10 du code de justice administrative, l'audition d'un expert relève de l'initiative et du pouvoir souverain de la juridiction de jugement et que l'audition ne peut intervenir qu'après l'examen de l'affaire à l'audience si des explications complémentaires utiles sont nécessaires ; les requérants ne justifient pas de l'utilité de l'audition de l'expert ;
- les sociétés requérantes ne peuvent à la fois soutenir que l'accident est dû à la faute du pilote de la péniche et envisager un défaut d'entretien du chenal ;
- cet accident ne saurait engager sa responsabilité au titre de ses obligations de concessionnaire du chenal de navigation du Rhône en ce que non seulement le naufrage s'est produit en dehors de ce chenal mais le heurt des palplanches par la coque de la péniche est exclusivement imputable à une faute de navigation de son pilote ; le quai de l'ancien port de Valence est extérieur au périmètre de la concession en ce qu'il est situé en dehors du chenal de navigation du Rhône ; par ailleurs, les palplanches heurtées par la péniche étant situées dans le domaine public autoroutier pour avoir été mises en place afin d'assurer le soutènement du remblai de l'autoroute A7 qui empiète sur le quai de l'ancien port de Valence, sa responsabilité ne saurait être recherchée ; le contrat de concession de la Compagnie nationale du Rhône met à sa charge, outre le creusement du chenal de navigation et la construction des écluses, l'obligation d'assurer le maintien des caractéristiques géométriques du chenal de navigation du Rhône et le fonctionnement de ses écluses ; contrairement à la Compagnie nationale du Rhône, l'établissement public Voies navigables de France, en sa qualité d'exploitant exclusif du service de la navigation du Rhône, perçoit à son seul profit la redevance due par les transporteurs de marchandises dont les navires empruntent le chenal de navigation du Rhône ; UNIPER FRANCE POWER et la société B... Rhodanien étaient à la fois les usagers payants du service de la navigation sur le chenal de navigation du Rhône dont l'exploitation et l'entretien sont assurés par Voies navigables de France et les usagers à titre gratuit du chenal de navigation pour lesquels son obligation se limite à garantir le tirant d'eau de ce chenal et le bon fonctionnement des écluses ; par suite, elle ne saurait être mise en cause ;
- l'accident s'est produit en dehors du domaine de la concession peu important les échanges intervenus entre le service de la navigation Rhône-Saône et la Compagnie nationale du Rhône et la convention-cadre de superposition d'affectation de la Via Rhôna.
Par un mémoire, enregistré le 19 mai 2020, M. H... B..., la société B... Rhodanien et la société Helvetia " Compagnie suisse d'assurances ", représentés par Me F..., demandent à la cour d'entendre l'expert désigné par le président du tribunal de commerce de Lyon en application des dispositions de l'article R. 621-10 du code de justice administrative.
Par un mémoire, enregistré le 15 juin 2020, la société Gazel Energie Génération, anciennement dénommée Uniper France Power, la société MMA Iard venant aux droits de Covea Fleet, la société MMA Iard Assurances Mutuelles venant aux droits de Covea Fleet, la société Allianz Global Corporate et Speciality SE et la société Helvetia, représentées par Me D..., concluent au non-lieu à statuer sur leurs demandes indemnitaires, à l'annulation du jugement en tant que le tribunal administratif de Grenoble les a condamnées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, au rejet des demandes de la Compagnie nationale du Rhône et de l'établissement public " Voie navigables de France " au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et maintiennent leurs demandes tendant à ce que la somme de 7 500 euros soit mise à la charge de tout succombant en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elles soutiennent que :
- par un arrêt du 28 mai 2020, la cour d'appel d'Aix-en-Provence a considéré, en l'absence de force majeure, qu'il y avait lieu de condamner le transporteur fluvial et les commissionnaires de transport à prendre en charge l'essentiel des demandes des assureurs de la société Uniper France Power ;
- elles ont été contraintes d'engager une double procédure pour préserver leurs droits.
Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu :
- le code des transports ;
- le décret n° 73-912 du 21 septembre 1973 portant règlement général de police de la navigation intérieure ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme C...,
- les conclusions de Mme Cottier, rapporteure publique ;
- et les observations de Me E..., représentant la Compagnie nationale du Rhône, et celles de Me D..., représentant la société Gazel Energie Génération, anciennement dénommée Uniper France Power, la société MMA Iard venant aux droits de Covea Fleet, la société MMA Iard Assurances Mutuelles venant aux droits de Covea Fleet, la société Allianz Global Corporate et Speciality SE, la société Helvetia Compagnie suisse d'assurances et la société Helvetia assurances SA.
Considérant ce qui suit :
1. M. H... B..., transporteur fluvial, était propriétaire d'une péniche automotrice de 87,50 mètres construite en 1952 dénommée " La Tour ", assurée auprès de la compagnie d'assurance Helvetia, qu'il exploitait avec sa compagne par l'intermédiaire de la SARL B... Rhodanien. En avril 2013, la société SNET, devenue Eon Power puis Uniper France Power, a confié à la société ACN, commissionnaire de transport, et à laquelle s'est substituée la société Ports Inter, l'acheminement d'une cargaison de 1 142 tonnes de charbon au départ de Fos-sur-Mer et à destination de Chalon-sur-Saône. La société Ports Inter a sous-traité à la SARL B... Rhodanien le transport de cette cargaison. Le 11 avril 2013, M. B... a pris en charge cette cargaison. Le 13 avril 2013, vers 18h30, alors qu'il naviguait sur le Rhône en direction d'Arles, une alarme moteur non identifiée s'est allumée. Par mesure de sécurité, M. B... a décidé de s'arrêter immédiatement et d'accoster au quai dans sa partie située à proximité du pont Frédéric Mistral de Valence au point kilométrique 110. A la suite de manoeuvres, le bateau a subi une avarie au niveau de la coque de la proue et, envahi par l'eau, a sombré. Par acte du 23 avril 2013, la compagnie d'assurance Helvetia et M. B... ont sollicité du juge des référés du tribunal de commerce de Lyon une expertise au contradictoire de la Compagnie nationale du Rhône et de Voies navigables de France pour déterminer les causes du sinistre et évaluer le montant des préjudices subis. Par une ordonnance du 27 mai 2013, le président du tribunal de commerce de Lyon a désigné M. J... en qualité d'expert. Par des ordonnances du 30 septembre 2014 et du 5 novembre 2014, le président du tribunal de commerce de Lyon a rendu communes les opérations d'expertise à la société SNET. L'expert a déposé son rapport le 3 février 2015. Parallèlement, la société Eon France Power a saisi le tribunal de commerce de Marseille aux fins d'obtenir la condamnation in solidum des sociétés ACN, Ports Inter, B... Rhodanien et Helvetia à l'indemniser des préjudices subis. Par un jugement du 24 février 2017, le tribunal de commerce de Marseille a débouté la société Eon Power de sa demande en jugeant que M. B... n'avait pas commis de faute au cours de sa manoeuvre et en considérant que l'évènement revêtait les caractéristiques de la force majeure. Par un arrêt du 28 mai 2020, la cour d'appel d'Aix-en-Provence a infirmé le jugement et a condamné in solidum la SARL B... Rhodanien, la SARL ACN, la SARL Ports Inter et la SA Helvetia à payer à la SAS Uniper France Power, devenue la SAS Gazel Energie Génération, à la SA MMA Iard et à la société civile d'assurances MMA IARD Assurances Mutuelles, venant toutes deux aux droits de Covea Fleet, à la SA Allianz Global Corporate et Speciality SE, à la SA Helvetia " Compagnie suisse d'assurances " et à la SA Helvetia Assurances la somme de 59 502,80 euros à titre de dommages et intérêts et pour les honoraires de M. A... G... celle de 6 107,73 euros avec intérêts au taux légal à compter du 14 novembre 2014 et une indemnité de 7 500 euros au titre des frais irrépétibles non compris dans les dépens en retenant que " c'est à tort que le tribunal a retenu la force majeure au bénéfice du transporteur fluvial ", " le choc des palplanches sous-marines résultant non de leur absence de signalisation mais d'une navigation en zone interdite ".
2. Par deux requêtes distinctes, M. H... B..., la société B... Rhodanien et la société Helvetia " Compagnie suisse d'assurances " d'une part et, d'autre part, la société Uniper France Power, la société MMA Iard venant aux droits de Covea Fleet, la société MMA Iard Assurances Mutuelles venant aux droits de Covea Fleet, la société Allianz Global Corporate et Speciality SE, la société Helvetia Compagnie suisse d'assurances et la société Helvetia assurances SA relèvent appel du jugement du 21 mars 2019 par lequel le tribunal administratif de Grenoble a rejeté leurs demandes tendant à la condamnation in solidum de la Compagnie nationale du Rhône (CNR) et de l'établissement public Voies navigables de France (VNF) à les indemniser des préjudices subis. Les requêtes susvisées sont dirigées contre le même jugement et concernent les conséquences du même accident. Il y a lieu de les joindre pour y être statué par une seule décision.
Sur l'exception de non-lieu à statuer :
3. La circonstance que, par un arrêt du 28 mai 2020, frappé d'un pourvoi en cassation, la cour d'appel d'Aix-en-Provence a condamné in solidum la SARL B... Rhodanien, la SARL ACN, la SARL Ports Inter et la SA Helvetia à réparer les préjudices subis par la SAS Uniper France Power, devenue la SAS Gazel Energie Génération, la SA MMA Iard et la société civile d'assurances MMA IARD Assurances Mutuelles, venant toutes deux aux droits de Covea Fleet, la SA Allianz Global Corporate et Speciality SE, la SA Helvetia " Compagnie suisse d'assurances " et la SA Helvetia Assurances ne rend pas sans objet les conclusions dirigées contre la Compagnie nationale du Rhône et l'établissement public Voies navigables de France. Par suite, il y a lieu de statuer sur l'ensemble des conclusions de ces deux requêtes.
Sur la responsabilité :
4. Aux termes de l'article 7.03 du règlement général de police de la navigation intérieure annexé au décret du 21 septembre 1973, dont les dispositions ont été reprises par l'article A. 4241-54-2 du code des transports, entré en vigueur le 1er septembre 2014, " Stationnement (ancrage et amarrage) interdit : 1. Indépendamment des sections de la voie navigable sur lesquelles existe une interdiction générale de stationner, le stationnement est interdit (...) e) Sous les ponts et sous les lignes électriques à haute tension, sauf dérogation accordée par le chef du service de la navigation (...) ".
5. Aux termes de l'annexe 7 de ce même règlement relatif aux signaux de la voie navigable, le panneau composé de trois bandes rouge-blanc-rouge correspond à une interdiction de passer et le panneau comportant un P barré en diagonale dans un carré à fond blanc correspond à une interdiction de stationner du côté de la voie où le signal est placé.
6. Si l'administration est tenue d'assurer un entretien des voies publiques permettant un usage de ces voies conforme à leur destination, cette obligation à l'égard des voies navigables ne concerne que le chenal aménagé pour les besoins de la navigation et ne s'étend pas à tout le lit du fleuve. A cet effet, le chenal peut être délimité à l'aide de balises fixes mais, en revanche, il n'existe aucune obligation de baliser les obstacles situés hors du chenal.
7. M. B... et autres font valoir que la Compagnie nationale du Rhône et l'établissement public Voies navigables de France étaient informés de la présence d'un rideau de palplanches métalliques installées pour renforcer le quai de Valence et ont manqué à leur obligation de sécurité en ne faisant pas retirer ces palplanches saillantes sous-marines qui constituaient un danger pour la navigation et en ne procédant pas à la signalisation de ce danger. Ils font également valoir qu'il appartenait à la Compagnie nationale du Rhône de veiller à ce que le mouillage de trois mètres soit assuré le long du quai de stationnement.
8. Il est constant que le naufrage de la péniche " La Tour " a été provoqué par la déchirure de la coque sur des obstructions sous-marines, des palplanches, installées à 2,30 mètres du quai de Valence sous le pont Frédéric Mistral en vue de renforcer l'assise du quai.
9. Il résulte de l'instruction et notamment du rapport d'expertise qu'à la suite du déclenchement d'une alarme moteur, M. B..., qui naviguait en voie montante du Sud au Nord, a décidé d'accoster quai de Valence pour consulter la légende du code numérique apparu sur l'écran de contrôle, l'expert précisant que " la décision prise par M. B... d'accoster pour identifier l'alarme moteur était tout à fait fondée d'un point de vue nautique et s'inscrivait dans le cadre de la prudence et de la sécurité. " Il n'est pas contesté qu'à la suite des manoeuvres, le plat bord était collé le long du quai et que l'arrière était parti au large faisant un angle de 20 à 30° par rapport au quai, le nez du bateau, totalement engagé sous le pont Frédéric Mistral, touchant le quai.
10. Il résulte de l'instruction que quelques mètres avant la pile du pont Frédéric Mistral un espar constitué de bandes horizontales vertes et blanches balise le chenal navigable et signale un point dangereux. Le rapport d'expertise indique également que " le pont Frédéric Mistral est constitué d'un tablier reposant sur deux piles laissant un large passage à la navigation en sa partie centrale. Le passage sous l'arche côté Valence (entre le quai et la pile) est interdit. Cette interdiction est matérialisée par un panneau fixé sur le tablier (une bande horizontale blanche, entourée de deux rouges), qui est parfaitement visible pour une unité venant de l'aval. La partie amont du quai présente deux panneaux d'interdiction de stationner ; celui en partie aval est matérialisé par une signalétique fixée sur les sous-bassements de l'autoroute dans l'axe du quai. Ces panneaux sont de formes carrées à fond blanc, bande rouge en périphérie avec la lettre " P " barrée en diagonale, ces panneaux sont associés à une flèche dirigée vers l'aval (panneau amont) et vers l'amont (panneau aval) avec le chiffre 30, correspondant à la distance en mètres de l'interdiction ". L'expert précise encore que " Le panneau d'interdiction d'accoster est positionné au droit du début des obstructions ".
11. Si le panneau d'interdiction de stationnement n'était pas visible pour un bateau venant de l'aval, comme celui piloté par M. B..., et souhaitant accoster, la présence d'un espar à bandes horizontales vertes et blanches balisant le chenal navigable et signalant un point dangereux situé quelques mètres avant le pont et d'un panneau fixé sur le tablier du pont interdisant le passage sous le pont interdisait au batelier de s'engager sous le tablier du pont en dehors du chenal de navigation alors, par ailleurs, que les dispositions précitées du règlement général de police de la navigation intérieure interdisent le stationnement, défini comme l'ancrage et l'amarrage, sous les ponts. Il s'ensuit que pour effectuer la manoeuvre d'accostage, le batelier a engagé la péniche dans une zone d'interdiction de franchissement et de stationnement peu important les circonstances que le pilote n'a pas eu l'intention de franchir le pont et que seuls cinq mètres de la péniche sur une longueur totale de 87,51 mètres étaient situés sous le pont.
12. Il ne résulte pas de l'instruction que l'absence d'un panneau spécifique relatif à la présence d'un obstacle sous-marin dans une zone interdite à la navigation et au stationnement constituerait un défaut d'entretien normal de l'ouvrage public constitué par le quai.
13. Les requérants font également valoir que M. B... a été contraint de s'arrêter immédiatement afin d'éviter un incident moteur majeur pouvant rendre son bateau non manoeuvrant. Toutefois, M. B... n'établit pas qu'il aurait été contraint d'accoster à l'extrémité du quai en engageant une partie de la péniche dans une zone d'interdiction en raison d'une difficulté technique liée au déclenchement de l'alarme moteur, M. B... précisant que " son moteur ne s'est pas mis en réduction de puissance ni d'allure ", de la présence d'autres bateaux en stationnement ou en raison des conditions hydrologiques ou météorologiques particulières et ce alors que l'expert précise que " la manoeuvre d'accostage ne présentait pas de difficulté majeure ".
14. Par suite, M. B... et autres ne sont pas fondés à rechercher la responsabilité de la Compagnie nationale du Rhône et de l'établissement public Voies navigables de France en raison d'un défaut d'entretien de l'ouvrage public constitué par le quai, accessoire du chenal navigable.
15. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit nécessaire de procéder à l'audition de l'expert en application des dispositions de l'article R. 621-10 du code de justice administrative et de statuer sur la recevabilité des demandes présentées devant le tribunal administratif de Grenoble et des requêtes présentées en appel, que M. B..., la société B... Rhodanien, la société Helvetia " Compagnie suisse d'assurances " et la société Uniper France Power, la société MMA Iard venant aux droits de Covea Fleet, la société MMA Iard Assurances Mutuelles venant aux droits de Covea Fleet, la société Allianz Global Corporate et Speciality SE et la société Helvetia assurances SA ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté leurs demandes.
Sur l'appel en garantie de M. B..., de la société B... Rhodanien et de la société Helvetia :
16. M. B..., la société B... Rhodanien et la société Helvetia demandent à être garantis de toute condamnation prononcée à leur encontre à la suite de l'arrêt de la cour d'appel d'Aix-en-Provence. Toutefois, en l'absence de toute condamnation prononcée à l'encontre de Voies navigables de France et de la Compagnie nationale du Rhône, l'appel en garantie doit être rejeté.
Sur les conclusions relatives aux dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
En ce qui concerne les frais de première instance :
17. Par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a mis à la charge in solidum de la société Uniper France Power, de la société MMA Iard, de la société MMA Iard Assurances Mutuelle, de la société Allianz Global Corporate et Speciality SE et de la société Helvetia une somme globale de 1000 euros à verser, d'une part, à la Compagnie nationale du Rhône et, d'autre part, à l'établissement public administratif Voies navigables de France au titre des frais qu'ils ont exposés dans cette instance. Ces derniers n'ayant pas la qualité de partie perdante en première instance, il ne ressort pas des pièces du dossier que le tribunal administratif a fait une inexacte application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice. Par suite, les conclusions de la société Uniper France Power, de la société MMA Iard, de la société MMA Iard Assurances Mutuelle, de la société Allianz Global Corporate et Speciality SE et de la société Helvetia Compagnie suisse d'assurances tendant à l'annulation du jugement du 21 mars 2019 en tant que le tribunal administratif de Grenoble les a condamnées à verser à la Compagnie nationale du Rhône et à l'établissement public administratif Voies navigables de France la somme de 1 000 euros au titre des frais exposés dans cette instance doivent être rejetées.
En ce qui concerne la présente instance :
18. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de la Compagnie nationale du Rhône et de Voies navigables de France, qui ne sont pas parties perdantes, le versement de quelque somme que ce soit au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
19. Il y a lieu de mettre à la charge in solidum de M. H... B..., de la société B... Rhodanien et de la société Helvetia " Compagnie suisse d'assurances " la somme de 1 000 euros à verser d'une part à la Compagnie nationale du Rhône et d'autre part à Voies navigables de France dans l'instance n° 19LY01931 et à la charge in solidum de la société Gazel Energie Génération, anciennement dénommée Uniper France Power, de la société MMA Iard venant aux droits de Covea Fleet, de la société MMA Iard Assurances Mutuelles venant aux droits de Covea Fleet, de la société Allianz Global Corporate et Speciality SE, de la société Helvetia Compagnie suisse d'assurances et de la société Helvetia assurances SA la somme de 1 000 euros à verser à la Compagnie nationale du Rhône et la somme de 1 000 euros à verser à Voies navigables de France dans l'instance n°19LY02095 au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
D E C I D E :
Article 1er : La requête n° 19LY01931 de M. H... B..., de la société B... Rhodanien et de la société Helvetia " Compagnie suisse d'assurances " et la requête n° 19LY02095 de la société Uniper France Power, de la société MMA Iard venant aux droits de Covea Fleet, de la société MMA Iard Assurances Mutuelles venant aux droits de Covea Fleet, de la société Allianz Global Corporate et Speciality SE, la société Helvetia Compagnie suisse d'assurances et la société Helvetia assurances SA sont rejetées.
Article 2 : M. H... B..., la société B... Rhodanien, la société Helvetia " Compagnie suisse d'assurances " verseront in solidum une somme de 1 000 euros à la Compagnie nationale du Rhône et une somme de 1 000 euros à l'établissement public Voies navigables de France au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La société Gazel Energie Génération, anciennement dénommée Uniper France Power, la société MMA Iard venant aux droits de Covea Fleet, la société MMA Iard Assurances Mutuelles venant aux droits de Covea Fleet, la société Allianz Global Corporate et Speciality SE, la société Helvetia Compagnie suisse d'assurances et la société Helvetia assurances SA verseront in solidum une somme de 1 000 euros à la Compagnie nationale du Rhône et une somme de 1 000 euros à l'établissement public Voies navigables de France au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. H... B..., à la société B... Rhodanien, à la société Helvetia " Compagnie suisse d'assurances ", à la société Gazel Energie Génération, anciennement dénommée Uniper France Power, à la société MMA Iard venant aux droits de Covea Fleet, à la société MMA Iard Assurances Mutuelles venant aux droits de Covea Fleet, à la société Allianz Global Corporate et Speciality SE, à la société Helvetia assurances SA, à la Compagnie nationale du Rhône et à Voies navigables de France.
Délibéré après l'audience du 8 avril 2021, à laquelle siégeaient :
M. Pourny, président de chambre,
M. Gayrard, président assesseur,
Mme C..., première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 6 mai 2021.
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N° 19LY01931...